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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 15 septembre 2022, n° 21/07124

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Conseil National des Barreaux

Défendeur :

Eiffel S.A.S.

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Prigent

Conseillers :

Mme Renard, Mme Soudry

Avocats :

Me Gavaudan, Me Guerre, Me Israel, Me Olivier, Me Morales

CA Paris n° 21/07124

14 septembre 2022

FAITS ET PROCÉDURE

Le Conseil National des Barreaux (CNB) est un établissement d'utilité publique représentant l'ensemble des avocats inscrits à un barreau français.

La société Eiffel Conseils est spécialisée dans l'optimisation des charges sociales et des coûts.

Le 17 avril 2008, la société groupe Vedior France (actuellement société Groupe Randstad France) a conclu un contrat avec la société Eiffel ayant pour objet de lui permettre de réaliser des économies sur les charges liées à la rémunération du travail.

Le 05 février 2010, la société Eiffel a fait assigner la société Randstad devant le tribunal de commerce de Bobigny en paiement d'une somme au titre de ses honoraires d'intervention et en condamnation de celle-ci à lui verser des dommages et intérêts.

La société Randstad a invoqué, reconventionnellement, la nullité de la convention pour exercice illégal, par la société Eiffel, d'une consultation juridique en violation des articles 54 et 60 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971.

Le CNB est intervenu volontairement à l'instance et a sollicité la nullité de la convention pour les mêmes motifs ainsi que, notamment, l'allocation de la somme d'un euro en réparation de son préjudice moral sur le fondement de l'article 1382 devenu l'article 1240 du code civil.

Le Syncost (Syndicat des Conseils Opérationnels et Optimisation des Coûts) est intervenu volontairement à l'instance.

Le 09 octobre 2014, la société Eiffel Conseils s'est désistée de son instance et de son action dirigée contre la société Randstad.

Par jugement du 08 novembre 2016, le tribunal de commerce de Bobigny a :

-Dit recevable l'action du Conseil National des Barreaux ;

-Constaté l'extinction de l'instance entre la Sarl Eiffel et Groupe Randstad ;

-Débouté le Conseil National des Barreaux de sa demande de nullité de la convention du 17 avril 2008 ;

-Débouté le Conseil National des Barreaux de sa demande au titre de l'interdiction à la société Eiffel d'exercer son activité ;

-Débouté le Conseil National des Barreaux de sa demande au titre du préjudice moral ;

-Condamné le Conseil National des Barreaux à payer à la Sarl Eiffel un euro au titre du préjudice moral ;

-Débouté la Sarl Eiffel et le Conseil National des Barreaux de leurs demandes de publication du présent jugement ;

-Déclaré Syncost recevable en son intervention volontaire ;

-Dit n'y avoir lieu à statuer sur les demandes de Syncost ;

-Condamné le Conseil National des Barreaux à payer à la Sarl Eiffel la somme de 5.000 euros et au Syncost la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

-Ordonné l'exécution provisoire sans constitution de garantie ;

-Condamné le Conseil National des Barreaux aux dépens ;

-Liquidé les dépens à recouvrer par le Greffe à la somme de 105,84 euros TTC.

Par acte du 29 janvier 2016, le CNB a relevé appel de ce jugement.

En cause d'appel, la société PCMG (société professional cost management group limited)

et la société Inventage SP ZO.O sont intervenues volontairement à l'instance.

Par arrêt du 18 juillet 2018, la cour d'appel de Paris a :

-Infirmé le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bobigny le 08 novembre 2016 sur la recevabilité du Conseil National des Barreaux ;

Statuant à nouveau sur ce point,

-Déclaré le Conseil National des Barreaux, la société Inventage et le Syndicat des Conseils Opérationnels et Optimisation des Coûts irrecevables en leur action ;

-Condamné solidairement le Conseil National des Barreaux, la société Inventage, la société Professional Cost Management Group Limited et le Syndicat des Conseils Opérationnels en Optimisation des Coûts aux dépens d'appel ;

-Débouté le Conseil National des Barreaux et le Syndicat des Conseils Opérationnels en Optimisation des Coûts de leur demande d'indemnité de procédure ;

-Condamné le Conseil National des Barreaux à payer à la société Eiffel la somme de 4.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le Conseil National des Barreaux a formé un pourvoi à l'égard de cette décision.

