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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 13 avril 2022, n° 21/12002

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

GOURMIBOX (S.A.S)

Défendeur :

GASTRON'HOME S.L. (Sté)

CA Paris n° 21/12002

12 avril 2022

La société française GOURMIBOX expose exercer l'activité de commercialisation et distribution de produits culinaires et accessoires de cuisine ainsi que la commercialisation de produits d'épicerie fine.

Elle est titulaire de la marque verbale française n°3936696 GOURMIBOX déposée le 25 juillet 2012, dans les classes de produits et services 29, 30, 32, 33 et 35 et indique exploiter la marque à partir de l'adresse URL www.gourmibox.com en particulier à destination du public français.

La société espagnole GASTRON'HOME S.L. expose exercer une activité de vente à distance, sous forme de conditionnement particulier appelé « box », d'une sélection de produits alimentaires et d'épicerie fine.

Elle est titulaire de la marque semi-figurative européenne n°12956918 « La GOURMET BOX TERROIR, VOYAGE & GASTRONOMIE » (ci-après la marque « La GOURMET BOX ») déposée le 10 juin 2014 en classes 29, 30, 33 et 35, qu'elle exploite via le site web www.lagourmetbox.com/fr/, accessible sur le territoire français.

Estimant que les deux marques comportent des similitudes, la société GOURMIBOX a, par courrier du 27 mars 2015, mis en demeure la société GASTRON'HOME de cesser toute utilisation de la marque « La GOURMET BOX ».

En l'absence de réponse satisfaisante de la société GASTRON'HOME, la société GOURMIBOX l'a fait assigner, par acte du 10 août 2020, en contrefaçon de marque et en concurrence déloyale et parasitaire.

Par conclusion d'incident signifiée le 28 janvier 2021, la société GASTRON'HOME S.L. a soulevé l'irrecevabilité à agir de la société GOURMIBOX au motif qu'elle serait forclose en son action pour avoir toléré durant plus de cinq ans l'usage de la marque « La GOURMET BOX » arguée contrefaisante.

Par ordonnance rendue le 8 juin 2021 dont appel, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris a rendu la décision suivante :

- Rejette la demande de la société GASTRON'HOME S.L tendant au rejet des conclusions en réponse sur incident signifiées par la société GOURMIBOX le 6 mai 2021 ;

- Dit la société GOURMIBOX irrecevable à agir comme forclose sur le fondement de l'article L. 716-4-5 du code de la propriété intellectuelle ;

- Condamne la société GOURMIBOX à verser à la société GASTRON'HOME S.L la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamne la société GOURMIBOX au dépens.

La société GOURMIBOX a interjeté appel de cette ordonnance le 25 juin 2021.

Vu les dernières conclusions numérotées 2 remises au greffe et notifiées par RPVA le 1er février 2022 par la société GOURMIBOX, appelante et intimée incidente, qui demande à la cour, de:

- INFIRMER l'ordonnance du Juge de la Mise en Etat du Tribunal Judiciaire de Paris rendue le 8 juin 2021 ;

- JUGER la société GOURMIBOX recevable et bien fondée en toutes ses demandes ;

- DEBOUTER la société GASTRON'HOME S.L. de l'intégralité de ses demandes et fins de non-recevoir ;

- CONDAMNER la société GASTRON'HOME S.L. au paiement de la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- CONDAMNER la société GASTRON'HOME S.L. aux entiers dépens.

Vu les dernières conclusions numérotées 4 remises au greffe et notifiées par RPVA le 15 février 2022 par la société GASTRON'HOME S.L, intimée et appelante incidente, qui demande à la cour de:

- Confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris en date du 8 juin 2021, en ce qu'elle a

- déclaré irrecevable la société GOURMIBOX à agir comme forclose sur le fondement de l'article L. 716- 5 du code de la propriété intellectuelle ;

- condamné la société GOURMIBOX à verser à la société GASTRON'HOME SL la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Et statuant à nouveau,

- Débouter la société GOURMIBOX de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- Condamner la société GOURMIBOX à payer la somme de 10.000 euros à la société GASTRON'HOME S.L au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens qui comprendront les frais de constat d'huissier.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 22 février 2022.

MOTIFS DE L'ARRÊT

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.

- Sur le chef non contesté de l'ordonnance:

L'ordonnance dont appel n'est pas contestée en ce qu'elle a rejeté la demande de la société GASTRON'HOME S.L tendant au rejet des conclusions en réponse sur incident signifiées par la société GOURMIBOX le 6 mai 2021.

- Sur la forclusion par tolérance

La société GOURMIBOX soutient que le délai de forclusion par tolérance de 5 ans ne peut commencer à courir qu'à compter du 27 mars 2015, date de la mise en demeure, et s'achevait le 27 mars 2020 mais, qu'en raison de la crise sanitaire et de la prorogation de deux mois qui a été édictée pour les délais procéduraux expirant entre le 12 mars 2020 et la fin de la période protégée, le délai imparti pour assigner au fond son adversaire courait jusqu'au 23 août 2020, de sorte que l'assignation ayant été délivrée le 10 août 2020, elle ne peut être déclarée forclose.

Elle estime que rien ne permet d'affirmer qu'elle aurait eu connaissance de la marque en cause à une date antérieure, la préparation et la traduction non assermentée de la mise en demeure du même jour n'ayant aucunement exigé plus de 15 jours de préparation.

En outre, la société GOURMIBOX soutient que la société GASTRON'HOME échoue à établir l'existence d'une commercialisation non dérisoire de produits sous la marque « La GOURMET BOX » et d'une communication autour de ces produits avant fin mars 2015.

L' appelante estime en conséquence que la société GASTRON'HOME échoue à établir qu'elle aurait sans aucun doute possible pris connaissance de l'usage de la marque « La GOURMET BOX » avant le 11 mars 2015, et qu'en l'absence d'élément à même d'établir un usage notoire de la marque « La GOURMET BOX », le point de départ du délai de forclusion devra être fixé au 27 mars 2015.

La société GASTRON'HOME répond que le point de départ du délai de forclusion est antérieur à l'envoi de la première lettre de mise en demeure du 27 mars 2015, dès lors qu'un délai d'instruction a été nécessaire entre la saisine d'un avocat et l'envoi de la lettre de mise en demeure. Elle ajoute que la société GOURMIBOX a eu connaissance de l'usage effectif de la marque « La GOURMET BOX » avant le 11 mars 2015, dès lors que l'exploitation du nom de domaine lagourmetbox.com a été concomitante au lancement des ventes au travers des sites de box soit en décembre 2014, que la marque litigieuse est utilisée au travers de ce site internet et, qu'en tant que professionnelle et concurrente directe, la société GOURMIBOX ne pouvait ignorer cette activité.

La cour rappelle qu'en vertu de l'article L.716-4-5 du code de la propriété intellectuelle, est irrecevable toute action en contrefaçon introduite par le titulaire d'une marque antérieure à l'encontre d'une marque postérieure lorsque le titulaire de la marque antérieure a toléré pendant une période de cinq années consécutives l'usage de la marque postérieure en connaissance de cet usage et pour les produits et services pour lesquels l'usage a été toléré, à moins que son dépôt n'ait été effectué de mauvaise foi.

Ainsi, le point de départ du délai de forclusion commence à courir à compter de la date à laquelle le demandeur a eu connaissance de l'usage effectif de la marque seconde.

En l'espèce, c'est par une première mise en demeure envoyée le 27 mars 2015, puis réitérée le 21 juillet 2020 que la société GOURMIBOX a informé la société GASTRON'HOME de l'existence de sa propre marque antérieure et des faits de contrefaçon dont elle s'estimait victime au travers de l'usage de la marque «LaGOURMET BOX».

Cependant, comme l'a justement retenu le premier juge, la date d'envoi de cette lettre recommandée avec accusé de réception ne peut être considérée comme le point de départ du délai de forclusion, soit la date à laquelle la société GOURMIBOX a pu avoir raisonnablement connaissance de l'usage de la marque seconde en cause, la connaissance étant nécessairement antérieure et ce d'autant que la lettre adressée à la société GASTRON'HOME, société de droit espagnol a d'abord dû être traduite dans cette langue.

En outre, la société GASTRON'HOME démontre avoir déposé la marque «LaGOURMET BOX» le 10 juin 2014, enregistrée le 29 septembre 2014, avoir réservé le nom de domaine «lagourmetbox.com» en janvier 2014 et ouvert un compte facebook à ce nom le 25 juillet 2014, particulièrement actif à compter de décembre 2014.

Par ailleurs, il ressort de la consultation de ces pages que les ventes des box en cause, via le site internet éponyme, ont été ouvertes à compter de décembre 2014, ce lancement d'activité étant accompagné d'articles parus sur des sites spécialisés, vantant ses mérites, et notamment le 18 février 2015 sur le site France Net Infos et le 3 mars 2015 sur le site Happy City.

De plus, la société GASTRON'HOME démontre que dès le mois de décembre 2014, puis chaque mois ensuite, sa box a été présentée sur les deux principaux sites de référencement des box, soit «laboxdu mois.fr» et «toutes les box.fr» sur la page des box testées chaque mois, concomitamment aux box commercialisées par la société GOURMIBOX, également référencée sur ces mêmes sites, éléments dont la véracité ne peut être utilement critiquée par cette dernière, s'agissant de pièces émanant d'un constat internet réalisé par un huissier de justice sur les sites en cause, outre les divers échanges attestés avec les sociétés éditrices de ces sites.

En conséquence, cet ensemble d'éléments précis et concordants permet de retenir que, sur ce secteur de niche et à cette époque, où la société GASTRON'HOME est apparue comme un concurrent direct de la société GOURMIBOX, utilisant la même technique de vente par internet à destination des consommateurs français, les mêmes réseaux de publicité en France, et déployant des efforts conséquents de communication sur le même marché pour le lancement, la promotion et la commercialisation de box sous sa marque pour des produits identiques à ceux protégés par sa marque, la société GOURMIBOX a eu nécessairement connaissance de l'existence et de l'exploitation effective de «la GOURMET BOX» antérieurement au mois de mars 2015 et, en conséquence, en a sciemment toléré son usage depuis cette date.

Il y lieu de rappeler en outre que l'article L.716-4-5 du code de la propriété intellectuelle précité n'impose pas l'existence de la preuve d'un usage sérieux

1:

Soulignement ajouté par le cour.

de la marque en cause, de sorte qu'il n'est donc pas nécessaire que l'usage ait été quantitativement important. Aussi, l'ensemble des arguments opposés par la société GOURMIBOX quant au nombre relativement faible de box commercialisés entre la fin de l'année 2014 et le mois de mars 2015 est sans emport sur ce point.

S'il n'est pas contesté également que l'ordonnance n°2020-306, dans le cadre de la crise sanitaire, a prorogé de deux mois les délais expirant entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus, les délais pour agir ayant été rallongés jusqu'au 23 août 2020, il n'en demeure pas moins que la société GOURMIBOX a eu connaissance de l'usage effectif de la marque en cause antérieurement au mois de mars 2015, et à tout le moins avant le 11 mars 2015, de sorte que le délai de cinq ans dont elle disposait pour introduire une action a expiré avant le 12 mars 2020, soit avant que la «période protégée» instituée par ce texte a commencé à courir.

En conséquence, en ayant introduit son action en contrefaçon par acte d'huissier de justice du 10 août 2020, la société GOURMIBOX, qui a ainsi toléré l'usage de la marque «La GOURMET BOX» durant plus de cinq ans, doit être déclarée forclose et irrecevable à agir, l'ordonnance dont appel étant confirmée de ce chef.

- Sur les autres demandes

La société GOURMIBOX, partie succombante, sera condamnée aux dépens d'appel et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés à l'occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et frais irrépétibles de première instance étant confirmées.

Enfin, l'équité et la situation des parties commandent de condamner la société GOURMIBOX à verser à la société GASTRON'HOME, une somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Confirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la société GOURMIBOX aux dépens d'appel,

Condamne la société GOURMIBOX à verser à la société GASTRON'HOME une somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.