CA Pau, 2e ch. sect. 1, 27 septembre 2022, n° 20/01875
PAU
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Ederki (SAS)
Défendeur :
Les Goûters Basques (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pellefigues
Conseillers :
M. Magnon, M. Darracq
Avocats :
Me Piault, Me Coulon , Me Tortigue
EXPOSÉ DES FAITS ET PROCÉDURE :
La SARL Les Goûters Basques exerce une activité de transformation et de conservation de fruits et fabrique essentiellement des confitures et du miel à destination des grossistes.
La SAS Ederki qui exploite toute activité d'agence commerciale, de négoce et de courtage de tous produits de conserves et d'alimentation français et étrangers s'est rapprochée de la SARL Les Goûters Basques (LGB) en 2015 pour lui confier la fabrication et le conditionnement de divers produits, en particulier de sa sauce basque, et a mis à sa disposition deux machines (broyeur- mélangeur et operculeuse) pour cette fabrication.
L'emballage initial était un « squeeze PP monocouche » (polypropylène monocouche).
Le laboratoire QSA Conseil a validé la stabilité microbiologique de la sauce. La mise en production est intervenue à partir du 12 janvier 2016.
Un cahier des charges spécifique par produit de la gamme Ederki fabriqué par la société LGB a été établi, notamment pour la « sauce basque douce bio » en date du 25 septembre 20l7 (version 1) et signé par les deux parties le 23 mars 2018.
Jusqu'en octobre 2017, près de 44.000 flacons de sauce ont été produits sur cette base sans problème.
A partir du 16 octobre 2017, suite à un arrêt de production du fournisseur du flacon initial, un nouveau flacon de type « squeeze » a été utilisé composé de PP/ EvOH (polypropylène/ éthylène vinyl alcool, copolymère servant d'agent barrière au sein du matériau, afin de renforcer son imperméabilité).
Le 30 mai 2018, la société Ederki a informé la société LGB d'un problème sur un lot de flacons de ses sauces douces qui étaient gonflés et dégazaient au dévissage, les produits correspondants étant retirés de la distribution.
Des experts ont été mandatés par chacune des parties pour définir les responsabilités respectives et une tentative de médiation a échoué.
Par acte d'huissier du 13 juin 2019, la société Ederki a fait assigner la société Les Goûters Basques devant le tribunal de commerce de Bayonne pour faire constater la responsabilité de son fournisseur au titre d'un défaut de conformité des produits livrés et, à titre subsidiaire, voir engager sa garantie au titre des vices cachés et obtenir sa condamnation à lui payer, en l'état de ses dernières écritures :
- la somme totale de 136855,00 euros, à parfaire en principal, outre les intérêts au taux légal à compter de l'assignation.
- la somme de 5000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Les Goûters Basques s'est opposée à ces demandes et a formé des demandes reconventionnelles aux fins de :
Débouter Ederki de l'ensemble de ses demandes et conclusions,
Condamner Ederki à verser la somme de 5556,70 euros aux Goûters Basques au titre de factures impayées,
Condamner Ederki à verser aux Goûters Basques la somme de 16.394,37 euros au titre des emballages non repris et non remboursés par Ederki,
Condamner Ederki à verser la somme de 10.924,00 euros aux Goûters Basques au titre des matières premières non reprises et non remboursées par Ederki,
Condamner Ederki à verser la somme de 1491,10 € aux Goûters Basques, au titre des commandes en cours, validées par Ederki et qui sont demeurées impayées,
Condamner Ederki à verser aux Goûters Basques la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamner Ederki aux entiers dépens.
Par jugement du 29 juin 2020, le tribunal de commerce de Bayonne a :
Dit et jugé que les responsabilités dans le présent litige sont : Les Goûters Basques 60 % et Ederki 40 %,
Condamné la SAS Ederki à régler à la SARL Les Goûters Basques la somme de 2403,70 euros,
Rejeté toutes autres demandes des parties,
Rejeté les demandes faites sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejeté l'exécution provisoire du jugement,
Partagé les dépens, dont les frais de greffe liquidés à la somme de 73,22 euros,
Par déclaration en date du 17 août 2020, la SAS Ederki a relevé appel du jugement.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 janvier 2022.
L'affaire a été fixée au 3 février 2022 et renvoyée au 21 juin 2022.
Au-delà de ce qui sera repris pour les besoins de la discussion et faisant application en l'espèce des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, la cour entend se référer pour l'exposé plus ample des moyens et prétentions des parties aux dernières de leurs écritures visées ci-dessous.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Vu les conclusions de la SAS Ederki en date du 12 mai 2021, aux termes desquelles il est demandé à la cour de :
Vu les articles 1604 et suivants, 1610, 1611, 1641 et 1875 et suivants du Code civil ;
INFIRMER PARTIELLEMENT le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bayonne le 29 juin 2020 en ce qu'il a :
Retenu la responsabilité partielle de la société EDERKI ;
Condamné la société Ederki à régler à la société Les Goûters Basques la somme de 2.403,70 € ;
Rejeté les autres demandes d'Ederki ;
EN CONSEQUENCE :
CONDAMNER la société Les Goûters Basques à verser à la société Ederki la somme totale de 130.989,52 euros, à parfaire, en principal, outre les intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation, correspondant à l'intégralité du préjudice subi par la société Ederki en raison du défaut de délivrance conforme des produits,
dont la société Les Goûters Basques est entièrement responsable,
REJETER les demandes reconventionnelles de la société Les Goûters Basques,
EN TOUT ETAT DE CAUSE
CONDAMNER la société Les Goûters Basques à payer à la société Ederki la somme de 19 500,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
CONDAMNER la société Les Goûters Basques aux entiers dépens.
Vu les conclusions de la SARL Les Goûters Basques en date du 12 février 2021, aux termes desquelles il est demandé à la cour de :
A titre principal,
REFORMER la décision dont appel,
Statuant à nouveau,
DEBOUTER la société Ederki de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
CONDAMNER la société Ederki à verser la somme de 5.556,70 € à la société Les Goûters Basques au titre des factures impayées,
CONDAMNER la société Ederki à verser la somme de 16.394,97 € à la société Les Goûters Basques au titre des emballages non repris et non remboursés par la société Ederki,
CONDAMNER la société Ederki à verser la somme de 10.924,00 € à la société Les Goûters Basques au titre des matières premières non reprises et non remboursées par la société Ederki,
CONDAMNER la société Ederki à verser la somme de 7.492,20 € à la société Les Goûters Basques au titre des commandes en cours et validées par la société EDERKI, qui sont demeurées impayées,
CONDAMNER la société Ederki à verser à la société Les Goûters Basques la somme de 3.000,00 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
CONDAMNER la société Ederki aux entiers dépens.
A titre subsidiaire,
CONFIRMER la décision dont appel,
Y ajoutant
CONDAMNER la société Ederki à verser à la société Les Goûters Basques la somme de 3.000,00 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
CONDAMNER la société Ederki aux entiers dépens.
MOTIVATION :
A titre principal, la SAS Ederki recherche la responsabilité contractuelle de la société Les Goûters Basques, en application des articles 1604 et suivants du code civil, sur le fondement du manquement à l'obligation de délivrance conforme, reprochant à son co contractant d'avoir fourni des produits ne correspondant pas aux caractéristiques spécifiées par la convention des parties ou par leur fiche technique.
Elle considère qu'il ne fait aucun doute que les produits livrés par LGB ne peuvent être considérés comme conformes au cahier des charges convenu entre les parties.
Elle reproche notamment à la société LGB d'avoir modifié le matériau du contenant des sauces en passant d'un polypropylène une couche à un contenant en polymère coextrudé PP/EVOH/PP (3 couches), et ce sans l'accord d'Ederki.
Elle fait valoir notamment qu'il ressort du rapport d'expertise du cabinet EQUAD (mandaté par son assureur) qu'en octobre 2017 la société Les Goûters Basques a changé de fournisseur de « squeezes » (flacons en plastique souple). Le matériau des flacons est passé d'un polypropylène simple (PPsimple) à un polymère coextrudé PP/EVOH/PP, moins perméable aux échanges gazeux.
Elle nie avoir avalisé ce nouveau matériau, mais uniquement validé le volume et la forme du contenant afin de s'assurer que les modifications apportées n'avaient pas d'impact dans ses relations avec ses clients. Elle indique qu'il appartenait à la société LGB d'effectuer les tests de vieillissement, elle-même, en sa qualité de fabricant des produits, cette dernière n'étant pas, comme elle l'affirme, un simple assembleur.
Elle souligne que selon le rapport d'expertise les problèmes de gonflement des contenants, ainsi que l'aspect grumeleux et huileux des sauces contenues, sont apparus suite au changement de matériau par LGB comme le relève l'expert du cabinet EQUAD, mandaté par son assureur.
Elle ajoute que conformément au cahier des charges, en cas de défaut critique des produits, à savoir « tout défaut portant atteinte à la sécurité du consommateur, tout défaut du produit entraînant une non-conformité à la législation en vigueur », elle était tenue de retirer les produits de la vente en raison de leur non-conformité.
La société Ederki considère que les gonflements et déformations des flacons générant des phénomènes de coulures sont bien des défauts critiques au regard de la définition du cahier des charges, car la stabilité du produit n'est pas assurée. Selon elle, la contamination est indépendante du flacon et résulte nécessairement d'un défaut d'hygiène au niveau de la ligne de production de la SARL Les Goûters Basques.
A titre subsidiaire, elle recherche la garantie de la société Les Goûters Basques au visa de l'article 1641 du code civil, à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel elle est destinée.
La société Les Goûters Basques s'oppose à cette analyse et soutient, à titre principal, que sa responsabilité n'est pas engagée, car :
C'est bien la société Ederki qui a imposé le changement de matériau des flacons à la société concluante, étant rappelé que c'est la société Ederki qui a rédigé le cahier des charges ; ce document définit à la fois les fournisseurs des aliments et des matières de base composant la recette de la sauce, mais également le flacon et sa nature,
En cours de fabrication, le fournisseur des emballages a indiqué que le type d'emballage jusque-là utilisé était abandonné et a proposé un autre emballage qui a été retenu conformément au cahier des charges qui prévoit cet emballage (page 9 du cahier des charges annexe 3),
Ederki a avalisé ce changement à un double titre, car le cahier des charges prévoit expressément ce type de matière plastique et qu'Ederki a validé ce changement.
Il semble cependant qu'Ederki n'ait pas fait des tests de vieillissement appropriés sur ce deuxième type d'emballage et qu'un dégagement gazeux, qui s'évacuait par la porosité des premiers emballages, ne puisse plus s'évacuer avec le deuxième type d'emballage, d'où une surpression dans certains flacons de sauce,
Ederki essaie de transférer la faute sur l'assembleur, alors qu'elle n'a pas réalisé les tests appropriés,
La concluante a fait réaliser des analyses de laboratoire, sur des produits gonflés qui ont montré la présence d'une bactérie lactique à très forte dose, l'analyse ADN du germe permettant d'identifier la souche Lactobacillus Brevis M 8,
Cette bactérie, présente dans les produits d'alimentation, utilise les substances telles que citrate, lactose, galactose, acides aminés pour produire de l'acide lactique, de l'éthanol et du CO2,
Le nouveau matériau des flacons squeezes, plus étanche, a empêché le gaz (CO2) dégagé par la prolifération des bactéries lactiques de s'échapper, provoquant le gonflement et la déformation des flacons,
Selon l'analyse technique du cabinet GM Consultant mandaté par Axa France, assureur de la société Les Goûters Basques, la responsabilité de la société les Goûters Basques ne paraît pas engagée.
A titre subsidiaire, elle conclut à la confirmation du jugement sur le partage de responsabilité opéré entre la société Ederki et elle-même.
En droit :
Selon l'article 1603 du code civil, le vendeur a deux obligations principales, celle de délivrer et celle de garantir ce qu'il vend.
Aux termes de l'article 1604, « la délivrance est le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l'acheteur ». Et, selon la jurisprudence, la notion de conformité ou de non-conformité est inhérente à l'obligation de délivrance, l'acquéreur ne pouvant être tenu d'accepter une chose différente de celle qu'il a commandée.
A l'inverse, le vendeur doit délivrer un bien conforme aux stipulations de l'acte de vente. Il engage sa responsabilité s'il ne le fait pas.
La non-conformité de la chose vendue s'apprécie au regard des stipulations contractuelles. Le juge du fond doit les analyser pour comparer la chose convenue et la chose remise.
Aux termes de l'article 1641 du code civil, « le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus ».
« Le vice s'identifie à toute défectuosité qui empêche la chose de rendre, et de rendre pleinement, les services que l'on en attend. Il résidera dans le mauvais état ou le mauvais fonctionnement de la chose, l'impossibilité de s'en servir dans des conditions satisfaisantes, les conséquences nuisibles produites à l'occasion d'une utilisation normale... » (Jérôme Huet JurisClasseur Civil Art. 1641 à 1649 Fasc. 30 no6) ;
L'appréciation du vice caché présente un caractère relatif et doit se faire par rapport à l'usage normal de la chose. Si l'acheteur entend donner à la chose une destination particulière, qui n'est pas celle admise dans l'opinion commune ou par les usages de la profession, et que la chose s'y révèle impropre, la garantie du vendeur ne saurait être recherchée à moins que ce dernier n'ait été informé de l'utilisation envisagée.
Les juges du fond apprécient souverainement si la chose vendue est affectée d'un vice caché et s'il la rend impropre à sa destination. La chose doit être normalement apte à l'usage auquel elle est destinée de par sa nature.
Les défauts qui rendent la chose impropre à son usage normal relèvent exclusivement de la garantie des vices cachés tandis que si la chose n'est pas conforme aux spécifications convenues, il y a manquement du vendeur à son obligation de délivrance.
De façon constante, la Cour de cassation veille au respect de la distinction entre ces deux notions et exige des juges du fond qu'ils restituent, même d'office, à l'action engagée sa véritable qualification.
Dès lors que le défaut est qualifié de vice caché, l'action en garantie des vices cachés est la seule action qui puisse être intentée par l'acheteur contre le vendeur lorsque la chose comporte un défaut qui affecte son usage.
En l'espèce, Il ressort des pièces versées aux débats que plusieurs courriels en date des 30, 31 mai, 1er et 2 juin 2018 ont été échangés entre la « Supply Chain manager », la directrice générale et les commerciaux de la société Ederki au sujet du constat d'un « problème qualité », apparu sur des flacons souples de sauce douce basque issus d'un lot d'octobre 2017 (SBD 161017). Dans plusieurs magasins autour de [Localité 5], des flacons issus de ce lot étaient gonflés, le contenu présentait un aspect grumeleux et non homogène avec présence d'huile en haut du flacon. Certains opercules étaient fissurés avec coulures.
Le même phénomène a été observé sur des flacons de sauce basque forte fabriqués par la société Les Goûters Basques en octobre 2017 (lot SBF 161017).
Le 31 mai 2018, le responsable du développement de la société Ederki a signalé un phénomène de gonflement sur des flacons de moutarde bio, moutarde conventionnelle, sauce basque forte Bio et sauce Basque Forte, issus d'autres lots fabriqués en novembre 2017, janvier et mars 2018.
La société Ederki a décidé de procéder au retrait des rayons des produits défectueux, par précaution, et de remettre un échantillon à un laboratoire aux fins d'analyse microbiologique.
Il ressort du rapport d'analyse du laboratoire Labhya, en date du 5 juin 2018, que le flacon de sauce basque analysé présentait une flore totale aérobie mésophile à 30° Celsius de 210 000 unités par gramme, le critère admissible étant au maximum de 10 000 par gramme. Selon ce rapport, si le résultat obtenu n'affectait pas un paramètre de sécurité, en ce sens que le produit n'était pas impropre à la consommation d'un point de vue sanitaire, en revanche il révélait la défaillance d'un paramètre d'hygiène des procédés de production nécessitant une action corrective.
La société Les Goûters Basques a elle-même fait procéder à des analyses par le laboratoire A Bio C sur un flacon de sauce Ederki forte, issu d'un lot fabriqué le 20 avril 2018. Le flacon était gonflé et l'analyse a révélé un taux de microorganismes aérobies à 30°C de 5300, dans la norme, mais par contre la présence de bactéries lactiques à 30°C de plus de 3 000 000 d'unités par gramme et une flore lactique hétérofermentaire également supérieure à 3 000 000 par gramme.
L'analyse séquentielle de l'ADN de la souche bactérienne lactique a permis d'identifier la bactérie Lactobacillus brevis.
Un second flacon, non gonflé, de sauce douce, a été analysé par le laboratoire A Bio C révélant un taux de micro-organismes aérobies à 30° Celsius de 25 000 unités par gramme, supérieur par conséquent au critère de tolérance de 10 000 par gramme, mais par contre l'absence de bactéries lactiques et de flore lactique hétérofermentaire, les taux relevés étant inférieurs au seuil de détection de 100.
Il apparaît ainsi que dans le cas du flacon analysé par le laboratoire Labbhya, la présence en excès d'une flore aérobie mésophile, (se développant en présence d'oxygène à température moyenne), a été mise en évidence, révélant une hygiène défaillante du processus de production, alors que dans le cas du flacon de sauce basque forte, analysé par le laboratoire A Bio C, était en cause une bactérie lactique, anaérobie facultative ou microaérophile, (survivant à l'absence d'oxygène ou dans un milieu faiblement oxygéné) responsable d'un phénomène de fermentation à l'origine du gonflement du flacon analysé.
S'agissant de la bactérie Lactobacillus Brevis, il s'agit selon le rapport d'expertise du cabinet EQUAD d'une bactérie lactique hétérofermentaire qui produit de l'acide lactique, de l'éthanol et du CO² au cours de la fermentation. Il s'agit d'un germe fermenteur actif à des températures supérieures à 25°C.
L'expert note que d'une manière générale les bactéries lactiques sont fréquemment associées de manière positive à l'alimentation humaine, à travers la fermentation d'une grande variété de produits, et sont utilisées comme flore technologique dans la production laitière (pour produire yaourts et fromages), dans la charcuterie et pour la fermentation de produits végétaux tels que choucroute et olives fermentées, également pour la fabrication des levains de panification et de boissons alcoolisées (vins, bières blanches, saké).
Cependant, selon cette note d'expertise, le rôle des bactéries lactiques, comme agents altérants, est également souligné et en particulier le Lactobacillus Brevis constitue aussi une flore d'altération qui peut être responsable de défauts de qualité de divers produits tels que la bière, les légumes fermentés, le vin, le fromage ou la charcuterie. La bactérie est en revanche non pathogène pour l'homme.
Cet avis n'est pas démenti par l'avis du cabinet d'expertise GM Consultant mandaté par l'assureur de la société Les Goûters Basques. Cet expert ajoute que la bactérie Lactobacillus Brevis est présente dans l'alimentation, très peu dans l'environnement, et qu'un même phénomène de gonflement a été observé sur des emballages de fromage italien à la suite de dégagement de CO² produit par la bactérie en question.
Deux hypothèses de contamination sont évoquées par les deux experts des compagnies d'assurance, soit une contamination de l'un ou l'autre des ingrédients utilisés pour produire les sauces, soit une contamination au niveau du processus industriel, provenant de la ligne de fabrication, l'atelier de production transformant également des fruits qui peuvent avoir été contaminés par le germe Lactobacillus Brevis.
Aucune de ces hypothèses n'a été vérifiée.
Quoi qu'il en soit, un phénomène de fermentation, dû à une contamination bactérienne apparue au stade du processus de fabrication, quelle que soit la bactérie en cause, est bien un vice caché des produits en question puisque cette fermentation, qui se traduit par un gonflement des flacons, est le révélateur d'une instabilité du contenu, diminue notablement l'attractivité du produit pour la clientèle et justifie son retrait de la vente, rendant ainsi le produit défectueux impropre à l'usage auquel le destinait la société Ederki.
Ce vice était bien caché au moment de la livraison des produits issus du premier lot défectueux d'octobre 2017, puisque le phénomène de gonflement des flacons de sauces, révélateur d'un processus de fermentation bactérienne déjà engagé, est apparu après leur mise en rayon dans les commerces de différents distributeurs.
Si le cahier des charges élaboré par la société Ederki fixe un taux cible et une tolérance concernant la flore totale aérobie mésophile du contenu, par référence à la réglementation des herbes surgelées dont le critère est moins restrictif que celui utilisé par le laboratoire Labhya, il ne fixe aucun critère concernant les bactéries lactiques.
En revanche, il indique clairement que constitue un défaut critique tout défaut portant atteinte à la sécurité du consommateur, ou tout défaut du produit entraînant une non-conformité à la législation en vigueur, tel que ' « le fait de ne pas assurer la stabilité du produit ». Par ailleurs, au sens de ce document, constitue un défaut majeur interdisant la vente du lot en l'état et nécessitant des dispositions particulières pour son utilisation (reprise et tri), « le défaut qui diminue fortement l'aspect attractif du produit ».
Au regard de ces deux critères, les défauts constatés justifiaient pleinement le retrait de la vente des produits défectueux, rendus impropres à toute commercialisation, et leur destruction.
La garantie de la société Les Goûters Basques est donc due en application de l'article 1641 du code civil. Pour échapper à cette garantie et à sa responsabilité, cette dernière fait valoir qu'elle n'était qu'un simple assembleur et que le nouvel emballage de type « squeeze », composé d'un matériau plus étanche, mis en œuvre à partir d'octobre 2017, lui a été imposé par la société Ederki. Elle ajoute que les fournisseurs des matières premières incorporées dans les sauces, selon les recettes remises par la société Ederki, lui étaient également imposés par cette dernière au travers du cahier des charges.
Toutefois, il ne ressort pas des analyses bio chimiques et des rapports d'expertise versés aux débats que le changement de matériau des emballages souples de sauces soit à l'origine des contaminations bactériennes mises en évidence à deux reprises, lesquelles expliquent le gonflement de flacons sous l'effet d'un processus de fermentation du contenu.
En outre, il ne ressort d'aucun document, pas même du seul cahier des charges produit, que ce changement d'emballage et la liste des fournisseurs des matières premières ont été imposés à la société intimée par la SAS Ederki, ce qui en tout état de cause ne dispensait pas la société Les Goûters Basques, professionnel de la fabrication de confitures, sauces et autres préparations alimentaires, de contrôler son processus de fabrication depuis la réception des intrans jusqu'au conditionnement du produit fini, afin de limiter les risques de prolifération bactérienne.
La responsabilité de la société Les Goûters Basques est ainsi engagée en application de l'article 1645 du code civil, aux termes duquel si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur, étant précisé que la SARL Les Goûters Basques, en sa qualité de vendeur professionnel de produits qu'elle fabrique, est tenue d'en connaître les vices.
Au regard de l'analyse qui précède, il n'y a pas lieu à partage de responsabilité et le jugement sera infirmé en ce sens.
Sur la réparation de l'entier préjudice de la société Ederki
Le tribunal de commerce a retenu trois postes de préjudice et rejeté le surplus des demandes de la société Ederki.
Il convient d'examiner ces demandes séparément.
Les frais de destruction de produits :
Le tribunal de commerce a rejeté la demande d'indemnisation des frais de destruction de produits, en estimant insuffisante la facture éditée par la société Ederki d'un montant de 11 235,20 euros TTC. A l'examen de cette facture, la cour constate qu'elle ne correspond pas à des frais de destruction proprement dits mais à la valeur de lots de flacons de sauces dont la société Ederki allègue la destruction sans en justifier, alors qu'en l'absence de référence aux numéros de lots défectueux il n'est pas possible d'établir que ces produits étaient affectés du vice caché précédemment retenu.
Cette demande est en conséquence rejetée.
Les frais de retrait des rayons des produits non conformes :
Ces frais, d'un montant de 5299,00 euros, sont évalués sur la base du quart du coût moyen mensuel d'un préposé commercial, par secteur de distribution, représentant le temps consacré pendant une semaine, par chaque commercial, aux démarches accomplies auprès des différents distributeurs pour procéder aux contrôles des produits suspects, sur site, et à leur retrait.
Le calcul soumis sur la base du tableau produit en pièce 5 de l'appelant est cohérent et il convient de faire droit à cette demande.
La perte de marge sur la gamme des produits défectueux :
S'agissant de la perte de marge, il est indéniable que le retrait des produits défectueux et la non-alimentation des rayons des distributeurs en produits de même type, dans l'attente de la résolution du problème posé, a entrainé pour la société Ederki une perte de chiffre d'affaires et une perte de marge par comparaison avec le chiffre d'affaires et la marge réalisés entre le mois de juin 2017 et le mois de juin 2018 dont son expert-comptable a attesté.
Toutefois, cette perte de marge, à partir du mois de juin 2018 et jusqu'à la remise en production des sauces concernées, avec un nouveau fabricant, n'est pas justifiée par une comptabilité analytique faisant ressortir la baisse ou l'absence de production vendue, par produit concerné, sur la période considérée.
Dans ces conditions, la cour évaluera l'indemnisation du préjudice en question sur la base de la marge réalisée entre le mois de juin 2017 et le mois de juin 2018, pour les produits listés sur le tableau annexé à la pièce 27, en limitant cette perte à une période de 15 mois qui paraît être un délai raisonnable de réorganisation de la chaine d'approvisionnement de la société Ederki, dans la gamme des produits affectés par le contentieux l'opposant à la société Les Goûters Basques.
Ce préjudice est en conséquence indemnisé selon le calcul suivant :
Chiffre d'affaires réalisé du mois de juin 2017 au mois de juin 2018 sur les produits en question, 47982,00 euros HT, soit 3691,00 euros HT par mois.
Taux de marge 45,86 %
Perte : 25390,38 euros (3691x 45,86 % x 15 mois).
Sur l'indemnisation du préjudice d'image de la société Ederki :
La société Ederki invoque la nécessité de mener une campagne de restauration de son image écornée auprès des distributeurs et consommateurs par le rappel et le retrait de produits non conformes.
Elle produit un devis de la société « Douze » d'un montant de 29544,00 euros TTC et 24620,00 euros HT pour « la création et le déploiement de la gamme sauce en tube Ederki » en indiquant qu'elle devra nécessairement avoir recours à cette campagne.
Toutefois, cette prestation de conseil porte sur un nouveau « packaging » des produits « sauce », en tube et non en flacon, et il n'est pas établi qu'elle soit une réponse à une perte d'image des produits « sauces en flacon squeeze » par suite des retraits opérés à partir de juin 2018.
En l'absence d'autre élément pertinent, le préjudice d'image sera exactement réparé à hauteur de la somme de 10 000,00 euros.
Sur les frais d'enlèvement et de remise en état des machines mises à la disposition de la société Les Goûters Basques :
Ces machines mises à la disposition de la société Les Goûters Basques, par la société Ederki, à l'origine de leurs relations commerciales, ont été récupérées par Ederki à ses frais et nécessitent des réparations selon le devis produit par l'appelante.
Le mélangeur broyeur présente un câble d'alimentation d'origine qui est sectionné avec risque de court-circuit, l'étanchéité du tableau de commande doit être refaite, une fiche d'alimentation non étanche et un contacteur défectueux doivent être changés. Les réparations sont chiffrées à 945,25 euros TTC.
L'afficheur de la thermo scelleuse est partiellement cassé mais son affichage fonctionne et est lisible. Son remplacement n'est pas justifié.
Comme le soutient la société Ederki, le fait pour une entreprise de mettre gratuitement à la disposition de son sous-traitant ou de son fournisseur des machines, pour s'en servir, à charge de les restituer aux termes des relations contractuelles, constitue un prêt à usage ou commodat régi par les dispositions de l'article 1875 du code civil.
A la rupture du contrat, le preneur doit restituer les machines prêtées et pendant l'exécution du contrat, il doit veiller à leur conservation.
Selon l'article 1884 du même code, si la chose se détériore par le seul effet de l'usage pour lequel elle a été empruntée, et sans aucune faute de la part de l'emprunteur, il n'est pas tenu de la détérioration.
En l'espèce, seul le remplacement du câble d'alimentation sectionné apparaît étranger à l'usage du mélangeur et résulter d'une faute de l'utilisateur.
En revanche, tel n'est pas le cas des autres postes de réparation dont il n'est pas établi qu'ils sont étrangers à l'usage normal de la machine mise à disposition de la société Les Goûters Basques.
Le coût d'enlèvement des machines, par suite de la dénonciation du contrat par la société Ederki, en conséquence des manquements de la société Les Goûters Basques, sera supporté par cette dernière.
Au total, ce poste de préjudice sera indemnisé à hauteur de la somme de 766,27 euros TTC, pour les frais d'enlèvement des machines, et pour 250,00 euros TTC, selon l'estimation de la cour, s'agissant du seul remplacement du câble d’alimentation du broyeur mélangeur, soit au total la somme de 1016,27 euros.
Les autres postes :
Pour le reste, c'est par une lecture exacte des pièces soumises à son appréciation et du droit des parties, que la cour fait sienne, que le tribunal a évalué l'indemnisation du préjudice résultant des pénalités appliquées par l'enseigne Système U, à 466,08 euros, les frais de laboratoire engagés par la société Ederki, pour l'analyse des produits non conformes, à 3990,20 euros, et le remboursement du prix de Piquillos bio fournis par Ederki et non restitués, pour 735,97 euros.
Au total, l'indemnité réparant le préjudice subi par la société Ederki est fixé à la somme de : 46897,90 euros (5299,00 euros + 25390,38 euros + 10 000,00 euros + 1016,27 euros + 466,08 euros + 3990,20 euros + 735,97 euros).
La société Les Goûters Basques est condamnée au paiement de cette somme, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
Sur les demandes reconventionnelles de la société Les Goûters Basques :
Le tribunal de commerce a condamné la société Ederki à payer à la société Les Goûters Basques le montant de quatre factures émises entre les mois d'août et novembre 2018, qui correspondent, contrairement à ce que soutient la société Ederki, à des marchandises livrées différentes des produits défectueux retirés de la vente.
Cette condamnation au paiement de la somme de 5556,70 euros est en conséquence confirmée.
En revanche, Il convient de rejeter la réclamation de la société Les Goûters Basques visant à obtenir le remboursement, par la société Ederki, du stock d'emballages, d'un montant de 16394,97 euros, et du stock de matières premières, d'un montant de 10924,00 euros, rendus inutilisables par suite de la rupture de leurs relations contractuelles.
En effet, la société Les Goûters Basques est responsable de la rupture du contrat passé avec la société Ederki, par suite de son incapacité à maîtriser le risque de prolifération bactérienne sur les sauces fabriquées pour son client, et son refus d'admettre sa garantie sur les produits défectueux.
Dans ces conditions et alors que la société Ederki a dû rechercher un nouveau fournisseur, et n'a pu commercialiser toute sa gamme de produits pendant de nombreux mois, elle ne saurait être tenue de racheter à la société Les Goûters Basques le stock des emballages et matières premières inutilisés par cette dernière à la suite d'une rupture de leurs relations d'affaires qui ne peut être imputée à faute à la société appelante.
Après compensation entre les créances réciproques des parties, la société Les Goûters Basques devra payer à la société Ederki la somme de 41341,20 euros (46897,90 euros - 5556,70 euros).
Sur les demandes annexes :
La société Les Goûters Basques qui succombe pour l'essentiel est condamnée au paiement des dépens de première instance et d'appel.
Au regard des circonstances de la cause et de la position respective des parties, l'équité justifie de condamner la société Les Goûters Basques à payer à la société Ederki une somme de 5000,00 euros au titre des frais non compris dans les dépens de l'entière procédure.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,
Infirme le jugement du tribunal de commerce de Bayonne en totalité,
Statuant à nouveau,
Juge que la société Les Goûters Basques détient sur la société Ederki une créance de factures impayées d'un montant de 5556,70 euros,
Juge que la garantie des vices cachés de la société Les Goûters Basques est engagée, ainsi que sa responsabilité dans le préjudice subi par la société Ederki, par suite de la défectuosité des flacons souples de sauces produits à partir d'octobre 2017.
Arrête à la somme de 46897,90 euros la créance indemnitaire de la société Ederki,
Après compensation des créances réciproques des parties,
Condamne la société les Goûters Basques à payer à la société Ederki la somme de 41341,20 euros, en réparation de son préjudice, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
Condamne la société Les Goûters Basques aux dépens de l'entière procédure,
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Les Goûters Basques à payer à la société Ederki une somme de 5000,00 euros au titre des frais non compris dans les dépens de l'entière procédure.
Le présent arrêt a été signé par Madame Jeanne PELLEFIGUES, Présidente, et par Madame Nathalène DENIS, greffière suivant les dispositions de l'article 456 du Code de Procédure Civile.