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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 1, 9 juin 2010, n° 09/02995

DOUAI

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Parenty

Conseillers :

M. Deleneuville, Mme Neve de Mevergnies

Avoués :

SCP Deleforge Franchi, SCP Congos-Vandendaele, Me Quignon

Avocats :

Me Coquelet, Me Pietrzak, Me Guilleminot

TGI Valenciennes, du 25 mars 2009, n° 07…

25 mars 2009

Vu le jugement contradictoire du 25 mars 2009 du tribunal de grande instance de VALENCIENNES qui a prononcé la nullité de la cession de bail des 20 avril et 26 mai 1993, déclaré les époux Daniel T. et Marie-Annick L. occupants sans droit ni titre de l'immeuble et ordonné leur expulsion, déclaré irrecevables les demandes présentées par les époux T. contre les consorts C., nus-propriétaires de l'immeuble, condamné les époux T. à payer aux consorts C. la somme en principal de 7 177,41 € à titre de remboursement des travaux d'assainissement effectués ainsi que 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, a débouté les époux T. de leur demande à l'encontre de Madame Micheline M. veuve Pierre C., les a condamnés à payer à celle-ci la somme de 3 794,22 € au titre du solde du loyer outre 1 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, a déclaré Madame Micheline M. veuve C. déchue du droit à l'usufruit de l'immeuble, condamné cette dernière à payer aux consorts C. la somme de 7 177,41 € in solidum avec les époux T. à titre de remboursement des travaux d'assainissement et 1500 € à titre d'indemnité procédurale ;

Vu l'appel interjeté le 27 avril 2009 par Monsieur Daniel T. et Madame Marie-Annick L., son épouse ;

Vu l'appel interjeté le 18 mai 2009 par Madame Micheline C. veuve M. ;

Vu les conclusions déposées le 15 juillet 2009 pour les époux T. ;

Vu les conclusions déposées le 5 novembre 2009 pour Madame Micheline C. veuve M. ;

Vu les conclusions déposées le 26 octobre 2009 pour Madame Chantal C. épouse N., Monsieur Nicolas C., Monsieur Carol C., Madame Edwige C. épouse C., Madame Rébecca C. épouse B. et Madame Ingrid C. épouse L. (ci-après les consorts C.) ;

Vu l'ordonnance du 5 novembre 2009 ordonnant la jonction des procédures 09/03597 et 09/2995 sous le dernier de ces numéros ;

Vu l'ordonnance de clôture du 4 février 2010 ;

Les époux T. ont interjeté appel aux fins d'infirmation du jugement entrepris, de voir déclarer leur demande recevable, d'obtenir la condamnation in solidum de Madame Micheline C. veuve M., Madame Chantal C. épouse N., Monsieur Nicolas C., Monsieur Carol C., Madame Edwige C. épouse C., Madame Rébecca C. épouse B. et de Madame Ingrid C. épouse L. au paiement d'une somme de 15 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier subi outre 7 200 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice de jouissance subi et 3 000 € en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile.

Ils soutiennent que le consentement des consorts C. n'était nullement requis lors de la cession de bail ; que l'action en nullité de la cession se prescrit par cinq ans à compter de la date à laquelle le nu-propriétaire a connaissance de la location ; que depuis 1993, les consorts C. ne peuvent prétendre ignorer le changement de locataire auquel ils avaient donné un accord tacite ; qu'il n'y a pas eu renouvellement du bail qui s'est poursuivi par tacite reconduction ; que Madame M. M. qui a la qualité de bailleur a donné son accord à la déspécialisation ; que la demande de nullité du contrat de bail de ce fait est prescrite ; que les bailleurs n'ont pas rempli leurs obligations ; que les odeurs nauséabondes ont entraîné une baisse de fréquentation de leur magasin et donc du chiffre d'affaires de 21% en deux ans leur occasionnant un préjudice commercial et de jouissance ; que tous les loyers sont payés.

Madame Micheline M. sollicite l'infirmation partielle du jugement déféré, sa mise hors de cause, la condamnation des époux T. à lui payer 3 794,22 € à titre principal, 2 500 € à titre de dommages et intérêts et 2 500 € pour la couverture de ses frais irrépétibles ainsi que la condamnation des nus-propriétaires à lui payer les mêmes dommages et intérêts et la même somme du chef de l'article 700 cessation des paiements.

Elle fait valoir qu'elle est usufruitière-viagère des biens dépendants de la succession de son mari dont l'immeuble litigieux ; que les travaux nécessaires pour remédier aux désordres de cet immeuble relèvent du gros oeuvre et donc des nus-propriétaires ; que les époux T. qui n'ont pas vidangé la fosse sceptique ont contribué à la réalisation de leur préjudice ; que le lien entre leur perte financière et la présence d'eaux usées dans la cave n'est pas établi ; que les consorts C. qui sollicitent la nullité de la cession et de la déspécialisation du bail et en tirent argument pour solliciter la déchéance de l'usufruit sont de mauvaise foi dès lors qu'ils ont toujours été informés de l'activité exercée dans l'immeuble ; qu'elle n'a pas consenti à la déspécialisation mais en a pris acte ; que les époux T. restent débiteurs d'une somme de 5 120,22 € au titre des loyers et taxes foncières de 2004 à 2006.

Les consorts C. sollicitent de la cour la confirmation du jugement et la condamnation solidaire des époux T. et de Madame M. au paiement de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Ils prétendent qu'ils n'ont pas été informés de la cession à laquelle ils n'ont pas consenti pas plus qu'à la déspécialisation du bail ; que tant la cession que la déspécialisation sont nulles et inopposables à leur égard car l'article 595 alinéa 4 du code civil dispose que l'usufruitier ne peut sans le concours du nu-propriétaire donner l'immeuble à bail commercial et que le locataire doit demander au bailleur c'est à dire à l'usufruitier et au nu-propriétaire l'autorisation de changer l'activité en application de l'article L. 145-48 et suivants du code de commerce ; que par conséquent l'autorisation du bailleur à la déspécialisation est une condition de validité du bail commercial ; que leur demande en nullité date du 23 octobre 2007 et n'est donc pas prescrite ; que l'ordonnance de référé du 11 avril 2006 ne pouvait leur être déclarée opposable et qu'il appartient au juge du fond de réformer cette ordonnance soit en déclarant le bail nul soit en le déclarant inopposable aux nus-propriétaires par voie d'exception ; qu'ils ont eux-mêmes subi un préjudice qui devra être réparé.

Concernant Madame M., ils soutiennent qu'elle a altéré la substance de l'immeuble donné en usufruit, qu'elle a agi au mépris de leurs droits et n'a pas entretenu l'immeuble justifiant ainsi la demande de déchéance du droit à usufruit.

SUR CE

Par acte authentique en date du 3 décembre 1987, Madame Micheline M. et Madame Chantal C. agissant en son nom personnel et au nom de ses frères et soeurs, ont donné à bail commercial, pour une durée de neuf années à compter du 1er janvier 1988, à Monsieur Gilbert C. et à Madame Christiane D., son épouse, partie d'un immeuble sis à [...], moyennant un loyer mensuel de 2000 francs.

S'agissant de la destination des lieux, le bail précise que les locaux devront 'servir exclusivement à l'activité d'optique, lunetterie, orthopédie, instruments de précision, corsetterie, linge de maison, lingerie féminine, et en général, tous articles textiles'.

Par acte authentique des 20 avril et 26 mai 1993, Madame Monique G. a cédé son bail commercial sur l'immeuble sis à [...], aux époux T. moyennant le prix de 170 000 francs. Madame Micheline M. veuve C. est intervenue à l'acte en qualité de bailleur pour y consentir et prendre acte du changement d'activité, les locataires exerçant dans les lieux un commerce d'horlogerie bijouterie.

En l'absence de travaux, l'immeuble s'est dégradé et les époux T. ont subi des fuites d'eau en cave.

A leur demande, une expertise judiciaire a été ordonnée le 15 février 2005.

A la suite du dépôt du rapport le 10 décembre 2005, le juge des référés a, par ordonnance du 11 avril 2006, ordonné la réalisation des travaux préconisés par l'expert sous astreinte de 100 € par jour de retard à l'expiration d'un délai d'un mois après signification de la décision.

Les travaux ont pris fin le 29 septembre 2006.

1- Sur la cession du droit au bail

Conformément à l'article 1305 du code civil, l'action en nullité de la cession et de la déspécialisation du bail se prescrit par cinq ans.

Les époux T. soutiennent que les consorts C. connaissent le changement de locataire depuis 1993.

Toutefois, la date la plus ancienne à laquelle il est justifié qu'ils ont pris connaissance de la cession litigieuse est celle du 7 octobre 2003, date de la lettre envoyée par Madame Chantal C. épouse N. aux époux T., laquelle est antérieure de moins de cinq ans à la demande formulée pour la première fois dans les conclusions du 23 octobre 2007.

La date d'envoi d'un courrier de l'assureur du bien le 10 avril 2001 pour notification de la résiliation de l'assurance ne saurait constituer le point de départ du délai de prescription puisqu'il est adressé à l'usufruitière et non aux nus-propriétaires.

Enfin, si la lettre du 23 septembre 2005 envoyée par les consorts C. à l'expert démontre qu'ils ont eu connaissance de cette résiliation, la preuve de la date à laquelle ils en ont eu connaissance n'est pas rapportée.

La demande est donc recevable.

Aux termes de l'article 595 alinéa 4 du code civil, un usufruitier ne peut sans le concours du nu-propriétaire, donner à bail un immeuble à usage commercial.

Il peut néanmoins donner seul son autorisation à la cession d'un tel bail (par analogie Civ.3°15 mars 2000).

En revanche, en application des articles L. 145-48 et L. 145-49 du code de commerce, l'accord du bailleur, donc de l'usufruitier et des nus-propriétaires, est nécessaire pour un changement d'activité dès lors que la modification de celle-ci peut avoir des conséquences sur les obligations des parties au contrat.

En l'espèce, la cession de bail et la déspécialisation étant intervenues dans le même acte des 20 avril et 26 mai 1993 et sans l'autorisation des nus-propriétaires, il y a lieu d'en prononcer la nullité.

Dès lors, il convient, par ces motifs substitués à ceux des premiers juges, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a prononcé la nullité de l'acte de cession susvisée, déclaré par voie de conséquence, les époux T. occupants sans droit ni titre de l'immeuble, ordonné leur expulsion, déclaré leurs demandes en paiement de dommages et intérêts à l'égard des consorts C. irrecevables.

Par ordonnance en date du 11 avril 2006, le juge des référés du Tribunal de Grande Instance de Valenciennes a sur la requête des époux T. condamné solidairement les consorts C. N. et Madame Micheline M. veuve C. à effectuer sous astreinte les travaux de branchement de l'immeuble au réseau d'assainissement et la mise hors service de la fosse septique outre le paiement à leur charge d'une indemnité procédurale de 800 €.

En l'absence de lien de droit entre les demandeurs et les consorts C., la demande formulée à l'encontre de ces derniers était irrecevable. Il convient, par suite de condamner les appelants à leur rembourser les frais justifiés engagés à l'occasion de cette procédure soit 2 755,38 € (1 688,02 € d'honoraires, 800 € art. 700 et 267,36 € de dépens).

En revanche, s'agissant du coût des travaux qu'ils ont avancés en leur qualité de copropriétaires de l'immeuble, ceux-ci relevant en tout état de cause du gros oeuvre, ils resteront à leur charge.

2- Sur la demande en paiement de dommages et intérêts formulée par Monsieur et Madame T. à l'égard de Madame Micheline M. veuve C.

Madame M. ayant seule consenti à la cession de bail est tenue à l'égard des locataires des obligations du bailleur parmi lesquelles figurent celles de conférer au locataire une jouissance paisible et d'effectuer les grosses réparations.

Les époux T. justifient notamment à l'aide du procès-verbal de constat dressé le 26 mai 2004 par Maître R., huissier de justice, et des attestations versées aux débats avoir subi un dégât des eaux dans la cave de leur local ainsi que des odeurs désagréables de 2000 à 2006 environ.

L'expert judiciaire désigné indique en page 10 de son rapport que les désordres ont deux causes, d'une part la porosité des murs de la cave et d'autre part, l'absence manifeste d'entretien de la fosse septique. La première est à la charge du bailleur tandis que la seconde relève aux termes du contrat de bail des obligations des locataires, lesquels faute de justifier des vidanges réalisées ont par leur carence contribué à leur préjudice.

Le préjudice de jouissance est établi par les attestations versées par la clientèle. Il n'est d'ailleurs pas sérieusement contesté et sera réparé par l'allocation d'une somme de 3 000 € au versement de laquelle Madame Micheline M. veuve C. sera condamnée.

Les époux T. soutiennent que les odeurs nauséabondes sont également à l'origine d'une diminution de leur chiffre d'affaires et donc d'un préjudice financier sans toutefois démontrer le lien de causalité existant entre le manquement par Madame M. à son obligation de réparation et une éventuelle perte de clientèle. Ils seront donc déboutés de ce chef.

3- Sur la demande de Madame Micheline M. veuve C. en paiement de loyers et de dommages et intérêts

Madame Micheline M. veuve C. sollicite le paiement de la somme de 5 120,22 € au titre des loyers dus par les époux T. au 1er novembre 2006.

A l'exception du loyer dû pour le mois d'octobre 2004, réglé par chèque le 21 octobre 2004, les documents comptables et bancaires produits par les locataires ne démontrent pas qu'ils se sont acquittés de leur obligation de paiement. Ils seront donc condamnés au paiement de la somme de 4 715,99 €.

En l'absence d'élément la justifiant, la demande de dommages et intérêts sera rejetée.

4- Sur la demande de déchéance de l'usufruit

Il sera fait droit à cette demande selon ce qu'ont expliqué les premiers juges dans une motivation que la Cour adopte sans changement.

5- Sur la demande des consorts C. au paiement de la somme de 7 177,41 € dirigée contre Madame M. in solidum avec les époux T.

Les consorts C. ont consenti en leur qualité de nus-propriétaires au bail commercial initial du 3 décembre 1987 lequel laisse à leur charge l'obligation de clos et de couvert. En outre, dans leur rapport avec l'usufruitière, ils sont tenus aux grosses réparations conformément aux dispositions de l'article 606 du code civil.

La cession de bail n'entraînant aucune modification dans les obligations incombant à chaque partie au contrat, il n'y a pas lieu de condamner Madame M. au paiement des travaux.

Ils seront également déboutés de leur demande concernant les frais et dépens à charge des époux T. seuls initiateurs de la procédure de référé.

6 - Sur les autres demandes

Il apparaît inéquitable de laisser à la charge des consorts C. les frais exposés par eux en cause d'appel et non compris dans les dépens ; il leur sera alloué la somme de 2 800 €, soit 1 400 € à la charge des époux T. et 1 400 € à la charge de Madame Micheline M. veuve C., au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'indemnité allouée en première instance étant confirmée.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré les époux Daniel T. et Marie-Annick L., son épouse, occupants sans droit ni titre, ordonné leur expulsion, déclaré irrecevables les demandes des époux T. à l'encontre des consorts C., dit n'y avoir lieu à exécution provisoire, déclaré Madame Micheline M. veuve C. déchue du droit à l'usufruit de l'immeuble et sur les dépens ;

Pour le surplus, Statuant à nouveau,

Prononce la nullité de la déspécialisation et par voie de conséquence de la cession de bail des 20 avril et 26 mai 1983 ;

Condamne les époux T. à payer aux consorts C. la somme de 2 755,38 € au titre des frais et dépens de la procédure de référé ;

Condamne les époux T. à payer à Madame Micheline M. veuve C. la somme de 4 715,99 € au titre des loyers dus au 1er novembre 2006 ;

Condamne Madame Micheline M. veuve C. à payer aux époux T. la somme de 3 000 € au titre du préjudice de jouissance subi ;

Condamne les époux T. à payer aux consorts C. la somme de 1400 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamne Madame Micheline M. veuve C. à payer aux consorts C. la somme de 1400 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Déboute les parties du surplus de leurs prétentions ;

Fait masse des dépens et dit qu'ils seront partagés par parts égales entre Madame Micheline M. veuve C. et les époux T..