Cass. com., 6 février 2019, n° 17-20.112
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
SCP Foussard et Froger, SCP Thouin-Palat et Boucard
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Pau, 20 avril 2017), que la société en nom collectif G... Y... I... (la société) a été constituée en 1983 par M. Y... et un autre pharmacien ; qu'en 2006, M. X... a acquis la moitié des parts constituant le capital social de la société ; qu'après avoir informé son associé, le 31 mars 2009, de sa volonté de céder ses parts sociales et lui avoir vainement présenté plusieurs candidats successifs au rachat, M. Y..., invoquant un exercice abusif, par M. X..., de son droit d'agrément, l'a assigné en paiement de dommages-intérêts ;
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à M. Y... des dommages-intérêts en réparation de ses préjudices matériel et moral alors, selon le moyen :
1°/ que dans une société en nom collectif, chaque associé bénéficie d'un droit purement discrétionnaire de consentir à la cession ou de la rejeter, et ce sans avoir à en justifier ; qu'a fortiori, le silence gardé par l'associé ne saurait dégénérer en abus ; qu'en retenant pourtant en l'espèce que M. X... aurait commis une faute consistant à "faire la sourde oreille à toutes propositions et d'opposer à tous ses correspondants le silence sans qu'il justifie d'un motif valable", la cour d'appel a violé l'article L. 222-13 du code de commerce, ensemble l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
2°/ que la cour d'appel a retenu que M. X... aurait commis une "faute à l'égard de M. Y... qui ne peut ni se retirer, et ni prendre sa retraite comme il le souhaite" ; qu'elle a pourtant alloué à M. Y... au titre de la "perte de revenus liés à l'impossibilité de se retirer de la société" une somme correspondant à la perte de chance de percevoir les revenus qui lui auraient été versés s'il n'avait pas été en arrêt de travail et s'il avait pu exercer son activité de gérant de la société en nom collectif ; qu'en statuant ainsi, quand cette perte de revenus n'était aucunement imputable à la supposée faute de M. X... mais à l'arrêt de travail de M. Y..., la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
3°/ que la cour d'appel a retenu que M. X... aurait commis une "faute à l'égard de M. Y... qui ne peut ni se retirer, et ni prendre sa retraite comme il le souhaite" ; qu'au titre du supposé préjudice moral, la cour d'appel a relevé que des certificats médicaux datés des 2 mai, 30 novembre, 20 décembre 2013 et 20 janvier 2014 "démontrent la réalité de l'épisode dépressif traversé par M. Y..., relèvent l'aggravation de son état de santé à chaque échange verbal ou épistolaire avec son associé au sujet de leurs problèmes professionnels" ; qu'en allouant à ce titre à M. Y... une somme de 80 000 euros, sans aucunement caractériser le lien de causalité entre le silence prétendument fautif de M. X... et l'état dépressif de M. Y..., la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir relevé que M. Y... avait informé, le 31 mars 2009, son associé de son intention de céder sa participation au sein de la société et du mandat confié à une société chargée de lui trouver un acquéreur, l'arrêt constate que M. X... a reçu de ce mandataire, par lettres du 26 mai 2009, des 6, 29 septembre 2011 et 3 janvier 2012, plusieurs propositions de cessionnaires, qu'il avait la possibilité de rencontrer ; qu'il relève encore que, tout en réitérant, par lettre du 20 mai 2011, adressée à son associé, son intention de céder ses parts, M. Y... lui a offert de les racheter prioritairement, sous un certain délai ; qu'il ajoute que M. Y... lui a fait part, par lettres des 8 août et 9 octobre 2012, d'autres propositions, en lui précisant les modalités et le délai pour y répondre ; qu'il relève que M. X... n'a répondu à aucune de ces lettres et que, selon des attestations établies par des candidats cessionnaires, ces derniers n'ont pas pu, malgré leurs démarches, présenter leur projet à M. X..., compte tenu de son silence ou de son refus d'évoquer la cession, de sorte qu'ils ont dû abandonner leur projet d'acquisition ; qu'il retient qu'ainsi, M. X... s'est abstenu de répondre à toutes les propositions, en gardant le silence sans motif valable, et relève que ce n'est qu'au cours de la procédure d'appel, en 2015, soit six ans après la première notification faite par son associé de sa volonté de céder ses parts, qu'il a fait connaître son intention de se porter acquéreur de celles-ci, avec deux propositions successives présentées en 2015 et 2016, à la suite desquelles il a finalement acquis la totalité des parts sociales de la société ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir que M. X... s'était fautivement abstenu d'exercer son droit d'agrément, la cour d'appel a pu retenir qu'il avait engagé sa responsabilité à l'égard de son associé ;
Et attendu, en second lieu, qu'après avoir retenu que le comportement attentiste de M. X..., ajouté à son refus de rencontrer les candidats cessionnaires, constituait une faute à l'égard de M. Y..., l'arrêt relève que les certificats médicaux, établis en mai, novembre et décembre 2013, démontrent la réalité de l'épisode dépressif traversé par M. Y..., et révèlent l'aggravation de son état de santé à chaque échange avec son associé au sujet de leurs problèmes professionnels et qu'ils insistent sur la nécessité, sous peine d'aggravation de son état, d'éviter tout contact avec son associé ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, dont elle a pu déduire l'existence d'un lien de causalité entre la faute commise par M. X... et l'atteinte à l'intégrité psychique subie par M. Y..., ayant entraîné des préjudices d'ordre patrimonial et extrapatrimonial, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.