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Décisions

Cass. com., 28 septembre 2022, n° 20-22.447

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Molotov

Défendeur :

Métropole télévision (M6), EDI-TV, M6 génération

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Champalaune

Avocat général :

Mme Beaudonnet

Avocats :

SCP Célice, Texidor, Périer, SAS Hannotin Avocats

T. com. Paris, du 11 févr. 2019

11 février 2019

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 novembre 2020) et les productions, la société Métropole télévision (la société Métropole), société mère du groupe M6, et ses filiales EDI-TV et M6 génération, éditent les chaînes de télévision M6, W9 et 6TER qu'elles diffusent en clair et gratuitement via la télévision numérique terrestre (TNT) et l'internet ouvert (OTT). Elles autorisent des distributeurs à reprendre les chaînes dans leurs offres de bouquets de télévision payants, accessibles via différents réseaux de distribution. La société Molotov distribue, sur une plate-forme internet, des services de télévision dont une partie est accessible gratuitement au public et une autre est subordonnée au paiement d'un abonnement.

2. Le 5 juin 2015, la société Molotov a signé avec la société Métropole un contrat de distribution « OTT », portant sur la diffusion en clair des chaînes M6, W9 et 6TER et des chaînes thématiques qu'elles éditent, ainsi que des services de télévision de rattrapage d'autres chaînes.

3. A l'échéance de ce contrat, la société Métropole a envisagé de nouvelles conditions sur lesquelles des négociations se sont ouvertes et les parties ont prorogé l'accord en vigueur jusqu'au 31 mars 2018, date à laquelle devait intervenir le nouveau contrat.

4. Le 5 mars 2018, la société Métropole a demandé à la société Molotov son accord sur la rémunération et le principe d'une distribution des chaînes M6, W9 et 6TER et de leurs services de fonctionnalités associés exclusivement au sein de bouquets payants, ainsi que son engagement de faire payer ces chaînes à ses utilisateurs.

5. Aucun accord n'ayant pu être trouvé entre les parties sur les conditions de diffusion des chaînes gratuites de la TNT, la société Molotov, reprochant à la société Métropole de subordonner la conclusion d'un nouveau contrat de distribution à la modification de son modèle économique pour lui imposer un bouquet basique payant incluant les chaînes gratuites de la TNT(M6, W9 et 6TER), et considérant que la clause 3.1 des conditions générales de distribution de cette société, dite de « paywall », dispositif par lequel l'éditeur bloque l'accès à une partie du contenu proposé par un site ou l'application pour des utilisateurs non abonnés, était illicite et discriminatoire, l'a assignée, le 4 avril 2018, en réparation de son préjudice. Les sociétés EDI-TV et M6 génération sont intervenues volontairement à l'instance.

Examen des moyens 

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. La société Molotov fait grief à l'arrêt de rejeter toutes ses demandes, alors :

« 1°/ que l'article L. 442-5 du code de commerce (devenu L. 442-6 depuis l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019) prohibe le fait par toute personne d'imposer, directement ou indirectement, un caractère minimal au prix de revente d'un produit ou d'un bien, au prix d'une prestation de service ou à une marge commerciale ; que la liberté commerciale des distributeurs de déterminer les prix des biens qu'ils revendent et ceux des services qu'ils commercialisent implique celle de pouvoir les proposer à titre gratuit aux consommateurs sans que leurs fournisseurs y fassent obstacle ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le groupe M6, éditeur de services de télévision, avait indiqué le 30 octobre 2017 à la société Molotov que tout nouvel accord de distribution entre eux devrait s'insérer dans le cadre des conditions générales de distribution, lesquelles renfermaient une clause dite de "paywall" par laquelle le groupe M6 exigeait de ses distributeurs qu'ils ne rendent les chaînes de la TNT en clair éditées par ce groupe accessibles aux consommateurs que dans le cadre d'offres payantes ne pouvant être constituées essentiellement de chaînes de la TNT en clair et de leurs services de rattrapage ; qu'il ressortait en outre d'un courriel du 29 décembre 2017 que le groupe M6 avait précisé que "les montants des abonnements facturés [aux consommateurs] par Molotov pour l'accès aux Bouquets Payants ne pourront pas être assimilables à des offres gratuites et doivent permettre de préserver la valeur et l'attractivité des chaînes vis-à-vis de l'ensemble des distributeurs" ; qu'en jugeant qu'une telle clause ne pouvait être assimilée à l'imposition prohibée d'un prix minimal, cependant qu'elle constatait que son effet était d'empêcher que le distributeur ne distribue gratuitement par internet les chaînes gratuites de la TNT, ce qui revenait donc à lui imposer indirectement un prix minimal de distribution, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

2°/ qu'il appartient au juge judiciaire, à titre de mesure préventive de comportements illicites, d'annuler ou de réputer non écrites les clauses figurant dans les conditions générales d'un opérateur économique qui, dans l'hypothèse où ses distributeurs consentiraient à s'y soumettre, constitueraient des restrictions verticales caractérisées tombant sous le coup de la prohibition des ententes édictées par les articles L. 420-1 du code de commerce et 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) ; qu'il résulte des textes susvisées que sont notamment prohibées les ententes entre fournisseurs et distributeurs ayant pour objet ou pour effet d'empêcher, de fausser ou de restreindre la fixation des prix aux consommateurs par le libre jeu de la concurrence, étant précisé que l'article 4 du Règlement (UE) n° 330/2010 de la Commission du 20 avril 2010 concernant l'application de l'article 101, paragraphe 3, du TFUE à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées exclut du champ d'application de l'exemption les accords verticaux comportant des restrictions caractérisées et notamment ceux ayant directement ou indirectement pour objet de restreindre la capacité des distributeurs de déterminer leurs prix de vente, sans préjudice de la possibilité pour les fournisseurs d'imposer un prix de vente maximal ou de recommander un prix de vente, à condition que ces derniers n'équivaillent pas à un prix de vente fixe ou minimal sous l'effet de pressions exercées ou d'incitations par l'une des parties ; que, pour écarter le moyen par lequel la société Molotov faisait valoir que la clause dite de "paywall" figurant dans les conditions générales de distribution du groupe M6 encourait la nullité en ce qu'elle constituait une restriction verticale contraire aux articles L. 420-1 du code du commerce et 101 du TFUE, la cour d'appel retient que dans sa décision n° 20-D-08 du 30 avril 2020, l'Autorité de la concurrence a rejeté la saisine de la société Molotov au motif qu'elle n'apportait pas d'éléments suffisamment probants ; qu'en se prononçant de la sorte, cependant que, dans la décision précitée, l'Autorité n'avait écarté l'existence d'une entente verticale qu'en raison du fait que les conditions générales de distribution du groupe M6 avaient été établies de manière unilatérale par celui-ci et n'avaient fait l'objet d'aucun accord explicite ou tacite par Molotov, de sorte qu'aucun accord de volonté constitutif d'une entente verticale n'était constitué, la cour d'appel s'est déterminée par des motifs impropres à justifier sa décision, l'entachant ainsi d'un défaut de base légale au regard des textes susvisés ;

3°/ que le constat de ce qu'une clause des conditions générales de distribution d'un fournisseur de biens ou de services ne tombe pas sous le coup de la prohibition édictée par l'article L. 442-5 (devenu L. 442-6) du code de commerce ne suffit pas à en assurer la licéité au regard des articles L. 420-1 du code de commerce et 101 du TFUE ; qu'il résulte de ces deux derniers textes que sont notamment prohibées les ententes entre fournisseurs et distributeurs ayant pour objet ou pour effet d'empêcher, de fausser ou de restreindre la fixation des prix aux consommateurs par le libre jeu de la concurrence, tandis que l'article 4 du règlement d'exemption n° 330/2010 de la Commission du 20 avril 2010 exclut du champ d'application de l'exemption les accords verticaux comportant des restrictions verticales caractérisées et notamment ceux ayant directement ou indirectement pour objet de restreindre la capacité des distributeurs de déterminer leurs prix de vente ; qu'en jugeant que la clause dite de "paywall" figurant dans les conditions générales de distribution du groupe M6 ne pouvait être qualifiée de restriction verticale caractérisée au sens des articles L. 420-1 du code de commerce et 101 TFUE et du règlement d'exemption de la Commission du 20 avril 2010 dès lors qu'elle ne constituait pas une pratique prohibée par l'article L. 442-5 (devenu L. 442-6) du code de commerce, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés. »

Réponse de la Cour

7. En premier lieu, l'arrêt retient que la clause litigieuse a pour effet d'empêcher que le distributeur ne diffuse gratuitement par internet les chaînes en clair de la TNT.

8. En cet état, et dès lors qu'il ne ressort ni de l'arrêt ni des productions que le niveau de prix de l'offre payante conçue par la société Molotov dans laquelle la société Métropole exigeait que les chaînes qu'elle édite fussent incluses, devait être établi à un niveau minimal fixé par cette dernière, c'est à bon droit que la cour d'appel a énoncé que la pratique en cause ne pouvait être assimilée à l'imposition d'un prix minimal ou d'une marge commerciale minimale prohibée par l'article L. 442-5 du code de commerce.

9. En second lieu, l'arrêt retient d'abord que par la décision n° 20-D-08 invoquée par la société Molotov, l'Autorité de la concurrence a rejeté la saisine au motif que cette société n'apportait pas d'éléments suffisamment probants. Il retient ensuite que dès lors que la clause litigieuse ne constituait pas une pratique prohibée de prix imposé, elle ne peut être contraire au règlement (UE) n° 330/2010 de la Commission du 20 avril 2010 concernant l'application de l'article 101, paragraphe 1, du TFUE à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées.

10. En cet état, et dès lors que, contrairement à ce que soutient la deuxième branche, l'Autorité de la concurrence, après avoir estimé qu'aucun accord, au sens des articles 101, paragraphe 1, du TFUE et L. 420-1 du code de commerce, n'était établi et que la clause litigieuse procédait seulement d'un acte unilatéral, ce qui était exclusif de sa prohibition par les textes invoqués, ne s'est pas prononcée sur l'objet de la clause elle-même et son caractère restrictif, le cas échéant, de concurrence, et que, dans ses conclusions, la société Molotov faisait seulement valoir que la condition contestée lui imposait un prix minimal pour la diffusion des chaînes éditées par la société Métropole et aboutissait à fixer les prix au mépris des dispositions précitées, la cour d'appel, qui a écarté la matérialité de cette pratique, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le deuxième moyen

12. La société Molotov fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que le droit voisin du droit d'auteur dont un éditeur de services de communication audiovisuelle est titulaire sur les chaînes de télévision qu'il édite ne le dispense pas du devoir de se conformer aux prescriptions de l'article L. 442-6, I, 2 du code de commerce dans ses rapports avec les distributeurs et ne justifie en rien d'apprécier plus strictement en cette matière qu'en d'autres la notion de déséquilibre significatif, ni même de reculer le seuil de significativité du déséquilibre entre les droits et obligations des parties ; qu'en l'espèce, la société Molotov rappelait dans ses écritures qu'après avoir conclu en 2015 un premier contrat de distribution avec le groupe M6, par lequel ce dernier, en contrepartie d'une rémunération de 1,5 millions d'euros par an, l'autorisait à distribuer ses chaînes de la TNT en clair (M6, W9 et 6TER) dans le cadre d'un bouquet de chaînes accessibles gratuitement pour le consommateur, le groupe M6 avait subordonné la conclusion d'un nouveau contrat de distribution à un engagement du distributeur de ne rendre ces chaînes accessibles au public que dans le cadre d'une offre payante pour le consommateur ne pouvant être constituée essentiellement de chaînes de la TNT en clair ; que, pour juger qu'en formulant une telle exigence à l'égard de la société Molotov, le groupe M6 n'avait pas enfreint les dispositions de l'article L. 442-6, I, 2 du code de commerce, la cour d'appel retient que cette exigence "doit être appréciée (…) en fonction du contexte particulier né du droit voisin dont cette société est titulaire sur les programmes des chaînes en clair de la TNT qui sont en cause", que, par la clause litigieuse, le groupe M6 demande essentiellement que les chaînes en clair de la TNT soient accessibles de manière indissociable au sein d'une offre de télévision payante et qu'il s'agit là seulement de la mise en oeuvre, selon une modalité non dépourvue de contrepartie pour la société Molotov, des droits conférés à la société Métropole télévision en vertu de l'article L. 216-1 du code de la propriété intellectuelle, qui soumet à autorisation de l'entreprise de communication audiovisuelle exploitant un service de communication audiovisuelle la reproduction de ses programmes ainsi que leur mise à disposition du public par vente, louage ou échange, leur télédiffusion et leur communication au public dans un lieu accessible à celui-ci, moyennant paiement d'un droit d'entrée ; qu'en se prononçant par de tels motifs, laissant apparaître que la nature du droit de l'éditeur de chaînes de télévision aurait commandé, en la matière, une appréciation restrictive de la notion du déséquilibre significatif, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 2 du code de commerce dans sa rédaction applicable en la cause ;

2°/ que caractérise une tentative de soumission d'un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties la décision d'un éditeur de chaînes de télévision diffusées en clair sur le réseau public hertzien de subordonner le renouvellement du contrat de distribution conclu avec un distributeur sur Internet à l'engagement de celui-ci de ne rendre ces chaînes accessibles aux consommateurs que dans le cadre d'offres payantes ne pouvant être constituées essentiellement de chaînes de la TNT en clair, lorsqu'il apparaît qu'une telle exigence ne trouve pas de contrepartie dans un engagement réciproque que l'éditeur aurait souscrit de s'interdire de rendre lui-même ces chaînes de télévision accessibles gratuitement sur son propre site internet ; qu'en l'espèce, la société Molotov rappelait dans ses écritures qu'après avoir conclu en 2015 un premier contrat de distribution avec le groupe M6, par lequel ce dernier, en contrepartie d'une rémunération de 1,5 millions d'euros par an, l'autorisait à distribuer ses chaînes de la TNT en clair (M6, W9 et 6TER) dans le cadre d'un bouquet de chaînes accessibles gratuitement pour le consommateur, le groupe M6 avait, toutes autres conditions demeurant égales par ailleurs, subordonné la conclusion d'un nouveau contrat de distribution à un engagement du distributeur de ne rendre ces chaînes accessibles au public que dans le cadre d'une offre payante pour le consommateur ne pouvant être constituée essentiellement de chaînes de la TNT en clair ; qu'en jugeant qu'une telle exigence n'était pas de nature à placer le distributeur en situation d'assumer une obligation sans contrepartie et ne caractérisait aucune autre forme de déséquilibre significatif, sans identifier de contrepartie spécifique qui aurait été offerte à la société Molotov en échange de cet engagement nouveau s'ajoutant à son obligation de payer le prix convenu, ni d'engagement réciproque et symétrique qu'aurait souscrit le groupe M6 de s'interdire lui-même de rendre les chaînes en cause accessibles gratuitement sur son propre site internet, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 442-6, I, 2 du code de commerce ;

3°/ que caractérise une tentative de soumission d'un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties la décision d'un éditeur de chaînes de télévision diffusées en clair sur le réseau public hertzien de subordonner le renouvellement du contrat de distribution conclu avec un distributeur sur Internet à l'engagement de celui-ci de ne rendre ces chaînes accessibles aux consommateurs que dans le cadre d'offres payantes ne pouvant être constituées essentiellement de chaînes de la TNT en clair, lorsqu'une telle exigence, qui entrave la capacité du distributeur de déterminer librement son modèle d'affaires, ne repose sur aucun motif légitime tiré de la préservation de la valeur desdites chaînes de télévision ; qu'en l'espèce, la société Molotov faisait valoir que cette exigence nouvelle formulée par le groupe M6, de nature à modifier en profondeur son modèle économique et à menacer la pérennité même de son exploitation, ne reposait sur aucun motif légitime tiré de la préservation de la valeur desdites chaînes, lesquelles demeuraient diffusées gratuitement, tant sur le réseau public hertzien que sur internet par le groupe M6 lui-même au travers de son propre site Internet ; que pour juger qu'une telle exigence n'était pas de nature à caractériser un déséquilibre significatif, la cour d'appel retient que la circonstance que la position adoptée par le groupe M6 vienne fragiliser la pertinence et la pérennité du modèle d'affaires "freemium" de la société Molotov est sans effet sur l'existence du déséquilibre significatif allégué ; qu'en se prononçant de la sorte, sans caractériser un motif économique légitime qui aurait pu justifier une telle entrave au libre choix par la société Molotov de son modèle d'affaires, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 442-6, I, 2 du code de commerce ;

4°/ que la société Molotov rappelait dans ses écritures, qu'après avoir stipulé dans leur contrat initial conclu en 2015 que les chaînes de la TNT en clair éditées par le groupe M6 seraient distribuées au sein d'une offre gratuite pour le consommateur, puis lui avoir indiqué, le 30 octobre 2017, qu'il subordonnerait désormais tout nouvel accord de distribution à l'exigence que le distributeur ne rende ces chaînes accessibles aux consommateurs que dans le cadre d'offres payantes ne pouvant être constituées essentiellement de chaînes de la TNT en clair, le groupe M6 avait, les 29 décembre 2017 et 13 février 2018, précisé que, dans l'hypothèse où le groupe TF1 autoriserait la société Molotov à distribuer ses propres chaînes au sein d'offres gratuites, il se réserverait lui-même la faculté discrétionnaire de changer d'avis et d'imposer à la société Molotov, moyennant un simple préavis de six mois, le retour des chaînes de la TNT en clair au sein d'une offre gratuite ; qu'après avoir elle-même constaté que "compte tenu du nombre limité d'acteurs susceptibles de conférer des droits sur les chaînes en clair de la TNT susceptible de lui permettre de constituer les bouquets de son offre "freemium", il doit être reconnu en l'espèce l'existence d'un rapport de force au détriment de la société Molotov, qui dépend dans une large mesure de la société Métropole télévision laquelle, par l'adoption de la clause 3.1 de ses conditions générales de distributions a fait nécessairement perdre beaucoup d'intérêt du public pour ce type d'offre, par la nécessité de renoncer aux importantes chaînes en clair du Groupe M6", la cour d'appel a néanmoins considéré que la circonstance que la position adoptée par le groupe M6 vienne fragiliser la pérennité du modèle d'affaires "freemium" de la société Molotov est sans effet sur l'existence du déséquilibre significatif allégué ; qu'en se prononçant de la sorte, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la tentative de soumission d'un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ne résultait pas de la volonté du groupe M6 de placer la société Molotov en situation de devoir de manière incessante adapter son modèle économique à ses décisions unilatérales et potestatives et de la précarité qui en résultait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 2 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

13. L'arrêt rappelle d'abord qu'il doit être procédé à une appréciation concrète et globale des contrats en cause et du contexte dans lequel ils ont été conclus ou proposés à la négociation, et que la clause litigieuse doit être analysée, d'un côté, à la lumière de l'ensemble des clauses des conditions générales de distribution et du contrat dont la négociation a été rompue, notamment de celle par laquelle la société Métropole exige paiement pour la diffusion par internet des chaînes en clair de la TNT et, de l'autre, en fonction du contexte particulier né du droit voisin dont cette société est titulaire sur les programmes des chaînes en clair de la TNT qui sont en cause. Il estime que le groupe M6 demande essentiellement, au titre de la clause litigieuse, que les chaînes en clair de la TNT soient accessibles de manière indissociable au sein d'une offre de télévision payante, tandis que le distributeur fixe librement le prix de l'abonnement à ses offres et qu'il verse à la société Métropole une rémunération. Il retient qu'il s'agit seulement de la mise en œuvre des droits conférés à la société Métropole en vertu de l'article L. 216-1 du code de la propriété intellectuelle, qui soumet à autorisation de l'entreprise exploitant un service de communication audiovisuelle, au sens de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de la communication, la reproduction de ses programmes ainsi que leur mise à disposition du public par vente, louage ou échange, leur télédiffusion et leur communication au public dans un lieu accessible à celui-ci, moyennant paiement d'un droit d'entrée. Il retient encore que la circonstance que la société Métropole exige le paiement d'une redevance pour une telle autorisation, en même temps qu'elle impose au distributeur de ne pas diffuser ces mêmes chaînes en dehors de bouquets payants, ne caractérise nullement une absence de contrepartie à cette dernière obligation, ni aucune autre forme de déséquilibre significatif. Il retient enfin que la circonstance que la position adoptée par la société Métropole puisse fragiliser la pertinence et la pérennité du modèle d'affaires de la société Molotov est sans effet sur l'existence du déséquilibre significatif allégué.

14. En l'état de ces constatations et appréciations, c'est sans avoir à effectuer la recherche invoquée à la quatrième branche, étrangère à la clause des conditions générales de distribution en cause, et en se bornant à rappeler à juste titre que, disposant sur les chaînes qu'elle édite d'un droit voisin conféré par l'article L. 216-1 du code de la propriété intellectuelle, la société Métropole était en droit de définir les conditions économiques de diffusion de ses chaînes, sans exclure pour autant la possibilité d'un abus de ce droit constitutif, le cas échéant, d'un déséquilibre significatif, que la cour d'appel a estimé que la preuve incombant à la société Molotov, de ce dernier, qui ne pouvait résulter ni du seul usage par la société Métropole de son droit de s'auto-distribuer parallèlement ni de la seule atteinte alléguée au modèle économique de la société Molotov, n'était pas rapportée.

15. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

16. La société Molotov fait encore le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ qu'il résulte de l'article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication dans sa version applicable au litige que le Conseil supérieur de l'audiovisuel assure l'égalité de traitement, veille à favoriser la libre concurrence et l'établissement de relations non discriminatoires entre éditeurs et distributeurs de services, quel que soit le réseau de communications électroniques utilisé par ces derniers, conformément au principe de neutralité technologique, tandis que l'article 96-1 de la même loi dispose que les services nationaux de télévision en clair diffusés par voie hertzienne en mode numérique sont diffusés ou distribués gratuitement auprès de 100 % de la population du territoire métropolitain ; qu'en l'espèce, la société Molotov faisait valoir dans ses écritures que la clause dite de "paywall" des conditions générales de distribution du groupe M6, par laquelle ce dernier exigeait, au sujet de ses chaînes de la TNT conventionnées par le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (CSA) en tant que chaînes gratuites, l'engagement de ne les rendre accessibles aux consommateurs que dans le cadre d'offres payantes ne pouvant être constituées essentiellement de chaînes de la TNT en clair, contrevenait aux principes précités d'égalité de traitement, de neutralité technologique et de gratuité de la distribution des chaînes de télévision en clair ; qu'elle soulignait qu'en obligeant les utilisateurs de la plateforme Molotov à payer un abonnement spécifique pour des chaînes pour lesquelles le groupe M6 s'est engagé envers le CSA à ne pas réclamer de paiement de la part des usagers lorsqu'elles sont diffusées en hertzien terrestre, celui-ci traitait différemment deux modes de transmission ne différant que par la technologie et discriminait ainsi la transmission par fil de cuivre ou optique par rapport à celle par les ondes hertziennes ; qu'en se bornant à énoncer qu'il ne résulte des dispositions de la loi du 30 septembre 2006, à la charge de l'éditeur privé du service gratuit M6, aucune obligation légale de mise à disposition de son signal à un distributeur par toute autre moyen que la voie hertzienne, que ce soit par satellite ou par internet, pour en déduire qu'il n'était nullement démontré que la société Molotov ait été traitée par le groupe M6 "de manière discriminatoire dans la mise en oeuvre de la clause litigieuse", la cour d'appel s'est déterminée par des motifs impropres à justifier de la conformité de la clause litigieuse au regard des articles 3-1 et 96-1 de la loi du 30 septembre 1986 et a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

2°/ ensuite que la société Molotov soulignait qu'en tout état de cause, le groupe M6 avait bien accepté que les fournisseurs d'accès à internet ne subordonnent pas l'accès aux chaînes du groupe M6 à la souscription d'un abonnement à un bouquet payant de chaînes de télévision ; qu'en se bornant à affirmer qu'il n'était nullement démontré par la société Molotov qu'elle ait été traitée par la société Métropole de manière discriminatoire dans la mise en oeuvre de la clause litigieuse, sans analyser, même sommairement, les pièces versées aux débats par la société Molotov desquelles il ressortait qu'au titre du service "la télévision d'Orange", l'opérateur éponyme ne facture aucun montant récurrent en relation même indirecte avec un contenu, mais se contente de demander le versement d'une caution pour la mise à disposition de son décodeur TV, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

17. L'arrêt retient que les dispositions de la loi du 30 septembre 2006 à la charge de l'éditeur privé du service gratuit M6 ne prévoient aucune obligation légale de mise à disposition de son signal à un distributeur par tout autre moyen que la voie hertzienne, que ce soit par satellite ou, comme en l'espèce, par internet, et qu'il n'est nullement démontré par la société Molotov qu'elle ait été traitée par la société Métropole de manière discriminatoire dans la mise en oeuvre de la clause litigieuse.

18. En l'état de ces énonciations et appréciations, faisant ressortir que la subordination, par le groupe M6, de l'offre de mise à disposition de ses chaînes TNT en clair, aux conditions de leur inclusion dans un bouquet payant, n'était pas, en elle-même, attentatoire aux dispositions invoquées de la loi du 30 septembre 1986, la cour d'appel qui, sans avoir à entrer dans le détail de l'argumentation de la société Molotov, a estimé qu'en outre sa mise en oeuvre n'était pas intervenue dans des conditions fautives, a légalement justifié sa décision.

19. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi