Cass. 3e civ., 12 juillet 2000, n° 98-22.000
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Beauvois
Rapporteur :
M. Bourrelly
Avocat général :
M. Weber
Avocats :
Me Choucroy, SCP Delaporte et Briard, SCP Piwnica et Molinié, Me Thouin-Palat
Sur les deux moyens du pourvoi principal, réunis :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 24 septembre 1998), que la société Etma a conclu le 28 septembre 1995, avec la société SDIMA, la promesse de vente de son fonds de commerce, exploité dans le Centre commercial de la Défense, en vertu d'un bail réservant à la société civile immobilière du Centre commercial de la Défense (société CCD), bailleresse, les droits de préemption et substitution ; que la vente a été suspendue à deux conditions, notamment le non-exercice de ces droits ; qu'informée de la promesse, la société CCD a décidé de préempter puis s'est substituée la société Alain Manoukian (société Manoukian) ; que la cession a eu lieu le 3 novembre 1995 en faveur de celle-ci ; que la société SDIMA en a demandé l'annulation ;
Attendu que la société SDIMA fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande, alors, selon le moyen, 1° que si aucun texte spécifique ne prohibe expressément le droit de préemption du bailleur en cas de cession du fonds de commerce par le preneur, l'existence d'un tel droit restrictif du droit de propriété apparaît incompatible avec les règles d'ordre public gouvernant le statut des baux commerciaux et plus spécialement celle, découlant de l'article 35-1 du décret du 30 septembre 1953, édictant la nullité de toute clause tendant à interdire au locataire de céder son bail ou les droits qu'il tient du présent décret à l'acquéreur de son fonds de commerce ; qu'en effet, il y a atteinte à la libre cessibilité de la propriété commerciale si le bailleur s'arroge le droit de préempter le fonds de commerce objet d'une cession au profit de l'acquéreur exerçant la même activité commerciale, ce qui s'est produit en l'espèce au préjudice de la société SDIMA ; que l'arrêt a donc violé ensemble les articles 1 et suivants et notamment 35-1 du décret précité en relation avec les articles 1131 et 1134 du Code civil ; 2° qu'en tant que stipulé comme condition suspensive de la vente, le droit de préemption du bailleur est un procédé illicite puisqu'il tend à tourner la règle supranationale, insérée à l'article 1 du protocole n° 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, précisant que " toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international " ; qu'en effet, l'objet de la clause de préemption étant de différer la vente jusqu'à la mise en oeuvre par le bailleur de ce prétendu droit fait donc dépendre la privation de la propriété du cessionnaire de cette mise en oeuvre discrétionnaire ; que l'arrêt a donc violé encore le texte précité en relation avec les articles 1131 et 1134 du Code civil ; 3° qu'un centre commercial comportant des locaux commerciaux bénéficiant du statut de la propriété commerciale ne peut de plus fort, en tant que bailleur de ces locaux et eu égard à sa position dominante par rapport à ses locataires, leur imposer un droit de préemption en cas de cession de leurs fonds de commerce ; qu'en effet, s'il ne s'agit pas nécessairement d'une condition purement potestative, le caractère discrétionnaire d'exercice de ce droit en fait un obstacle inhérent à l'exercice des droits afférents à la propriété commerciale des locataires et des successeurs à leur commerce ; que l'arrêt a donc violé à nouveau les articles 1 et suivants du décret du 30 septembre 1953 en relation avec les articles 1131 et 1134 du Code civil ; 4° que le droit de préempter étant exercé par un bailleur qui n'avait pas la qualité de commerçant et ne pouvait donc préempter pour son compte un fonds de commerce était par là-même irrégulier ; que cette irrégularité ne pouvait être effacée par la substitution opérée au profit de la société Manoukian reposant sur une préemption vicieuse ; que l'arrêt a donc violé les articles 1131 et 1134 du Code civil ;
5° que le double fait de la modification des conditions et charges dans la cession de novembre 1995 par rapport à celle de septembre précédent et de l'appropriation de tous les locaux commerciaux voisins par la société Manoukian avec le concours de la société du Centre commercial de la Défense traduit à tout le moins un abus d'exercice du droit de préemption du bailleur à l'encontre de la société SDIMA, qui a été spoliée d'un fonds de commerce objet d'une promesse synallagmatique, au prétexte de soi-disant restructuration et améliorations du centre commercial ne profitant qu'à la société Manoukian ; que l'arrêt a donc violé l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, qu'ayant exactement retenu qu'aucun texte ne prohibe l'insertion, dans le bail de locaux à usage commercial, d'une clause prévoyant un droit de préemption au profit du bailleur en cas de cession de ce contrat ou du fonds de commerce, et que, de ce chef, le bail conclu entre les sociétés CCD et Etma ne portait atteinte à aucun des droits que le décret du 30 septembre 1953 reconnaît au locataire, libre de vendre son fonds aux conditions qu'il a acceptées, la cour d'appel, qui, abstraction faite d'un motif surabondant, en a justement déduit que la clause instituant le droit de préemption était valable, a relevé, à bon droit, que, soumise à la condition que la bailleresse ne mettrait pas son droit de préemption en oeuvre, la promesse dont avait bénéficié la société SDIMA n'avait pas valu vente, en sorte que, n'étant pas devenue propriétaire, cette société invoquait à tort l'article 1er du premier protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Attendu, d'autre part, que la cour d'appel, ayant constaté que la promesse consentie par la société Etma à la société Manoukian était moins avantageuse pour l'acquéreur que celle qu'avaient conclue les sociétés Etma et SDIMA, et que le bailleur avait usé du droit de préemption afin de restructurer le centre commercial et d'en améliorer le fonctionnement, a pu déduire de ces seuls motifs que ce droit n'avait pas été détourné de son objet ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident : (Publication sans intérêt) ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois.