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Décisions

Cass. com., 28 septembre 2022, n° 21-20.731

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Etablissement Lorillard (SAS)

Défendeur :

AVGR (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Darbois

Rapporteur :

Mme Champalaune

Avocats :

SARL Cabinet Briard, SCP Le Griel

T. com. Paris, du 25 sept. 2017, n° J201…

25 septembre 2017

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 9 juin 2021), la société L'établissement Lorillard (la société Lorillard) est spécialisée dans la fabrication et l'installation de menuiseries industrielles sur mesure. Elle exploite la marque « Lorenove ».

2. Le 9 septembre 2010, la société [T] a conclu avec la société Lorillard un contrat de concession exclusive sous le numéro 20100831, pour une durée de trois ans, pour l'exploitation de la marque et du concept « Lorenove » sur une partie du territoire de la Marne. Un autre contrat de concession exclusive a été signé postérieurement sous le numéro 20111102, pour une même durée, portant sur une autre partie du territoire de la Marne.

3. Ces contrats comportaient un article VIII relatif à une obligation de respect de prix conseillés.

4. Le 4 septembre 2015, la société [T] et son gérant, M. [T], ont assigné la société Lorillard en annulation du contrat de concession n° 20100831, notamment sur le fondement de l'article L. 420-1 du code de commerce, et en paiement de dommages-intérêts. Le 7 novembre 2016, la société [T] Châlons, devenue la société AVGR, et son dirigeant, M. [T], se prévalant du contrat n° 20111102, ont assigné la société Lorillard aux mêmes fins. Les instances ont été jointes.

5. Par arrêt du 31 juillet 2019, la cour d'appel de Paris a dit que l'article VIII des contrats constituait une stipulation prohibée par l'article L. 420-1 du code de commerce, qu'elle était nulle sans que cette nullité affectât la validité de l'ensemble des contrats de distribution, et, rouvrant les débats, a invité les parties à conclure sur le principe, l'étendue et l'évaluation du préjudice subi à raison de l'annulation de cette clause.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. La société Lorillard fait grief à l'arrêt de la condamner, au visa de l'arrêt du 31 juillet 2019, à verser à la société [T] la somme de 64 021,58 euros et à la société AVGR la somme de 62 952,93 euros en réparation du préjudice qu'elles ont subi à raison de l'annulation de la clause de prix, et de la débouter de ses propres demandes, alors « que la loi interdit les conventions qui "ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché", notamment en faisant "obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse" ; que la cour, dans son arrêt du 31 juillet 2019, a jugé que tel était le cas de l'article VIII des deux contrats litigieux de concession exclusive, l'un du 9 septembre 2010, l'autre non daté, en ce qu'il obligeait le concessionnaire, d'une part, à respecter des tarifs applicables à certains comptes et clients négociés et, d'autre part, à respecter le tarif de vente conseillé par Lorenove, ce qui justifiait son annulation ; que la cour, avant dire droit, a alors, sur le préjudice dont la réparation était demandée de ce chef par les sociétés [T] et M. [T], invité les parties "à conclure sur le principe, l'étendue et l'évaluation du préjudice qu'ils ont subis à raison de l'annulation de ladite clause" ; qu'en faisant droit aux demandes des sociétés [T] et AVGR de ce chef, quand aucun préjudice ne pouvait résulter de l'annulation d'une clause jugée illégale, cette annulation supprimant cette illégalité et le préjudice susceptible d'en résulter, la cour a violé l'article L. 420-1 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

7. Selon l'article L. 420-3 du code de commerce, est nul tout engagement, convention ou clause contractuelle se rapportant à une pratique prohibée par l'article L. 420-1 du même code. Il n'est pas exclu que l'application, le cas échéant, d'une telle clause, serait-elle nulle de plein droit, ait pu causer un préjudice aux cocontractants.

8. Le moyen, qui postule le contraire, n'est pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

9. La société Lorillard fait le même grief à l'arrêt, alors « que, pour annuler l'article VIII des contrats d'exclusivité litigieux, jugé illégal, la cour, dans son arrêt du 31 juillet 2019, avait constaté, d'une part, qu'il imposait le respect de tarifs applicables à certains clients négociés par Lorenove, d'autre part, qu'il avait imposé le tarif de vente conseillé par Lorenove ; qu'il ne s'ensuivait cependant pas qu'un préjudice fût établi ; que, dans son arrêt du 9 juin 2021, la cour s'est fondée exclusivement sur la seconde illégalité relevée ; que, cependant, dans son arrêt du 31 juillet 2019, elle avait constaté que si un tarif de vente conseillé était imposé, le concessionnaire "conserv[ait] la liberté de fixation de ses prix ou des coefficients multiplicateurs conseillés afin de pouvoir s'adapter à la concurrence locale", sous la seule réserve d'en informer la société Lorenove ; que si, comme l'a retenu la cour dans cet arrêt, cette liberté subsistante n'ôtait pas à la clause son illégalité de principe, en revanche elle établissait que la liberté du concessionnaire de fixer ses prix à sa convenance, en fonction de nécessités de concurrence locale dont il demeurait seul juge, n'avait jamais été entravée ; que, dès lors, ni la stipulation visée ni son annulation n'étaient susceptibles de causer au concessionnaire aucun préjudice résultant d'une fixation des prix conseillés ; qu'en condamnant dès lors la société Lorillard, de ce chef, à verser différentes sommes aux sociétés [T] et AVGR, la cour n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de l'article L. 420-1 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1382, devenu 1240, du code civil et L. 420-1 du code de commerce :

10. Aux termes du premier de ces textes, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. Selon le second, sont prohibées, lorsqu'elles ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de fausser ou de restreindre le jeu de la concurrence sur un marché, les conventions, notamment lorsqu'elles tendent à faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse.

11. Pour condamner la société Lorillard à payer diverses sommes aux sociétés [T] et AVGR à titre de dommages-intérêts, l'arrêt retient que la pratique de prix imposé par la société Lorillard a été établie par l'arrêt du 31 juillet 2019 qui a dit nul l'article VIII des contrats comme contraire aux dispositions de l'article L. 420-1 du code de commerce et qu'au regard de la date des faits générateurs du dommage entre 2010 et 2013, une entente entre concurrents a nécessairement causé un trouble commercial lorsqu'elle est reconnue, ce qui est le cas en l'espèce, de sorte que c'est vainement que la société Lorillard soutient que la preuve d'un préjudice découlant de l'annulation de l'article VIII des contrats ne serait pas rapportée.

12. En statuant ainsi, alors que la pratique qu'elle avait retenue n'était pas une entente entre concurrents, qu'aucune présomption de préjudice ne découlait de la pratique relevée et qu'il lui appartenait d'établir le dommage causé par celle-ci, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

13. La société Lorillard fait le même grief à l'arrêt, alors « que la loi interdit les conventions qui "ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché", notamment en faisant "obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse" ; que la cour, dans son arrêt du 31 juillet 2019, ayant jugé que tel était le cas de l'article VIII des deux contrats litigieux de concession exclusive, l'a annulé ; qu'elle avait cependant constaté, dans ce même arrêt, que les contrats contenant cet article avaient été conclus exclusivement entre la société Lorillard et la SAS [T], à l'exclusion de la société [T] Châlons ; qu'il s'ensuivait, sur le principe, que cette dernière, devenue société AVGR, n'ayant jamais été soumise à l'article VIII de ces contrats, n'avait pu subir aucun préjudice de son éventuelle application, non plus que de son annulation ; qu'en décidant dès lors, dans son arrêt du 9 juin 2021, de condamner la société Lorillard, à raison de cette annulation, à verser à la société AVGR la somme de 62 952,93 euros en réparation de son préjudice supposé, la cour n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de l'article L. 420-1 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil et l'article L. 420-1 du code de commerce :

14. Ayant retenu l'existence d'un préjudice dans les conditions à juste titre critiquées par la troisième branche, l'arrêt condamne la société Lorillard à payer une certaine somme à la société AVGR à titre de dommages-intérêts.

15. En se déterminant ainsi, après avoir relevé qu'il était vainement soutenu que le second contrat de concession avait été signé par la société [T] Châlons, aucune référence à cette société ne figurant dans le contrat qui ne faisait état que de la société [T] et sans établir en quoi cette société, tiers au contrat, avait pu subir un préjudice du fait de l'annulation d'une clause y figurant, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.