CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 17 octobre 2019, n° 17/04387
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
LISBONIS CHAUX GRASSES - LCG (SARL)
Défendeur :
DISTRIBAT (SARL), CALIXTONE (SARL), ETABLISSEMENTS CALIXTONE (SARL)
FAITS ET PROCÉDURE
La société CALIXTONE, spécialisée dans la vente et l'importation-exportation de produits du bâtiment, a déposé le 29 mars 2004 auprès de l'Institut National de la Propriété Industrielle la marque verbale CALIXTONE en classe 19. Elle indique avoir cédé cette marque à la société ETABLISSEMENTS CALIXTONE le 8 septembre 2004 pour un euro symbolique.
Suivant acte en date du 14 décembre 2009, la société ETABLISSEMENTS CALIXTONE a cédé à la société DISTRIBAT un fonds de commerce, la cession comprenant le nom commercial et la marque CALIXTONE.
Les deux cessions de la marque CALIXTONE ont été publiées au Bulletin Officiel de la Propriété Intellectuelle (BOPI) le 27 novembre 2014.
La société LISBONIS CHAUX GRASSES (ci après société LCG), entreprise spécialisée dans la fabrication de mortiers et bétons secs, a déposé auprès de l'Institut National de la Propriété Industrielle le 28 septembre 2009 les marques semi-figuratives ALPHACAL, TEMPERAH, CALISTONE et MINERAH en classe 19 pour désigner notamment des matériaux de construction non métalliques.
Par acte en date du 4 septembre 2014, la société LCG a fait assigner la société DISTRIBAT devant le tribunal de grande instance de MARSEILLE en contrefaçon de ses marques CALISTONE et MINERAH et en concurrence déloyale.
Le 10 août 2015, la société DISTRIBAT a déposé auprès de l'Institut National de la Propriété Industrielle la marque verbale CALIXTONE.
Suivant jugement en date du 19 janvier 2017, le tribunal a débouté la société LCG de l'ensemble de ses demandes et faisant droit partiellement aux demandes reconventionnelles, a annulé l'enregistrement des marques CALISTONE et MINERAH, a condamné la société LCG à verser à la société CALIXTONE et à la société DISTRIBAT la somme globale de 20 000 € en réparation du préjudice lié à la contrefaçon de la marque CALIXTONE, outre 5 000 € pour procédure abusive et 5 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et a ordonné à la société LCG de cesser tout usage du signe CALISTONE sous astreinte de 200 € par infraction constatée.
La société LCG a interjeté appel de cette décision par déclaration enregistrée au greffe le 8 mars 2017.
Le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture des débats par ordonnance en date du 2 septembre 2019 et a renvoyé l'examen de l'affaire à l'audience du 9 septembre 2019.
A l'appui de son appel, par conclusions déposées le 21 septembre 2017, la société LCG conclut en premier lieu à l'absence de l'antériorité invoquée par la société DISTRIBAT du fait de l'existence de la marque CALIXTONE. Elle invoque pour cela :
- l'absence de droit de la société DISTRIBAT sur la marque CALIXTONE, déposée par une société CALIXTONE sans activité depuis plus de sept ans.
- le défaut de renouvellement de la marque CALIXTONE et donc l'absence de protection depuis le 30 mars 2014.
- l'absence d'acte de cession écrit de la marque par la société CALIXTONE au profit de la société DISTRIBAT, les cessions invoquées étant en toute hypothèse inopposables avant le 27 novembre 2014 et les pièces versées n'établissant pas la réalité de la cession antérieurement à cette date.
- la déchéance de la marque pour défaut d'usage sérieux, la société titulaire étant sans activité depuis sept ans au moment de la cession intervenue le 27 novembre 2014.
Sur la demande en nullité de la marque pour dépôt frauduleux, la société LCG invoque la forclusion par tolérance, rien ne permettant d'affirmer qu'elle-même connaissait la marque CALIXTONE ou le nom de domaine www.calixtone.com, et ce alors que de son coté la société DISTRIBAT ne pouvait ignorer la marque déposée CALISTONE. Elle affirme que le délai de cinq ans prévu par l'article L 714-3 du Code de la propriété intellectuelle est un délai de forclusion, et non de prescription, et qu'en conséquence ce délai est prescriptible et ne peut se voir appliquer la règle selon laquelle l'exception survit à l'action. Elle invoque l'irrecevabilité de la demande en nullité pour défaut de justification des droits par les intimés sur la marque CALIXTONE, et sur le fond l'absence de notoriété du nom de domaine, absence résultant notamment du prix de cession fixé. Au vu de ces éléments, la société LCG conclut à l'infirmation de la décision ayant prononcé la nullité de la marque CALISTONE.
La marque CALISTONE étant déclarée valide, l'utilisation du signe CALIXTONE devrait être considérée comme contrefaisant.
Sur la contrefaçon de la marque MINERAH, la société LCG indique que :
- ce signe ne peut être considéré comme une désignation générique ou nécessaire au sens de l'article L 711-2 du Code de la propriété intellectuelle, ni une désignation d'une caractéristique des produits et la décision ayant annulé la marque pour défaut de distinctivité devrait être annulée.
- l'utilisation du signe MINERA par les intimées constituerait une contrefaçon de la marque MINERAH.
Les agissements de la société DISTRIBAT constitueraient non seulement une contrefaçon de marques, mais aussi des actes de concurrence déloyale de parasitisme et des actes générant une confusion dans l'esprit du public sur l'origine des produits.
Sur la nouvelle marque CALIXTONE déposée le 10 août 2015, la société LCG conclut à sa nullité en faisant observer que le point de départ du délai de forclusion de cinq ans ne peut être antérieur au dépôt du signe contesté.
La société LCG chiffre son préjudice sur le fondement de différents documents comptables et invoque un préjudice moral.
Sur les demandes reconventionnelles en nullité des marques CALISTONE et MINERAH, elle invoque la forclusion par tolérance et le défaut de qualité à agir des sociétés intimées. Elle estime non fondées et argumentées les demandes reconventionnelles en dommages intérêts.
La société LCG conclut en conséquence à l'infirmation de l'intégralité du jugement et demande à la cour de :
DIRE ET JUGER que la marque « CALIXTONE » n'existe plus depuis le 30 mars 2014 à défaut d'avoir été renouvelée ;
DIRE ET JUGER que la société DISTRIBAT n'a jamais disposé d'aucun droit sur la marque « CALIXTONE » enregistrée en 2004 ;
DIRE ET JUGER que la société DISTRIBAT ne saurait prévaloir d'un quelconque droit antérieur lors de l'enregistrement, par la société LCG, de la marque CALISTONE le 28 septembre 2009 ;
DIRE ET JUGER que la société ETABLISSEMENT CALIXTONE n'a jamais disposé d'aucun droit sur la marque « CALIXTONE » enregistrée en 2004 ;
DIRE ET JUGER que faute d'en avoir fait un usage sérieux, la société CALIXTONE doit être déchue de ses droits sur la marque « CALIXTONE » enregistrée en 2004 ;
DIRE ET JUGER que les demandes d'annulation des marques « CALISTONE » et
« MINERAH » sont irrecevables, et qu'elles sont, au surplus, infondées et injustifiées ;
DIRE ET JUGER qu'en exploitant sans autorisation le signe « CALIXTONE » dans le cadre de ses activités commerciales à titre de nom commercial et de nom de domaine, la société DISTRIBAT s'est rendue coupable de contrefaçon par imitation de la marque française « CALISTONE » n° 3679438 ;
DIRE ET JUGER qu'en exploitant sans autorisation le signe « MINERA » dans le cadre de ses activités commerciales en les apposant sur ses produits afin de désigner une gamme d'enduit, la société DISTRIBAT s'est rendue coupable de contrefaçon par imitation de la marque française « MINERAH » n° 3679440 ;
DIRE ET JUGER que la société DISTRIBAT crée une confusion dans l'esprit du public sur l'origine des produits qu'elle vend et distribue, et qui sont des produits concurrents de ceux de la société LCG, et se rend coupable de concurrence déloyale et parasitaires ;
DIRE ET JUGER que l'action en contrefaçon engagée à l'encontre de la société DISTRIBAT n'est pas forclose ;
DIRE ET JUGER que l'action en concurrence engagée à l'encontre de la société DISTRIBAT n'est pas prescrite ;
En conséquence :
INFIRMER le jugement du Tribunal de Grande Instance du 19 janvier 2017 en toutes ses dispositions
Et statuant à nouveau :
ANNULER la nouvelle marque « CALIXTONE » déposée le 10 août 2015 par la société DISTRIBAT ;
ORDONNER à la société DISTRIBAT d'avoir à cesser tout usage, à quelque titre que ce soit, sur quelque support que ce soit, des signes « CALIXTONE » et « MINERA » ou de tout signe similaire, seul ou en combinaison avec d'autres termes, lettres, chiffres, logos, et notamment tout usage à titre de nom commercial, d'enseigne ou de nom de domaine, et ce, sous astreinte de 5.000 € par infraction constatée, passé un délai de 15 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;
CONDAMNER la Société DISTRIBAT de procéder, sous astreinte de 5.000 € par jour de retard, passé le délai de 15 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, au transfert du nom de domaine « calixtone.com » ;
AUTORISER en tant que de besoin, la société LCG à notifier l'arrêt à intervenir entre les mains du Bureau d'enregistrement du nom de domaine en charge de la gestion du nom de domaine en cause à l'effet de procéder, en cas de carence de la société DISTRIBAT ;
ORDONNER la publication de l'arrêt à intervenir, en entier ou par extraits, dans trois journaux ou sites internet au choix de la société LCG et aux frais avancés de la société DISTRIBAT.
CONDAMNER la société DISTRIBAT à payer à la société LCG la somme de 150.000 € sauf à parfaire, en réparation du préjudice matériel résultant des conséquences négatives de la contrefaçon, outre 20.000 € en réparation de son préjudice moral ;
CONDAMNER la société DISTRIBAT à payer à la société LCG la somme de 50.000 €, sauf à parfaire en réparation du préjudice matériel subi, du fait des actes de concurrence déloyale et parasitaire ;
DÉBOUTER les sociétés intimées de l'ensemble de leur demandes fins et prétentions, et notamment de leurs demandes reconventionnelles visant à voir annuler les marques « CALISTONE » et « MINERAH » enregistrées par la société LCG le 28 septembre 2009;
CONDAMNER les sociétés intimées à payer à la société LCG la somme de 7.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens distraits au profit de Me Michel R., sur son affirmation de droit.
Les sociétés DISTRIBAT, CALIXTONE et ETABLISSEMENTS CALIXTONE, par conclusions en date du 1er août 2019, demandent à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a annulé l'enregistrement des marques CALISTONE et MINERAH.
Sur la marque CALIXTONE, elles affirment que celle ci a été exploitée du jour de son dépôt au jour de sa cession à la société DISTRIBAT par acte enregistré le 14 décembre 2009, cession conforme aux disposions de l'article L 714-1 du Code de la propriété intellectuelle. Le nom de domaine www.calixtone.com aurait été de même exploité dès sa création en 2005. La circonstance que les transferts de propriété n'ont été publiés que le 27 novembre 2014 serait sans incidence sur l'effectivité de l'exploitation et donc sur la validité de la marque.
La marque CALIXTONE étant antérieure au dépôt de la marque CALISTONE, ainsi que la création du nom de domaine, le jugement ayant prononcé la nullité de la marque seconde devrait être confirmé.
Sur le moyen tiré de la forclusion par tolérance, les sociétés intimées reprennent à leur compte les arguments invoqués par la société appelante relatifs à la connaissance de la marque.
Sur le défaut de renouvellement de la marque CALIXTONE, les sociétés intimées rappellent que cette circonstance est sans effet sur l'appréciation de la validité de la marque CALISTONE au moment de son dépôt. Elles soutiennent que leur marque a été exploitée sans discontinuité depuis 2004 comme l'établirait la production de factures et attestations comptables.
Elles précisent avoir déposé à nouveau la marque CALIXTONE le 10 août 2015 et que l'Institut National de la Propriété Industrielle a sursis à statuer sur l'opposition formée par la société LCG dans l'attente du résultat de la présente procédure.
Sur la marque MINERAH, les sociétés DISTRIBAT, CALIXTONE et ETABLISSEMENTS CALIXTONE concluent que cette marque est dépourvue de toute distinctivité dès lors qu'il s'agit de désigner des produits composés de matériaux minéraux. Elles reprennent notamment sur ce point le raisonnement des premiers juges et concluent en conséquence à la confirmation de la décision ayant débouté la société LCG de sa demande en contrefaçon.
