Livv
Décisions

Cass. com., 9 juin 2021, n° 18-21.940

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guérin

Rapporteur :

Mme Le Bras

Avocats :

Me Le Prado, SCP Le Bret-Desaché

Rennes, du 5 juin 2018

5 juin 2018

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 5 juin 2018), la société L'Emerillon a cédé le 23 juillet 2008 à la société Bati-First un fonds de commerce d'hôtel, bar et restaurant, pour un prix de 805 178 euros, payable comptant à concurrence de la somme de 640 178 euros et, à terme, au plus tard le 22 janvier 2009, à concurrence de 165 000 euros, le paiement étant garanti par un privilège de vendeur de fonds de commerce pris le 24 juillet 2008 et inscrit le 31 juillet suivant.

2. A la suite du redressement judiciaire de la société Bati-First, prononcé le 6 janvier 2010, la société L'Emerillon a déclaré sa créance d'un montant de 125 000 euros au titre du solde du prix de cession du fonds.

3. Le 24 avril 2014, la société L'Emerillon a assigné la société Klem's, la société Les 3 C et M. [K], en sa qualité de mandataire au redressement judiciaire de la société Les 3 C, afin de voir exercer son droit de suite sur le produit de la vente intervenue le 27 février 2013 entre la société Klem's et la société Les 3 C, soutenant que le fonds de commerce de restauration vendu par la première à la seconde était celui qu'elle-même avait vendu à la société Bati-First sans être intégralement payée du prix.

4. La société Klem's a été mise en liquidation judiciaire et M. [M] désigné liquidateur, cependant que la société L'Emerillon, dissoute, est représentée par son liquidateur amiable, M. [L].

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches, et sur le second moyen, ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

6. La société Klem's et M. [M], ès qualités, font grief à l'arrêt de dire que le privilège du vendeur grevant le fonds de commerce vendu par la société L'Emerillon à la société Bati-First devait produire ses effets sur le prix de cession du fonds de commerce de la société Klem's à la société Les 3 C, de dire que le prix de vente de ce fonds revenait à la société L'Emerillon à concurrence de sa créance qui s'élevait à la somme de 125 000 euros en capital sous réserve des intérêts au taux de 4,20 % l'an dus jusqu'au 22 janvier 2009 et au taux de 8 % passé cette date, et de fixer au passif de la société Klem's la créance déclarée par la société L'Emerillon à concurrence de la somme de 125 000 euros portant intérêts, alors « que le privilège du vendeur qui garantit chacun des prix distincts, établis pour les éléments incorporels du fonds, le matériel et les marchandises, ou ce qui en reste dû, s'exerce distinctement sur les prix respectifs de la revente afférents aux marchandises, au matériel et aux éléments incorporels du fonds ; que la cour d'appel, qui a dit que le prix de vente de ce fonds de commerce revenait à la société L'Emerillon à concurrence de sa créance qui s'élevait à la somme de 125 000 euros en capital sous réserve des intérêts, et a fixé en conséquence la créance de la société L'Emerillon, sans distinguer les éléments sur lesquels s'exerçait le privilège du vendeur, a violé l'article L. 141-5 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

7. La société L'Emerillon et M. [L], ès qualités, contestent la recevabilité du moyen. Ils soutiennent que la critique est incompatible avec la thèse développée en appel par la société Klem's et M. [M], ès qualités, en ce que le débat ne portait que sur le point de savoir si le fonds de commerce vendu par la société Klem's à la société Les 3 C était le fonds de commerce de restauration ayant appartenu à la société L'Emerillon et vendu par celle-ci à la société Bati-First, de sorte que la cour d'appel n'était saisie d'aucun litige sur le montant de la créance de la société L'Emerillon.

8. Cependant, la circonstance que la société Klem's et M. [M], ès qualités, n'aient pas discuté du montant de la créance de la société L'Emerillon, dont ils contestaient le principe même, ne rend pas le moyen incompatible avec la thèse développée en appel.

9. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 141-5 du code de commerce :

10. Selon ce texte, des prix distincts sont établis pour les éléments incorporels du fonds, le matériel et les marchandises. Le privilège du vendeur qui garantit chacun de ces prix, ou ce qui en reste dû, s'exerce distinctement sur les prix respectifs de la revente afférents aux marchandises, au matériel et aux éléments incorporels du fonds.

11. Pour dire que le privilège du vendeur grevant le fonds de commerce vendu par la société L'Emerillon à la société Bati-First devait produire ses effets sur le prix de cession du fonds de commerce de la société Klem's à la société Les 3 C, l'arrêt retient que le prix de revente de ce fonds revient à la société L'Emerillon à concurrence de sa créance de 125 000 euros en capital, outre les intérêts, et fixe au passif de la société Klem's la créance déclarée par la société L'Emerillon à concurrence de cette somme portant intérêts.

12. En statuant ainsi, sans distinguer les éléments sur lesquels s'exerçait le privilège du vendeur et, partant, le droit de suite, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le moyen, pris en sa septième branche

Enoncé du moyen

13. La société Klem's et M. [M], ès qualités, font le même grief à l'arrêt, alors « que le jugement d'ouverture de la procédure collective arrête le cours des intérêts légaux et conventionnels, ainsi que de tous intérêts de retard et majorations, à moins qu'il ne s'agisse des intérêts résultant de contrats de prêt conclus pour une durée égale ou supérieure à un an ou de contrats assortis d'un paiement différé d'un an ou plus ; que la cour d'appel, qui a fixé au passif de la société Klem's la créance déclarée par la société L'Emerillon à hauteur de la somme de 125 000 euros portant intérêts au taux de 4,20 % du 23 juillet 2008 au 22 janvier 2009 et au taux de 8 % ensuite, a violé l'article L. 622-28 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

14. La société L'Emerillon et M. [L], ès qualités, contestent la recevabilité du moyen. Ils soutiennent que la critique est incompatible avec la thèse développée en appel par la société Klem's et M. [M], ès qualités, en ce que ceux-ci n'ont jamais soutenu que le crédit vendeur était consenti pour une durée de moins d'un an, ni n'ont conclu sur la question des intérêts de la créance de la société L'Emerillon.

15. Cependant, la circonstance que la société Klem's et M. [M], ès qualités, n'aient pas discuté des intérêts de la créance de la société L'Emerillon, dont ils contestaient le principe même, ne rend pas le moyen tendant à contester les intérêts réclamés incompatible avec la thèse développée en appel.

16. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 622-28 du code de commerce :

17. Selon ce texte, le jugement d'ouverture arrête le cours des intérêts légaux et conventionnels, ainsi que de tous intérêts de retard et majorations, à moins qu'il ne s'agisse des intérêts résultant de contrats de prêt conclus pour une durée égale ou supérieure à un an ou de contrats assortis d'un paiement différé d'un an ou plus.

18. Pour statuer comme il fait, l'arrêt retient que le prix de cession du fonds de commerce de la société Klem's à la société Bati-First revient à la société L'Emerillon à concurrence de sa créance qui s'élève à la somme de 125 000 euros en capital, outre les intérêts au taux de 4,20 % dus du 23 juillet 2008 au 22 janvier 2009 et au taux de 8 % passé cette date, et fixe au passif de la société Klem's la créance déclarée par la société L'Emerillon à concurrence de cette somme portant intérêts.

19. En statuant ainsi, alors que le prix du fonds de commerce étant payable comptant le 23 juillet 2008 et le solde à terme au plus tard le 22 janvier 2009, ce dont il résultait que le crédit vendeur était d'une durée inférieure à un an, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il dit que le privilège du vendeur grevant le fonds de commerce vendu par la société L'Emerillon à la société Bati-First doit produire ses effets sur le prix de cession du fonds de commerce de la société Klem's à la société Les 3 C et que le prix de vente de ce fonds revient à la société L'Emerillon à concurrence de sa créance qui s'élève à la somme de 125 000 euros en capital à ce jour sous réserve des intérêts au taux de 4,20 % l'an dus jusqu'au 22 janvier 2009 et au taux de 8 % passé cette date, en ce qu'il fixe au passif de la société Klem's la créance déclarée par la société L'Emerillon à hauteur de la somme de 125 000 euros portant intérêts au taux de 4,20 % du 23 juillet 2008 au 22 janvier 2009 et au taux de 8 % ensuite, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 5 juin 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Angers.