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Décisions

CA Lyon, 1re ch. civ. B, 2 mars 2021, n° 19/02102

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Caisse d'Epargne Et De Prevoyance De Rhone-Alpes (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Chauve

Conseillers :

Mme Papin, Mme Valette

TGI Saint-Etienne, du 5 mars 2019, n° 18…

5 mars 2019

EXPOSÉ DE L'AFFAIRE

Par acte du 28 septembre 2010, la société en nom collectif D., dont le siège social était situé [...], a souscrit auprès de la Caisse d'épargne et de prévoyance Rhône-Alpes un contrat de prêt pour la somme de 147 500 euros avec un taux d'intérêt à 3,55% pour financer l'acquisition d'un fonds de commerce.

Pour ce prêt, par trois actes du 28 septembre 2010, M. Raphaël D., M. Philippe D. et Mme Nadine B. épouse D. se sont portés cautions solidaires des engagements de la SNC D. envers la Caisse d'épargne.

Par actes des 21 et 24 juillet 2011, la SNC D. a souscrit auprès de la Caisse d'épargne un second contrat de prêt pour la somme de 20 000 euros avec un taux d'intérêt à 3,85% pour un besoin en fonds de roulement.

Pour ce prêt, par acte du 24 juillet 2011, M. Raphaël D. s'est porté caution solidaire des engagements de la société SNC D. envers la Caisse d'épargne.

Par jugement du tribunal de commerce de Lyon du 27 août 2013, la liquidation judiciaire de la SNC D. a été prononcée.

Par courrier du 26 novembre 2013, la Caisse d'épargne a mis en demeure les cautions des deux prêts de satisfaire leur obligation de garantie.

Par actes d'huissier signifiés les 29 mars et 26 avril 2018, la Caisse d'épargne a assigné les consorts D. devant le tribunal de grande instance de Saint-Etienne aux fins de les voir condamnés solidairement, en leur qualité d'associés de la SNC D., à lui payer les sommes de 92 071,18 euros et de 7 545,85 euros, outre intérêts aux taux respectifs de 3,55% et de 3,85% à compter du 26 novembre 2013, à titre subsidiaire de les condamner, ou le seul M. Raphaël D. pour le second prêt, au paiement de ces sommes en leur qualité de caution solidaire de la société D., de dire que les intérêts dus pour une année seront capitalisés, de les condamner au paiement d'une somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, et d'ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.

Par jugement du 5 mars 2019, le tribunal de grande instance de Saint-Etienne a :

         déclaré recevable l'action de la Caisse d'épargne,

         condamné solidairement, en leur qualité d'associés de la société en nom collectif D., M. Raphaël D., M. Philippe D. et Mme Nadine B. épouse D., à payer à la Caisse d'épargne la somme de 92 071,18 euros, outre intérêts au taux de 3,55% l'an à compter du 26 novembre 2013,

         condamné solidairement, en leur qualité d'associés de la société en nom collectif D., M. Raphaël D., M. Philippe D. et Mme Nadine B. épouse D., à payer à la Caisse d'épargne la somme de 7 545,85 euros outre intérêts au taux de 3,85% l'an à compter du 26 novembre 2013,

         dit que les intérêts dus pour plus d'une année entière seront capitalisés,

         condamné la Caisse d'épargne à payer à M. Raphaël D., M. Philippe D. et Mme Nadine B. épouse D. une somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement de la banque à son devoir de mise en garde,

         débouté les parties du surplus de leurs demandes,

         ordonné l'exécution provisoire du jugement,

         condamné solidairement M. Raphaël D., M. Philippe D. et Mme Nadine B. épouse D. aux dépens, avec distraction au profit de la SCP J.C. D. & C. Z., conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Par déclaration du 21 mars 2019, la Caisse d'épargne a interjeté appel.