Concernant l'action en concurrence déloyale, elle devrait être jugée non fondée dès lors que les actions en contrefaçon sont écartées et qu'en toute hypothèse les demandes sont en réalité le même fondement.
Subsidiairement, les sociétés DISTRIBAT, CALIXTONE et ETABLISSEMENTS CALIXTONE contestent l'évaluation du préjudice formée par la société appelante, tant en ce qui concerne le préjudice financier que le préjudice moral.
Reconventionnellement, les sociétés intimées demandent à la cour de confirmer l'annulation de la marque CALISTONE, celle ci ayant été déposée frauduleusement dans le but de créer une confusion avec la marque antérieure CALIXTONE, et en ce qu'il a constaté l'existence d'une contrefaçon. De même, la marque MINERAH devrait être annulée en raison de son caractère distinctif. Les sociétés concluent en revanche à une majoration des astreintes et des dommages intérêts.
A titre très subsidiaire, les sociétés DISTRIBAT, CALIXTONE et ETABLISSEMENTS CALIXTONE invoquent à l'encontre des demandes formées par la société LCG la forclusion par tolérance et la prescription des demandes en dommages intérêts.
Au terme de ces conclusions, les sociétés DISTRIBAT, CALIXTONE et ETABLISSEMENTS CALIXTONE demandent à la cour de :
CONFIRMER le jugement en ce qu'il a :
o DÉBOUTE la Société « LISBONIS CHAUX GRASSES » de l'ensemble de ses demandes ;
o DÉCLARÉ recevable l'action en nullité de la marque« CALISTONE » formée par les sociétés « CALIXTONE,ETABLISSEMENTS CALIXTONE et DISTRIBAT » ;
o DIT que la demande en nullité de la marque « CALISTONE » formée par les sociétés CALIXTONE, ETABLISSEMENTS CALIXTONE et DISTRIBAT n'est pas forclose ;
o DIT que la marque « CALIXTONE » déposée le 29 Mars 2004 ne fait l'objet d'aucune déchéance ;
o ANNULE l'enregistrement des marques « CALISTONE » n°3679438 et « MINERAH » n°3679440 en date du 28 Septembre 2009 par la société LISBONIS CHAUX GRASSES auprès de l'Institut national de la propriété industrielle ;
o CONDAMNE la Société « LISBONIS CHAUX GRASSES » à verser aux Sociétés CALIXTONE, ETABLISSEMENTS CALIXTONE et DISTRIBAT la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens
CONFIRMER le principe du jugement mais INFIRMER pour le surplus et STATUANT DE NOUVEAU sur le montant des astreintes et préjudices :
o ORDONNER à la Société « L.C.G » d'avoir à cesser tout usage, à quelque titre que ce soit, sur quelque support que ce soit, du signe « CALISTONE » ou de tout signe similaire, seuls ou en combinaison avec d'autres termes, lettres, chiffres, logos et notamment tout usage à titre de nom commercial, d'enseigne ou de nom de domaine, et ce, sous astreinte de 5.000 Euros par infraction constatée, passé un délai de 15 jours à compter de la signification du jugement à intervenir ;
o CONDAMNER la Société « LISBONIS CHAUX GRASSES » à verser aux Sociétés CALIXTONE, ETABLISSEMENTS CALIXTONE et DISTRIBAT la somme de CENT QUATRE-VINGT MILLE EUROS (180.000 euros) en réparation du préjudice matériel résultant des actes de contrefaçon ;
o CONDAMNE la Société « LISBONIS CHAUX GRASSES » à verser aux Sociétés CALIXTONE, ETABLISSEMENTS CALIXTONE et DISTRIBAT la somme de VINGT MILLE EUROS (20.000 Euros) en réparation du préjudice moral résultant des actes de contrefaçon ;
o CONDAMNER la Société « L.C.G » à payer aux Sociétés « CALIXTONE », « ETABLISSEMENTS CALIXTONE » et « DISTRIBAT », la somme de CINQUANTE MILLE EUROS (50.000 Euros) en réparation du préjudice subi du fait de la procédure abusive ;
o CONDAMNER la Société « L.C.G » à payer aux Sociétés « CALIXTONE », « ETABLISSEMENTS CALIXTONE » et « DISTRIBAT », la somme supplémentaire de SEPT MILLE EUROS (7.000 Euros) sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de la procédure d'appel.
Sur la validité de la marque antérieure CALIXTONE
La validité d'une marque antérieure invoquée à l'appui d'une action en contrefaçon ou en nullité de la marque ultérieurement déposée doit être appréciée non au jour où l'action est introduite, mais à la date de dépôt de la seconde marque litigieuse ; la marque CALIXTONE a été régulièrement déposée le 29 mars 2004 et à la date de dépôt de la marque CALISTONE le 28 septembre 2009, elle ne devait pas faire encore l'objet d'un renouvellement ; l'argument soulevé par la société LCG en raison du défaut de renouvellement sera en conséquence écarté.
La société DISTRIBAT verse aux débats un courrier en date du 8 septembre 2004 par lequel la société CALIXTONE, propriétaire de la marque CALIXTONE, informait l'Institut National de la Propriété Industrielle de la cession de cette marque au profit de la société ETABLISSEMENTS CALIXTONE moyennant le paiement de l'euro symbolique ; l'article L 714-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que tout transfert de propriété doit être constaté par écrit à peine de nullité ; cette nullité n'étant pas édictée dans le seul intérêt du cédant et du cessionnaire, elle peut être invoquée par un tiers ayant un intérêt à la soulever ; si l'écrit exigé par ce texte est en principe constitué par un contrat, cession particulière, licence d'exploitation ou cession de fondde commerce, aucune exigence légale n'est imposée sur ce point comme l'ont relevé les premiers juges, l'obligation d'un écrit ayant pour seul but de permettre au tiers de connaître l'identité du titulaire du droit de la marque ; en l'espèce, il convient de retenir que le gérant de la société cédante, la société CALIXTONE, et de la société cessionnaire, la société ETABLISSEMENTS CALIXTONE était une même personne, ce qui était de nature à expliquer l'absence de contrat ; dès lors, à bon droit, les premiers juges ont considéré que la lettre en date du 8 septembre 2004 constituait un écrit au sens de l'article L 714-1 du Code de la propriété intellectuelle faisant foi de la cession de la marque ; la cession de la marque entre la société ETABLISSEMENTS CALIXTONE et la société DISTRIBAT est, elle, expressément stipulée dans l'acte de cession du fonds de commerce en date du 14 décembre 2009 et ne peut par ailleurs faire l'objet d'une contestation concernant son mode de preuve.
Il sera retenu en conséquence, que comme l'a jugé le tribunal, la marque CALIXTONE était valide au moment du dépôt par la société LCG de la marque CALISTONE.
Sur l'opposabilité de la marque CALIXTONE à l'égard de la société LCG
L'article L 714-7 du Code de la propriété intellectuelle dispose que toute transmission ou modification des droits attachés à une marque doit, pour être opposable aux tiers, être inscrite au registre national des marques.
Il résulte de la notice complète fournie par l'Institut National de la Propriété Industrielle que la transmission de la marque CALIXTONE par la société CALIXTONE puis par la société ETABLISSEMENT CALIXTONE ont été toutes deux publiées au BOPI le 27 novembre 2014 ; cette transmission n'était en conséquence opposable par la société DISTRIBAT à la société LCG qu'à compter de cette date ; cette inopposabilité est cependant sans incidence sur la validité de la marque elle-même, et ne peut être invoquée que pour contester le droit à agir en protection de celui qui se prétend titulaire de la marque ; il est dès lors sans effet de constater qu'au jour où elle-même a déposé la marque CALISTONE, il ne pouvait être opposé à la société DISTRIBAT l'acte de cession de la marque CALIXTONE, dès lors qu'au jour où le litige a été examiné par la juridiction de première instance, cette société DISTRIBAT était bien titulaire de la marque selon des actes régulièrement publiés.
Sur la déchéance de la marque CALIXTONE pour défaut d'usage sérieux
Les factures versées aux débats, mais aussi les bons de commande de documents publicitaires, démontrent qu'à compter de 2004, les établissements CALIXTONE puis la société DISTRIBAT ont fait un usage sérieux du signe CALIXTONE, notamment par l'usage dans leur nom de domaine du terme 'calixtone.com' ou par l'apposition du terme calixtone dans les en tête de factures ; le fait que la société CALIXTONE ait été sans activité depuis sept ans au jour de la cession est sans effet sur ce constat ; il convient dès lors de confirmer le jugement ayant débouté la société LCG de sa demande en déchéance.
Sur la nullité de la marque CALISTONE
Le titulaire d'un droit antérieur peut agir en nullité sur le fondement de l'article L 711-4 du Code de la propriété intellectuelle dans le délai de forclusion par tolérance de cinq années édicté par le dernier alinéa de l'article L 714-3, sauf le cas où la marque seconde a été déposée de mauvaise foi ; ce délai de forclusion s'applique que la demande en nullité soit formée sous forme d'action, ou d'exception ; son point de départ est constitué par le jour où le titulaire de la marque antérieure a connu, ou aurait dû connaître, l'existence de la seconde marque enregistrée.
En l'espèce, la marque CALISTONE a été déposée par la société CALIXTONE le 28 septembre 2009 ; il n'existe aucun élément permettant de penser que la société DISTRIBAT a eu connaissance de ce dépôt, et la société LCG n'apporte aucun élément qui établirait que la notoriété de sa marque a été telle que la société DISTRIBAT ne pouvait en ignorer l'existence avant le 4 septembre 2014, date à laquelle elle a fait assigner son concurrent en contrefaçon ; il y a dès lors lieu d'écarter la forclusion par tolérance invoquée par la société DISTRIBAT.
La similitude phonétique, visuelle et conceptuelle entre les signes CALIXTONE et CALISTONE n'est ni discutée, ni au demeurant discutable ; il convient en outre de retenir que les deux marques ont été déposées pour désigner des produits similaires, ce qui rend le risque de confusion incontestable ; il convient dès lors de confirmer le jugement ayant sur le fondement de l'article L 711-4 annulé la marque CALISTONE déposée en fraude des droits de la société DISTRIBAT sur la marque CALIXTONE.
Sur la nullité de la marque MINERAH
En application de l'article L 711-2 du Code de la propriété intellectuelle, sont dépourvus de caractère distinctif les signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel, sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service, ou encore les signes et dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service, notamment l'espèce, la qualité, la quantité ou la destination.
La marque MINERAH a été déposée pour désigner des matériaux de construction non métallique ; le signe MINERAH renvoie manifestement au mot minéral, et évoque à ce titre indubitablement pour les professionnels du bâtiment des produits contenant des minéraux ou ayant un aspect minéral ; cette évocation est cependant très générale, tout particulièrement dans le secteur de la construction, et il ne peut dès lors être considéré que le signe est une désignation nécessaire pour les professionnels ; si la société DISTRIBAT verse des extraits de site internet établissant l'existence de produits désignés sous le terme MINERA, il convient de retenir que ces produits sont en réalité des instruments de cuisine, et donc sans rapport avec le secteur du bâtiment ; il n'est donc nullement établi que le terme MINERA soit une désignation nécessaire ou usuelle d'un certain type de matériaux de construction ; de même, l'évocation du caractère minéral ne peut être considérée comme désignant une caractéristique essentielle du produit désigné, l'utilisation de minéraux dans la composition des produits ou l'apparence minérale en matière de produits de construction étant en matière d'une grande banalité.
Au vu de cette analyse, il convient d'infirmer la décision ayant prononcé la nullité de la marque MINERAH.
Sur la contrefaçon de la marque CALIXTONE déposée le 29 mars 2004.
Ainsi qu'il a été indiqué plus haut, la similitude entre les signes CALIXTONE et CALISTONE est incontestable ; en déposant la marque CALISTONE puis en utilisant cette dénomination, la société LCG a commis des actes de contrefaçon de la marque antérieure, et ce jusqu'à la date de validité de cette dernière, soit le 29 mars 2014 ; en raison de la durée de période de contrefaçon, et au vu du seul élément comptable versé aux débats, à savoir le chiffre d'affaire de la société LCG entre 2009 et 2014, il convient de confirmer le jugement ayant fixé forfaitairement le préjudice subi du fait de la contrefaçon à la somme de 20 000 €.
Sur la contrefaçon de la marque MINERAH
Les pièces versées aux débats démontrent que la société DISTRIBAT a commercialisé une gamme de ses produits sous l'appellation MINERA et a utilisé cette même appellation pour désigner un enduit de chaux ; le signe MINERA est phonétiquement, visuellement et conceptuellement similaire à la marque MINERAH, et ce alors que les produits concernés sont les mêmes ; il existe un risque manifeste de confusion pour les professionnels et consommateurs souhaitant acquérir les produits en question ; il convient dès lors de juger qu'en usant du signe MINERA, la société DISTRIBAT a contrefait la marque MINERAH déposée le 28 septembre 2009 par la société LCG ; il sera fait droit en conséquence à la demande en interdiction formée par cette dernière.
Les pièces versées aux débats n'étant pas datées, la durée d'utilisation du terme MINERA par la société DISTRIBAT n'est pas connue ; de même, aucune pièce ne permet de connaître le nombre de produits commercialisés sous cette appellation, ni les répercussions négatives éventuellement rencontrées par la société LCG ; le préjudice résultant de la contrefaçon étant cependant certain en son principe, la demande en dommages intérêts présentée par la société LCG sera reçue en son principe, et le quantum sera fixé de manière forfaitaire à la somme de 5000 €.
Sur la nullité de la marque CALIXTONE déposée le 10 août 2015
La marque CALISTONE déposée le 28 septembre 2009 par la société LCG étant déclarée nulle, le dépôt de la marque CALIXTONE par la société DISTRIBAT le 10 août 2015 ne se heurte à aucun droit antérieur ; il n'y a dès lors pas lieu de faire droit à la demande en nullité de cette marque CALIXTONE formée par la société LCG.
Sur la demande en concurrence déloyale
Aucun fait distinct de la contrefaçon de la marque MINERAH n'étant établi à l'encontre de la société DISTRIBAT, il convient de confirmer la décision ayant rejeté les demandes formées au titre de la concurrence déloyale.
Sur les demandes accessoires
En raison de l'infirmation partielle de la décision, et du fait qu'en conséquence la demande en contrefaçon formée initialement par la société LCG est accueillie pour l'une des deux marques contestées, la procédure intentée par cette société ne peut être considérée comme abusive ; la décision l'ayant condamnée à des dommages intérêts sera en conséquence infirmée.
La publication du présent arrêt, au vu de la solution donnée au litige, n'apparaît pas être de l'intérêt de l'une quelconque des parties.
Les circonstances de l'espèce imposent de confirmer la décision ayant condamnée la société LCG à verser en première instance une somme de 5 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, mais de ne pas condamner l'une quelconque des parties sur ce fondement en cause d'appel ; les dépens seront mis à la charge de la partie appelante.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
- CONFIRME le jugement du tribunal de grande instance de MARSEILLE en date du 19 janvier 2017 dans l'intégralité de ses dispositions, sauf en ce qu'il a annulé l'enregistrement de la marque MINERAH, a débouté la société LISBONIS CHAUX GRASSE de ses demandes au titre de la contrefaçon de cette marque et l'a condamnée eu paiement de dommages intérêts pour procédure abusive.
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,
- DÉBOUTE la société DISTRIBAT, CALIXTONE et ETABLISSEMENTS CALIXTONE de leur demande en nullité de la marque MINERAH déposée le 28 septembre 2009 par la société LISBONIS CHAUX GRASSES.
- ORDONNE à la société DISTRIBAT d'avoir à cesser tout usage, à quelque titre que ce soit, sur quelque support que ce soit, du signe MINERA ou de tout signe similaire sous astreinte provisoire de 200 € par infraction constatée passé un délai de 15 jours à compter de la signification du présent arrêt.
- CONDAMNE la société DISTRIBAT à verser à la société LISBONIS CHAUX GRASSES la somme de 5 000 € à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la contrefaçon de la marque MINERA.
- DÉBOUTE les sociétés DISTRIBAT, CALIXTONE et ETABLISSEMENTS CALIXTONE de leur demande en dommages intérêts pour procédure abusive.
Ajoutant à la décision déférée,
- DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes.
- MET l'intégralité des dépens à la charge de la société LISBONIS CHAUX GRASSES, dont distraction au profit des avocats à la cause