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Décisions

Cass. crim., 10 décembre 2019, n° 18-84.737

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soulard

Rapporteur :

M. Barbier

Avocat général :

M. Croizier

Avocat :

SCP Foussard et Froger

Chambéry, du 16 mai 2018

16 mai 2018

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué, du rapport de l'inspection du travail, base des poursuites, et des autres pièces de procédure ce qui suit.

2. Le procureur de la République d'Albertville a requis au cours de l'année 2014 les gendarmes de la brigade de Bozel, assistés par les services de l'inspection du travail d'Albertville, de procéder au contrôle en matière de droit du travail de l'hôtel [...] à Courchevel.

3. L'enquête, qui a donné lieu à l'établissement d'un rapport de l'inspection du travail du 18 mai 2015, a permis d'établir que ledit hôtel accueille durant la saison d'hiver une clientèle britannique et employait au cours des mois de janvier à mars 2014 des travailleurs saisonniers de la même nationalité, ayant conclu des contrats de travail de droit britannique et attributaires de certificats A1 attestant de ce qu'ils bénéficiaient d'une protection sociale en Grande-Bretagne.

4. Il est apparu que l'hôtel est exploité en location-gérance sous l'enseigne commerciale Flexi-ski par un tour opérateur, la société de droit britannique Tui UK Limited, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Chambéry depuis le 20 avril 1998.

5. A l'issue de l'enquête, qui a notamment révélé des insuffisances en matière de prévention des risques d'incendies et d'évacuation des salariés, le ministère public a fait citer la société Tui UK Limited pour y répondre des délits d'hébergement de travailleurs dans un local non conforme et de paiement d'un salaire inférieur au salaire minimum de croissance, et de la contravention de non remise de bulletin de paie conforme.

6. Par jugement du 16 mars 2017, le tribunal correctionnel a déclaré les faits établis, a condamné la prévenue à des peines et a prononcé sur les intérêts civils.

7. La prévenue et le ministère public ont interjeté appel de cette décision le 21 mars 2017.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

8. Le moyen est pris de la violation de l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, de l'article préliminaire, des articles 460, 512, 513, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motif.

9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement du tribunal correctionnel d'Albertville en date du 16 mars 2017 en ce qu'il a déclaré la société Tui UK Limited coupable des faits qui lui sont reprochés, pour les faits d'hébergement de travailleur dans un local non conforme, pour les faits de paiement par employeur d'un salaire inférieur au salaire minimum de croissance et pour les faits de non remise d'un bulletin de paie conforme et, infirmant le jugement, a condamné la société Tui UK Limited au versement de vingt amendes de 1 500 euros pour lesdits faits de paiement d'un salaire inférieur au salaire minimum de croissance, condamné la société Tui UK Limited au paiement d'une amende contraventionnelle de 450 euros au titre de l'infraction de non remise de bulletin de paie conforme et statué sur les intérêts civils" ;

"alors que "le prévenu ou son avocat doit toujours avoir la parole en dernier ; qu'en statuant sur le déroulement des débats sans constater qu'en l'absence de la société Tui UK Limited, son conseil avait eu la parole en dernier, les juges du fond ont violés les textes susvisés".

Réponse de la Cour

10. L'arrêt mentionne qu'après la constatation de l'absence de la prévenue par le président, le rapport d'un conseiller, les observations d'un inspecteur du travail et les réquisitions du ministère public, Me Carnelutti, avocat de la prévenue, a été entendu en sa plaidoirie, puis que le président a annoncé la date à laquelle l'arrêt serait prononcé.

11. Il résulte de ces mentions que l'ordre de parole prévu par l'article 513 alinéa 4 du code de procédure pénale a été respecté.

12. Ainsi, le moyen manque en fait.

Mais sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

13. Le moyen est pris de la violation des articles 121-2 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs.

14. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement du tribunal correctionnel d'Albertville en date du 16 mars 2017 en ce qu'il a déclaré la société Tui UK Limited coupable des faits qui lui sont reprochés, pour les faits d'hébergement de travailleur dans un local non conforme, pour les faits de paiement par employeur d'un salaire inférieur au salaire minimum de croissance et pour les faits de non remise d'un bulletin de paie conforme et, infirmant le jugement, a condamné la société Tui UK Limited au versement de vingt amendes de 1 500 euros pour lesdits faits de paiement d'un salaire inférieur au salaire minimum de croissance, condamné la société Tui UK Limited au paiement d'une amende contraventionnelle de 450 euros au titre de l'infraction de non remise de bulletin de paie conforme et statué sur les intérêts civils" ;

1°) alors qu'en application de l'article 121-2 du code pénal la responsabilité d'une personne morale ne peut être engagée que si une infraction a été commise pour son compte par un de ses organes ou par une personne physique disposant d'un pouvoir de direction et d'engager la personne morale à l'égard des tiers, agissant en qualité de représentant de celle-ci ; qu'en énonçant que les infractions relevées résultent nécessairement de manquements commis par le représentant de la société Tui UK Limited en matière de politique salariale et de gestion du personnel, par son représentant en charge de la gestion administrative ou comptable du personnel et par son représentant en matière de sécurité et santé du personnel, dans l'exercice de leurs missions pour le compte de cette dernière, quand il résultait de ses constatations que rien ne permettait de déterminer quelle personne physique avait la qualité de représentant dans ces domaines, les juges du fond ont violé les textes susvisés ;

2°) alors qu'en tout état, en se bornant à relever que les infractions caractérisées résultent nécessairement de manquements commis par le représentant de la société Tui UK Limited en matière de politique salariale et de gestion du personnel, par son représentant en charge de la gestion administrative ou comptable du personnel et par son représentant en matière de sécurité et santé du personnel, dans l'exercice de leurs missions pour le compte de cette dernière, sans identifier l'organe ou le représentant qui aurait commis une faute pour le compte de la société Tui UK Limited, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des textes susvisés".

Réponse de la Cour

Vu les articles 121-2 du code pénal et 593 du code de procédure pénale ;

15. Selon le premier de ces textes, les personnes morales, à l'exclusion de l'Etat, sont responsables pénalement des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants.

16. Aux termes du second de ces textes, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

17. Pour dire établies les infractions d'hébergement de travailleurs dans un local non conforme, paiement d'un salaire inférieur au salaire minimum de croissance, et non remise de bulletin de paie conforme, les juges retiennent que ces infractions ont été commises par les responsables en matière de gestion administrative ou comptable du personnel, en matière de politique salariale et de gestion du personnel et encore en matière de sécurité et santé du personnel.

18. En se déterminant ainsi, par des motifs qui n'identifient pas l'organe ni la ou les personnes physiques représentant la personne morale pour le compte de laquelle les infractions reprochées auraient été commises, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.

19. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens proposés, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Chambéry, en date du 16 mai 2018, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Chambéry, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.