Par arrêt du 14 janvier 2021, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a:

-Cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il a déclaré le Conseil national des barreaux irrecevable en son action et l'a condamné aux dépens et à payer à la société Eiffel la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 18 juillet 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

-Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

-Condamne la société Eiffel aux dépens ;

-En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Eiffel et la condamne à payer au Conseil national des barreaux la somme de 3.000 euros ;

Aux motifs que :

"Vu l'article 329 du code de procédure civile :

Aux termes de ce texte, l'intervention est principale lorsqu'elle élève une prétention au profit de celui qui la forme. Elle n'est recevable que si son auteur a le droit d'agir relativement à cette prétention.

Pour déclarer le CNB irrecevable en son action, l'arrêt retient que l'intervention de celui-ci ne peut qu'être accessoire à la demande en nullité de la convention formée par la société Randstad et que le désistement, qui a emporté extinction de la demande originelle au soutien de laquelle est intervenu le CNB, a fait disparaître la demande accessoire de ce dernier.

En statuant ainsi, alors que le CNB, personne morale investie de la défense des intérêts collectifs de la profession d'avocat, avait formé une demande de dommages-intérêts de sorte qu'il émettait une prétention à son profit, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

La société Eiffel demande, à titre subsidiaire, qu'en cas de cassation celle-ci soit limitée à l'irrecevabilité de la demande de dommages-intérêts formée par le CNB, l'intervention demeurant irrecevable en ce qui concerne la demande de nullité de la convention.

Cependant, l'intervention principale du CNB le rendant demandeur à une instance distincte de celle engagée par la société Randstad, la décision doit être cassée en ce qu'elle a déclaré le CNB irrecevable en toutes ses demandes.

Elle doit également l'être, par application de l'article 624 du code de procédure civile, en ce qu'elle a condamné le CNB, solidairement aux dépens et à payer à la société Eiffel la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile."

Moyens

Par déclaration du 06 avril 2021, le Conseil National des Barreaux a saisi la cour d'appel afin d'obtenir l'annulation ou la réformation du jugement rendu le 08 novembre 2016 par le tribunal de commerce de Bobigny (RG : 2010F00377) par la critique de ses chefs suivants :

-" Déboute le Conseil National des Barreaux de sa demande de nullité de la convention du 17 avril 2008 ;

-Déboute le Conseil National des Barreaux de sa demande au titre de l'interdiction à Eiffel d'exercer son activité ;

-Déboute le Conseil National des Barreaux de sa demande au titre du préjudice moral ;

-Condamne le Conseil National des Barreaux à payer à la Sarl Eiffel un euro au titre du préjudice moral ;

-Condamne le Conseil National des Barreaux à payer à la Sarl Eiffel la somme de 5.000 euros ;

-Ordonne l'exécution provisoire sans constitution de garantie ;

-Condamné le Conseil National des Barreaux aux dépens. "

Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 04 mars 2022, le Conseil National des Barreaux demande à la cour de :

Vu les dispositions de la loi 1971 - 1130 du 31 juillet 1971 modifiée,

Vu les articles 328, 329, 330 du code de procédure civile,

Vu les articles 1131 et suivants du code civil,

Vu les articles 1382 et suivants (anciens) devenus 1240 et suivants du code civil,

-Confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré recevable l'intervention volontaire et principale du Conseil National des Barreaux en ses demandes

-Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bobigny en ce qu'il a débouté le C.N.B de l'ensemble de ces demandes, fins et conclusions

Statuant à nouveau,

-Dire et juger que l'activité de la société Eiffel Conseils telle qu'elle résulte de la convention en date du 17 avril 2008 et de sa mise en oeuvre est exercée en violation de la loi n°71-1130 du 31 juillet 1971 modifiée,

En conséquence,

-Dire et juger que la convention litigieuse en date du 17 avril 2008 est illicite pour violation des dispositions de la Loi n°1971-1130 du 31 juillet 1971 modifiée,

-Prononcer l'annulation de la convention en date du 17 avril 2008 passée entre la société Eiffel Conseils et la société Groupe Randstad France,

-Dire et juger qu'à l'occasion de la convention en date du 17 avril 2008, passée entre la société Eiffel Conseils et la société Groupe Randstad France la société Eiffel Conseils a exercé une activité contraire aux dispositions de la loi 1971-1130 du 31 juillet 1971 modifiée,

-Condamner la société Eiffel Conseils à verser au Conseil National des Barreaux sur le fondement des articles 1240 et suivants du code civil, la somme d'un euro symbolique en réparation du préjudice subi

-Ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans trois journaux d'audience nationale et dans trois revues spécialisées au choix et à la diligence du concluant et aux frais de la société Eiffel Conseils,

-Condamner en tout état de cause la société Eiffel Conseils à verser au Conseil National des Barreaux une somme de 50.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

-Condamner la société Eiffel Conseils aux entiers dépens qui seront directement recouvrés par PMG avocats selon l'article 699 du code de procédure civile

-Débouter la société Eiffel Conseils de toutes ses demandes, fins et conclusions.

Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 29 juillet 2021, la société Eiffel demande à la cour de :

Vu la convention signée le 17 avril 2008 ;

Vu les articles 5, 1351 (ancien), 1355 (nouveau), 1382 (ancien) et 1240 (nouveau) du code civil,

Vu l'article 564 du code de procédure civile,

-Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Bobigny rendu le 8 novembre 2016 en toutes ses dispositions, sauf en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts alloués à Eiffel Conseils et la demande de publication de la décision à venir ;

-Le réformer de ces deux chefs et statuant de nouveau,

-Condamner le CNB au paiement d'une somme de 50.000 euros de dommages- intérêts au bénéfice d'Eiffel Conseils pour le préjudice moral subi et l'acharnement procédural dont il a fait preuve ;

-Ordonner la publication du dispositif de l'arrêt à intervenir dans un quotidien national au choix de la société Eiffel Conseils, dans le Bulletin du Bâtonnier du Barreau de Paris, ainsi que sur les pages d'accueil des sites internet du CNB (http://www.cnb.avocat.fr/) le tout aux frais avancés du CNB, dans les huit jours de la signification de l'arrêt, sous peine d'une astreinte de 3.000 € par jour de retard en cas d'inexécution ;

-Condamner le CNB au paiement des frais irrépétibles en cause d'appel à concurrence de 50.000 euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

-Condamner le CNB au paiement des entiers dépens de l'instance d'appel ;

-Déclarer le CNB irrecevable et mal fondé en l'ensemble de ses demandes ;

-Le débouter de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 31 mars 2022.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

Motivation

MOTIFS

Sur la recevabilité de l'intervention du CNB

La recevabilité de l'intervention du CNB n'est plus discutée. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré recevable cette intervention.

Sur la convention en date du 17 avril 2008 et les activités de la société Eiffel

Le CNB allègue que :

-La loi du 31 décembre 1971 autorise à titre dérogatoire et accessoire, l'exercice du droit par des professions non réglementées, dans le cadre de l'exercice direct de la mission ou de l'objet des organismes visés par la loi.

-Il est donc nécessaire d'avoir une autorisation préalable d'exercer le droit à titre accessoire, qui est conditionnée par l'agrément ministériel, qui ne peut -être délivré qu'à une profession non réglementée justifiant d'une qualité reconnue par l'État (articles 54 et 60 de la loi de 1971).

-l'objet du contrat signé le 17 avril 2008 entre les sociétés Randstad et Eiffel démontre que celle-ci délivre des consultations juridiques alors qu'elle n'y est nullement habilitée, n'entrant dans aucune des catégories définies par la loi.

La société Eiffel répond que :

-Une société qui rentre dans le cadre du dispositif de l'article 60 de la loi peut valablement donner des consultations juridiques relevant directement de son activité principale et rédiger des actes sous seing privé qui constituent l'accessoire nécessaire de son activité principale, si elle détient une qualification juridique reconnue par l'État.

-C'est une prestation de conseil non réglementée qui a été délivrée par la société Eiffel à la société Randstad.

-Elle est titulaire d'un certificat de qualification professionnelle et a une activité d'optimisation des coûts et d'audit des charges.

-Dans le cadre du contrat avec la société Randstad, elle a uniquement effectué un audit des principales procédures de paye et a vérifié le paramétrage informatique des allégements de cotisations.

-Le travail d'audit fourni en l'espèce ne requiert aucune compétence juridique particulière.

-Il s'agit d'une prestation de simple information juridique, en raison de son caractère impersonnel et interchangeable.

L'article 54 de la loi du 31 décembre 1971, dans sa version applicable au litige, dispose que : "Nul ne peut, directement ou par personne interposée, à titre habituel et rémunéré, donner des consultations juridiques ou rédiger des actes sous seing privé, pour autrui : / 1° S'il n'est titulaire d'une licence en droit ou s'il ne justifie, à défaut, d'une compétence juridique appropriée à la consultation et la rédaction d'actes en matière juridique qu'il est autorisé à pratiquer conformément aux articles 56 à 66. / Les personnes mentionnées aux articles 56, 57 et 58 sont réputées posséder cette compétence juridique. / Pour les personnes exerçant une activité professionnelle réglementée mentionnées à l'article 59, elle résulte des textes les régissant. / Pour chacune des activités non réglementées visées à l'article 60, elle résulte de l'agrément donné, pour la pratique du droit à titre accessoire de celle-ci, par un arrêté, qui fixe, le cas échéant, les conditions de qualification ou d'expérience juridique exigées des personnes exerçant cette activité et souhaitant pratiquer le droit à titre accessoire de celle-ci."

L'article 60 de la même loi, dans sa version applicable au litige, dispose que : "Les personnes exerçant une activité professionnelle non réglementée pour laquelle elles justifient d'une qualification reconnue par l'Etat ou attestée par un organisme public ou un organisme professionnel agréé peuvent, dans les limites de cette qualification, donner des consultations juridiques relevant directement de leur activité principale et rédiger des actes sous seing privé qui constituent l'accessoire nécessaire de cette activité."

Il ressort de ces dispositions combinées que la loi pose le principe selon lequel la consultation juridique et la rédaction d'actes sont réservées aux professions juridiques réglementées, et que, par dérogation, les professionnels justifiant d'une qualification professionnelle reconnue, bénéficiant d'un agrément pour l'exercice de celle-ci, peuvent exercer le droit à titre accessoire de leur activité. La consultation juridique doit cependant demeurer l'accessoire de l'activité principale non juridique.

La société Eiffel qui n'exerce pas une activité réglementée justifie bénéficier d'un certificat de qualification professionnelle depuis 2004 dans le domaine de l'optimisation des coûts et verse aux débats le certificat délivré le 30/3/2014 valide jusqu'au 18/03/2018.

Il résulte de la réponse ministérielle n°24085, JO Sénat Q, 7 sept.2006, p.2356) que "la consultation juridique constitue une prestation intellectuelle personnalisée qui tend à fournir un avis concourant, par les éléments qu'il apporte, à la prise de décision du bénéficiaire de la consultation. Elle se distingue ainsi de l'information à caractère documentaire, qui consiste à renseigner un interlocuteur sur l'état du droit ou de la jurisprudence relativement à un problème donné. "Il y a consultation juridique dès lors que le prestataire donne un avis personnalisé et confronte le droit applicable aux données de fait rapportées par la personne le sollicitant

Aux termes de l'article 1er de la convention en date du 17 avril 2008, la mission de la société Eiffel consiste à "développer un savoir-faire permettant aux entreprises de réaliser des économies sur toutes les charges liées à la rémunération du travail. Le client intéressé par tous ces moyens développés, décide de contracter avec EIFFEL CONSEILS qui accepte, en lui confiant la mission de rechercher des possibilités de telles économies". La mission que le client confie à EIFFEL CONSEILS consiste à "rappeler ou mettre à jour des possibilités d'économies, chiffrer des économies potentielles et aider, si le client le souhaite, à la mise en place technique des préconisations".

Il est ajouté que la société Eiffel qui a une obligation de moyens et non de résultat devra présenter un rapport préliminaire écrit dans un délai au plus tard d'un mois et un rapport d'analyse définitif dans un délai de trois mois suivant la première intervention d'études et d'analyse' et assister le client dans ses relations avec l'administration.

