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Décisions

Cass. com., 15 mars 2011, n° 10-11.877

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Avocats :

SCP Defrenois et Levis, SCP Piwnica et Molinié

Paris, du 10 déc. 2009

10 décembre 2009

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société à responsabilité limitée Libération, entreprise de presse, a pour associé unique la société anonyme Investissement presse (SAIP) ; que les actions représentant le capital de cette dernière étaient réparties en trois groupes, A, B et C, respectivement détenus par la société civile des personnels de Libération (SCPL), par diverses sociétés et par les représentants légaux de la SAIP ; que faisant valoir qu'une cession du journal avait eu lieu à la suite de la prise de contrôle de la société SAIP par la société Holding Financier Jean Goujon (HFJG), Mmes X...et Y...ainsi que MM. de Z...et A..., journalistes, ont rompu leurs contrats de travail et demandé le bénéfice des dispositions de l'article L. 7112-5-1° du code du travail ;

Sur le moyen unique, pris en ses première, deuxième et troisième branches :

Attendu que la société Libération fait grief à l'arrêt d'avoir dit que la rupture des contrats de travail de ces derniers était fondée sur une cession du journal " Libération " au sens de l'article L. 7112-5-1° du code du travail, par application combinée des articles L. 233-3, III, et L. 233-10 du code de commerce, alors, selon le moyen :

1°/ qu'en estimant qu'une action de concert serait caractérisée entre la SCPL et le nouvel investisseur HFJG sans répondre au moyen péremptoire tiré des désaccords caractérisés et de l'opposition idéologique des prétendus concertistes, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ qu'en estimant qu'une action de concert serait caractérisée entre la SCPL et le nouvel investisseur HFJG sans constater la volonté commune des prétendus concertistes d'influer pour l'avenir sur la stratégie et l'orientation du journal Libération, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 7112-5-1° du code du travail, L. 233-3 et L. 233-10 du code de commerce ;

3°/ qu'en estimant qu'une action de concert serait nécessairement caractérisée entre la SCPL et le nouvel investisseur HFJG sans répondre au moyen péremptoire tiré de ce que la conclusion du pacte d'actionnaires litigieux avait pour objectif, non pas une politique commune mais la préservation des intérêts financiers du nouvel investisseur et l'organisation d'un droit d'information renforcé, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'après avoir constaté que le 28 avril 2005, il avait été procédé à une augmentation du capital de la société SAIP entièrement réservée au nouvel investisseur, la société HFJG, avec création d'une nouvelle catégorie d'actions, les actions D, l'arrêt relève qu'à la suite de cette augmentation de capital, le conseil d'administration de la SAIP a compté quinze membres, dont trois administrateurs A, quatre administrateurs B, deux administrateurs C et six administrateurs D ; que l'arrêt précise que le même jour, a été conclu un pacte d'actionnaires prévoyant notamment, d'une part, qu'il revenait au président et directeur général, ou en cas de dissociation de ces fonctions, au directeur général, de nommer le directeur de la rédaction du journal " Libération " et, d'autre part, qu'à compter de la date de cessation de ses fonctions par M. B..., le directeur général serait nommé parmi les candidats présentés par les " administrateurs D " ; qu'il retient ensuite que M. B...ayant démissionné de ses fonctions de président-directeur général de la SAIP, tandis que M. C...démissionnait de ses fonctions de directeur général délégué, lors de la séance du conseil d'administration du 29 juin 2006, le conseil a coopté de nouveaux administrateurs ; que l'arrêt ajoute qu'au cours de la même séance, le conseil a désigné son nouveau président-directeur général et, sur proposition de celui-ci, le directeur général délégué et que, le même jour, la SAIP les a désignés en qualité de gérants de la société Libération ; qu'il relève en outre que la mise en place de cette cogérance passait par une recomposition du conseil d'administration de la SAIP conforme aux voeux de l'actionnaire principal, avec l'acquiescement du représentant de la SCPL auquel le poste de président a été attribué sur la proposition de ce dernier ; que par ces constatations, caractérisant l'existence entre les sociétés HFJG et SCPL d'un accord pour mettre en place une nouvelle organisation des organes de gestion, constitutif d'une action de concert, la cour d'appel, qui n'avait pas à faire la recherche inopérante visée par la deuxième branche, a répondu aux conclusions dont elle était saisie ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur la cinquième branche du moyen :

Vu l'article L. 233-3, III, du code de commerce ;

Attendu que pour se prononcer comme il fait, l'arrêt retient encore qu'au 29 juin 2006, le nouvel investisseur, HFJG, devait nécessairement agir de concert avec la SCPL pour parvenir à prendre le contrôle de l'entreprise de presse ; qu'il ajoute que la cogérance ainsi mise en place permettait au nouvel investisseur d'exercer un contrôle de fait sur la société Libération ; qu'il en déduit que, cette prise de contrôle étant assimilée à une cession, les journalistes sont fondés à invoquer le bénéfice des dispositions de l'article L. 7112-5 du code du travail ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, par des motifs desquels il ne résulte pas que les sociétés agissant de concert déterminaient en fait les décisions prises en assemblée générale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 décembre 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.