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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 6 novembre 2013, n° 10/17437

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Société D'organisation Comptable Et D'études Fudiciaires (SAS)

Défendeur :

Cowley, Racine Art (SARL), Terk (Epoux)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bartholin

Conseillers :

Mme Blum, Mme Reghi

Avocats :

Me Baechlin, Me Soubeille, Me Galland, Me Wilhelm, Me Teytaud, Me Martin

TGI Paris, du 1 juill. 2010, n° 08/17678

1 juillet 2010

EXPOSE DU LITIGE

Par acte sous seing privé en date du 27 janvier 1999, M et Mme Terk ont donné à bail à la société Galerie Art des locaux situés [...] à compter du 1er février 1999 et pour une durée de neuf années jusqu'au 31 janvier 2008.

La société Racine Art a cédé son fonds de commerce à M Brian Cowley suivant acte notarié du 1er août 2003 ;

Par acte d'huissier du 19 juin 2007, M et Mme Terk ont donné congé avec offre de renouvellement qu'ils ont ensuite rétractée par acte d'huissier du 18 avril 2008 au motif du défaut d'immatriculation de M Cowley au registre du commerce et des sociétés, de l'apport de fonds à la société Racine Art sans respect des clauses et conditions du bail et du défaut de paiement des loyers ayant nécessité la délivrance de trois commandements de payer les 20 novembre 2007, 15 janvier 2008 et 26 février 2008.

M et Mme Terk ont assigné M Cowley suivant acte d'huissier du 11 décembre 2008 en dénégation du droit au renouvellement du bail.

M Cowley et la société Racine Art ont fait intervenir à l'instance la société Société d'organisation comptable et fiduciaires dite socef.

Par jugement du 1er juillet 2010, le tribunal de grande instance de Paris a :

- dit que la bail des locaux sis [...] a pris fin le 31 janvier 2008,

- dit que la société Racine Art et M Cowley sont occupants dans droit ni titre,

- ordonné leur expulsion des lieux avec l'assistance e la force publique si besoin est à compter du 1er janvier 2011,

- condamné in solidum M Brian Cowley et la société Racine Art à payer en deniers ou quittances au cas où des versements seraient intervenus postérieurement au 1er décembre 2009 à M et Mme Terk la somme de 6 368,19 € au titre des indemnités d'occupation arriérées, au 18 mars 2010,

- condamné in solidum M Brian Cowley et la société Racine Art à payer à M et Mme Terk une indemnité d'occupation mensuelle égale au montant du loyer contractuel outre les charges et taxes à compter du 1er avril 2010 et jusqu à la libération des lieux,

- condamne M Brian Cowley et la société Racine Art à payer à M et Mme Terk la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que la Socef est responsable du préjudice subi par M Brian Cowley et tous droits et moyens des parties réservés a désigné un expert M Vasselin pour rechercher tous éléments permettant de déterminer le montant de l'indemnité d'éviction dans le cas de la perte du fonds comme dans le cas de son transfert sans perte conséquente de clientèle, fixant la provision à la somme de 2 500 € à consigner par M Cowley et renvoyant l'affaire à une audience du juge de la mise en état.

- ordonné l'exécution provisoire du jugement.

La société d'organisation comptable et d'études fiduciaires dite Socef a interjeté appel de cette décision le 25 août 2010 enrôlé sous le n° RG 10-17437 ; elle s'est désistée ensuite de son appel, à l'encontre de M et Mme Terk, ce qui a été constaté par ordonnance du conseiller de la mise en état du 1er décembre 2010.

M Brian Cowley et la société Racine Art ont eux mêmes interjeté appel du jugement, appel enrôlé sous le n° RG 10-17355 ;

Les deux procédures ont été jointes ;

L'appel de M Cowley et de la société racine Art a été déclaré irrecevable par ordonnance du conseiller de la mise en état 27 avril 2011 qui a constaté le dessaisissement de la cour à cet égard et la disjonction des affaires RG 10-17355 et 10-17437;

Par ordonnance du 29 février 2012, le conseiller de la mise en état a déclaré l'appel provoqué par M Cowley et la société Racine Art à l'encontre de M et Mme Terk par conclusions du 10 juin 2011 irrecevable.

M Cowley et la société Racine Art ont le 26 janvier 2012 assigné en appel provoqué M et Mme Terk ; par ordonnance du 13 juin 2012, le conseiller de la mise en état a déclaré cet appel provoqué recevable.

La société d'organisation comptable et d'études fiduciaires dite Socef demande par conclusions signifiées le 28 janvier 2011 de réformer le jugement déféré et de débouter M Cowley et la société Racine Art de toutes leurs demandes, de les condamner à lui verser la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et en tous les dépens.

M Cowley et la société Racine Art, par conclusions signifiées le 10 juin 2011, demandent à la cour de :

Dire et juger qu'ils sont recevables en leur appel provoqué à l'encontre de M et Mme Terk et dire leur demande prescrite par application de l'article L. 110-4 du code de commerce, subsidiairement dire que M Cowley a acquis le bail commercial pour le compte de la société Racine Art, qui a régulièrement repris son engagement, de débouter M et Mme Terk de la totalité de leurs demandes, de juger que faute de congé délivré à la société Racine Art, le bail s'est reconduit à compter du 31 janvier 2008 pour un loyer fixé à 23 602 €,

A titre subsidiaire, dire que la rétractation du congé n'est pas fondée sur des motifs graves et légitimes, dire que la procédure de renouvellement est irrégulière, qu'il n'y a pas lieu à résiliation du bail, juger en conséquence que M et Mme Terk sont tenus de verser à M Cowley une indemnité d'éviction, désigner tel expert qu'il plaira avec mission de proposer une valorisation de cette indemnité,

En tout état de cause,

Dire que la socef est responsable du préjudice subi par M Cowley et la société Racine Art et désigner tel expert qu'il plaira au tribunal de nommer avec mission de proposer une valorisation du fonds de commerce, et des conséquences financières de la procédure.

Débouter les époux Terk et la socef de toutes leurs demandes,

Les condamner à lui verser une somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamner les époux Terk et la socef aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

M et Mme Terk par conclusions signifiées le 3 juillet 2013 demandent à la cour de :

Dire et juger que l'ordonnance du conseiller de la mise en état n'a pas autorité de chose jugée quant à la recevabilité de l'appel provoqué et de dire irrecevable l'appel provoqué par M. Cowley et la société Racine Art à leur encontre,

A titre subsidiaire,

Ecarter des débats toutes autres pièces que celles communiquées par M et Mme Terk ,

Confirmer le jugement déféré,

Débouter M Cowley et la société Racine Art de toutes leurs demandes,

Condamner in solidum M Cowley et la société Racine Art à leur payer la somme additionnelle de 89 280,76 € à titre de dommages intérêts,

A titre plus subsidiaire,

Résilier le bail de M Cowley,

En tout état de cause,

Condamner in solidum M Cowley et la société Racine Art à leur payer la somme de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et en tous les dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du même code.

SUR CE,

I- Sur l'appel provoqué :

Avant de trancher l'appel principal et la question de la responsabilité de la société Socef dans ses rapports avec M Cowley et la société Racine Art, il convient de statuer sur l'appel provoqué par M Cowley et la société Racine Art contre M et Mme Terk.

M et Mme Terk reprennent devant la cour leur demande tendant à voir dire irrecevable l'appel provoqué formé à leur encontre par M Cowley et la société Racine Art au motif que la socef appelée en garantie en première instance et qui s'est désistée de son appel, était sans lien avec eux de sorte que l'appel de la socef était sans lien juridique et sans portée dans leurs relations avec M Cowley, que le désistement de l'appelante principal a donc entraîné leur mise hors de cause de sorte qu'aucun appel provoqué n'était plus possible contre eux ;

Il sera rappelé que le conseiller de la mise en état est exclusivement compétent jusqu'à son dessaisissement pour trancher toutes questions relatives à la recevabilité de l'appel, que si l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 13 juin 2012 n'a pas autorité de chose jugée au principal par exception aux dispositions de l'article 914 du code de procédure civile, cette ordonnance n'a fait l'objet d'aucun recours et le conseiller de la mise en état a parfaitement apprécié que, quoique forclos à agir au principal contre M et Mme Terk, M Cowley et la société Racine Art étaient recevables, par application de l'article 550 du code de procédure civile, à former par voie d'assignation, un appel provoqué contre les époux Terk, parties en première instance contre M Cowley et la société Racine Art, au cours de laquelle la société Socef a été appelée en garantie, l'absence de lien juridique entre l'appelé en garantie et les époux Terk étant sans portée à cet égard.

