Cass. com., 23 septembre 2014, n° 13-15.988
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault-Silk
Avocats :
SCP Gatineau et Fattaccini, SCP Spinosi et Sureau
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 novembre 2012), que le 30 juin 2008, la société Scrim Ile-de-France (la société Scrim) a conclu avec la société JJW immobilier une promesse de vente aux termes de laquelle elle s'est engagée à céder à cette dernière l'intégralité des actions ainsi que la créance de compte courant d'associé détenues par elle dans la société STL ; que cette promesse, assortie d'une faculté de substitution consentie au bénéficiaire, sous réserve pour ce dernier de demeurer garant solidaire de son substitué jusqu'à la date de réalisation et le paiement du prix, a fait l'objet, le 19 décembre 2008, d'un avenant prévoyant la substitution de la société JJW SA à la société JJW immobilier en qualité de cessionnaire ; que par acte du 18 août 2009, la société Scrim a cédé à la société JJW SA l'équivalent de 70 % du capital de la société STL, la cession du solde des actions et de la créance de compte courant ayant fait l'objet de promesses croisées de vente et d'achat ; que, soutenant que la société JJW SA, aujourd'hui dénommée Tours de Levallois Holdings, et la société JJW immobilier avaient été défaillantes dans l'exécution de leur promesse d'acquisition du solde des titres de la société STL, la société Scrim les a fait assigner en résolution judiciaire de l'acte de cession et en condamnation solidaire au paiement de dommages-intérêts ; que le tribunal de commerce a prononcé irrévocablement la résolution judiciaire de cet acte ;
Sur le moyen unique du pourvoi n° M 13-15.495 :
Attendu que les sociétés Tours de Levallois Holdings et JJW immobilier font grief à l'arrêt d'avoir condamné la première à payer à la société Scrim la somme de 20 000 000 euros à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :
1°/ qu'en cas de résolution judiciaire d'un contrat, seul est indemnisable le préjudice personnel, actuel et certain résultant de cette résolution ; que l'actionnaire d'une société par actions simplifiée n'a pas l'obligation de faire face au passif de celle-ci et ne peut donc invoquer les dettes de sa filiale en tant que préjudice personnel ; que même s'il fait le choix de procéder à des avances en compte courant au profit de sa filiale, il s'agit pour lui d'une créance ayant vocation à être remboursée, de sorte qu'il ne subit aucun préjudice personnel, actuel et certain ; qu'en retenant, au titre du préjudice résultant de la résolution judiciaire de l'acte de cession des titres et de la créance en compte courant, le passif généré pour sa filiale STL que la société Scrim a dû assumer, la cour d'appel a violé les articles 1184, 1147 et 1149 à 1151 du code civil, ensemble l'article L. 227-1 du code de commerce ;
2°/ qu'en statuant de la sorte, sans expliquer à quel titre la société Scrim pouvait être contrainte d'assumer, sans possibilité de remboursement, le passif de la société STL, société par actions simplifiée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1184, 1147 et 1149 à 1151 du code civil, ensemble l'article L. 227-1 du code de commerce ;
3°/ qu'en cas de résolution judiciaire d'un contrat, seul est indemnisable le préjudice personnel et certain résultant de cette résolution ; qu'en retenant, pour évaluer le préjudice résultant de la résolution judiciaire de l'acte de cession des titres et de la créance en compte courant, que des condamnations avaient été prononcées à l'encontre de la société STL pour un montant total de 7 007 965 euros, sans dire ni à quel titre ces condamnations avaient été prononcées ni en quoi elles pouvaient occasionner un préjudice personnel à la société Scrim, la cour d'appel n'a pas caractérisé un préjudice personnel et certain de cette société en relation avec la résolution judiciaire de l'acte, et a privé sa décision de base légale au regard des articles 1184, 1147 et 1149 à 1151 du code civil, ensemble l'article L. 227-1 du code de commerce ;
4°/ que les sociétés Tours de Levallois Holdings et JJW immobilier faisaient valoir que la société Scrim ne démontrait pas avoir effectivement payé des dépenses incombant à la société STL, y compris celles ayant donné lieu à condamnation de cette dernière, et soulignait même qu'il résultait des comptes 2011 de la société STL que celle-ci avait payé directement ses fournisseurs ; qu'en retenant, au titre du préjudice résultant de la résolution judiciaire de l'acte de cession des titres et de la créance en compte courant, le passif généré pour sa filiale STL que la société Scrim a dû assumer et les condamnations prononcées à l'encontre de la société STL pour un montant total de 7 007 965 euros, sans préciser d'où elle tirait que la société Scrim avait effectivement payé des dettes incombant à sa filiale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1184, 1147 et 1149 à 1151 du code civil, ensemble l'article L. 227-1 du code de commerce ;
5°/ que les sociétés Tours de Levallois Holdings et JJW immobilier soulignaient que l'abandon du projet initial au profit d'un projet « moins ambitieux » avait pour origine non une quelconque faute de leur part mais la décision du maire de Levallois-Perret de renoncer, pour des raisons d'opportunité purement politiques, à la construction de tours élevées rencontrant de vives oppositions parmi les habitants de la commune ; qu'en retenant, pour évaluer le préjudice, que le nouvel investisseur a mis en place un projet moins ambitieux que le projet initial, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la modification du projet n'était pas motivée par des raisons politiques, non imputables à la société JJW, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1184, 1147 et 1149 à 1151 du code civil ;
6°/ que les sociétés Tours de Levallois Holdings et JJW immobilier faisaient valoir que seul le propriétaire des terrains pouvait prétendre avoir subi un préjudice du fait de la revente des parcelles pour un prix moins élevé, et que la société Scrim n'étant pas le propriétaire desdites parcelles, elle n'avait subi de ce chef aucun préjudice personnel ; qu'en retenant, pour évaluer le préjudice, que le nouvel investisseur a mis en place un projet moins ambitieux que le projet initial, sans préciser à quel titre cela avait pu causer un préjudice personnel à la société Scrim, la cour d'appel a derechef entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard des articles 1184, 1147 et 1149 à 1151 du code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que, par motifs propres et adoptés, l'arrêt constate que la société Scrim s'est trouvée confrontée à des difficultés de trésorerie consécutives au délaissement du projet imputable au cessionnaire ; qu'il relève qu'elle a été contrainte de supporter le coût du report du projet et d'une négociation avec un nouvel investisseur après l'échec de l'opération ; qu'il relève encore que des dépenses engagées pour la réalisation du projet l'ont été en pure perte et que des condamnations ont été prononcées à l'encontre de la société STL, ce qui a créé un passif dont la société Scrim a dû assumer la charge afin de ne pas laisser sa filiale en état de cessation des paiements ; qu'ayant ainsi fait ressortir que les manquements du cessionnaire à ses engagements avaient directement et personnellement causé à la société Scrim un préjudice en relation avec la résolution judiciaire de l'acte de cession, la cour d'appel a, abstraction faite du motif surabondant critiqué par les cinquième et sixième branches, légalement justifié sa décision ;
Et attendu, en second lieu, que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis que la cour d'appel a relevé que la société Scrim avait dû assumer le passif de la société STL à la suite de l'abandon du projet ;
D'où il suit que le moyen, qui ne peut être accueilli en ses cinquième et sixième branches, n'est pas fondé pour le surplus ;
Et sur le moyen unique du pourvoi n° X 13-15.988 :
Attendu que la société Scrim fait grief à l'arrêt d'avoir mis hors de cause la société JJW immobilier, alors, selon le moyen :
1°/ que l'article 14.5 de la promesse du 30 juin 2008 stipule que « le Bénéficiaire pourra librement se substituer dans le bénéfice de la Promesse toute société appartenant à son groupe, sous réserve de demeurer garant solidaire de son substitué pour la bonne exécution par celui-ci des charges et conditions résultant de la Promesse jusqu'à la Date de réalisation et le paiement du Prix » et que l'article 8.1. de ladite promesse stipule que « le Bénéficiaire deviendra propriétaire et aura la jouissance des actions ainsi que de la créance de comptes courants avec tous les droits et obligations y attachés à la date de réalisation... Il est expressément convenu que la cession de l'intégralité des actions représentant 100 % du capital social et des droits de vote des sociétés 1 (STL) et 2 (Hôtel Tours de Levallois) constitue une condition essentielle, déterminante et de rigueur de l'engagement du bénéficiaire d'acquérir les actions et la créance de compte courant. Enfin, les parties rappellent que les promesses de cession des actions ainsi que de cession de la créance de compte courant sont strictement indivisibles et déterminantes les unes des autres » ; qu'il s'évince de telles dispositions claires et précises qu'en cas de substitution, le bénéficiaire de la promesse reste garant solidaire de l'exécution du contrat jusqu'au paiement du prix correspondant à la cession intégrale des actions et des créances en compte courant ; qu'en énonçant que la date de réalisation et le paiement du prix qui marquent la limite de la garantie de JJW immobilier se rapportent à la cession partielle des actions STL, telle qu'organisée par l'acte du 18 août 2009 qui n'avait pourtant pas modifié la clause de substitution, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil ;
2°/ que la novation ne se présume point ; il faut que la volonté de l'opérer résulte clairement de l'acte ; qu'en l'espèce, si l'acte du 18 août 2009 a ramené la part cédée du capital de STL à 70 %, il a été prévu dans le même acte, pour les 30 % restant, un mécanisme d'options croisées avec engagement irrévocable d'achat et de vente, ainsi qu'un mécanisme identique pour la cession du compte courant de 13 150 000 euros détenu par la société Scrim dans la société STL ; qu'en énonçant que la garantie contractée par la société JJW immobilier dans la promesse du 30 juin 2008 et qui portait sur le paiement de la totalité des actions et des créances en compte courant se rapportait, par l'effet de l'acte du 18 août 2009, à la seule cession partielle des actions STL, sans établir la volonté des parties de procéder à la novation de l'obligation de garantie, la cour d'appel a violé l'article 1273 du code civil ;
3°/ que l'acte de cession du 18 août 2009 stipule dans son préambule (§8) que « les parties signent le présent acte afin de constater la réalisation partielle des cessions objet de la promesse de cession à savoir la cession partielle des actions, la cession de créance de comptes courants étant reportée comme déjà exposé » et, à l'article 7, que « la date de réalisation tel que ce terme est défini dans la promesse de cession est arrêtée ce jour soit le 18 août 2009 » ; qu'il s'évince clairement et précisément de telles stipulations que l'acte se borne à constater la réalisation partielle de la cession au 18 août 2009, de sorte que cette dernière, qui n'a pas été intégralement réalisée, reste soumise à la clause de garantie prévue par l'article 14.5 de la promesse de cession du 30 juin 2008 ; qu'en énonçant que la date de réalisation et le paiement du prix qui marquent la limite de la garantie de JJW immobilier se rapportent à la cession partielle telle qu'organisée par l'acte du 18 août 2009, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil ;
4°/ que l'acte du 18 août 2009 stipule que « le cessionnaire s'engage irrévocablement à acquérir du Cédant la pleine et entière propriété des 1 110 Actions 1 susvisées ainsi que sa Créance de Comptes courants (¿) pour un prix respectif de 1 858 860 euros pour les Actions 1, de 13 150 000 euros pour la Créance de Comptes courants » ; qu'il résulte d'une telle stipulation claire et précise que le cessionnaire s'engageait, en cas de levée de l'option par le cédant, à payer le prix correspondant ; qu'en estimant que les conditions d'exercice des options de vente et d'achat sur les 30 % des titres restants importaient peu, lorsqu'elle établissaient au contraire que le cessionnaire était débiteur d'une partie du prix de la cession, de sorte que la garantie prévue par la clause de substitution était encore due, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir constaté qu'il ressort de l'article 14.5 de la promesse de cession d'actions et de créance de compte courant du 30 juin 2008 que le bénéficiaire pourra se substituer dans le bénéfice de cet acte toute société appartenant à son groupe, sous réserve de demeurer garant solidaire de son substitué jusqu'à la date de réalisation de la cession et le paiement du prix, c'est par une interprétation souveraine de la convention des parties, rendue nécessaire par l'ambiguïté résultant du rapprochement entre, d'un coté, l'article 8.1 de la promesse auquel il est renvoyé pour la définition de la date de réalisation, de l'autre, les stipulations de l'acte de cession aux termes duquel les parties ont constaté la réalisation partielle des cessions et précisé que la date de réalisation telle que ce terme est défini dans la promesse de cession est arrêtée au 18 août 2009, que la cour d'appel a retenu que la date de réalisation et le paiement du prix qui marquent la limite de la garantie de la société JJW immobilier se rapportaient à la cession partielle des actions de la société STL, peu important les conditions d'exercice des options de vente et d'achat sur les 30 % de titres restés la propriété de la société Scrim ; qu'ayant relevé qu'il n'était pas contesté qu'à la date du 18 août 2009, le prix de la cession partielle des actions était acquitté, elle a pu en déduire, sans encourir les critiques des première, troisième et quatrième branches, que la société JJW immobilier n'était plus tenue à garantie ;
Et attendu, en second lieu, qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni de ses conclusions que la société Scrim ait soutenu devant la cour d'appel que la volonté des parties de procéder à la novation de l'obligation de garantie n'était pas démontrée ; que le grief est nouveau et mélangé de fait et de droit ;
D'où il suit que le moyen, qui est irrecevable en sa deuxième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois.