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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 21 septembre 2022, n° 20/11468

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Beautiful Brands (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Depelley, Mme Lignières

Avocats :

Me Autier, Me Houssier

T. com. Lille Métropole, du 2 juill. 202…

2 juillet 2020

Vu le jugement rendu le 2 juillet 2020 par le tribunal de commerce de Lille qui a :

- débouté la société Beautiful brands de toutes ses demandes au titre de la rupture des relations commerciales avec la société Infra foodbrands ainsi que de toutes ses demandes au titre du préjudice d'image subi,

- débouté la société Infra foodbrands de toutes ses demandes reconventionnelles au titre du règlement tardif des factures dues,

- condamné la société Beautiful brands aux dépens et à payer la somme de 7.000 € à la société Infra foodbrands au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

Vu l'appel relevé par la société Beautiful brands et ses dernières conclusions du 25 mai 2021 par lesquelles elle demande à la cour :

- infirmant le jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes au titre de la rupture des relations commerciales avec la société Infra foodbrands et de ses demandes au titre du préjudice d'image , de condamner la société Infra foodbrands à lui payer :

La somme de 150.000 € au titre du manque à gagner, en réparation de son préjudice lié à la brusque rupture de la relation commerciale établie, la somme de 50.000 € au titre du préjudice d'image,

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Infra foodbrands de ses demandes reconventionnelles et l'a déboutée de l'intégralité de ses demandes,

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer la somme de 7.000 € à la société Infra foodbrands au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamner la société Infra foodbrands à lui payer la somme de 8.000 € en application de cet article,

- condamner la société Infra foodbrands aux dépens de première instance et d’appel ;

Vu les dernières conclusions du 23 mars 2022 de la société Infra foodbrands qui demande à la cour, au visa de l'article L 442-6-1 5° du code de commerce, de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

Débouté la société Beautiful brands de toutes ses demandes au titre de la rupture des relations commerciales avec elle ainsi que de toutes ses demandes au titre du préjudice d'image subi, condamné la société Beautiful brands aux dépens et à lui payer la somme de 7.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- à titre d'appel incident, condamner la société Beautiful brands à lui payer :

la somme de 5.000 €, à titre de dommages-intérêts, pour résistance abusive et injustifiée au paiement des factures dues à hauteur de 15.900 € qui ont fait l'objet d'une demande reconventionnelle en première instance et payées le 14 janvier 2020 après un an de procédure, la somme de 380 €, pénalité pour frais de recouvrement forfaitaire prévue à l'article L 441-10 du code de commerce, dès lors que ces factures échues n'ont été réglées en première instance qu'à la suite d'une demande reconventionnelle formulée par voie de conclusions, les intérêts au taux légal sur la somme de 15.900 € depuis la relance du 3 octobre 2018 jusqu'à la date du paiement effectué le 14 janvier 2020,

- condamner la société Beautiful brands aux entiers dépens et à lui payer la somme de 7.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

SUR CE LA COUR

La société de droit néerlandais Infrafoodbrands se présente comme une PME qui produit, conçoit et commercialise différentes gammes de boissons fruitées, ses marques déposées étant principalement Maaza et Sunland.

La société Beautiful brands, spécialisée dans la disribution de boissons, dit se fournir auprès de sociétés européennes réputées pour la qualité et l'originalité de leurs produits.

Au cours de l'année 2014, alors qu'elle souhaitait mettre un terme aux relations qu'elle entretenait avec un de ses distributeurs, la société Elma promotion, la société Infra foodbrands s'est rapprochée de la société Beautiful brands. A l'issue de leurs échanges, des relations commerciales se sont nouées entre elles.

Postérieurement, par lettre du 5 juillet 2018, la société Infra footbrands a notifié à la société Beautiful brands la cessation de leurs relations commerciales en ces termes :

À la suite de notre rendez-vous dans vos locaux le 3 juillet 2018, veuillez prendre note de cette lettre de préavis pour l'arrêt de notre relation commerciale sur la distribution par Beautiful Brands des produits de la marque Maaza à partir du 5 octobre 2018.

Cette décision a été prise à la suite de quelques constats tels qu'ils ont été ré-évoqués lors de notre rendez-vous.

Nos relations commerciales étant 'actif' à partir de juillet 2015, soit 3 ans à ce jour, le préavis est fixé à 90 jours, avec l'arrêt de notre relation étant effectif à partir du 5 octobre 2018.

Souhaitant cesser la relation amiablement, nous nous tenons à votre disposition pour échanger sur les modalités de cessation, dont notamment reprise des stocks, limite de crédit et autres.'

La société Beautiful brands a répondu, par lettre de son conseil du 3 octobre 2018, pour dénoncer une rupture brutale des relations commerciales nouées depuis décembre 2014, aux motifs que le préavis de 3 mois était insuffisant et qu'il n'avait pas été respecté ; elle demandait alors réparation de son préjudice à hauteur de 200.000 €.

Par lettre du 12 octobre 2018, la société Infra foodbrands a fait valoir que le préavis de 3 mois, calculé sur des relations de 3 années comme ayant débuté en juin 2015, était suffisant ; elle ajoutait que ce préavis avait été respecté, les commandes passées par la société Beautiful brands les 25 septembre et 3 octobre ayant été refusées comme ne respectant pas les conditions générales de vente et/ou étant anormales.

C'est dans ces circonstances que le 13 décembre 2018, la société Beautiful brands a fait assigner la société Infra foodbrands devant le tribunal de commerce de Lille afin d'obtenir des dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie et préjudice d'image.

Le tribunal, par le jugement déféré a débouté la société Beutiful brands de toutes ses demandes et a débouté la société Infra foodbrands de ses demandes reconventionnelles fondées sur le règlement tardif de factures dues.

Sur la demande de la société Beautiful brands pour rupture brutale des relations commerciales établies :

Sur la durée du préavis

La société Beautiful brands soutient en premier lieu que la durée du préavis, soit 3 mois, était insuffisante et aurait dû être de 12 mois. Elle expose d'abord en ce sens que la rupture était imprévisible alors que :

- dès 2015, la marque Maaza avait été référencée par la société Carrefour dans le cadre d'un accord conclu par elle avec le groupe Carrefour, accord renouvelé chaque année et en 2018,

- un accord commercial avait été conclu et renouvelé avec Franprix,

-M. [J], dirigeant de la société Infra goodbrands exprimait régulièrement sa confiance auprès d'elle et avait exprimé en septembre 2017 son souhait de mettre en place

' un accord sur le fonctionnement de la coopération durable' entre les deux sociétés.

L'appelante fait ensuite valoir :

- que la volonté des parties a été de se placer dans la continuité des relations antérieures existant entre la société Infra foodbrands et la société Elma promotion et qu'il faut prendre en considération le début des relations entre ces deux sociétés, soit 2004,

- que c'est par la multiplication de ses efforts, en publicité et marketing, que la marque Maaza a été référencée dans les chaînes de supermarchés Carrefour et Franprix,

- qu'elle n'a pu obtenir de Carrefour et Franprix le remplacement de la marque Maaza par d'autres qu'elle présentait et que la marque Maaza continue à être distribuée au sein de ces deux groupes à son détriment,

- qu'elle bénéficiait en fait d'une exclusivité 'grands comptes' sur le marché français (Tang frères, Paris store) et s'était beaucoup investie pour développer la marque Maaza,

- que son chiffre d'affaires avec la société Infra foodbrands montre une augmentation exponentielle, passant de 8.946 € HT en 2015 à 413.826 € HT en 2017 et s'élevant à 321.000 € sur 10 mois en 2018,

- qu'elle se trouvait en état de dépendance économique, ne disposant d'aucune autre source d'approvisionnement pour ce type de jus de fruits et de conditionnement spécifiques, les boissons Maaza représentant 28 % de son chiffre d'affaires total,

- que le fait que le prestataire évincé a retrouvé d'autres solutions après la rupture n'exerce aucune influence sur le montant de l'indemnisation dès lors que le préjudice réparable s'apprécie à la date de notification de la rupture.

Mais, en produisant deux courriels des 8 et 9 juin 2015 ainsi qu'une facture du 11 juin 2015, la société Infra foodbrands justifie que les relations commerciales entre les parties ont débuté en juin 2015 et duraient depuis 3 ans à la date de notification de leur rupture.

Contrairement à ce que prétend la société Beautiful brands, il ne peut être tenu compte des relations antérieurement entretenues par la société Infra foodbrands avec la société Elma promotion, précédent distributeur ; en effet, il n'existait aucun contrat antérieur ni lien existant entre les sociétés Beautiful brands et Elma promotion, toutes deux distributrices, dont la société Infra foodbrands, fournisseur, aurait été susceptible de reprendre la suite.

La société Infra foodbrands fait justement valoir :

- que le chiffre d'affaires réalisé par la société Beautiful brands avec elle n'a fortement augmenté qu'en 2017 (en effet, la cour constate qu'il n'était que de 13.176 ,89 € en 2016)

- qu'il n'existait aucun accord d'exclusivité entre les parties,

- que suite à la rupture par la société Infra foodbrands de ses relations avec la société Elma promotion (précédent distributeur) la société Beautiful brands a bénéficié de l'apport progressif de la clientèle de la marque Maaza, sans avoir à investir dans la prospection commerciale,

- que la société Beautiful brands commercialisait de nombreuses autres boissons avant de se fournir en produits de la marque Maaza et a poursuivi cette commercialisation tout au long de sa relation avec la société Infra foodbrands.

Il convient de rappeler que seule la brutalité de la rupture de la relation commerciale établie, et non sa rupture, peut ouvrir droit à indemnisation par application de l'article de l'article L 442-6-1 5° du code de commerce.

La société Beautiful brands, qui distibuait d'autres produits que ceux de la société Infra foofbrabds ne se trouvait pas en situation de dépendance économique.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, de la nature de l'activité exercée par la société Beautiful brands, de la part de son chiffre d'affaires réalisée avec la société Infra foodbrands et du temps nécessaire pour lui permettre de se réorganiser, le préavis de 3 mois accordé était suffisant.

Sur l'effectivité du préavis

L'appelant allègue en second lieu que la société Infra foodbrands n'a pas maintenu la relation commerciale aux conditions antérieures, ne respectant pas ainsi le préavis accordé ; elle en veut pour preuve :

- que dès le 11 septembre 2018, cette société lui a annoncé que la société Starwell (qui allait lui succéder) avait pris contact avec tous les clients qu'elle avait apportés, la privant de tout chiffre d'affaires en 2019,

- que pendant la période de préavis, la société Infra foodbrands a refusé d'honorer ses commandes,

- qu'en juillet et août 2018, elle a prétendu rencontrer des problèmes de rupture de stocks,

- qu'elle a refusé d'honorer sa commande de 20 palettes passées le 25 septembre 2018 alors qu'elle disposait du stock et du temps nécessaire pour ce faire, les livraisons intervenant en moyenne dans les 72 heures jusqu'alors,

- que le service approvisionnement de Carrefour lui a confirmé son déréférencement sur les boissons Maaza 50 cl, parfums Goyave, mangue, lychee et fruit de la passion, à compter du 2 septembre 2018,

- que dès le 7 septembre 2018 il y a eu un blocage informatique de sa prise de commandes chez Franprix, la responsable des approvisionnements liquides de l'enseigne Franprix lui indiquant le 13 septembre 2018 ne plus avoir la possibilité de lui commander les produits Nectar goyave Maaza et Nectar fruit litchi 1L Maaza.

Mais, la société Infra foodbrands fait valoir à juste titre qu'au cours du préavis :

- elle a maintenu toutes les conditions commerciales, relatives aux prix et paiements,

- aucune commande ou livraison n'a été effectuée vers des clients des produits Maaza servis par la société Beautiful brands.

Il ne peut être utilement reproché à la société Infra foodbrands d'avoir prévenu les clients de la marque Maaza d'un prochain changement de distributeur, ce qu'elle avait dèjà fait au profit de la société Beautiful brands lors de la reprise par celle-ci de l'approvisionnement opéré auparavant par la société Elma promotion.

Les courriels échangés entre les parties en juillet et août 2018 ne prouvent que des retards de livraison pour rupture de stocks et non des refus de commandes et/ou de livraisons.

La société Beautiful brands est mal fondée à invoquer un refus de ses commandes en date du 25 septembre 2018 et du 3 octobre 2018, soit en fin de préavis, lesquelles portaient sur des quantités inhabituelles et très importantes, manifestement destinées à poursuivre la commercialisation des produits après la cessation de la relation commerciale

La décision de déréférencement de la société Beautiful brands par le groupe Carrefour à compter du 2 septembre 2018 ne peut être imputée à faute à la société Infra foodbtrands, ni celle de la société Franprix de ne plus lui commander de produits en septembre 2018.

Le moyen tiré du non-respect du préavis doit donc être rejeté.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Beautiful brands de sa demande de dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie.

Sur la demande de la société Beautiful brands pour préjudice d'image :

La société Beautiful brands fait grief à la société Infra foodbrands d'avoir, en août 2018, adressé des lettres à ses clients. Elle considère qu'il en est résulté une atteinte à sa réputation et à son image en ce que la société Infra foood brands laissait penser à sa clientèle qu'elle aurait 'fauté' dans sa relation avec son fournisseur.

Mais la société Infra foodbrands expose qu'elle s'est bornée à informer la société Tang frères, client de longue date de la marque Maaza, que la société Beautiful brands ne commercialiserait plus cette marque à compter du 5 otobre 2018.

La société Beautiful brands n'apporte aucune preuve d'agissements de la part de la société Infra foodbrands de nature à porter atteinte à son image ou à sa réputation ; elle sera donc déboutée de sa demande de dommages-intérêts à ce titre.

Sur les demandes reonventionnelles de la société Infra foodbrands :

Au soutien de ses demandes, la société Infra foodbrands verse aux débats 9 factures émises entre le 15 août et le 2 novembre 2018 pour un montant total de 15.837,83 €. Elle expose :

- qu'elle a adressé plusieurs relances à la société Beautiful brands les 3 et 18 octobre 2018, puis le 2 novembre et le 4 décembre 2018, qui constituent des interpellations sufffisantes valant mises en demeure,

- que la société Beautiful brands ne lui a payé cette somme que le 14 janvier 2020 au cours de la procédure de première instance.

La société Beautiful brands s'oppose aux demandes en faisant valoir :

- que si les factures n'ont pas été payées à leur échéance, c'est en raison de la décision de rupture des relations qui a généré pour elle de graves difficultés,

- qu'elle n'a pas été mise en demeure le 3 octobre 2018, en l'absence d'interpellation suffisante au sens de l'article 1344 du code civil,

- que les factures ne précisent pas l'indemnité forfaitaire alors que cette mention est obligatoire,

- que la société Infra foodbrands ne justifie d'aucun abus, ni d'aucun préjudice.

Sur ce,

Les pièces 52 et 53 de la société Infra qui renferment des relevés de factures ne constituent pas des intepellations suffisantes valant mises en demeure. Cependant les courriels échangés entre les parties le 2 novembre 2018 montrent que, à cette date, la société Beautiful brands a été mise en demeure de payer et a répondu qu'elle 'vérifiait les factures pour faire le solde'; elle devra donc payer les intérêts au taux légal sur la somme de 15.837,83 € à compter du 2 novembre 2018 et jusqu'au 14 janvier 2020, date de son paiement.

La société Infra foodbrands ne démontrant par avoir subi un préjudice distinct de celui déjà réparé par le cours des intérêts, sa demande de dommages-intérêts d'un montant de 5.000 € sera rejetée.

Les factures ne mentionnent pas l'indemnité forfaitaire pouvant être stipulées en cas de non-paiement à leur échéance comme prévu à l'ancien article L 441-3 du code de commerce resté applicable aux factures émises avant le 1er octobre 2019. La demande en paiement de la pénalité forfaitaire de 360 € sera en conséquence rejetée.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile :

La société Beautiful brands, qui succombe en ses prétentions, doit supporter les dépens de première instance, le jugement étant confirmé sur ce point, ainsi que les dépens d'appel.

Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il y a lieu de débouter l'appelante de sa demande de ce chef, de confirmer l'indemnité de 7.000 € allouée à la société Infra foodbrands par le tribunal et, y ajoutant, de condamner l'appelante à lui payer la somme supplémentaire de 4.000 €.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté la société Infra food brands de toutes ses demandes reconventionnelles,

Statuant à nouveau sur ce point :

- condamne la société Beautiful brands à payer à la société Infra foodbrands les intérêts au taux légal sur la somme de 15.837,83 € à compter du 2 novembre 2018 et jusqu'au 14 janvier 2020,

- déboute la société Infra foodbrands de ses demandes en paiement de la somme de 360 € pour pénalité forfaitaire et de la somme de 5.000 €, à titre de dommages-intérêts, pour résistance abusive,

Déboute la société Beautiful brands de toutes ses demandes,

Condamne la société Beautiful brands à payer la somme supplémentaire de 4.000 € à la société Infra foodbrands au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Beautiful brands aux dépens d'appel.