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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 21 septembre 2022, n° 20/14900

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Affixe Editions (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Depelley, Mme Lignières

Avocats :

Me Massot , Me Grasset, Me Dujardin, Me D'romano

CA Paris n° 20/14900

20 septembre 2022

La société S.A.S. [L] [S] (ci-après « [L] [S] ») exerce une activité de fabrication et de distribution dans 48 pays d'articles pour animaux.

La société Affixe Editions SA (ci-après « Affixe ») est une société de droit belge créée en 1995 par M. [Z] [H], photographe animalier et Mme [K] [O]. Elle a pour activité l'édition et la commercialisation de calendriers animaliers, notamment de chiens.

Jusqu'en 2014, la société Affixe a distribué ses calendriers par l'intermédiaire des sociétés Dilisco en France, Flamingo en Allemagne et Benelux et [Localité 6] en Hollande.

Fin 2013, afin de mieux développer ses ventes, la société Affixe s'est rapprochée de la société [L] [S].

Suite à des échanges, les sociétés Affixe et [L] [S] ont projeté un pacte d'actionnaire visant une prise de participation majoritaire de [L] [S] dans le capital d'Affixe et un accord commercial prévoyant l'achat par [L] [S] de 220.000 calendriers par an au prix unitaire de 1.80 euros.

Ces contrats n'ont jamais été signés, toutefois, la société [L] [S] est devenue le distributeur d'Affixe et a acheté 180.000 calendriers du millésime 2016 et 180.000 calendriers du millésime 2017.

Par un courriel du 14 décembre 2016, M. [X], dirigeant de [L] [S], a informé la société Affixe de sa décision d'arrêter la distribution des calendriers Affixe.

Par acte du 6 mai 2019, la société Affixe a assigné la société [L] [S] devant le tribunal de commerce de Lille Métropole.

Par jugement du 22 septembre 2020, le tribunal de commerce de Lille Métropole a :

Débouté la société Affixe de sa demande au titre d'un accord commercial d'une durée de 5 ans portant sur la distribution exclusive des calendriers Affixe et d'une rupture anticipée de cet accord ;

Dit brutale la rupture par la société [L] [S] des relations commerciales établies avec la société Affixe ;

Condamné la société [L] [S] à payer à la société Affixe la somme de 22.193 € au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies ;

Dit responsable la société [L] [S] d'actes de parasitisme économique envers la société Affixe ;

Condamné la société [L] [S] à payer à la société Affixe la somme de 19.009 € au titre du préjudice commercial pour des actes de parasitisme ;

Interdit à la société [L] [S] ainsi qu'à toutes les sociétés du Groupe d'utiliser le nom et le logo « Affixe », le nom « [Z] [H] », et ce, sous astreinte de 1.000 € par infraction constatée à compter de la signification du présent jugement ;

S'est réservé la liquidation de l'astreinte ;

Ordonné dans le mois suivant la signification du présent jugement devenu définitif la publication du jugement à intervenir dans les magazines suivants aux frais de la société [L] [S] et dans la limite d'un budget global limité à 5.000 € :

[Adresse 1]

Pet & Garden Pro [Adresse 4] La Belgique,

Pet Market [Adresse 5] France,

30 millions d'amis [Adresse 2] ;

Débouté la société Affixe au titre de ses autres demandes indemnitaires relatives au parasitisme ;

Déboute la société Affixe de sa demande au titre de la responsabilité personnelle de Monsieur [X] ;

Condamné la société [L] [S] à payer à la société Affixe la somme de 132.759,13 € au titre du solde de la facture des calendriers 2017 avec intérêt au taux légal en vigueur en Belgique à compter du 10.01.2017 ;

Débouté la société [L] [S] de sa demande reconventionnelle d'un montant de 164.290,37 € ;

Condamné la société [L] [S] à payer à la société Affixe la somme de 15.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamné la société [L] [S] aux dépens, taxés et liquidés à la somme de 94,36 € en ce qui concerne les frais de Greffe ;

Ordonne l'exécution provisoire de la présente décision à l'exception de la disposition concernant la publication du jugement ;

Débouté les parties de leurs plus amples demandes et conclusions.

Le 19 octobre 2020 la société [L] [S] a interjeté appel du jugement.

Vu les dernières conclusions de la société [L] [S], appelante, déposées et notifiées le 12 avril 2022 par lesquelles il est demandé à la Cour de :

Vu les dispositions des articles 1147 et 1240 du Code Civil.

Vu les dispositions de l'article L. 442-6-I 5°) du Code de Commerce.

Vu les dispositions de l'article 1382 (ancien) du Code Civil.

Vu les dispositions du Code Civil belge.

Sur la rupture fautive :

Confirmer le Jugement en ce qu'il a débouté la société AFFIXE de sa demande au titre d'un accord commercial d'une durée de 5 ans portant sur la distribution exclusive de calendriers AFFIXE et d'une rupture anticipée de cet accord,

Sur la rupture brutale :

Réformer la décision entreprise en ce qu'elle a dit brutale la rupture par la société [L] [S] des relations commerciales établies avec la société AFFIXE et l'a condamnée à payer à la société AFFIXE la somme de 22 193 € à ce titre.

Débouter la société AFFIXE de toutes ses demandes à ce titre.

Sur le parasitisme :

Réformer la décision en ce qu'elle a dit responsable la société [L] [S] d'actes de parasitisme économique envers AFFIXE et l'a condamnée à payer à la société AFFIXE la somme de 19 009 € à ce titre et ordonné des mesures d'interdiction et de publication.

Débouter la société AFFIXE de toutes demandes formulées au titre du parasitisme.

Sur la responsabilité personnelle de Monsieur [X].

Confirmer la décision en ce qu'elle a débouté AFFIXE de sa demande au titre de la responsabilité personnelle de Mr [X].

Sur les factures.

Réformer la décision en ce qu'elle a débouté la société [L] [S] de sa demande reconventionnelle d'un montant de 164 290,37 €

Condamner en conséquence la société AFFIXE à payer à [L] [S] la somme de 164.290,37 €

Sur le reste :

Y ajoutant, condamner la société AFFIXE à payer à la société [L] [S] la somme de 15 000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens.

Vu les dernières conclusions de la société Affixe, intimée, déposées et notifiées le 30 mars 2022 par lesquelles il est demandé à la Cour de :

Vu l'article L. 442-6 du Code de commerce dans sa version en vigueur au jour de la rupture de la relation commerciale,

Vu les 1147 et 1382 du Code civil dans leur version en vigueur avant la réforme du 1er octobre 2016,

SUR L'APPEL PRINCIPAL DE LA SOCIETE [L] [S] :

DEBOUTER la SOCIETE [L] [S] de l'ensemble de ses demandes en cause d'appel ;

CONFIRMER le jugement en ce qu'il a :

a) Retenu l'existence d'une relation commerciale établie et jugé brutale sa rupture à l'initiative de la société [L] [S] ;

b) Jugé que la société [L] [S] aurait dû respecter un délai de préavis d'un an et engagé sa responsabilité envers la société AFFIXE EDITIONS sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° ;

c) Jugé que le parasitisme est manifeste et caractérisé et ouvre droit à réparation ;

d) Interdit à la société [L] [S] ainsi qu'à toutes les sociétés du Groupe [L] [S] d'utiliser le nom et le logo « AFFIXE », le nom « [Z] [H] », et ce, sous astreinte de 1.000 EUR par infraction constatée à compter de la signification du présent jugement ;

e) Ordonné dans le mois suivant la signification du jugement devenu définitif et dans la limite d'un budget global limité à 5 000 EUR, sa publication aux frais de la société [L] [S] dans quatre magazines suivants :

PETS INTERNATIONAL

P.O. Box 1719

[Adresse 1]

PAYS BAS

PET & GARDEN PRO

[Adresse 4]

[Adresse 4]

LA Belgique

PET MARKET

[Adresse 5]

[Adresse 5]

FRANCE

30 MILLIONS D'AMIS

[Adresse 2],

[Adresse 2]