La société Eiffel précise que sa prestation a consisté à effectuer un audit des principales procédures de paye et à la vérification du paramétrage informatique des allégements de cotisations dans le but d'identifier des pistes d'économies. Pour les allégements de cotisations, il fallait vérifier que, dans le paramétrage informatique de la formule de calcul de l'allégement Fillon1, aucune erreur n'avait été faite sur les constantes et les variables, notamment si le SMIC avait été actualisé correctement année après année.

S'il s'agit d'une mission d'audit, elle nécessite l'analyse des textes juridiques applicables et leur application à la situation personnelle du client.

M. [H] [T], expert-comptable et financier, aux termes d'un rapport de septembre 2010, analysant, à la requête de la société Randstad, le rapport rendu par la société Eiffel à la suite de sa prestation indique que : "Le document ne contient qu'un exposé très général 'portant sur le principe de certaines économies de charges applicables à l'ensemble des entreprises françaises ayant une activité sur les territoires français".

M.[T] précise : "la mission n'a jamais démarré, aucune intervention d'études et d'analyse ayant eu lieu après la signature de la convention. Ainsi, les économies potentielles n'ont jamais été chiffrées, aucun rapport définitif n'a été émis et enfin la société groupe Randstad France n'a bénéficié d'aucune assistance quant à la détermination du montant de l'allégement Fillon'"

Cependant, ce rapport élaboré à la demande de la société Randstad, a pour but d'établir que les honoraires réclamés par la société Eiffel ne sont pas justifiés.

Le premier rapport adressé par la société Eiffel à son client récapitule les textes applicables et leur interprétation par l'administration ; Y est annexé un modèle de lettre recommandée adressée à l'URSSAF. Aux termes du rapport, figurent les constats et préconisations applicables à la société Randstad ainsi que des conseils applicables à la situation des intérimaires et des permanents tendant à la réduction d'économies de coûts sociaux.

Ce qui est "accessoire" devant revêtir un caractère occasionnel, les consultations juridiques régulières et répétées doivent dès lors être considérées comme étant faites à titre "principal".

L'objet de la société Eiffel étant de délivrer des prestations tendant à la réduction des coûts sociaux pour les entreprises, selon une procédure préétablie adaptée ensuite à la situation de chaque entreprise, ces prestations constituent une activité régulière en contrepartie de laquelle la société Eiffel perçoit un honoraire : pour le dossier Randstad, l'honoraire a été fixé à 35 % du montant des économies réalisées.

Non seulement, l'existence d'un agrément ministériel n'est pas à lui seul de nature à écarter l'application des dispositions de la loi du 31 décembre 1971 relatives au périmètre du droit mais plus encore, l'audit, dans ce type d'activité, est intrinsèquement lié à la prestation juridique puisque c'est par le biais d'une consultation juridique, à titre principal, que les sociétés d'audit décèlent telle ou telle piste d'économie potentielle et engagent les procédures nécessaires à la réalisation de ces économies.

Peu importe que la société Eiffel ait sous-traité en amont l'analyse juridique du dossier par Me Zohar, avocat, comme celui-ci l'atteste le 27 juillet 2011. Aux termes de la convention, elle est l'auteur de l'étude et du rapport et signataire de la convention litigieuse.

La société Eiffel fournit une analyse approfondie des dispositions de la loi Fillion dans le but d'indiquer à la société Randstad à quelles conditions elle peut bénéficier d'économies sur les coûts sociaux, ce qui constitue une prestation à caractère juridique à titre principal.

La convention en date du 17 avril 2008 signé entre la société Eiffel et la société Vedior France (devenue groupe Randstad) doit être déclarée illicite au regard des dispositions de la loi du 31 juillet 1971 modifiée et son annulation doit être prononcée.

Sur la demande du CNB en réparation de son préjudice moral

Le CNB soutient que :

-Sa demande n'a pas pour objet de sanctionner la société Eiffel, mais de réparer le préjudice subi par la profession d'avocat sur le fondement de l'article 1382 devenu l'article 1240 du code civil.

-L'illicéité de la convention litigieuse caractérise une concurrence illicite et déloyale, prohibée par l'article L.120-1 du code de la consommation.

-L'image de la profession d'avocat est dégradée par la concurrence à la baisse que leur font subir ces prestations illégalement proposées.

La société Eiffel répond que :

-Le CNB n'a pas subi le moindre préjudice, dès lors que la société Eiffel est restée dans les limites de sa qualification et n'a pas enfreint la loi.

-Le CNB maintient une procédure pour un contrat signé en 2008, pour lequel les contractants n'ont plus de grief l'un contre l'autre.

L'article 1382 devenu l'article 1240 du code civil dispose que "tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer"

En exerçant une activité réservée à la profession de juriste, sans remplir les conditions exigées par la loi du 31 juillet 1971, la société Eiffel a commis des actes de concurrence déloyale en faussant l'équilibre des relations nécessairement concurrentielles sur le marché des prestations juridiques.

Le fait que la société Eiffel se présente comme compétente pour traiter de prestations juridiques réservées à une profession réglementée porte atteinte au crédit et à l'image de la profession d'avocat en ce que le client peut s'adresser à une société de prestations de service pour lui confier des missions pour lesquelles les juristes doivent justifier d'un diplôme spécifique et respecter la réglementation imposée à leur profession.

Peu importe que le litige entre la société Eiffel et la société Randstad ait pris fin en ce que le CNB, personne morale investie de la défense des intérêts collectifs de la profession d'avocat, en formant une demande de dommages-intérêts a émis à son profit une prétention qui est recevable.

La demande de la société Eiffel en réparation de son préjudice moral sera accueillie et il lui sera alloué la somme d'un euro à titre de dommages-intérêts.

Compte tenu du caractère collectif des intérêts défendus par le CNB et de la nature de l'affaire, la publication du dispositif de l'arrêt sera ordonnée aux frais de la société Eiffel, publication limitée, au regard de l'importance de l'affaire à une revue spécialisée et à un journal à diffusion nationale.

Sur la demande de la société Eiffel en réparation de son préjudice moral

Le CNB ayant été déclaré bien fondé en ses demandes, et la convention signée entre la société Randstad et la société Eiffel ayant été annulée, cette dernière ne rapporte pas la preuve d'une faute commise par le CNB. Sa demande de dommages-intérêts sera en conséquence rejetée.

Sur les demandes accessoires

Les dispositions de première instance relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront infirmées.

La société Eiffel qui succombe sera condamnée aux entiers dépens et devra verser au CNB la somme de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire,

Dans la limite de la cassation,

Infirme le jugement en ce qu'il a :

Débouté le Conseil National des Barreaux de sa demande de nullité de la convention du 17 avril 2008 ;

Débouté le Conseil National des Barreaux de sa demande au titre du préjudice moral ;

Condamné le Conseil National des Barreaux à payer à la Sarl Eiffel un euro au titre du préjudice moral ;

Débouté le Conseil National des Barreaux de sa demande de publication du jugement ;

Condamné le Conseil National des Barreaux à payer à la Sarl Eiffel la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamné le Conseil National des Barreaux aux dépens ;

Confirme le jugement en ce qu'il a déclaré recevable la demande du conseil national des barreaux,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Dit que la convention en date du 17 avril 2008 est illicite pour violation des dispositions de la Loi n°1971-1130 du 31 juillet 1971 modifiée,

Prononce l'annulation de la convention en date du 17 avril 2008 passée entre la société Eiffel Conseils et la société Groupe Randstad France,

Condamne la société Eiffel Conseils à verser au Conseil National des Barreaux, la somme d'un euro symbolique en réparation du préjudice subi,

Ordonne la publication du dispositif du présent arrêt dans un journal à diffusion nationale et dans une revue spécialisée au choix et à la diligence du Conseil National des Barreaux et aux frais de la société Eiffel Conseils,

Rejette la demande de dommages-intérêts de la société Eiffel Conseils,

Condamne la société Eiffel Conseils à verser au Conseil National des Barreaux la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette tout autre demande,

Condamne la société Eiffel Conseils aux entiers dépens qui pourront être recouvrés par PMG avocats conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.