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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 29 avril 2011, n° 09/24698

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Games Marketing Services Gms (SARL)

Défendeur :

Oeuvre Nationale De Secours Grande-Duchesse Charlotte (Sté), Scientific Games International Limited (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Girardet

Conseillers :

Mme Regniez, Mme Nerot

Avoués :

Me Teytaud, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Bommart-Forster- Fromantin

Avocats :

Me Venediger, Me d'Ornano, Me Schaack, Me Honathan, Me Michel

TGI Paris, 3e ch. sect. 2, du 27 nov. 20…

27 novembre 2009

Estimant être titulaire de droits d'auteur sur un jeu télévisé intitulé 'Gagnez au jackpot TV' que l'établissement de droit public luxembourgeois Oeuvre Nationale de Secours Grande Duchesse-Charlotte, ci-après l'établissement Oeuvre Nationale de Secours, aurait repris sans autorisation dans le cadre de l'émission de jeu télévisé 'Picobello', diffusé sur la chaîne de télévision RTL Télé, la société Games Marketing Services, ci-après G MS, a assigné l'établissement public devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon et en concurrence déloyale.

Elle assigna en outre la société Scientific Games International Limited, ci-après SGI, qui aurait pris part à la préparation du jeu incriminé alors qu'elle l'avait chargée, par contrat du 2 mars 2004, de l'impression des tickets à gratter distribués pour le jeu 'Grattez au Jackpot TV' et de la promotion de ce jeu en Afrique et au Proche -Orient.

Par jugement en date du 27 novembre 2009, le tribunal constata que le jeu tel que revendiqué, n'était pas protégeable par le droit d'auteur et débouta la société GMS de l'ensemble de ses demandes formées tant sur le fondement de la contrefaçon et de la concurrence déloyale que sur celui de manquements contractuels reprochés à la société Scientific Games International ;

Vu les dernières écritures en date du 16 février 2011 de la société GMS qui soutient que l'œuvre intitulée 'Gagnez au jackpot TV' dont elle est désormais la seule titulaire des droits, constitue bien une œuvre de l'esprit originale, que le jeu Picobello Jackpot en est la contrefaçon, que l'établissement public a commis en outre des actes de concurrence déloyale en perturbant la promotion et la diffusion de son jeu ; elle fait par ailleurs grief à la société SGI d'avoir travaillé à l'élaboration du jeu Picobello Jackpot alors qu'elle était contractuellement tenue d'assurer la promotion du jeu 'Gagnez au Jackpot', pour conclure au prononcé d'une mesure d'interdiction et solliciter la production des contrats conclus avec les loteries nationales qui mettent en œuvre le jeu contrefaisant, à la condamnation in solidum de l'établissement l'Oeuvre Nationale de Secours et de la société SGI à lui verser la somme de 6 673 672 euros ;

Vu les dernières écritures en date du 23 février 2011 de l'établissement Oeuvre Nationale de Secours qui demande à la cour de dire que la société GMS n'est pas titulaire de l'ensemble des droits d'auteur sur le jeu 'Gagnez au Jackpot TV' et qu'elle n'est pas plus recevable à agir en se prévalant des émissions télévisés dudit jeu dont elle n'est pas la productrice, avant de soutenir au fond que le conducteur du jeu télévisé 'Gagnez au Jackpot TV' n'est pas éligible à la protection du droit d'auteur, et de solliciter à titre reconventionnel la condamnation de l'appelante à lui verser la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Vu les dernières écritures en date du 14 février 2011 de la société SGI qui sollicite la confirmation du jugement déféré sauf en ce qu'il n'a pas fait droit à sa demande de rejet des débats la pièce n° 24 qu'elle produite, et en ce qu'il a rejeté sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

SUR CE,

Sur la recevabilité à agir de la société GMS :

Considérant que l'établissement Oeuvre Nationale de Secours fait valoir que la société Devarrieux Villaret est co-auteur du jeu que revendique la société GMS et que cette dernière n'établit pas être cessionnaire de l'ensemble des droits attachés à ce jeu, en sorte qu'elle ne serait pas recevable à agir seule en contrefaçon que ce soit du jeu lui même ou de l'œuvre audiovisuelle qui en est issue ;