FRANCE

f) Condamné la société [L] [S] à payer à la société AFFIXE EDITIONS la somme de 132 759,13 EUR au titre du solde de la facture des calendriers 2017 avec intérêt au taux légal en vigueur en Belgique à compter du 10.01.2017 ;

g) Débouté la société [L] [S] de sa demande reconventionnelle d'un montant de 164 290,37 EUR ;

h) Condamné la société [L] [S] à payer à la société AFFIXE EDITIONS la somme de 15 000 EUR au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

i) Condamné la société [L] [S] aux dépens ;

SUR L'APPEL INCIDENT DE LA SOCIETE AFFIXE EDITIONS :

RECEVOIR la société AFFIXE EDITIONS en son appel incident ;

REFORMER le jugement entrepris en ce qu'il a en ce qu'il a : 

a) Évalué à 22 193 EUR le préjudice économique lié à la rupture brutale de la relation commerciale établie et à 19 009 EUR celui lié au parasitisme ;

b) Jugé que les effets du parasitisme ne s'étaient pas étendus au-delà de l'année 2018 (calendriers 2019) ;

c) Débouté la société AFFIXE EDITIONS de sa demande en réparation de son préjudice moral lié parasitisme.

STATUANT A NOUVEAU,

FIXER le préjudice économique consécutif à la rupture brutale des relations commerciales à la somme de 150 797 EUR.

Compte tenu de l'exécution de la condamnation de première instance (22 193 EUR), CONDAMNER la société [L] [S] à payer à la société AFFIXE EDITIONS une somme complémentaire de 128 604 EUR.

FIXER le préjudice économique lié au parasitisme au titre de l'exercice 2018 (calendriers 2019) à la somme de 234 702,95 EUR.

FIXER le préjudice économique lié au parasitisme au titre de l'exercice 2019 (calendriers 2020) à 201 001,56 EUR.

Compte tenu de l'exécution de la condamnation de première instance (19 009 EUR), CONDAMNER la société [L] [S] à payer à la société AFFIXE EDITIONS la somme de 416 695,51 EUR ;

CONDAMNER la société [L] [S] à payer à la société AFFIXE EDITIONS une somme de 75 000 EUR en réparation de son préjudice moral ;

CONDAMNER la société [L] [S] à payer à la société AFFIXE EDITIONS une somme de 20 000 EUR au titre des frais irrépétibles en cause d'appel ;

CONDAMNER la société [L] [S] aux entiers dépens d'appel avec distraction au profit de Maître Marie-Hélène DUJARDIN sur son affirmation de droit ;

La clôture a été prononcée en date du 19 avril 2022.

MOTIVATION

A titre liminaire, la Cour relève que la société Affixe ne demande plus à hauteur d'appel une indemnisation du chef d'une rupture abusive du contrat d'accord commercial la liant à [L] [S] sur le fondement de l'article 1212 du code civil.

Sur la rupture brutale

- l'existence d'une relation établie,

Il n'est pas contesté d'une part que la relation entre les parties a débuté fin 2013 pour cesser fin 2016 à la suite du courriel du dirigeant de la société [L] [S] en date du 14 décembre 2016 informant son cocontractant qu'il avait décidé de "stopper la vente des calendriers Affixe", et d'autre part, que cette relation a été stable et continue pendant deux années.

- le caractère brutal de la rupture.

L'appelante reproche au jugement entrepris d'avoir dit que la rupture revêtait un caractère brutal. A cet effet, l'appelante soutient que la fin de la relation est la suite logique des pertes constantes que représentait l'opération et de l'absence des partenaires pour trouver une solution, que cette rupture était justifiée par les circonstances économiques dont les parties avaient pu au préalable s'entretenir.

Elle ajoute qu'Affixe a pu bénéficier d'un préavis de 7 mois, ce courriel de rupture faisant suite à un courriel précédent de mise en garde du 1er décembre 2016 : « je crains que mon comité ne me demande de stopper la vente de calendriers qui est un foyer de perte depuis 2 ans ».

