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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 2, 25 mars 2021, n° 19/03617

DOUAI

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

JFD (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bedouet

Conseillers :

Mme Cordier, Mme Fallenot

TGI Dunkerque, du 28 mars 2019, n° 19/00…

28 mars 2019

Par acte notarié du 27 décembre 1996, les consorts L., aux droits desquels vient la SCI JFD, ont, pour une durée de 9 ans et à compter du 16 décembre 1996, donné à bail commercial à la SARL Soli'andre, aux droits de laquelle vient désormais la SARL Van H., un local situé au rez-de-chaussée d'un immeuble sis [...].

Le loyer initialement fixé s'élevait à la somme de 36 000 francs par an, payable par trimestre, et sujet à révision en fonction de la variation trimestrielle de l'indice national du coût de la construction.

Le 12 juin 2014, la SARL Van H. a demandé le renouvellement du bail à compter du 1er décembre 2014.

Par lettre recommandée en date du 2 septembre 2014, la SCI JFD a accepté contre fixation du loyer renouvelé à la somme de 30 000 euros.

Faute d'accord entre parties sur le montant du loyer, la SCI JFD, par acte d'huissier de justice du 25 avril 2016, a fait assigner la SARL Van H. devant le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Dunkerque a'n notamment de voir notamment :

- juger que le renouvellement du bail est intervenu pour une durée de 9 années à compter du 1er décembre 2014 ;

- moyennant un loyer de renouvellement à compter de cette date d'un montant de 20 000 euros HT et HC par an.

Dans son mémoire récapitulatif notifié le 4 mars 2019, la SCI JFD fait valoir qu'en raison d'un départ en retraite, la société Soli'andre a usé de la possibilité de céder le droit au bail pour l'exercice d'une autre activité, entraînant la possibilité d'un déplafonnement et d'une fixation du loyer à la valeur locative, entendant voir fixer le loyer à un loyer total de 20 202 euros ramené a 20 000 euros.

En réponse, la SARL Van H. conclut à l'absence de déplafonnement automatique, la cession du droit au bail suite à un départ en retraite ne pouvant constituer une despécialisation qui en application de l'article L. 145-50 du code de commerce permettrait une modification du prix du bail, et au rejet de la demande en fixation du loyer à la baisse en l'absence de modification notable de la destination du local, sollicitant toutefois à titre subsidiaire une expertise.

Par jugement contradictoire et en premier ressort en date du 28 mars 2019, le juge du tribunal de grande instance de Dunkerque statuant en matière de loyer commercial a :

-débouté la société SCI JFD de l'ensemble de ses demandes ;

- dit que le loyer du bail renouvelé sera révisé conformément aux stipulations du bail initial,

- condamné la société SCI JFD aux entiers dépens ;

- condamner la société SCI JFD à payer à la SARL Van H. une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire.

Par déclaration d'appel en date du 27 juin 2019, la SCI JFD a interjeté appel de la décision, reprenant dans son acte d'appel l'ensemble des chefs de la décision précitée.

MOYENS ET PRETENTIONS :

Par conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique en date du 12 mai 2020, la SCI JFD demande à la cour, de :

- recevoir la concluante en son appel et le dire bien fondé,

- rejeter tous moyens fins et conclusions contraires de l'intimé.

- au visa des articles L. 145-33 et suivants, L. 145-34, L. 145-50 et L. 145-51 du code de commerce :

- réformer en toutes ses dispositions la décision rendue le 28 mars 2019 par le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Dunkerque

- et par conséquent :

- voir dire et juger que le renouvellement du bail, objet du litige, interviendra:

o pour une durée de 9 années à compter du 1er décembre 2014,

o moyennant un loyer de renouvellement à compter du 1er décembre 2014, pour un montant de 20 000 euros HT et hors charge par an,

o dire et juger que le loyer fixé portera intérêts au taux légal conformément aux dispositions de l'article 1155 du code civil de plein droit à compter de sa date d'effet,

o dire et juger que les intérêts échus depuis plus d'un an produiront eux-mêmes intérêts conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil,

- condamner la société Van H. aux entiers frais et dépens, tant de première instance, que d'appel.

Elle estime qu'il y a bien eu en l'espèce déplafonnement aux motifs que :

- la société Soliflandre a usé de la possibilité de céder son droit au bail pour l'exercice d'une autre activité, compte tenu d'un départ à la retraite ;

- ce changement d'activité permet la fixation du loyer du bail renouvelé à la valeur locative ;

- la cession entre la société Soliflandre et la société Van H. intervient expressément dans le cadre d'un départ à la retraite, l'acte excluant la cession de l'activité de commerce de vente de livre neufs à prix réduit, tout autre ouvrages, cadeaux papeterie, presses, le cessionnaire entendant exercer l'activité de commerce de vente d'accessoires de mode et articles de fêtes qui est de nature différente ;

- la vente d'accessoire de mode est différente de l'activité de sweaterie, aucune précision n'étant apportée sur la nature exacte des produits vendus par la société Van H..

Elle se prévaut du rapport de M. M., soulignant que le lissage prévu par la loi Pinel n'a pas à s'appliquer en l'espèce, puisqu'il est uniquement prévu en cas d'augmentation du loyer lié à un changement dans les facteurs de commercialité.

Par conclusions notifiées par voie électronique en date du 22 mai 2020, la SARL Van H. demande à la cour, au visa des articles L. 145-34, L. 145-33, L. 145-51 du code de commerce, de :

- confirmer dans toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Dunkerque statuant en matière de loyer commercial le 28 mars 2019;

- débouter la SCI JFD de toutes ses demandes, fins et prétentions

- à titre subsidiaire,

- ordonner une mesure d'expertise et désigner un expert judiciaire avec la mission suivante :

o après avoir visité les lieux loués et les avoir décrits, après avoir recueillis les informations utiles et après avoir, le cas échéant, pris l'avis de tout sachant, apporter au Juge des Loyers Commerciaux les éléments pour apprécier l'existence d'une modification notable en raison de l'activité commerciale de la société Van H. par rapport à celle prévue au bail initial portant sur le local loué par la société Van H. à la SCI JFD au [...] et apprécier la valeur locative dudit local.

- dire et juger que les frais d'expertise seront avancés par la SCI JFD ;

- réserver les frais et dépens ;

- à titre subsidiaire,

- fixer le loyer commercial de la SARL Van H. à un montant raisonnable, - dire et juger que le nouveau loyer ne sera exigible que conformément aux dispositions de l'article L. 145-34 du Code de Commerce,

- en tout état de cause,

- condamner la SCI JFD à verser à la SARL Van H. la somme de 2.000 € par application de l'article 700 du Code de Procédure civile ;

- condamner la SCI JFD aux entiers frais et dépens ;

Elle plaide :

- l'absence de déplafonnement automatique en cas de déspécialisation pour cause de départ à la retraite du précédent locataire, soulignant qu'elle n'est pas dans le cas précis de déspécialisation plénière ;

- l'absence de déspécialisation et l'absence de modification notable quant à la destination, l'activité de vente de déguisements de carnaval et d'accessoires de mode, étant similaire à celles prévues au bail de sweaterie et gadgets.

Elle conteste le rapport de M. M., qui est mandaté par la société SCI JFD et n'a pas suivi la charte de l'expertise.

***

Ce dossier était fixé à l'audience du 16 juin 2020 pour plaidoirie, l'ordonnance de clôture devant intervenir le 26 mai 2020 et ayant été reportée au 02 juin 2020.

A raison de l'état d'urgence sanitaire, les parties ont été interrogées sur le recours à la procédure sans audience, avec une date de délibéré prévisible en cas d'acceptation avant le 02 juin 2020 fixé au 09 juillet 2020.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 02 juin 2020.

A défaut d'acceptation par la SCI JFD de la procédure sans audience, le dossier a été renvoyé au 12 janvier 2021 pour plaidoirie.

Le dossier a été mis en délibéré au 25 mars 2021.

MOTIVATION :

' Sur la demande de déplafonnement du loyer :

L'article L.145-33 du code de commerce rappelle que le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative. À défaut d'accord, cette valeur est déterminée par :

1° les caractéristiques du local considéré ;

2° la destination des lieux,

3° les obligations respectives des parties,

4° les facteurs locaux de commercialité,

5° les prix couramment pratiqués dans le voisinage.

L'article R. 145-5 du même code précise que la destination des lieux est celle autorisée par le bail et ses avenants ou par le tribunal dans les cas prévues aux articles L. 145-47 à L. 145-55. L'article L. 145-51 dispose que le locataire ayant demandé à bénéficier de ses droits à la retraite ou ayant été admis au bénéfice d'une pension d'invalidité attribuée par le règle d'assurance invalidité-décès des professions artisanales ou des professions industrielles et commerciales, a signifié à son propriétaire et aux créanciers inscrits sur le fonds de commerce son intention de céder son bail en précisant la nature des activités dont l'exercice est envisagé ainsi que le prix proposé, le bailleur a dans un délai de deux mois, une priorité de rachat aux conditions fixées dans la signification. À défaut d'usage de ce droit, son accord est réputé acquis, si dans le même délai de deux mois, il n'a pas saisi le tribunal de grande instance.

La nature des activités dont l'exercice est envisagé doit être compatible avec la destination, les caractères et la situation de l'immeuble.

Les dispositions du présent article sont applicables à l'associé unique d'une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, ou au gérant majoritaire depuis au moins deux ans dans une société à responsabilité limitée, lorsque celle-ci est titulaire du bail.

Au titre de la destination des lieux, les stipulations du bail prévoient que « les locaux présentement loués devront servir au preneur exclusivement à tout commerce de vente de tous produits audio-visuels, accessoires avec prestations de services s'y rapportant ainsi qu'à la vente d'articles de librairie, papeterie, cartonnerie, sweaterie et gadgets. Ils ne pourront être utilisés même temporairement à un autre usage et il ne pourra être exercé aucun autre commerce que celui-sus-indiqué ».

Il n'est pas contesté que la cession du droit au bail, intervenue entre la SARL Soliflandre et la SARL Van H., le 22 mars 2013, est soumise aux dispositions de l'article L. 145-51 et dans ce cadre a fait l'objet d'une notification au bailleur, lequel n'a pas exercé sa priorité ou saisi le tribunal de grande instance.

Le régime édicté à l'article L. 145-51 du code de commerce ne prévoit pas une possibilité immédiate de monnayer l'accord donné ou l'absence d'opposition au changement de destination envisagée, contrairement aux régimes prévus en cas de déspécilisation partielle (L. 145-47) ou plénière ( L. 145-48 et L. 145-49).

Cependant, l'autonomie de l'article L. 145-51, par rapport aux dispositions des articles L. 145-47 et L. 145-48, consiste uniquement à maintenir le loyer au montant antérieur durant le temps plus ou moins long restant à courir du bail, en interdisant au bailleur de réclamer, à l'occasion de la cession, une modification du prix, mais ne lui interdit pas, contrairement à ce que soutient le preneur, d'invoquer ce changement à l'occasion du renouvellement du bail.

Les conditions imposées pour tout déplafonnement à raison du changement de destination doivent alors être réunies pour obtenir une fixation à la valeur locative du prix du bail, à savoir la démonstration du caractère notable de ce changement, lequel est suffisant à justifier le déplafonnement, sans qu'il y ait lieu de rechercher si ce changement a eu une incidence favorable sur l'activité du commerce considéré.

Il ressort des termes mêmes de l'acte de cession du bail que « le cessionnaire entend exercer l'activité de commerce de mode et articles de fêtes », le preneur précisant dans ses écritures qu'il s'agit essentiellement de « vente de déguisements de carnaval et des accessoires de mode ».

Or lorsque le bailleur prétend que le locataire développe une activité autre que celle prévue au bail, il lui appartient de démontrer que l'activité développée est différente, connexe ou complémentaire et non pas seulement une activité incluse, accessoire ou annexe, voire contenue implicitement dans la destination initiale.

Si le cédant exerçait dans les lieux « une activité de commerce de vente de livres neufs à prix réduits, tout ouvrage d'édition, sur tous supports, cadeaux, papeterie, presse, connue sous l'enseigne « DK Livres », qui est formellement exclu de la présente cession », le bailleur ne peut utilement se référer à cette seule activité.

En effet, la clause de destination contractuellement arrêtée entre les parties et ci-dessus rappelée s'avère plus large et comprend comme l'a justement relevé le premier juge, les expressions « sweateries » et « gadgets .

L'activité de commerce de mode et articles de fête, envisagée par l'acte de cession, et plus spécifiquement l'activité réellement exercée par la SARL Van H., à savoir la vente de déguisements de carnaval et d'accessoires de mode, renvoyant à la vente de textiles et objet futiles et amusants ne diffère ainsi pas de manière notable de l'activité contractuellement prévue.

Les stipulations de l'acte de cession, selon laquelle le « cessionnaire entend exercer l'activité de commerce de mode et articles de fêtes qui est de nature différente » , ne peuvent être utilement brandies par le bailleur comme valant aveu par le preneur d'un changement complet de commerce et d'activité, justifiant un déplafonnement.

Cette formulation doit être remise dans le contexte de l'acte de cession et fait suite immédiate à la définition de l'activité réellement exercée par le cédant, son prédécesseur, mais non référence à la définition contractuelle arrêtée initialement dans la clause de destination.

Le bailleur échouant à démontrer le caractère notable du changement de destination, c'est par une juste appréciation que le juge des loyers a rejeté la demande de déplafonnement présentée et de fixation du loyer à la valeur locative.

La décision est donc confirmée.

- Sur les dépens et accessoires :

En application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, la société SCI JFD succombant en ses prétentions, il convient de la condamner aux dépens d'appel.

Les chefs de la décision déférée relatifs aux dépens et à l'indemnité procédurale sont confirmés.

Le sens du présent arrêt commande de condamner la société SCI JFD à payer à la SARL Van H. la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La SCI JFD ne peut qu'être déboutée de sa demande d'indemnité procédurale.

PAR CES MOTIFS :

CONFIRME le jugement du juge des loyers du tribunal de commerce de Dunkerque en date du 28 mars 2019 en toutes ses dispositions ;

y ajoutant,

CONDAMNE la société SCI JFD à payer à la SARL Van H. la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

LA DEBOUTE de sa demande d'indemnité procédurale ;

LA CONDAMNE aux dépens d'appel.