Au terme de conclusions notifiées le 14 mai 2020, la Caisse d'épargne demande à la cour de :

         Dire et juger la Caisse d'épargne recevable en son appel,

         Confirmer le jugement rendu le 5 mars 2019 par le tribunal de grande instance de Saint-Etienne en ce qu'il a :

         déclaré recevable l'action de la Caisse d'épargne,

         condamné solidairement, en leur qualité d'associés de la société en nom collectif SNC D., M. Raphaël D., M. Philippe D. et Mme Nadine D., née B., à lui payer la somme de 92 071,18 euros, outre intérêts au taux de 3,55% l'an à compter du 26 novembre 2013,

         dit que les intérêts dus pour une plus d'une année entière seront capitalisés,

         condamné solidairement M. Raphaël D., M. Philippe D. et Mme Nadine D., née B. aux dépens,

         Réformer le jugement rendu le 5 mars 2019 par le Tribunal de Grande Instance de Saint-Etienne en ce qu'il a condamné la Caisse d'épargne à payer à M. Raphaël D., à M. Philippe D., et à Mme Nadine D., née B., une somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à son devoir de mise en garde,

Et statuant à nouveau,

1) Sur l'obligation de mise en garde

         dire et juger , en tout état de cause, irrecevable car prescrite, l'action en responsabilité engagée par M. Raphaël D., à M. Philippe D., et à Mme Nadine D., née B., à l'encontre de la CAISSE D'EPARGNE au titre d'un manquement à son devoir de mise en garde à leur égard, en quelle que qualité que ce soit,

Subsidiairement,

         dire et juger, que l'argument tiré du manquement de la Caisse d'épargne à son devoir de mise en garde doit s'apprécier au regard de chacune des cautions, à savoir M. Raphaël D., M. Philippe D., et Mme Nadine D., née B., et non au regard de la SNC D.,

         dire et juger, au regard des éléments factuels versés aux débats, que M. Raphaël D., M. Philippe D., et Mme Nadine D., née B., étaient, chacun, des cautions dûment averties, à la date de souscription de leurs engagements de caution respectifs,

         dire et juger, qu'en tout état de cause, dans l'hypothèse où M. Raphaël D., M. Philippe D., et, Mme Nadine D., née B., seraient, l'un ou l'autre, considérés comme une caution non avertie, il ne résultait pour aucun d'eux, aucun risque d'endettement né de l'octroi des engagements de caution,

En conséquence,

         dire et juger que la Caisse d'épargne n'était débitrice d'aucune obligation de mise en garde à l'égard de M. Raphaël D., de M. Philippe D., et, de Mme Nadine D., née B.,

         débouter M. Raphaël D., M. Philippe D., et, Mme Nadine D., née B., de leur demande indemnitaire au titre du prétendu manquement de la Caisse d'épargne à son devoir de mise en garde à leur égard,

2) Sur la validité des engagements de caution de M. Philippe D., et, Mme Nadine D., née B.,

         dire et juger que la Caisse d'épargne est bien fondée à se prévaloir des engagements de caution de M. Raphaël D., M. Philippe D., et, Mme Nadine D., née B.,

En conséquence,

         débouter M. Raphaël D., M. Philippe D., et, Mme Nadine D., née B., de leur demande de nullité de leurs engagements de caution respectifs,

3) Sur la validité du contrat de prêt du 28 septembre 2010 (de 147 500 euros)

         dire et juger que M. Raphaël D., M. Philippe D., et, Mme Nadine D., née B., ne rapportent pas la preuve d'une quelconque réticence dolosive de la Caisse d'épargne lors de l'octroi de ce prêt,

En conséquence,

         débouter M. Raphaël D., M. Philippe D., et, Mme Nadine D., née B., de leur demande de nullité du contrat de prêt du 28 septembre 2010,

4) Sur le caractère proportionné des engagements des cautions

         dire et juger que M. Raphaël D., M. Philippe D., et, Mme Nadine D., née B., ne rapportent pas la preuve de la disproportion manifeste affectant leurs engagements de caution respectifs à la date de leur souscription,

En conséquence,

         débouter M. Raphaël D., M. Philippe D., et, Mme Nadine D., née B., de leurs demandes à ce titre,

5) En tout état de cause,

         débouter M. Raphaël D., M. Philippe D., et Mme Nadine D., née B., de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

         condamner solidairement M. Raphaël D., M. Philippe D., et Mme Nadine D. née B., à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

         condamner solidairement M. Raphaël D., M. Philippe D., et Mme Nadine D. née B. aux dépens, et admettre la SCP J.C. D. & C. Z. au bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.

Au terme de conclusions notifiées le 20 février 2020, les consorts D. demandent à la cour de :

         dire et juger l'appel interjeté par la Caisse d'épargne recevable mais non fondé,

A titre principal,

         confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la Caisse d'épargne pour manquement de la banque à son devoir de mise en garde,

         condamner la Caisse d'épargne à leur régler, au titre de la perte de chance de ne pas contracter les prêts litigieux et défaut de mise en garde, la somme de 200 000 euros,

A titre subsidiaire,

         dire et juger que l'action de la banque à l'encontre des cautions est nécessairement prescrite,

         débouter la banque Caisse d'épargne de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

         condamner la Caisse d'épargne à leur régler, au titre de la perte de chance de ne pas contracter les prêts litigieux et défaut de mise en garde, la somme de 200 000 euros,

A titre subsidiaire,

         constater la nullité des engagements de caution, les erreurs inscrites dans la mention manuscrite impérative rendant le texte inintelligible,

A titre subsidiaire,

         constater la nullité de l'engagement des cautions pour réticence dolosive de la banque,

A titre infiniment subsidiaire,

         constater la nullité de l'engagement des cautions pour engagement manifestement disproportionné à leurs revenus et biens, la banque n'ayant pas sollicité d'informations sur les revenus et biens des cautions,

         condamner en outre la Caisse d'épargne à leur régler la somme de 200 000 euros pour violation de son devoir de mise en garde,

A titre infiniment subsidiaire,

         constater que la Caisse d'épargne n'a pas procédé à l'information annuelle des cautions,

         constater dès lors la déchéance de son droit aux intérêts,

En toute hypothèse,

         ordonner la substitution à l'intérêt convenu contractuellement, pour les deux prêts, à l'intérêt légal en vigueur soit 0,65% en 2010 et 0,38% pour le prêt de 2011,

         condamner la Caisse d'épargne à fournir les nouveaux échéanciers des contrats pour parvenir à la somme qui resterait éventuellement due par la société SNC D.,

         ordonner à la Caisse d'épargne de produire tous justificatifs de la somme versée par la société Caution visée en page 5 du contrat, à savoir la Compagnie européenne de garanties et de cautions,

         condamner la Caisse d'épargne à régler aux cautions la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

         condamner la Caisse d'épargne aux entiers dépens de l'instance.

Il est expressément renvoyé aux écritures des parties pour plus ample exposé de leurs faits, prétentions, et moyens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il sera rappelé qu'au terme de l'article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et que les 'demandes' tendant à voir 'dire et juger' qui développent en réalité des moyens, ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile et ne saisissent pas la cour.

Enfin, il ne sera pas répondu par la cour aux développements des conclusions de l'intimé qui ne sont traduites par aucune demande dans le dispositif de leurs conclusions.

Sur la demande de la Caisse d'Epargne

Les intimés soutiennent que l'action de la banque à leur encontre est prescrite.

Si les intimés ont la double qualité d'associé et de caution au moins pour le premier prêt du 28 septembre 2010, la banque dirige son action à leur encontre à titre principal en leur qualité d'associé.

L'article L 237-13 du code de commerce dispose que toutes actions contre les associés non liquidateurs se prescrivent par cinq ans à compter de la publication de la dissolution de la société au registre du commerce et des sociétés.

Au terme des dispositions de l'article L 221-1 du même code, les associés en nom collectif ont tous la qualité de commerçant et répondent indéfiniment et solidairement des dettes sociales. Les créanciers ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé qu'après avoir vainement mis en demeure la société par acte extra-judiciaire.

En l'espèce, il est constant que la demande contre les intimés en leur qualité d'associés a été formée par voie de conclusions en date du 18 octobre 2018.

Au regard des textes précités, le point de départ de l'action contre les associés se situe à la date de publication du jugement de liquidation ou au plus tôt à la vaine mise en demeure de la société.

En l'espèce, la Caisse d'Epargne justifie avoir déclaré sa créance le 30 octobre 2013, et donc avoir vainement mise en demeure la société, moins de cinq ans avant sa demande.

La SNC ayant fait l'objet d'une liquidation judiciaire au cours de laquelle la banque a déclaré sa créance, liquidation s'étant terminée par une clôture pour insuffisance d'actif, la banque justifie avoir rempli toutes les conditions de l'article L. 221-1 du code de commerce.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré recevable l'action dirigée contre les associés.

Au vu des pièces produites et notamment les offres de prêt, les déclarations de créance, les avis d'admission de créance du 28 mars 2014 pour 95 131,92 euros et 7 545,85 euros, les jugements de liquidation judiciaire et de clôture pour insuffisance d'actif, les décomptes de créance, les courriers recommandés datés du 26 novembre 2013 de mise en demeure adressés à chacune des cautions, la Caisse d'Epargne justifie du bien fondé de ses demandes à hauteur de 92 071,18 euros au titre du premier prêt outre intérêts au taux de 3,55% à compter du 26 novembre 2013 et de 7 545,85 euros au titre du second prêt outre intérêts au taux de 3,85% à compter du 26 novembre 2013.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné solidairement les intimés au paiement de ces sommes.

Sur la prescription de la demande des intimés

Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Il résulte des articles 2224 et 1147 du code civil dans leur rédaction antérieure à celle de l'ordonnance du 10 février 2016 que le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité, pour défaut de mise en garde, exercée par la caution contre la banque est fixé au jour où la caution a su, par la mise en demeure qui lui a été adressée, que les obligations résultant de son engagement allaient être mises à exécution du fait de la défaillance du débiteur principal.

En l'espèce, la banque justifie avoir adressé le 26 novembre 2013 à chacune des cautions des mises en demeure de payer le solde restant dû au titre du prêt ou des prêts.

Il n'est pas contesté que ce n'est que par conclusions du 8 janvier 2019 notifiées en vue de l'audience de mise en état du 10 janvier 2019 que les intimés ont sollicité à titre infiniment subsidiaire de condamner l'appelante à leur payer la somme de 200 000 euros pour violation de son devoir de mise en garde.

Dès lors, la demande des intimés apparaît prescrite et le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a fait droit à cette demande et a condamné la Caisse d'Epargne à payer la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts à ce titre.

De même, la contestation au titre du calcul des intérêts sur la base d'une année lombarde apparaît tardive pour avoir été formée pour la première fois le 30 août 2018 alors qu'elle devait l'être dans les cinq ans suivants la signature des offres de prêt.

Les autres moyens soulevés par les intimés sont inopérants pour porter sur les cautionnements souscrits alors que la condamnation prononcée ne l'a pas été sur la base des cautionnements mais au titre de la qualité d'associés des intimés, associés tenus des dettes de la société.

Les intimés sollicitent enfin la condamnation de la Caisse d'épargne à produire tous justificatifs de la somme versée par la société Caution visée en page 5 du contrat, à savoir la Compagnie européenne de garanties et de cautions. Force est de constater d'une part qu'ils n'ont saisi le conseiller de la mise en état d'aucun incident de communication de pièces, et que d'autre part au vu de la garantie souscrite, la compagnie européenne de garanties et de cautions ne peut être appelée par la banque que sur justification par le créancier de la clôture des mesures d'exécution consécutives à la réalisation des garanties demandées à la souscription de l'engagement.

Leur demande sera donc rejetée.

Sur les autres demandes

Il sera fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de l'appelante à hauteur de 2 000 euros.

Les dépens resteront à la charge des intimés.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a condamné la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Rhône-Alpes à payer à M. Raphaël D., M. Philippe D. et Mme Nadine B. épouse D. une somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement de la banque à son devoir de mise en garde.

Statuant à nouveau de ce chef,

Déclare irrecevable la demande des consorts D. pour manquement de la banque à son devoir de mise en garde.

Y ajoutant,

Déboute les consorts D. de leurs demandes.

Condamne in solidum M. Raphaël D., M. Philippe D. et Mme Nadine B. épouse D. à payer à la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Rhône-Alpes la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Les condamne in solidum aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code précité.