Or, l'appelante fait remarquer que selon les propres écrits d'Affixe, c'est à la mi-juillet qu'il faut s'organiser pour commencer à commercialiser avant la rentrée de l'année suivante (pièce 7-4). Elle ajoute qu'elle n'est pas le distributeur exclusif d'Affixe et que cette dernière disposait d'autres distributeurs vers qui se retourner.

L'intimée, quant à elle, demande la confirmation du jugement sur ce point.

Réponse de la Cour,

L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dispose qu'engage sa responsabilité et s'oblige à réparer le préjudice causé, celui qui rompt brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages de commerce, par des accords interprofessionnels.

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une autre solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont la dépendance économique, l'ancienneté des relations, le volume d'affaires et la progression du chiffre d'affaires, les investissements spécifiques effectués et non amortis, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause.

En l'espèce, le dirigeant de [L] [S] a annoncé au dirigeant de Affixe la cessation de leur relation par courriel du 14 décembre 2016, en ces termes : (pièce 1 de Affixe).

« Je te confirme que nous allons stopper la vente des calendriers AFFIXE.

Les résultats montrent que je ne suis pas capable et donc pas le meilleur partenaire pour la distribution des calendriers.

Je préfère le dire maintenant afin que tu puisses t'organiser pour la suite de ton Entreprise. »

Le courriel précédent du dirigeant de [L] [S] du 1er décembre 2016 n'invoquant qu'une crainte d'un avis négatif du comité de la société ne peut être considéré comme une annonce claire de rupture imminente.

L'annonce de l'arrêt de distribution des calendriers, sans délai de préavis, s'analyse en une rupture brutale des relations commerciales établies entre les parties, peu important que cette décision soit la conséquence d'un choix rationnel du point de vue de la stratégie économique de l'entreprise qui a pris la décision de rompre.

A la date de la rupture, les parties étaient en relations commerciales établies depuis novembre 2013.

Prenant en compte que :

- était projeté un futur pacte d'actionnaires avec participation majoritaire de [L] [S] dans le capital d'Affixe à hauteur de 50,0397 % du capital et un accord commercial sur 5 ans avec des commandes annuelles de calendriers,

- aucun contrat de ces projets d' accords n'a été signé,

- les catalogues pour 2016 et 2017 ont été conçus par Affixe avec comme seul distributeur [L] [S], et au vu de la périodicité annuelle de fabrication des calendriers, les premiers juges ont retenu à bon droit un préavis nécessaire mais suffisant de 12 mois pour permettre à Affixe de se réorganiser et trouver de nouveaux distributeurs.

Aucun préavis n'était prévu dans le courrier de rupture, et au vu des circonstances, Affixe n'a, contrairement à ce que soutient l'appelante, bénéficié d'aucun préavis de fait, aussi le préavis manquant à prendre en considération pour évaluer son préjudice du fait de la rupture brutale subie est de 12 mois.

- le préjudice,

Affixe critique le jugement qui aurait, selon elle, retenu à tort un taux forfaitaire de marge de 15 % alors qu'il convenait de calculer le préjudice subi pour une période de 12 mois sur 180.000 calendriers au prix unitaire de 1,80 euros (prix bas qui comprenait l'absence de reprise des invendus par Affixe) comme réalisé en 2015 et en 2016 pour les calendriers 2016 et 2017. Affixe produit une expertise privée (pièces 68 et 69) établie par M. [I] le 19 avril 2019 qui propose un calcul du chiffre d'affaires perdu pour un montant total de 219.967 euros et une marge perdue sur coûts variables de 150.797 euros.

[L] [S] critique l'expertise privée produite par Affixe qui retiendrait un montant exagérément grossi. A cet effet, elle prétend que le prix unitaire de 1,80 euros ne correspondrait pas à la réalité, que le montant des droits d'auteur évalué à 45 % du total serait trop généreux, et que retenir comme référence de chiffre d'affaires réalisé la seule année 2014-2015 (soit la meilleure) serait un procédé grossier.

Réponse de la Cour,

En application de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, seuls sont indemnisables les préjudices résultant de la brutalité de la rupture et non de la rupture elle-même. Ce préjudice est évalué sur la base de la durée du préavis dont le partenaire a été privé et ne tient pas compte des événements survenus postérieurement à la rupture qui sont sans incidence sur l'étendue de l'indemnisation du préjudice.

Ce préjudice s'entend généralement de la perte de marge sur coûts variables durant les mois de préavis manquants calculée à partir des chiffres d'affaires des deux ou trois années précédant la rupture.

En l'espèce, il est pertinent de prendre en compte les chiffres d'affaires sur les exercices 2014/2015 et 2016/2017 qui sont les deux seuls produits par Affixe et qui correspondent à la période de ventes des catalogues Affixe distribués par [L] [S].

Au vu des pièces 47 et 48 (bilans) et des pièces 68 et 69 (rapport [I]) de l'appelante, il apparaît que :

- la moyenne du chiffre d'affaires d'Affixe sur les exercices fiscaux de 2014/2015 et 2016/2017 est de 385.604 euros (430.137,56 +341.072,17 /2),

- le taux de marge sur coûts variables s'élève selon les données du rapport [I] (coûts variables de 88.200 euros sur 324.000 euros de CA annuel) qui n'est pas utilement contesté sur ce point, soit un taux de 27 %.

Ainsi la perte de marge sur coût variables à retenir s'élève pour 12 mois à la somme arrondie de 104.000 euros au titre du préavis manquant.

Il convient en conséquence de condamner [L] [S] à payer à Affixe cette somme au titre de l'indemnisation pour préjudice économique subi du fait de la rupture brutale.

Le jugement entrepris sera infirmé sur le quantum de l'indemnisation.

Sur le parasitisme,

[L] [S] reproche au jugement d'avoir retenu des faits de parasitisme alors que, selon elle, aucune spécificité ni aucun savoir-faire n'a été parasité et elle fait valoir qu'elle n'a jamais repris des photos de M. [H].

Affixe, quant à elle, sollicite que soit confirmé le jugement en ce qu'il a retenu des faits de parasitisme. A cet effet, elle soutient que [L] [S] a repris certains éléments distinctifs des calendriers Affixe qu'elle énumère dans un tableau détaillé de ses conclusions en pages 35 et 36, ainsi que les mêmes références des produits Affixe et relève que le terme "Affixe" est mentionné pour la vente des calendriers 2018 distribués par [L] [S] sur certains points de vente en ligne. Elle en déduit que [L] [S] a souhaité se placer dans le sillage d'Affixe.

Réponse de la Cour,

Vu l'article 1240 du code civil,

Le parasitisme est caractérisé dès lors qu'une personne physique ou morale, à titre lucratif et de façon injustifiée, s'inspire ou copie une valeur économique d'autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements.

La caractérisation des faits de parasitisme doit être appréciée à l'aune du principe de la liberté du commerce qui implique qu'un produit qui ne fait pas ou ne fait plus l'objet de droits de propriété intellectuelle, puisse être librement reproduit, sous certaines conditions tenant notamment à l'existence d'une captation parasitaire, laquelle est attentatoire à l'exercice paisible et loyal du commerce.

Ainsi un comportement parasitaire peut être fautif à charge pour le demandeur de prouver la faute. Cela suppose que soit identifiée une valeur économique individualisée et que soit prouvée la faute consistant en la volonté de se placer dans le sillage d'une entreprise pour profiter de sa notoriété ou de ses investissements ce qui conduit à condamner l'appropriation volontaire d'une valeur économique.

En l'espèce, la notoriété d'Affixe sur le marché européen des calendriers animaliers n'est pas contestée, cela ressort de la propre présentation par [L] [S] de son historique, : « 2014 Le groupe [L] [S] invest in Affixe edition company, in order to have the most beautiful calenders of dogs on the market » (pièce 45 de Affixe). Ainsi, le dirigeant de [L] [S] écrivait dans un courriel du 29 novembre 2013, lors des négociations entre les parties :« les points forts d'Affixe : les photos, la qualité « made in Europe » ... » (pièce 1 de Affixe).

