Cass. com., 8 octobre 2013, n° 12-18.252
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Espel
Avocats :
Me Blondel, SCP de Nervo et Poupet
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 14 février 2012, rectifié le 3 avril 2012), que la société Brioviande, qui a pour activité la production, la découpe et la commercialisation de porcs fermiers, a engagé en 1998 des pourparlers avec la société Groupe X... en vue de la reprise par la seconde de l'activité de la première ; qu'à la suite de difficultés financières, la société Brioviande a obtenu en 2003 la désignation d'un mandataire ad hoc en la personne de Mme Y..., avant de conclure avec la société Groupe X... un contrat de fourniture de porcs et un accord-cadre, ainsi que le 30 décembre de cette même année, un acte de cession partielle de son fonds de commerce ; que les associés ont participé à la consolidation financière de la société Brioviande en souscrivant à une augmentation du capital ou en abandonnant des créances dont ils étaient titulaires à son encontre ; qu'en 2004, la société Brioviande a été mise en redressement judiciaire, Mme Y...étant désignée administrateur judiciaire, puis commissaire à l'exécution du plan de cession des actifs subsistants, avant de faire l'objet d'une liquidation amiable, M. Francis Z... étant désigné liquidateur ; que Mme Y..., ès qualités, alléguant diverses fautes commises par la société Groupe X..., a demandé que celle-ci soit condamnée à lui payer des dommages-intérêts ; que la société Brioviande, représentée par son liquidateur amiable, est intervenue à l'instance ; que M. Francis Z... et Mme A...son épouse, M. Frédéric Z..., M. Stéphane Z..., Mme Z..., épouse D...(les consorts Z...), la société civile agricole des Pins (la société des Pins) et la société LP investissement, tous associés de la société Brioviande, sont intervenus à l'instance pour demander réparation du préjudice personnel qu'ils imputaient aux fautes de la société Groupe X... ;
Sur le premier moyen :
Attendu que Mme Y..., ès qualités, la société Brioviande, les consorts Z..., la société des Pins et la société LP investissement font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leur demande en condamnation du groupe X... à leur payer une certaine somme, alors, selon le moyen, qu'un fonds de commerce ne pouvant exister indépendamment de la clientèle qui lui est attachée, la cour ne pouvait retenir, avec toutes les conséquences que cela impliquait, que la transmission du fonds de commerce de la société Brioviande n'était pas intervenue avant la signature de l'acte du 30 décembre 2003 et que le Groupe X... était demeuré, même postérieurement au 1er janvier 1999, qu'un simple prestataire de services s'agissant des activités d'abattage, de découpe et de facturation, après avoir elle-même pourtant constaté, tant par motifs propres que par motifs adoptés du jugement, que le fichier client de la société Brioviande avait été transmis à la société X... dès le 1er janvier 1999 et que la clientèle avait alors été exploitée, dans une logique de totale intégration, par la société X... sous ses propres noms et marques, et non point au nom et pour le compte de la société Brioviande ; qu'en refusant de tirer les conséquences de ses constatations, la cour d'appel viole l'article L. 141-5 du code de commerce, issu de l'article 1er de la loi du 17 mars 1909 ;
Mais attendu que Mme Y..., ès qualités, s'étant bornée à soutenir devant les juges du fond que la société Groupe X... s'était déloyalement et indûment appropriée une partie du fonds de commerce de la société Brioviande, n'est pas recevable à soutenir à présent, en contradiction avec cette prétention, que le fonds de commerce avait fait l'objet d'une cession convenue entre les parties ;
Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche, et le troisième moyen, pris en sa première branche, réunis :
Attendu que Mme Y..., ès qualités, la société Brioviande, les consorts Z..., la société des Pins et la société LP investissement font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leurs demandes en réparation du préjudice que les sociétés des Pins et LP investissement avaient subi personnellement du fait de l'abandon des créances commerciales qu'elles détenaient sur la société Brioviande et de l'apport en capital de fonds propres que la société LP investissement avait dû consentir, alors, selon le moyen :
1°/ que si la recevabilité de l'action en responsabilité engagée par un associé à l'encontre d'un cocontractant de la société est subordonnée à l'invocation d'un préjudice personnel et distinct de celui qui pourrait être subi par la société elle-même, cette condition est remplie lorsqu'est sollicitée la réparation d'un préjudice né de l'abandon contraint d'une créance commerciale que le demandeur détenait sur la société ; qu'en l'espèce, était sollicitée, non point seulement la réparation du préjudice subi par les associés du fait de la dépréciation de leurs titres, qui seul se confondait avec le préjudice social, mais également la réparation de préjudices distincts et singuliers subis par deux partenaires commerciaux de la société Brioviande, la SCEA du Lagnou, depuis lors absorbée par la société LP investissement, et la SCA des Pins, en raison des abandons de créances commerciales qu'ils avaient été conduits à consentir à la société Brioviande, préjudice dont ils étaient habiles à solliciter réparation, qu'ils aient ou non été en même temps associés de la société Brioviande ; qu'en affirmant qu'était seule sollicitée la réparation d'un préjudice né de la dépréciation des titres de la société Brioviande, pour en déduire sa confusion avec les préjudices subis par la société elle-même, la cour d'appel, qui méconnaît les termes du litiges et le principe dispositif, viole l'article 4 du code de procédure civile, ensemble les articles 31 du même code et 1382 du code civil ;
2°/ que si la recevabilité de l'action en responsabilité engagée par un associé à l'encontre d'un cocontractant de la société est subordonnée à l'invocation d'un préjudice personnel et distinct de celui qui pourrait être subi par la société elle-même, cette condition est remplie lorsqu'est invoqué par l'un des associés un préjudice distinct de celui subi par les autres et né de l'augmentation de capital que ce seul associé a été conduit à consentir ; qu'en l'espèce, la société LP investissement avait sollicité, indépendamment du préjudice résultant de la dépréciation des titres sociaux, chiffrés pour ce qui la concernait à la somme de 111 520 euros, la réparation d'un préjudice distinct, singulier né de l'augmentation de capital qu'elle avait été conduite à consentir, pour permettre le sauvetage de la société Brioviande, rendu nécessaire par les fautes commises par la société Groupe X... ; qu'en considérant que seule était sollicitée réparation d'un préjudice résultant de la perte de valeur des titres de la société Brioviande, pour en déduire que le préjudice dont il était fait état était nécessairement absorbé par le préjudice social et ne s'en distinguait pas, la cour d'appel méconnaît les termes du litige et le principe dispositif, violant l'article 4 du code de procédure civile, ensemble l'article 31 du même code et l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu que l'action en responsabilité engagée par un associé à l'encontre d'un cocontractant de la société ne peut tendre qu'à la réparation d'un préjudice personnel et distinct de celui causé à la personne morale ; qu'ayant constaté que le préjudice allégué par les sociétés des Pins et LP investissement résultait de la dépréciation des titres de la société Brioviande dont elles étaient également les associées, c'est à bon droit que la cour d'appel a décidé que ce préjudice étant nécessairement absorbé par le préjudice social, il n'en était pas distinct ni n'était personnel aux associés ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche, le troisième moyen, pris en sa seconde branche, et le quatrième moyen, rédigés en termes identiques, réunis :
Attendu que Mme Y..., ès qualités, la société Brioviande, les consorts Z..., la société des Pins et la société LP investissement font grief à l'arrêt d'avoir rejeté les demandes tendant à la réparation du préjudice que les sociétés des Pins et LP investissement avaient subi du fait de l'abandon des créances qu'elles détenaient sur la société Brioviande et de l'apport en capital de fonds propres que la société LP investissement avait dû consentir, ainsi que d'avoir rejeté la demande tendant à la réparation du préjudice moral subi par M. Francis Z... et son épouse Mme A..., alors, selon le moyen, que si la liberté dont dispose une partie de s'engager ou de ne pas s'engager dans un lien contractuel demeure intacte tant que le contrat n'a pas été définitivement conclu, cette liberté n'est pas exclusive de l'action en responsabilité délictuelle qui peut être intentée à l'effet d'obtenir réparation du préjudice né de la façon fautive ou déloyale dont les pourparlers ont été conduits et/ ou rompus ; qu'en l'espèce, les appelants reprochaient à la société Groupe X... d'avoir, une fois pris le contrôle effectif de la clientèle et de la trésorerie de la société Brioviande et confirmé à plusieurs reprises sa volonté ferme de s'en porter acquéreur, tergiversé sans cesse pour retarder le plus possible le moment de formaliser la cession, en mettant à profit cette période pour épuiser financièrement la société Brioviande et pour l'acquérir en définitive à vil prix ; que sous cet angle, ni les motifs propres de l'arrêt, ni les motifs adoptés des premiers juges, en ce qu'ils se bornent à retenir l'absence d'accord intermédiaire et à rappeler la liberté contractuelle dont disposait la société Groupe X... tant qu'elle n'était pas définitivement engagée, ne sauraient conférer une base légale à l'arrêt attaqué au regard de l'article 1382 du code civil, violé ;
Mais attendu que l'arrêt retient que le groupe X... n'avait pas surfacturé ses prestations, ni commis d'actes de concurrence déloyale ou de parasitisme, ni ne s'était enrichi sans cause aux dépens de la société Brioviande et que la situation de celle-ci s'expliquait essentiellement par la politique de prix qu'elle avait pratiquée durant les années précédant la cession, entraînant des ventes à perte ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations desquelles il résulte que la faute du groupe X... dans la conduite des pourparlers n'est pas établie, la cour d'appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.