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Décisions

CA Paris, 3e ch. sect. 3, 26 juin 2015, n° 11/14132

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

JK Fox Home Entertainment France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Vice-présidents :

M. Desgranges, Mme Gillet, Mme Butin

Avocats :

Me Viaris de Lesegno, Me Adler, Me Ac Valentin

CA Paris n° 11/14132

25 juin 2015

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

 

La société E F AL, maison d’édition de bandes dessinées fondée il y a plus d’une vingtaine d’années par Monsieur E F qui indique disposer d’un catalogue de près de 500 titres, énonce qu’elle a publié entre 1989 et 2006 onze tomes d’une série de bandes dessinées intitulées Y créée par Monsieur C D pour le scénario et Monsieur G H pour le dessin.

 

Elle indique que cette série a remporté le prix de la jeunesse du festival international de la bande dessinée d’Angoulême en 1989, et a été traduite et commercialisée dans des pays étrangers. Les deux premiers tomes de la série ont notamment été publiés aux Etats-Unis par la société DARK HORSE COMICS dès 1989.

 

Estimant que le film cinématographique B écrit et réalisé par Monsieur I X, sorti mondialement en décembre 2009 et exploité en France par la société J K FOX FRANCE qui a pour activité la distribution en France de long métrage cinématographique et la société J K FOXHOME ENTERTAINMENT FRANCE qui a pour objet la distribution vidéographique (ci-après les sociétés J K FOX), présentait des emprunts substantiels à la série Y qui se manifesteraient dans :

 

— la trame scénaristique,

 

— l’univers des deux oeuvres,

 

— les caractéristiques des personnages,

 

ne pouvant pas être fortuits, compte tenu de l’importance et de la précision des ressemblances, la société E F AL, par courrier du 15 novembre 2010, a mis en demeure la société J K FOX FRANCE de lui produire les chiffres établissant l’ampleur de l’exploitation du film et lui demandait les mesures qu’elle entendait prendre pour l’indemniser de son préjudice.

 

En l’absence de réponse satisfaisante de son point de vue, la société E F AL a, par acte du 20 septembre 2011fait assigner les sociétés J K FOX en contrefaçon de droit d’auteur et subsidiairement en concurrence déloyale afin de demander notamment leur condamnation in solidum à lui verser une somme provisionnelle de 6.670.000 d’euros au titre du préjudice subi du fait de l’adaptation et de l’exploitation contrefaisante de la série Y au sein du film B et la désignation d’un expert aux fins de déterminer le montant de ses gains manqués, et l’allocation d’une somme de 3.000.000 d’euros au titre du préjudice d’image.

 

Par conclusions d’intervention volontaire signifiées le 6 décembre 2011, Monsieur C D demande qu’il soit jugé que la reprise d’éléments originaux tirés de la série Y dans le film B constitue une contrefaçon, que celui-ci est une adaptation non autorisée de cette série et que l’exploitation et la distribution du film a porté atteinte à son droit au nom. Il demande la condamnation des sociétés J K FOX à lui verser une somme de 3.000.000 d’euros en réparation du préjudice moral découlant de l’atteinte à son droit de paternité, une somme de 1.000.000 euros en réparation du préjudice matériel résultant de l’atteinte à son droit de paternité, et l’interdiction sous astreinte d’exploiter à l’avenir l’oeuvre contrefaisante sans la mention de son nom.

 

Dans leurs dernières conclusions signifiées le 3 novembre 2014, la société E F AL demande en ces termes au Tribunal de :

 

— la déclarer recevable en son action,

 

à titre principal ,

 

vu l’article 202 du Code de procédure civile,

 

— constater, dire et juger que les pièces adverses n°92 à 98 bis ne sont pas intégralement traduites en français,

 

— constater, dire et juger que les annexes 1,40 et 41 de la pièce adverse 84 sont atteintes de vice de forme et de fond,

 

— constater, dire et juger que les pièces adverses 28 et 31 sont concomitantes de la publication du premier tome de la série Y et que les pièces adverses 39,41,42 et 45 sont postérieures à la publication du premier tome de la série Y ,

 

en conséquence,

 

— écarter des débats les pièces adverses 28, 31,39, 41, 42, 45, 84, […], 92 à […]

 

vu les articles L. 122-4, L. 335-2, L. 335-3 du Code de la propriété intellectuelle,

 

— constater, dire et juger que la reprise d’éléments originaux tirés des deux premiers tomes de la série Y intitulés respectivement A et S T, à savoir la trame scénaristique, les thématiques abordées, les lieux dans lesquels se déroulent les actions, les caractéristiques des personnages principaux, par les sociétés J K FOX est constitutive de contrefaçon,

 

— constater, dire et juger que le film B, distribué par les sociétés J K FOX est une adaptation non autorisée de la série Y,

 

— constater, dire et juger que la reprise non autorisée d’éléments originaux tirés des deux premiers tomes de la série Y intitulés respectivement A et S T, a savoir la trame scénaristique, les thématiques abordées, les lieux dans lesquels se déroulent les actions, les caractéristiques des personnages principaux, a porté atteinte à ses droits

 

en conséquence,

 

— dire et juger que les sociétés J K FOX ont commis des actes de contrefaçon à son préjudice,

 

— condamner in solidum les sociétés J K FOX à lui verser la somme de 6.670.000 euros à titre de provision compte tenu du préjudice subi du fait de l’adaptation et de l’exploitation contrefaisante de la série Y au sein du film B,

 

— pour le surplus nommer tel expert su’il plaira au Tribunal avec pour mission de :

 

• se rendre en tous lieux et se voir communiquer par les défenderesses ou par tout tiers, l’ensemble des éléments permettant de déterminer l’ensemble des recettes brutes d’exploitation du film B dans l’ensemble de ses exploitations principales et dérivées,

 

• de se faire communiquer tous documents comptables ou contractuels utiles à la mission auprès de toutes personne physique ou morale,

 

• de fournir en fonction des éléments ci-dessus, les éléments qui permettent au tribunal de déterminer le montant des réparations qui lui sont dues au titre du gain manqué, lequel peut être évalué à 2.5 % des recettes brutes générées par l’ensemble des exploitations du film B,

 

— condamner in solidum les sociétés J K FOX à lui verser la somme de 3.000.000 euros au titre du préjudice d’image subi,

 

à titre subsidiaire,

 

vu l’article 1382 du code civil,

 

— constater dire et juger que le film B, distribué par les sociétés J K FOX reproduit des éléments tirés des deux premiers tomes de la série Y intitulés respectivement A et S T, à savoir la trame scénaristique, les thématiques abordées, les lieux dans lesquels se déroulent les actions, les caractéristiques et l’apparence visuelle des personnages principaux,

 

— constater, dire et juger que la reproduction de la trame scénaristique, des thématiques abordées, des lieux dans lesquels se déroulent les actions, des caractéristiques et de l’apparence visuelle des personnages principaux des deux premiers tomes de la série Y intitulés respectivement A et S T créée une confusion pour le public entre la série Y et le film B,

 

— constater, dire et juger que la reproduction non autorisée d’éléments propres des deux premiers tomes de la série Y intitulés respectivement A et S T, a savoir la trame scénaristique, les thématiques abordées, les lieux dans lesquels se déroulent les actions, les caractéristiques et l’apparence visuelle des personnages principaux, lui porte préjudice,

 

en conséquence,

 

— dire et juger que les sociétés J K FOX ont commis des actes de concurrence déloyale à son encontre,

 

— condamner in solidum les sociétés J K FOX à lui verser la somme de 3.000.000 d’euros au titre du préjudice d’image subi,

 

en tout état de cause,

 

— ordonner la publication de la décision à intervenir dans cinq revues ou journaux de son choix, et aux frais avancés des sociétés J K FOX, pour un montant de 50.000 euros hors taxes,

 

— condamner in solidum les sociétés J K FOX à lui verser la somme de 35.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL CABINET PIERRAT

 

— ordonner l’exécution provisoire.

 

Dans ses dernières écritures signifiées le 14 mai 2014, Monsieur C D demande au Tribunal de :

 

— le dire recevable en son intervention volontaire ;

 

y faisant droit,

 

— rejeter les pièces n°1, 3, et 83, ainsi que les annexes 1, 4, 5, 6, 31, 32, 33, 34, 35,36, 37, 38, 39, 40, 41, 42 à la pièce n°84, dont aucune traduction n’est versée aux débats,

 

— dire et juger que la reprise, dans le film B, d’éléments originaux tirés de la série Y constitue une contrefaçon,

 

— dire et juger que le film B est une adaptation non autorisée de la série Y,

 

— dire et juger que l’exploitation et la distribution du film contrefaisant a porté atteinte à son droit au nom,

 

en conséquence,

 

— condamner in solidum les sociétés défenderesses à lui verser la somme de 3.000.000 d’euros en réparation du préjudice moral découlant de l’atteinte à son droit à la paternité,

 

— condamner in solidum les sociétés défenderesses à lui verser la somme de 1.000.000 d’euros en réparation de son préjudice matériel découlant de l’atteinte à son droit à la paternité,

 

— autoriser la publication du communiqué suivant, sous le titre « Le film B

 

condamné pour contrefaçon de la bande dessinée Y», dans trois journaux ou revues au choix de ce dernier et aux frais exclusifs des défenderesses dans la limite de 10.000 euros HT par insertion, ainsi que la diffusion pendant 6 mois sur la page d’accueil du site officiel du film à l’adresse http://www.B-lefilm.com/#/bluray :

 

“Le film B condamné pour contrefaçon de la bande dessinée Y

 

Par jugement en date du ______, le Tribunal de Grande Instance de Paris, a condamné les sociétés TWENTIEH K FOX France et J K FOX HOME ENTERTAINMENT France pour avoir exploité et distribué le film B, qui constitue une adaptation non autorisée de la bande dessinée Y écrite par Monsieur C D.”

 

— faire interdiction aux défenderesses, à l’expiration d’un délai de 8 jours à compter de la signification de la décision à intervenir, d’exploiter à l’avenir l’oeuvre contrefaisante sans qu’y soit portée la mention de son nom et de la filiation avec la série Y, sous astreinte de 300 euros par infraction constatée,

 

— condamner in solidum les sociétés défenderesses à lui verser la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

 

— les condamner in solidum aux entiers dépens ;

 

— prononcer l’exécution provisoire de la décision à intervenir dans toutes ses dispositions.

 

Dans leurs conclusions signifiées le 30 septembre 2014, les sociétés TWENTIEH K FOX demandent au Tribunal de :

 

à titre principal,

 

— dire et juger qu’elles n’ont pas commis d’acte de contrefaçon à l’encontre de la société E F AL et Monsieur C D,

 

en conséquence

 

— débouter la société E F AL et Monsieur C D de l’ensemble de leurs demandes, fins, moyens et prétentions formulées à leur encontre,

 

à titre subsidiaire,

 

— dire et juger qu’elles n’ont pas commis d’acte de parasitisme à l’encontre de la société E F AL et Monsieur C D,

 

en conséquence

 

— débouter la société E F AL et Monsieur C D de l’ensemble de leurs demandes, fins, moyens et prétentions formulées à leur encontre,

 

en tout état de cause

 

— condamner in solidum la société E F AL et Monsieur C D à leur régler la somme de soixante quinze mille (75.000) euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

 

— ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir ;

 

— condamner in solidum la société E F AL et Monsieur C D aux entiers dépens.

 

La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 6 janvier 2015.

 

MOTIFS

 

sur le rejet des pièces

 

La société E F AL demande que soient écartées des débats :

 

— les pièces 92 à 98 bis qui sont des décisions de justice versées au débat par les sociétés J CENTYURY FOX pour montrer que les actions judiciaires en contrefaçon engagées par ailleurs contre elles au sujet du film B auraient été rejetées, soient écartées des débats car elles ne seraient pas intégralement traduites,

 

— les pièces en annexe 1,40 et 41 de la pièce 84 des défenderesses, à savoir des attestations de I X, de N O et de P Q produites pour établir les sources d’inspiration du premier cité, en ce qu’elles sont présentées comme des attestations alors qu’elles n’en respectent pas la formalisme prévu par l’article 202 du code de procédure civile, qu’elles contiennent des contradictions de dates les unes avec les autres, et que s’agissant de l’attestation de Monsieur I X, elle s’appuierait sur des dessins et notes présentés sans preuve comme étant de lui, et qu’elle constituerait une preuve faite à soi-même,

 

— les pièces des défenderesses 28 et 31 au motif qu’il s’agit de documents concomitants de la parution des deux premiers tomes de la série Y et les pièces des défenderesses 39, 41, 42 et 45 qui seraient postérieurs à celle-ci.

 

Monsieur C D demande que soient écartées des débats les pièces 1, 3, et 83 et les annexes 1,4 à 6,31 à 42 de la pièce 84 en raison de l’absence de traduction.

 

Toutefois, les sociétés J K FOX ont versé aux débats la traduction des pièces 92 à 98 bis et des annexes 1,4 à 6, 31, 34 à 39, 40 et 42 de la pièce 84 en pièces 84ter A à N, ainsi que les copies des pièces d’identité des auteurs des attestations, par ailleurs comme elles le font valoir à juste titre, il est constant qu’il appartient au juge d’apprécier si une attestation qui ne remplit pas les exigences formelles prévues par l’article 202 du Code de procédure civile présente des garanties suffisantes pour emporter sa conviction.

 

Or la production de la photocopie de la carte d’identité des intéressés et la présence des mentions que l’attestant sait que l’attestation doit être produite devant la justice française et du risque pénal qu’il encourt conduisent, nonobstant le fait que ces attestations soient dactylographiées et non manuscrites, à leur accorder une force probante dont la portée sera évaluée avec le fond des demandes et ainsi à ne pas les rejeter, étant précisé que le fait que l’attestation de Monsieur I X mentionne celles de Messieurs N O et P R pourtant établies postérieurement, n’apparaît pas problématique, l’écart d’un jour entre les dates de ces documents rendant vraisemblable l’explication des défenderesses suivant laquelle le premier cité aurait eu connaissance des projets d’attestation des deux autres et quoiqu’il en soit ne constitue pas, au vu du contenu des attestations, un motif suffisant pour les écarter.

 

Enfin, le fait que certains documents seraient contemporains ou postérieurs à la publication des bandes dessinées dont la contrefaçon est invoquée, ne constitue pas un motif pertinent pour les écarter a priori des débats, leur portée devant être appréciée en même temps que le fond de l’affaire.

 

En conséquence, il n’y a pas lieu d’écarter des débats les pièces précitées.

 

Sur la contrefaçon

 

a) définition et contour de l’oeuvre opposée par les demandeurs

 

Les sociétés J K FOX reprochent aux demandeurs d’être insuffisamment précis sur la définition et les contours de l’oeuvre qu’elles entendent opposer au titre de la contrefaçon. Elles rappellent qu’ont été évoqués au fil des écritures d’abord l’ensemble des onze albums de la série Y parus avant le film B, puis uniquement des éléments scénaristiques de la série avant enfin de paraître finalement ne vouloir opposer que de tels éléments tirés des deux premier ouvrages de la série intitulés A et S T.

 

Aux termes de ses dernières écritures, la société E F PRODUCTION invoque “ la reprise d’éléments originaux tirés des deux premiers tomes de la série Y intitulés respectivement A et S T, à savoir la trame scénaristique, les thématiques abordées, les lieux dans lesquels se déroulent les actions, les caractéristiques des personnages principaux”, et se réfère à un tableau qui recense dans ces différents rubriques ce qu’elle appelle “les points de convergence entre le film B et la série “Y”

 

Monsieur C D dans le dispositif de ses dernières conclusions demeure plus imprécis et paraît invoquer quant à lui des éléments scénaristiques de l’ensemble de la série puisqu’il demande au tribunal de juger que “la reprise, dans le film B, d’éléments originaux tirés de la série Y constitue une contrefaçon” et que “le film B est une adaptation non autorisée de la série Y”, même si dans le corps de ses conclusions, il se réfère également au tableau comparatif précité.

 

En définitive, il ressort toutefois des écritures des demandeurs avec suffisamment d’évidence que ce n’est pas la série Y dans son ensemble qui est opposée mais uniquement des éléments scénaristiques des deux premiers tomes A et S T, en ce compris l’apparence physique de certains personnages.

 

Si l’on peut regretter avec les défenderesses que le scénario ainsi visé ne soit pas produit directement au débat, et qu’il doive être déduit des éléments exposés dans le tableau comparatif établi par la société E F PRODUCTION et de la consultation des albums en cause, il reste que d’une part le processus créatif d’une bande dessinée ne passe pas nécessairement par l’écriture in extenso d’un scénario comme cela se pratique plus systématiquement en matière de cinéma, et d’autre part que ces éléments permettent d’identifier avec suffisamment de précision ce qui est revendiqué comme oeuvre et qui sera examiné plus en détail sur al base des ressemblances alléguées avec les composants du scénario du film B.

 

b) titularité

 

Il n’est pas contesté que Monsieur C D est l’auteur du scénario ainsi qu’il est mentionné sur les albums en cause et qu’il a cédé l’exploitation de ses droits patrimoniaux à la société E F PRODUCTION suivant contrat d’édition du 14 avril 1988 de sorte qu’il est recevable a agir sur le fondement du droit moral de l’auteur du scénario comme cette dernière est fondée à agir en qualité de titulaire des droits patrimoniaux.

 

c) protection au titre du droit d’auteur et contrefaçon

 

Les dispositions de l’article L. 112-1 du code de la propriété intellectuelle protègent par les droits d’auteur toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination, pourvu qu’elles soient des créations originales.

 

En outre, il appartient à celui qui se prévaut de la protection au titre du droit d’auteur de caractériser l’originalité de l’oeuvre, laquelle se définit par le fait que cette dernière résulte d’un effort créatif et porte ainsi l’empreinte de la personnalité de l’auteur.

 

Aux termes de l’article L. 122-4 du code de la propriété intellectuelle “Toute représentation, ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droits ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque.

 

Au visa de ces textes, les demandeurs, soulignant que la contrefaçon s’établit par les ressemblances et non par l’examen des dissemblances, recensent dans le tableau déjà évoqué 23 points de ressemblance qui combinés les uns aux autres matérialiseraient la contrefaçon, en ce que leur nombre seraient trop important pour relever de la coïncidence. Il font valoir du reste que les albums A et S T ont été publiés en version traduite aux Etats-Unis en 1989 par la société DARK HORSE COMICS de sorte que selon eux, il n’est pas déraisonnable de penser que I X ait pu avoir connaissance de ces ouvrages, d’autant plus que d’après eux des prospections auraient été effectuées entre 1989 et 1992 auprès des studios hollywoodien pour proposer l’adaptation cinématogoraphique de Y.

 

Les défenderesses soutiennent que les demandeurs ne caractériseraient pas l’originalité de l’oeuvre, en demeurant à un niveau de généralité dans la description des thèmes ou des ressorts de l’action qui relèverait soit du domaine des idées non protégeables en tant que telles soit appartiendraient au fonds commun de divers genres dont celui de la science fiction et plus particulièrement au sous-genre du “space-opéra”, et ne préciseraient pas en quoi le traitement de ces éléments par Monsieur C D dans la deux bandes dessinées concernées résulterait d’un effort créatif portant l’empreinte de sa personnalité.

 

A l’appui de leur démonstration, elles convoquent de nombreux exemples d’utilisation dans des oeuvres antérieures connues (romans, films, bande dessinée) de ces mêmes thèmes et éléments scénaristiques.

 

Elles réfutent que I X ait eu connaissance d’Y et versent au débat une attestation en ce sens de ce dernier qui précise la genèse et les origines de sa création qui viendrait puiser dans des thèmes récurrents de l’ensemble de son oeuvre et dans ses propres sources d’inspiration.

 

Enfin, elles font valoir que les ressemblances invoquées ne résistent pas à une analyse plus fouillée qui mettrait d’après elles en évidence, des différences de traitement notables qui distingueraient nettement les deux créations.

 

Après avoir brièvement résumé le contenu des récits en présence, il convient d’examiner les points de ressemblance allégués par les demandeurs afin de déterminer d’une part si ceux-ci tels qu’existant dans les deux premiers albums de la bandes dessinée Y, portent sur un élément protégeable au titre du droit d’auteur du fait d’un caractère original et d’autre part si les ressemblances prétendues dans le film B sont avérées et constituent la reproduction ou l’adaptation de ce qui dans les deux bandes dessinées est original dans les éléments scénaristiques et le traitement des thèmes.

 

Les deux premier albums de la série Y, A et S T, narrent dans une époque indéterminée, l’histoire d’un orphelin A élevé par un robot nourrice à la suite du décès de ses parents dans un accident du vaisseau spatial dans lequel la famille voyageait, qui après plusieurs années d’errance dans l’espace, trouve une S habitable, Y, sur laquelle il amerrit en catastrophe, puis étant toujours enfant, est adopté et élevé par le peuple autochtone, le peuple d’Z, composé d’humanoïdes à la peau T qui considèrent qu’il a été désigné dans un statut spécial par un animal marin, nommé V W, sorte de baleine géante, qui constitue à la fois l’âme et le gardien de la S.

 

Adoubé après un enseignement et un passage initiatique, et après avoir choisi pour femme la fille du chef, il doit immédiatement protéger sa S adoptive contre les velléités colonisatrices d’une compagnie privée terrienne appuyée par une armée de miliciens et pour ce faire s’opposer à sa propre tante, patronne de cette milice, aidé en cela par un scientifique terrien soucieux de protéger cette S de l’exploitation envisagée qui la détruirait. Une première bataille menée par le peuple D’Z et A est perdue contre la milice laquelle est néanmoins stoppée par l’intervention de la divinité V W agissant en communion avec A en transe.

 

Obligé de fuir sur Terre, ce dernier tente avec l’aide du scientifique d’obtenir juridiquement la souveraineté sur la S Y dont il apprend que son père était propriétaire, et dont sa tante a hérité à sa place, tandis que le peuple d’Z doit se réfugier sur une banquise inhospitalière de la S. A poursuit et gagne son combat juridique sur Terre et revient sur la S Y, son vaisseau attaqué par la milice de sa tante, s’échoue sur la banquise où il retrouve le peuple d’Z.

 

Le film B retrace dans le cadre de la conquête coloniale la S PANDORA par une compagnie privée terrienne et son armée qui veulent en exploiter les richesses, les aventures d’un personnage paraplégique nommé AA AB qui participe à un programme nommé B consistant à être connecté de manière neuronale avec un double cloné à partie de ses gênes qui a l’apparence des habitant de la S PANDORA , humanoïdes géants à l’allure féline et à la peau T, ceci en vue de mieux les comprendre et communiquer avec eux. Au sein de ce programme scientifique, AA AB joue d’abord double jeu puisqu’il est par ailleurs un espion à la solde du chef de la milice qui lui promet en échange de le rendre à nouveau valide, avant de prendre entièrement fait et cause pour le peuple NAVI qui l’adopte totalement et fait de lui son chef, et de combattre la milice. Après une première bataille perdue et la destruction d’un arbre magique, source de la force spirituelle des NAVI et de la S, AA AB mène le peuple NAVI à la victoire en fédérant les différentes tribus de la S et grâce à sa maîtrise d’un animal mythique surpuissant, sorte d’aigle géant qu’il chevauche.

 

Le traitement purement formel c’est à dire l’apparence donnée par les images aux paysages, aux lieux, aux personnages, est pour l’essentiel exclu du champ de la comparaison par les demandeurs.

 

Au demeurant, force est de constater qu’au delà des différences majeures de la technique employée, images en grande partie numériques en trois D dans le film et dessins de bande dessinée de facture classique dans Y, il n’existe en effet pas de ressemblance évidente en ce qui concerne ces apparences, hormis le choix de la couleur T pour la peau du peuple autochtone.

 

Ainsi les ressemblances invoquées portent sur les idées scénaristiques en elles-mêmes indépendamment de leur concrétisation formelle. Elles concernent en conséquence un champ qui voisine nécessairement celui de l’idée abstraite ou celle qui relève du fonds commun du genre abordé, par définition non protégeable au titre du droit d’auteur; sauf pour les demandeurs à établir que ces éléments scénaristiques présentent une singularité particulièrement évidente ou un traitement manifestement original.

 

Les points de ressemblance seront examinés pour l’essentiel suivant les trois catégories dans lesquelles les demandeurs les ont classés, même ci cette classification comporte des chevauchements qui font apparaître que cette présentation multiplie de manière artificielle le nombre de points de ressemblances allégués.

 

1) l’univers des deux oeuvres

 

Le fait que le récit se déroule sur une S inconnue, imaginaire, perdue dans l’espace constitue un thème constant et récurrent de la science fiction.

 

De même celui de l’harmonie existant entre les habitants humanoïdes de la S et leur environnement naturel, outre qu’il s’inspire, comme souvent dans le genre de la science fiction du thème philosophique encore plus ancien et largement parcouru du bon sauvage vivant à l’état de nature confronté aux envahisseurs corrompus par la civilisation et coupés de cet état de nature, a été exploité dans des oeuvres de science fiction telles que le roman DUNE de AC AD paru en 1965 dans lequel la tribu des Fremen est adaptée à la vie sur une S désertique privée d’eau ou au film de 1983 LE RETOUR DU JEDI de AE AF dans lequel la tribu des EVOKS vit dans les arbres dans la S forestière ENDOR.

 

Il appartient ainsi au fonds commun des univers de la science fiction. Au demeurant, il convient de relever que la vénération de la nature et la situation d’harmonie avec celle-ci qui constituent un thème dominant du film B, ne sont en revanche pas aussi nettement exploitées dans les ouvrages A et S T.

 

L’existence et l’intervention d’un animal mythique gigantesque qui présente un lien organique avec le territoire ne sont pas non plus des éléments scénaristiques protégeables, puisqu’ils appartiennent au fonds commun du genre de la science fiction et du fantastique, qu’on retrouve par exemple dans des oeuvres tels que film KING KONG de 1933 à travers un singe géant, roi de son île ou dans le roman DUNE précité par la présence d’un vers de sable géant autour duquel se constitue toute une mythologie, ou encore dans le film ABYSS du même I X de 1983 dans lequel des êtres des grandes profondeurs viennent au secours des hommes perdus dans les abysses.

 

Au demeurant, les caractéristiques de l’animal mythique diffèrent nettement dans les deux oeuvres puisque, outre qu’il s’agit dans un cas d’un monstre marin et dans l’autre d’un oiseau géant, le monstre marin V-W intervient seul dans l’ouvrage A pour arrêter la milice des colonisateurs tandis que c’est la mobilisation de toute la S PANDORA qui permet de gagner la bataille décisive contre celle-ci dans le film B.

 

Surtout, dans ce dernier c’est l’arbre géant qui est vénéré et constitue l’âme de la S et non l’oiseau TORUK.

 

Enfin l’élection du héros par l’animal mythique mise en avant par les demandeurs comme ressemblance frappante ne repose en réalité pas sur le même ressort dramatique, puisque dans le cas de TORUK, dans le film B, il s’agit d’un dressage sur le modèle du dressage d’un cheval sauvage et non d’une reconnaissance ou d’une élection du héros par l’animal comme le présentent abusivement les demandeurs pour soutenir l’existence d’une ressemblance.

 

La ressemblance que les demandeurs veulent voir dans la langue utilisée par les natifs des planètes Y et PANDORA ne repose que sur des analogies phonétiques qui n’ont rien d’évidentes, le fait que dans une oeuvre de science fiction, les natifs d’une S inconnue parlent une langue également inconnue et exotique n’étant pas, par ailleurs, une caractéristique protégeable.

 

De même, le nom de ces planètes n’a rien de commun ni conceptuellement ni phonétiquement.

 

[…]

 

La situation initiale est présentée comme étant semblable en ce que le héros se réveillerait après un long voyage dans l’espace et que des tensions existeraient entre les natifs et les terriens.

 

Toutefois la présentation ainsi faite par les demandeurs est inexacte et faussée pour faire apparaître des ressemblance en réalité inexistantes.

 

En effet le seul point commun en ce qui concerne l’arrivée du héros est qu’il provient de l’espace et est originaire de la terre, ce qui relève de l’idée appartenant au fonds commun du genre, par définition non protégeable. Pour le reste, les motifs et les conditions de son arrivée sur la S sont différents, et l’errance préalable avant l’arrivée sur la S qui en toute hypothèse relève également du fonds commun du genre, est en outre inexacte en ce qui concerne AA AB le héros d’B qui arrive d’un voyage certes long mais parfaitement programmé pour lui permettre de remplir la mission qui lui est assignée sur PANDORA.

 

Le situation de tension entre les natifs et les terriens procède dans chacune des oeuvres de deux situations et de mécanismes dramatiques en réalité parfaitement distincts puisque dans Y le héros arrive seul, et est immédiatement adopté avant de s’opposer aux cotés des natifs aux colonisateurs qui arrivent dans un second temps sans qu’il y ait de lien avec l’arrivée du héros, alors que dans B, AA AB arrive sur la S PANDORA en étant un agent parmi d’autres du système de colonisation déjà en place, dont il va s’affranchir peu à peu pour rejoindre la cause des natifs. Aucune ressemblance ne saurait par conséquent être retenue sur cet aspect.

 

Les demandeurs isolent également des ressemblances qui tiendraient selon eux à l’exploitation du thème de la colonisation pour l’exploitation de la S entraînant une confrontation avec les autochtones marquée par un déséquilibre initial en faveur des colonisateurs grâce à leur armement sophistiqué face aux armes primitives des natifs qui conduit ceux-ci à l’exil, avant un retournement de situation par l’intervention d’un animal mythique.

 

Toutefois, il est permis de suivre Monsieur I X qui dans son attestation rattache son inspiration à l’histoire même de la colonisation notamment celle des territoires indiens d’Amérique du Nord par les européens ou celle de l’Amérique du Sud par les conquistadors, laquelle a elle-même donné lieu à des utilisations dans de nombreuses oeuvres de fiction antérieures aux oeuvres en cause. Entre naturellement dans ce thème celui de l’exploitation des richesses naturelles au détriment des natifs qui perdent ainsi leurs ressources et sont contraints à l’exil, et celui de la bataille perdue du fait de l’écart technique.

 

La présence de mercenaires sur la S pour protéger et appuyer les colonisateurs découle du thème de l’utilisation de la force pour procéder à la colonisation, la circonstance que celle-ci soit effectuée par des sociétés privées avides de richesse et sans scrupules représente également une thématique de la science fiction qu’on retrouve par exemple dans le film ALIEN de Ridley SCOTT de 1979.

 

Ainsi ces différents éléments scénaristiques appartiennent au fonds commun du genre de la science fiction et à l’histoire universelle. Il doivent demeurer de ce fait de libre parcours sans être appropriables.

 

Il en va de même du principe de renversement du rapport de force donnant finalement la victoire aux natifs, pour lequel les explications de I X indiquant avoir trouvé son inspiration dans le déroulement de la guerre du vietnam apparaissent pertinentes et vraisemblables et rattachent à juste titre cet élement à un récit appartenant au fonds commun de l’histoire universelle qui ne saurait être monopolisé.

 

Le déroulement de la bataille dans les deux oeuvres ne présente pas de ressemblance évidente, sauf à se placer à un niveau de généralité tel, ainsi que le font les demandeurs, qu’aucune originalité ne saurait être conférée à ces éléments de scénario par rapport aux innombrables scènes de bataille que recèle l’histoire comme les oeuvres de fiction.

 

Les demandeurs invoquent l’identité des thèmes abordés, que ce soit celui de l’homme maltraitant la nature, ou celui du choix à faire par le héros entre son peuple d’adoption et son peuple d’origine. Toutefois, là encore, des thématiques aussi générales dans leur définition relèvent du domaine des idées qui sont de libre parcours.

 

En outre, derrière l’identité apparente des thèmes, se révèlent en réalité des différences majeures de leur traitement. Ainsi alors que celui de la maltraitance de la nature se borne dans les albums de la bande dessinée à l’évocation rapide et marginale dans le récit de l’implantation de centrales produisant de l’énergie au prix d’un refroidissement de la S, il est dans le film B particulièrement fouillé et axé sur la déforestation et le pillage du sous-sol de la S PANDORA, d’autant plus sensible qu’est développée toute une thématique, voire une mystique, autour du rapport des Navis avec leur environnement et particulièrement les arbres, faisant ainsi échos à la problématique dans le monde réel et actuel de la déforestation et du sort des peuples des forêts comme l’explique Monsieur I X dans son attestation.

 

De même le thème du héros ayant à choisir entre deux peuples, alors qu’il est dans Y exploité sous le prisme relativement classique de l’enfant adopté venant d’un autre peuple, qu’on retrouve du reste dans de nombreuses oeuvres de fiction antérieures, donne lieu à un traitement tout a fait particulier dans le film B du fait que le héros se trouve dans le peuple natif non en raison d’une adoption mais par l’entremise de son B de sorte qu’il est extérieurement semblable à ceux-ci mais, au début du film tout au moins, intérieurement différent, ce qui est à l’opposé du schéma classique. En outre les rapports avec les Navis évoluent au cours du film de l’hostilité à l’adoption parfaite en passant par toute les nuances intermédiaires tandis que dans Y, A est d’emblée adopté définitivement par le peuple d’Z à la suite d’un signe de la divinité qui en fait un élu.

 

Ainsi non seulement ces thèmes ne sont pas en eux-mêmes monopolisables, mais leur traitement dans les oeuvres en cause n’est pas semblable.

 

Le rite initiatique qui fait passer le jeune héros du statut d’apprenti au statut d’homme lui permettant de prendre femme, s’inspire de ce que nous enseigne l’ethnologie et se retrouve également, comme le relèvent à juste titre les défenderesses, dans de nombreuses oeuvres de fiction antérieures et s’impose quasiment de soi-même dès lors que se trouve exploité le thème de l’adoption dans un peuple proche de la nature aux moeurs différentes. La ressemblance tirée de ce que dans les deux récits il y ait nécessité de monter sur une falaise vertigineuse et de se jeter dans le vide, d’ailleurs dans une finalité différente, plonger dans la mer dans un cas, dominer un oiseau dans l’autre, n’est pas suffisante pour caractériser une reproduction fautive.

 

Les rapports du héros avec une jeune fille de la tribu qui va devenir sa compagne, celle-ci étant par ailleurs la fille d’un dignitaire du peuple en question, constituent tout autant une figure classique, fréquemment utilisée, comme dans LITTLE BIG MAN, film western d’AG AH de 1970, et relève comme élément scénaristique, du fonds commun de la dramaturgie mettant en scène deux peuples ou deux nations rivaux.

 

3) les personnages

 

Les demandeurs soutiennent qu’il existe des points communs entre des personnages tant prinicpaux que secondaires des deux récits qui présenteraient des caractéristiques propres communes et/ou auraient dans le récit une action ou un positionnement similaires.

 

Toutefois, les défenderesses font valoir avec raison que dans la caractérisation d’un personnage, l’apparence physique, la forme qu’il revêt, sont une part importante si ce n’est décisive de son originalité. Or celle-ci n’est pas pour l’essentiel invoquée par les demandeurs, et pour cause puisque les ressemblances à ce niveau sont quasi-inexistantes ou pour le moins ténues.

 

Par ailleurs en se focalisant pour chaque personnage sur les points communs mais en omettant les aspects dissemblants, les demandeurs font une application erronée du principe selon lequel la contrefaçon s’établit par les ressemblances. En effet, la caractérisation d’un personnage en vue de sa comparaison avec un autre suppose de l’appréhender par tous ses facettes et non en se focalisant sur certaines et en omettant d’autre, ceci d’autant plus si comme en l’espèce son apparence physique est laissée de coté.

 

En effet ce procédé conduit à une présentation biaisée et orientée de la comparaison qui ne restitue pas le personnage dans son ensemble.

 

S’agissant des héros, les demandeurs pointent ainsi que dans les deux oeuvres il serait sans famille, courageux et batailleur, supportant mal l’autorité. Il est également relevé des ressorts dramatiques communs, à savoir son adoption par les natifs, la reconnaissance par une divinité, sa place de sauveur au sein du peuple des natifs.

 

Cette présentation, qui repose au demeurant sur des caractéristiques de héros qui appartiennent pour l’essentiel, ainsi qu’il a déjà été dit, au fonds commun de tout récit comportant un héros qui se fait adopter par un peuple qui n’est pas le sien, omet une différence fondamentale tenant à l’état paraplégique de AA AB et au fait qu’il intervient dans le récit auprès du peuple natif par le biais de son B, ce qui suffit en soi à séparer nettement les deux héros.

 

L’héroïne, c’est-à-dire celle qui devient la compagne du héros aurait selon les demandeurs dans les deux oeuvres, pour points communs d’être la fille du chef des natifs, d’être indépendante, rebelle et combattante, d’avoir la peau T, de présenter une musculature imposante, d’être vêtue d’un foulard et d’un bandeau et de tomber amoureuse du héros dont elle devient la compagne.

 

Ces caractéristiques relèvent pour l’essentiel du domaine des idées et des concepts de caractère d’un personnage qui ne sont pas protégeables.

 

La couleur T pour un peuple extra-terrestre appartient fonds commun du genre de la science fiction comme le montrent les nombreuses oeuvres antérieures de ce genre citées par les défenderesses qui leur attribuent cette couleur. Sur le terrain de l’apparence physique, les demandeurs retiennent la musculature et les vêtements de l’héroïne, qui relèvent là encore du lieu commun dans un récit mettant en scène un peuple apparenté à un peuple primitif, et omettent en revanche les différences flagrantes tenant à la taille de géant des Navis, à leur aspect félin que soulignent la forme de leurs yeux, de leur oreilles, la présence d’une queue et leur démarche. Enfin que le héros adopté s’unisse avec la fille du chef constitue également un archétypes dans les oeuvres mettant en jeu un héros adopté par un autre peuple.

 

Le personnage du scientifique favorable au héros et lui prêtant main forte, agissant ainsi en quelque sorte comme un mentor auprès de lui ne constitue qu’une déclinaison du personnage de sage qui soutient et guide le héros dans de nombreux récits de science fiction et dans l’univers épique en général. En outre ce personnage, qui est une femme grande dans B contre un homme barbu portant lunettes noires dans Y présente ainsi une apparence totalement différente. Enfin son intervention dans le récit suit des modalités différentes puisque Grâce AUGUSTINE, le personnage d’B, est au début de l’intrigue déjà en contact avec les natifs qu’elle connaît et étudie de longue date, alors que Maurice DUPRE, le personnage d’Y, entre dans le récit sans connaître le peuple d’Z. Enfin les aspects de caractère, l’indépendance et l’antimilitarisme, sont intrinsèquement nécessaires à la position de mentor de ce personnage et dictés par son positionnement aux cotés du héros dans la situation de colonisation violente, de sorte qu’ils ne définissent nullement une originalité du personnage qui serait protégeable sur ces aspects.

 

Le personnage du dirigeant de la société privée qui veut exploiter les ressources de la S sans considération pour le peuple autochtone constitue là encore un archétype du genre de la science fiction ou du fantastique ainsi que le montrent les exemples des film ALIENS réalisé par I X ou KING KONG réalisé par AI AJ en 1976. En outre leur apparence et leur personnalité diffèrent significativement puisque dans Y il s’agit d’un personnage rigide en costume cravate alors qu’il est dans B d’apparence juvénile et éloignée de celle du businessman et de caractère flottant ou faible dans ses résolutions.

 

Les demandeurs invoquent une série de personnages plus secondaires comme le sorcier, le conducteur, le chef de village, le chef des militaires pour y déceler des ressemblances dans les deux oeuvres alors qu’il s’agit de personnages qui sont des archétypes dont les ressemblances de caractère ou d’apparence qui sont alléguées, comme la musculature et les cheveux en brosse du chef militaire, ou la couleur distincte des vêtements du sorcier ou encore le courage du conducteur du véhicule transportant le héros, participent précisément des caractéristiques de cet archétype. Ainsi ces caractérisations de personnage ne sont pas protégeable et les ressemblances ne sont pas significatives.

 

Outre l’intervention d’une armée privée de protection, dont il a déjà été dit qu’il ne s’agit pas d’un ressort scénaristique protégable, les demandeurs pointent une ressemblance dans l’évolution des modalités d’intervention de celle-ci en ce qu’elle recherche au départ une coopération avant de d’utiliser la violence. Toutefois il s’agit là, encore une fois, d’une situation enseignée par l’histoire même de la colonisation qui ne saurait être protégeable.

 

Ainsi au total, il apparaît que les ressemblances entre les deux oeuvres visées par les demandeurs soit ne sont pas établies ou sont le fruit d’une présentation partielle et trompeuse, soit portent sur des aspects qui appartiennent au fonds commun de divers genres notamment celui de la science fiction ou s’inspirent d’épisodes historiques, et ne sont ainsi pas protégées au titre du droit d’auteur.

 

En conséquence la société E F AL et Monsieur C D seront déboutés de l’ensemble leur demandes au titre de la contrefaçon.

 

Sur la concurrence déloyale

 

La société E F AL soutient à titre subsidiaire que les sociétés défenderesses auraient commis des actes de concurrence déloyale à son préjudice en reproduisant dans le film B des éléments tirés des deux premiers tomes de la bande dessinée Y, à savoir la trame scénaristique, les thématiques abordées, les lieux dans lesquels se déroule l’action, les caractéristiques et l’apparence visuelle des personnages principaux.

 

Elle se réfère ainsi aux éléments déjà invoqués au titre de la contrefaçon, y ajoutant la ressemblance physique des natifs de la S qui sont de forme humanoïde, de peau T et présentent d’importantes aptitudes physiques et celle des paysages notamment de montagne dans une nature luxuriante dans lesquels ils évoluent. Elle invoque en outre que les travaux préparatoires de conception du personnage de Neytiri, l’héroïne navi dans B, qui sont présentés dans le bonus du DVD, établiraient que ce personnage est inspiré de celui de Mi-Nuée la compagne du héros dans Y.

 

Il en résulterait selon elle une confusion dans l’esprit du public, qui se serait du reste manifestée sur des sites internet sur lesquels des internautes auraient fait le rapprochement entre les oeuvres, allant jusqu’à penser que Y aurait plagié B, cette confusion engendrant pour elle un préjudice lié notamment au fait que la bande dessinée Y ne serait de ce fait plus susceptible de faire l’objet d’une adaptation cinématographique en raison des ressemblances inévitables qu’elle comporterait avec le film mondialement connu B.

 

Il sera rappelé que la concurrence déloyale trouve son fondement dans l’article 1382 du Code civil, qui dispose que tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, cette faute étant appréciée au regard du risque de confusion avec l’activité de celui qui l’invoque sans qu’il ne soit nécessaire qu’il existe une situation de concurrence directe.

 

En l’occurrence, ainsi qu’il a été vu les ressemblances invoquées d’une part ne sont pas toutes constituées et d’autre part reposent, quand elles le sont, sur l’emploi de figures imposées par les lois du genre ou inspirées d’exemples historiques qui sont de libres parcours, de sorte qu’aucune faute ne saurait en résulter.

 

En outre, le scénario du film pris dans son ensemble présente avec celui d’Y des différences majeures que ce soit par le rôle joué par l’utilisation des avatars, par les développements fouillés et poétiques sur le lien des natifs avec la nature, par la personnalité du héros et ses motivations, par le déroulement des événements uniquement centrés sur la S PANDORA alors qu’il se joue pour partie sur terre dans les deux premiers tomes de la bande dessinée.

 

Surtout, la formalisation de ces éléments scénaristiques dans les images, les décors, l’apparence des personnages distinguent nettement les deux oeuvres en écartant tout risque de confusion. Le recours à des personnages bleus humanoïdes pour le peuple de natifs ne suffisant pas à susciter une confusion entre les deux oeuvres alors que pour le reste leur apparence, ainsi qu’il a été dit, présente des différences manifestes. Les documents préparatoires du personnage de Neytiri ne sont pas probants pour apprécier l’existence d’un risque de confusion, seul le personnage tel que présenté dans l’oeuvre étant à analyser.

 

Les décors et les paysages ne sont pas plus semblables, puisqu’ils donnent lieu dans le film à un travail particulier et riche sur les couleurs, les lumières, la luminescence qui n’existe nullement dans la bande dessinée.

 

La présence dans les deux oeuvres d’un nature luxuriante ou de paysages montagneux ne constitue nullement une source de confusion, dès lors qu’outre d’être sur le principe très banale, en particulier dans une oeuvre traitant d’un peuple paraissant primitif, leur représentation en image est sans comparaison possible, les montagnes invoquées étant notamment constituées dans le film B par des montagnes flottantes dans le ciel, qui n’ont rien de commun avec les paysages de la bande dessinée.

 

Par ailleurs, la réaction de quelques internautes faisant un rapprochement entre les deux oeuvres ne suffit pas à démontrer le risque de confusion entre celles-ci.

 

Enfin de manière surabondante, il convient de prendre en considération que Monsieur I X a indiqué de manière très détaillée dans son attestation les sources propres de son inspiration avec à l’appui des documents et les attestations de personnes ayant travaillé avec lui qui la rendent particulièrement crédible, de sorte qu’il apparaît que le film provient de sa création personnelle.

 

Par ailleurs, il n’est nullement établi par la demanderesse que les deux premiers ouvrages d’Y publiés aux Etats-Unis aient eu une notoriété ou une diffusion telle que Monsieur I X en aurait eu nécessairement connaissance, pas plus qu’elle n’établit que les studios d’HOLLYWOOD auraient examiné la possibilité d’adapter la bande dessinée, la lettre qu’elle produit au soutien de cette affirmation étant particulièrement peu explicite.

 

Ainsi, la concurrence déloyale n’est pas établie. La société E F PRODUCTION sera donc déboutée de ses demandes à ce titre.

 

Sur les demandes relatives aux frais du litige et aux conditions d’exécution de la décision

 

La société E F AL et Monsieur C D, parties qui succombent, seront condamnés in solidum aux dépens.

 

En outre ils doivent être condamnés in solidum à verser aux sociétés J CENTYRY FOX , qui ont du exposer des frais pour faire valoir leurs droits, une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile qu’il est équitable de fixer à la somme globale de 15.000 euros.

 

Les circonstances de l’espèce n’imposent pas le prononcé de l’exécution provisoire.

 

PAR CES MOTIFS

 

Le Tribunal, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et rendu en premier ressort :

 

— REJETTE les demandes au titre de la contrefaçon de droit d’auteur ;

 

— REJETTE les demandes au titre de la concurrence déloyale ;

 

— CONDAMNE in solidum la société E F AL et Monsieur C D aux dépens ;

 

— CONDAMNE in solidum la société E F AL et Monsieur C D à payer aux sociétés J K FOX FRANCE Inc.et J K FOX HOME ENTERTAINMENT FRANCE une somme globale de 15.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

 

— DIT n’y avoir lieu à l’exécution provisoire de la présente décision.