Il est aussi vrai, comme le rappelle l'appelante, que Affixe ne peut revendiquer un monopole sur le produit du calendrier animalier et plus spécifiquement des calendriers de chiens.

Il est en outre constant que [L] [S], postérieurement aux millésimes de 2016 et 2017 pour lesquels elle avait les droits de distribuer les catalogues Affixes, n'a pas reproduit de photographies prises par le dirigeant de Affixe, M. [Z] [H], photographe très reconnu dans ce domaine.

Cependant, la singularité des calendriers Affixe, reconnaissable par des éléments évocateurs de l'univers particulier d'Affixe bien connu de ses distributeurs habituels, a été reprise dans les calendriers distribués par [L] [S] postérieurement à sa collaboration avec Affixe.

Ainsi, lorsque la Cour procède à une comparaison entre les calendriers Affixe de 2017 à 2020 et les calendriers distribués par [L] [S] de 2018 à 2020, il apparaît les similarités suivantes :

- choix de photos de la même race de chiens et dans des attitudes semblables : Yorkshire terrier avec un petit ruban rouge, poils dans le vent, et fond nature/ Bouledogue français qui approche de la caméra/ Cavaliers king charles qui court, avec chiot ;

- ainsi que la reprise à l'identique des dimensions de calendriers, des références produits, de la période de 16 mois, et du choix des langues européennes présentées dans le même ordre. (Pièces 9 et 10 Affixe).

[L] [S] avait conscience de cette valeur économique individualisée des calendriers Affixe qui ne résidait pas dans la seule mention de la signature du photographe, M. [H], puisqu'elle avait mis en avant pour sa promotion sur son site internet sa collaboration avec « Affixe ».

D'ailleurs, après la rupture de la relation avec Affixe, [L] [S] a laissé mentionner les termes « calendrier Affixe » pour la vente de ses calendriers de chiens millésime 2018 par des revendeurs en ligne (C discount/Pet élevage, en pièces 7 et 8 de Affixe).

La copie délibérée par [L] [S], sans bourse délier après 2017, des éléments évocateurs de l'univers singulier des calendriers Affixe et de sa « qualité made in Europe » qui sont bien connus des distributeurs habituels, est en l'espèce suffisamment démontrée, d'autant que [L] [S] n'avait jamais distribué ce type de produits avant sa collaboration avec Affixe. (Cass. com., 5 juill. 2016, n° 14-10.108, Prada).

Par conséquent, il est caractérisé l'intention de la société [L] [S] de se mettre dans le sillage de la notoriété d'Affixe pour la distribution de ses calendriers animaliers 2018 à 2020 et donc justifié que celle-ci a commis des actes de parasitisme à l'encontre de Affixe.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

- le préjudice subi par Affixe du fait du parasitisme.

La société [L] [S] conteste les sommes demandées par la société Affixe en estimant que celle-ci sont exagérées et non justifiées, en faisant notamment remarquer que ses contrats de distribution signés avec ses revendeurs ne contiennent aucune clause d'exclusivité, qu'ils n'empêchent pas la société Affixe de vendre ses calendriers et que le modèle économique d'Affixe consistant dans la distribution de calendriers différents par race de chiens n'est pas rentable.

En réplique, la société Affixe soutient que les contrats de distribution conclus par [L] [S] avec ses revendeurs l'ont empêchée de vendre ses calendriers jusqu'en 2021 en faisant remarquer que [L] [S] a conclu des contrats sur 5 ans ses revendeurs en contrepartie de mise à disposition de displays à titre gratuit. La société Affixe estime que la concurrence parasitaire de [L] [S] et la chute brutale du chiffre d'affaires d'Affixe sont donc parfaitement concomitantes, ce qui suffit à caractériser entre elles l'existence d'un lien de causalité. Elle s'appuie sur l'estimation de son expert qui a calculé le chiffre d'affaires perdu par Affixe sur les exercices 2018/2019 et 2019/2020 en les comparant à l'exercice 2014/2015. Elle ajoute avoir également subi un préjudice moral.

Réponse de la Cour,

Le préjudice commercial subi par Affixe du fait de l'avantage concurrentiel indu dont a profité [L] [S] en se mettant dans le sillage de Affixe pour la distribution de ses catalogues animaliers millésime 2018, 2019 et 2020 sera réparé en tenant compte du manque à gagner de Affixe du fait de ce parasitisme et/ou des bénéfices indus de [L] [S], au vu des éléments comptables versés aux débats.

Affixe affirme avoir perdu sa clientèle habituelle du fait du détournement de clientèle par [L] [S] après leur collaboration.

Les éléments comptables pertinents de Affixe versés aux débats sont les suivants :

- pendant sa collaboration avec [L] [S] : une marge moyenne de 27% telle que retenue plus haut de 104.000 euros pour une année,

- postérieurement à sa collaboration avec [L] [S], chiffre d'affaires moyen de "132.117 euros euros" (CA de 2018/2019 de 136.462,67 euros, CA de 2019/2020 de 127.772,87 euros) : soit une marge moyenne de 27 % par année de 35.671 euros.

Il en ressort pour Affixe une perte de marge annuelle de 71.134 euros (104.000-35.671), soit 142.268 euros sur une période de 2 années (2018 à 2020), dont seulement une part est causée par le détournement de la clientèle sur le marché spécifique des calendriers européens du fait du parasitisme. Il convient en effet de prendre en compte le fait qu'Affixe ne dispose pas d'un réseau de distribution aussi large et dense que celui de [L] [S] construit grâce aux propres investissements de cette dernière, ce qui avait d'ailleurs motivé Affixe dans son projet d'intégrer le groupe [L] [S].

Au vu de ces éléments, le préjudice commercial causé par le parasitisme sera fixé à 70.000 euros. Le jugement entrepris sera infirmé sur le quantum de l'indemnisation.

En revanche, l'existence d'un préjudice moral distinct du préjudice commercial invoqué par Affixe n'est pas démontrée. Le jugement entrepris l'ayant déboutée de ce chef de demande sera confirmé sur ce point.

Sur le solde de facture impayée par [L] [S] et les créances invoquées en compensation de manière reconventionnelle par ce dernier.

Il s'agit du solde impayé par [L] [S] relatif à la facture n° 16020 de 132.769,13 euros sur les calendriers millésime 2017 dont il n'est pas contesté qu'ils ont été livrés. Les contestations opposées par [L] [S] sur le paiement de ce solde en faisant valoir qu'elle avait des créances venant en compensation ne sont pas utiles pour les motifs pertinents exposés par le jugement et que la Cour adopte.

Le jugement en ce qu'il a condamné [L] [S] à payer ce solde de facture et en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de cette dernière sera donc confirmé.

Sur les injonctions et la publication judiciaire,

L'interdiction faite à [L] [S] d'utiliser le nom "Affixe" et celui de '[H]' sous astreinte, était opportune lorsque les premiers juges ont statué.

Il en est de même pour la demande de publication judiciaire.

Il convient de confirmer le jugement de ces chefs.

Sur les dépens et les frais de l'article 700 du code de procédure civile.

Le jugement sera confirmé sur les frais et dépens de première instance.

[L] [S] qui succombe en son appel supportera les entiers dépens de l'appel et participera aux frais irrépétibles engagés par Affixe dans la procédure d'appel à hauteur de 20.000 euros, et sera déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement dans les dispositions soumises à la Cour, sauf sur le quantum des indemnisations au titre de la rupture brutale et au titre du parasitisme,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la société [L] [S] à payer à la société Affixe Editions la somme de 104.000 euros au titre du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies ;

Condamne la société [L] [S] à payer à la société Affixe Editions la somme de 70.000 euros au titre du préjudice subi du fait de parasitisme,

Condamne la société [L] [S] aux dépens d'appel ainsi qu'à verser la somme de 20.000 euros à la société Affixe Editions sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.