Cass. com., 8 mars 2005, n° 03-11.647
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
Attendu, selon l'arrêt déféré (Paris, 13 mars 2002, rectifié par arrêt du19 juin 2002), que la société Les Parfumeries Fragonard (société Fragonard) est titulaire de la marque "Merveille", déposée le 8 juin 1990, pour désigner en classe 3 les produits suivants : "savons, parfumerie, huiles essentielles, cosmétiques, lotion pour les cheveux, dentifrices" ; que, le 15 avril 1991, la société Nuxe a déposé la marque "Merveillance" pour désigner divers produits en classes 3 et 25 ; qu'estimant que cette marque constituait la reproduction partielle de celle qu'elle avait antérieurement déposée, la société Fragonard, par courrier du 21 mai 1996, a demandé à la société Nuxe de procéder à la radiation de sa marque ; que, le 4 novembre 1998, la société Nuxe a limité le dépôt de sa marque en classe 3 aux crèmes hydratantes pour le visage ; que, par acte du 21 janvier 1999, la société Fragonard a assigné en nullité de la marque "Merveillance", en contrefaçon de sa marque "Merveille" et en dommages-intérêts, la société Nuxe qui a conclu à l'irrecevabilité de cette demande et a reconventionnellement sollicité la déchéance partielle des droits de la société Fragonard sur sa marque, à l'exception de la parfumerie ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Fragonard fait grief à l'arrêt d'avoir prononcé la déchéance partielle de ses droits sur sa marque "Merveille" pour les produits autres que la parfumerie, alors, selon le moyen :
1 / qu'après avoir constaté que la société Laboratoires Nuxe, qui justifiait son intérêt à demander la déchéance des droits de la société Parfumeries Fragonard sur la marque "Merveille" comme un moyen de défense à l'action en nullité et en contrefaçon dont elle faisait elle-même l'objet, avait restreint le dépôt de la marque "Merveillance" aux seules crèmes hydratantes pour le visage, ne pouvait considérer que la société Laboratoires Nuxe justifiait d'un intérêt à solliciter la déchéance de la marque "Merveillance" en ce qu'elle visait, outre les produits de parfumerie, les savons, les huiles essentielles, les cosmétiques en général, les lotions pour les cheveux et les dentrifrices ; qu'en prononçant la déchéance partielle des droits de la société Parfumeries Fragonard sur sa marque pour les produits qui précèdent, la cour d'appel a méconnu la portée juridique de ses propres constatations et violé les articles L. 714-5 du Code de la propriété intellectuelle et 31 du nouveau Code de procédure civile ;
2 / que la cour d'appel ne pouvait considérer que la société Laboratoires Nuxe justifiait d'un intérêt à demander la déchéance partielle des droits de la société Parfumeries Fragonard sur sa marque "Merveille" en ce qu'elle visait les produits autres que la parfumerie sans s'expliquer, comme elle y était invitée, sur la similarité des produits visés par la marque "Merveillance" de la société Laboratoires Nuxe avec les produits de la parfumerie, ni rechercher si, de ce fait, la demande de déchéance n'était pas inopérante comme n'apportant aucun obstacle à l'action en nullité et en contrefaçon exercée par la société Parfumeries Fragonard ; que faute d'avoir procédé à cette recherche, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles L. 714-5 du Code de la propriété intellectuelle et 31 du nouveau Code de procédure civile ;
3 / qu'après avoir déclaré irrecevable l'action en nullité ou en contrefaçon exercée par la société Parfumeries Fragonard contre la société Laboratoires Nuxe en raison du dépôt par celle-ci de la marque "Merveillance", d'où il résultait que la société Laboratoires Nuxe n'avait en définitive aucun intérêt à solliciter, comme moyen de défense à l'action en nullité et en contrefaçon, la déchéance des droits de la société Parfumeries Fragonard sur sa marque "Merveille", la cour d'appel ne pouvait prononcer la déchéance partielle des droits de la société Parfumeries Fragonard sur cette marque sans violer les articles L. 714-5 du Code de la propriété intellectuelle et 31 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que c'est par une appréciation souveraine que la cour d'appel a constaté que les crèmes hydratantes pour le visage, objet du dépôt de la marque "Merveillance", relevaient du même secteur d'activité que les produits désignés dans le dépôt de la marque "Merveille", exception faite de la parfumerie, et en a déduit que la société Nuxe avait qualité à agir en déchéance partielle des droits de la société Fragonard sur la marque "Merveille", peu important que cette demande ait été présentée en défense à une action en nullité ou contrefaçon déclarée par ailleurs irrecevable ; que le moyen, inopérant en sa deuxième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Et sur les deuxième et troisième moyens, réunis :
Attendu que la société Fragonard reproche encore à l'arrêt de l'avoir déclarée irrecevable à agir en nullité de la marque "Merveillance" et en contrefaçon de sa propre marque, alors, selon le moyen :
1 / que le titulaire d'un droit antérieur ne se trouve privé du droit d'agir en nullité de marque et en contrefaçon que lorsqu'il a toléré pendant cinq ans l'usage de la marque qu'il conteste ; qu'est exclusif de cette tolérance tout acte positif, quelle qu'en soit la forme, démontrant de la part du titulaire de droits antérieurs la volonté non équivoque de s'opposer à l'usage de la marque qu'il conteste ; qu'en considérant que le délai de tolérance de cinq ans avait le caractère d'un délai de prescription ou d'un délai pour agir, que seule la délivrance d'une citation en justice ou d'un commandement aurait pu interrompre, et en refusant de faire produire aucun effet à la mise en demeure adressée le 21 mai 1996 par la société Parfumeries Fragonard à la société Laboratoires Nuxe, par lettre recommandée avec accusé de réception, de procéder à la radiation de la marque "Merveillance" constituant la reproduction partielle de sa marque "Merveille", la société Parfumeries Fragonard ayant manifesté ainsi clairement sa volonté de s'opposer à l'usage de la marque contestée, la cour d'appel a violé, par refus d'application, les articles L. 714-3, alinéa 3, L. 716-5, alinéa 4, du Code de la propriété intellectuelle, 9 de la Directive du Conseil des Communautés européennes du 21 décembre 1988 et, par fausse application, l'article 2244 du Code civil ;
2 / que celui qui a déposé une marque de mauvaise foi ne peut, pour se soustraire à l'action en nullité de cette marque ou à l'action en contrefaçon exercée par le titulaire de droits antérieurs, se prévaloir de la tolérance pendant cinq ans de l'usage de la marque ; que, pour exclure la mauvaise foi de la société Laboratoires Nuxe, qui, dix jours après le refus exprimé par la société Parfumeries Fragonard de tout dépôt de la marque "Merveille" pour désigner les cosmétiques, avait déposé la marque "Merveillance" pour désigner le même produit, la cour d'appel ne pouvait se borner à énoncer que, devant le refus opposé, la société Laboratoires Nuxe avait renoncé à son dépôt et déposé le signe disponible "Merveillance" sans s'expliquer sur les raisons qui autorisaient la société Laboratoires Nuxe à considérer que la marque "Merveillance", qui constituait comme la précédente la reproduction partielle de la marque "Merveille", ne portait pas atteinte aux droits antérieurs de la société Parfumeries Fragonard, privant ainsi sa décision de toute base légale au regard des articles L. 714-3, L. 716-5 du Code de la propriété intellectuelle et 9 de la Directive du Conseil des Communautés européennes du 21 décembre 1988 ;
Mais attendu, en premier lieu, que c'est par une appréciation souveraine que la cour d'appel a retenu que la société Nuxe n'avait pas agi de mauvaise foi lors du dépôt de la marque "Merveillance" ;
Attendu, en second lieu, que la cour d'appel a fait à bon droit application des dispositions de l'article 2244 du Code civil ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Les Parfumeries Fragonard aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Les Parfumeries Fragonard à payer à la société Laboratoires Nuxe la somme de 2 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du huit mars deux mille cinq.