Mais considérant que, comme l'ont relevé les premiers juges, l'article 5 de l'avenant n° 2 à la convention du 3 septembre 2001, conclu le 25 janvier 2005, entre GMS et la société Devarrieux Villaret dipose, sans ambiguïté que cette dernière cède à GMS ses droits d'auteur sur le jeu en cause 'à savoir son droit d'exploitation qui comprend tous les droits de représentation, de reproduction et d'adaptation', y compris les droits d'exploitation pour une télédiffusion par voie de satellite, ce que confirme au surplus l'attestation du 26 août 2009 de la société H, anciennement Devarrieux-Villaret ;

Considérant par ailleurs, que GMS agissant en contrefaçon des droits d'auteur qu'elle revendique sur le jeu et non pas sur l'oeuvre audiovisuelle qui en est issue, le moyen tiré de l'irrecevabilité de l'action pour défaut de mise en cause des co-auteurs de l'oeuvre audiovisuelle est dénué de portée ;

Que la décision entreprise sera en conséquence confirmée en ce qu'elle a déclaré la société GMS recevable en son action ;

Sur l'originalité du jeu Gagnez au Jackpot TV :

Considérant que l'appelante expose qu'elle revendique l'enchaînement des séquences ainsi que la combinaison des mécanismes de tirages de 'Gagnez au Jackpot TV' décrits dans le règlement du jeu ainsi que dans le conducteur ;

Qu'elle en décrit la combinaison des caractéristiques comme suit :

<< Dans une 1ère étape : le candidat achète un ticket à gratter auprès d'un vendeur agréé.

Après avoir gratté les cases correspondantes, soit le candidat gagne une somme d'argent figurant à trois reprises sur les zones grattées, soit il apparaît trois symboles 'TV' sur le ticket, et dans cette hypothèse, ledit candidat est invité à participer à l'émission télévisée de tirage.

Dans une 2ème étape : un animateur accueille le candidat pour le tirage télévisé du jackpot, sur le plateau spécifiquement prévu à cet effet, en présence du public.

Après un bref dialogue avec le candidat (qui a déjà acquis un gain minimum garanti), et le rappel des modalités de participation au jeu, le présentateur offre au candidat une boule de tirage et l'invite à se placer devant une table de jeu horizontale, ronde, présentant la configuration d'une 'boule' de casino, avec 10 cases numérotées de 1 à 10 et une identification des numéros pairs et impairs par 2 couleurs distinctes.

L'objectif à ce stade pour le candidat est, en choisissant une couleur (n° pair ou impair) de doubler le gain qu'il a déjà acquis avant de participer à l'émission télévisée.

Si le résultat est atteint, le candidat passe alors à l'étape suivante et dispose d'une nouvelle chance de jouer lui permettant de continuer à multiplier son gain.

Si le joueur échoue à cette étape, son gain n'augmente pas mais le jackpot est augmenté. Il en sera ainsi à chaque échec du joueur. Il s'agit ici de la spécificité de ce jeu, soit le joueur gagne et il augmente ses gains, soit le joueur échoue et il permet d'augmenter la cagnotte.

Si le joueur gagne à cette deuxième étape, il est alors qualifié pour la troisième et dernière étape lui permettant de jouer pour gagner le jackpot (dont le montant progresse au fur et à mesure des échecs des joueurs s'étant succédés précédemment sur le plateau).

Au cours de ce troisième et dernier lancer et après avoir annoncé le numéro choisi, le joueur peut, soit voir la boule s'immobiliser sur ledit numéro et ainsi remporter le jackpot, soit repartir avec le gain acquis lors des étapes précédentes.

Le joueur a, au cours du jeu, trois lancers autorisés. S'il échoue à une étape, il peut retenter sa chance à cette étape dans la limite de ces trois lancers. Si le joueur échoue dans les lancers, ces échecs permettent au montant du jackpot d'augmenter sans limite.

Un gain acquis par le joueur l'est de façon définitive quelle que soit l'issue de son lancer suivant>>.

Qu'elle souligne encore que le jeu se caractérise par la combinaison :

<<- d'un ticket à gratter, avec un premier rang de gains qui permet d'accéder à un tirage télévisé ;

- d'un tirage télévisé, où les gagnants viennent tenter leur chance avec un possibilité de gain ouverte ;

- d'un jackpot cumulatif, remis en jeu d'une émission TV à l'autre au cas où il n'est pas gagné ; ce jackpot cumulatif conférant à la loterie la possibilité d'offrir au joueur des sommes jusqu'alors jamais atteintes pur un jeu ayant comme support un ticket à gratter. Si le jackpot est gagné, la loterie dote un nouveau jackpot d'un montant minimum défini pour les futurs gagnants>>.

Considérant que l'appelante revendique un droit d'auteur non pas sur chacune des étapes de son jeu dont elle reconnaît qu'elles sont connues, mais sur leur combinaison et leur enchaînement ;

Considérant que ce faisant, elle prétend que les principes ou règles de son jeu sont éligibles à la protection par le droit d'auteur indépendamment de la forme qu'elle leur a donnée dans son conducteur et son règlement ;

Mais considérant que comme l'ont pertinemment souligné les premiers juges, les règles ci-dessus détaillées dans la présentation des étapes du déroulement du jeu, ne constituent qu'une articulation de concepts ou de 'principes' insusceptibles de donner prise au droit d'auteur ;

Que leur nouveauté est indifférente, seul important l'expression formelle du jeu, laquelle n'est pas revendiquée en tant que telle par l'appelante ;

Que c'est donc à bon droit que les premiers juges ont constaté que le jeu 'Gagnez au Jackpot TV' ne pouvait bénéficier de la protection instaurée par le Livre I du code de la Propriété Intellectuelle et ont rejeté les demandes formées au titre de la contrefaçon ;

Sur la concurrence déloyale :

Considérant que l'appelante n'avance ce moyen non pas comme un subsidiaire à l'action en contrefaçon, mais pour fonder des demandes complémentaires en incriminant la reprise d'un jackpot cumulable d'une émission sur l'autre, ce qui augmente l'intérêt pour le jeu, l'utilisation du terme 'jackpot'et celle d'un matériel de tirage similaire (plateau circulaire sous forme de boules de casino, de deux couleurs, organisation de l'émission de télévision autour de ce plateau) ;

Considérant toutefois que la référence au terme Jackpot emprunté aux jeux de casino, est tout à fait courante en matière de jeu d'argent ;

Qu'il n'est pas contestable que l'existence d'une cagnotte qui cumule les gains non distribués, existait déjà dans les années soixante-dix ;

Qu'enfin, le choix des boules de couleurs et de la table de jeu ne sont que des références d'usage à l'univers des jeux de casino ;

Que la décision entreprise sera en conséquence également confirmée en ce qu'elle a rejeté l'action en concurrence déloyale de la société GMS ;

Sur la violation des dispositions contractuelles conclues entre les sociétés GMS et SGI le 2 mars 2004 :

Considérant que GMS fait grief à SGI qui n'était pas seulement chargée d'imprimer les tickets à gratter mais devait assurer la promotion du jeu sur les territoires concédés, d'avoir détourné les informations confidentielles dont elle avait connaissance au profit de la Loterie Nationale du Luxembourg ; qu'elle aurait, comme en atteste Monsieur CAYE, à l'époque vice-président de SGI, présenté le jeu Gagnez au Jackpot TV aux représentants de la Loterie nationale du Luxembourg en avril 2004 et au cours de réunions ultérieures, et assisté la Loterie nationale du Luxembourg dans la conception et la réalisation du jeu incriminé ' Picobello Jackpot' ;

Qu'elle en déduit que ces agissements constituent une violation de l'obligation de promouvoir le jeu Gagnez au Jackpot TV et une violation de l'obligation de confidentialité, qui engage sa responsabilité contractuelle en application du droit anglais auquel le contrat est soumis ;

Considérant que la société SGI oppose que l'état du droit du Royaume-Uni applicable au contrat n'est pas justifié par la pièce 24 produite par l'appelante et, subsidiairement au fond, que GMS ne démontre pas lui avoir remis des informations confidentielles avant de conclure qu'elle n'a pas pris part à la conception du jeu incriminé ;

- sur la pièce n° 24 :

Considérant qu'il s'agit d'une consultation d'un cabinet d'avocats anglais datée du 31 juillet 2009 et relative au contenu du droit du Royaume-Uni, auquel est soumis le contrat du 2 mars 2004 ;

Que la société SGI relève que la traduction de cette consultation a été produite sans qu'elle soit accompagnée de la version originale en anglais, pour en demander le rejet des débats ;

Mais considérant qu'ont été produites en pièce 24 la consultation juridique du cabinet Davenport Lyons accompagnée d'une traduction libre en sorte que le moyen n'est pas fondé ;

- sur la violation des dispositions contractuelles :

Considérant que l'argumentation de l'appelante repose donc sur deux assertions selon lesquelles elle aurait remis à SGI des informations de nature confidentielle et que celle-ci les aurait exploitées pour la conception et la mise en oeuvre du jeu télévisé Picobello Jackpot ;

Considérant toutefois que la preuve de la remise de telles information fait défaut, les dispositions du contrat (art 5) mentionnant certes les documents qui par leur nature sont confidentiels, mais ne précisant pas les documents qui furent effectivement remis à SGI ; qu'aucune correspondance ultérieure ne vient attester de la remise d'informations confidentielles ;

Que la cour observe enfin que le jeu était déjà diffusé dans plusieurs pays africains lorsque les parties ont contracté ;

Considérant s'agissant de l'exécution de bonne foi de la convention, exigence également présente en droit anglais, que la SGI se devait dans la prestation qu'elle a fournie à la Loterie nationale de Luxembourg de ne pas faire profiter cette dernière du savoir faire qu'elle avait acquis en exécution du contrat qu'elle avait conclu avec la société GMS, quand bien même aucune clause de non concurrence n'y est elle portée ;

Considérant que pour justifier de la part que SGI aurait prise dans la préparation du jeu litigieux, l'appelante verse l'attestation de Monsieur Caye et les rapports d'activité mensuels de SGI qui rendent compte des opérations commerciales menées pour promouvoir le jeu Gganez au Jackpot TV ;

Considérant cependant que Monsieur Caye qui détenait une part significative du capital de l'appelante lorsqu'il fit cette attestation, ne décrit pas précisément le rôle que l'intimée aurait joué ; qu'il fait état de réunions avec la Loterie nationale du Luxembourg sans en spécifier le contenu et sans décrire l'assistance fournie par SGI ;

Que le directeur général de la Loterie nationale du Luxembourg gérée par l'établissement Oeuvre nationale de Secours, affirme que SGI n'a jamais eu un rôle de consultant ou d'assistant pour les shows télévisés et qu'elle n'a pas pris part à des réunions pour la mise en place du jeu télévisé Picobello ;

Considérant enfin, que les rapports de SGI ne font état que des diligences de cette société pour promouvoir le jeu de l'appelante et non pas pour promouvoir le jeu incriminé ;

Que c'est donc également à bon droit que les premiers juges ont rejeté l'action en responsabilité contractuelle dirigée contre SGI ;

Sur la demande pour procédure abusive :

Considérant que les deux intimés forment une demande de condamnation de GMS pour procédure abusive ;

Considérant toutefois que l'appelante a pu se méprendre sur l'exacte portée de ses droits sur le jeu à la conception et à la commercialisation duquel elle a pris part, ainsi que sur le rôle joué par la SGI dans la mise en œuvre du jeu litigieux ;

Qu'aucun élément ne vient caractériser l'existence d'un abus dans l'exercice des actions engagées par GMS ;

Que les demandes reconventionnelles seront rejetées ;

Sur l'article 700 du Code de procédure civile :

Considérant que l'équité commande en revanche de condamner GMS à verser à chacune des intimées la somme de 5 000 euros au titre des frais irréptibles exposés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS,

Confirme la décision déférée,

Rejette les demandes reconventionnelle,

Condamne la société Games Marketing Services à verser à chacun des intimés la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens qui seront recouvrés dans les formes de l'article 699 du même code.