Sur le refus de renouvellement du bail opposé par M et Mme Terk :

Les époux Terk ayant fait connaître leur refus de renouvellement pour dénégation du droit au statut du fait du défaut d'immatriculation de M Cowley au registre du commerce et des sociétés par acte d'huissier du 18 avril 2008, ils étaient recevables à agir le 11 décembre 2008 en justice dans le délai biennal de l'article L. 145-60 du code de commerce pour voir dénier tout droit à renouvellement du bail à M Cowley ;

En conséquence, la demande de M Cowley tendant à voir constater la prescription de leur action au motif que les bailleurs connaissaient l'existence de la société Racine Art, avec laquelle ils étaient en réalité sans lien de droit, doit être rejetée.

M Cowley et la société Racine Art font valoir au fond, sans produire en cause d'appel la moindre pièce, que M et Mme Terk connaissaient l'existence de la société Racine art laquelle payait le loyer et était régulièrement immatriculée au registre du commerce et des sociétés, que M Cowley avait annoncé, dés l'acte de cession, son intention de se voir substituer la société Racine Art devant le notaire chargé de la rédaction de l'acte, que la société Racine Art a d'ailleurs repris ses engagements, que le notaire aurait dû s'assurer de l' immatriculation de M Cowley qui était à jour dans le règlement de ses loyers, que celui-ci doit en conséquence bénéficier d'une indemnité d'éviction ;

Or comme l'a justement rappelé le tribunal, la société Galerie art a cédé avec l'accord des bailleurs M et Mme Terk son droit au bail à M Cowley et non à la société Racine Art avec laquelle ils sont sans lien de droit et qu'ils n'ont à aucun moment considérée comme leur locataire, peu important que celle-ci se soit acquittée des loyers aux lieu et place de M Cowley personnellement ; l'attention de M Cowley avait été spécialement attirée dans l'acte de cession sur la nécessité de procéder à son immatriculation personnelle en tant que commerçant au registre du commerce et des sociétés et son apport revendiqué du droit au bail à la société Racine art, sans intervention des bailleurs à l'acte ni notification, est dénuée de portée et constitue au demeurant une violation des dispositions du bail concernant la cession du droit au bail ;

Il s'ensuit que le tribunal a à juste titre dit que les époux Terk étaient fondés à opposer un refus de renouvellement du bail commercial à M Cowley au motif de son absence d'immatriculation au registre du commerce et de sociétés, que le bail a pris fin le 31 janvier 2008 et ordonné l'expulsion de M Cowley et de la société Racine Art occupants sans droit ni titre.

M Cowley qui ne peut prétendre au bénéfice du statut des baux commerciaux du fait de son absence d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés à la date du renouvellement est mal fondé à revendiquer le paiement d'une indemnité d'éviction et la désignation d'un expert pour permettre son estimation ;

Sur le montant des sommes dues par M Cowley et la société Racine Art :

Le tribunal a condamné M Cowley in solidum avec la société Racine Art occupante à payer à M et Mme Terk la somme de 6 368,19 € à titre d'indemnité d'occupation arrêtée au 16 mars 2010, en deniers ou quittances, et à payer en suite à compter du 1er avril 2010 une indemnité d'occupation égale au montant du loyer, des taxes et des charges ; ces dispositions ne sont pas spécialement critiquées et seront confirmées;

M Cowley et la société Racine art font valoir qu'au jour de leur départ des lieux le 30 novembre 2010, ils n'étaient redevables d'aucune somme envers les bailleurs qui indiquent au contraire que les occupants restaient devoir à leur départ une somme de 24 372,51 € ; M et Mme Terk ne justifient cependant par aucun décompte correspondant, de l'arriéré au jour du départ des lieux des occupants de sorte qu'ils seront donc déboutés de leur demande en paiement de cette dernière somme.

M et Mme Terk invoquent également avoir dû effectuer dans les lieux divers travaux pour un montant de 23 280,76 € aux fins de permettre la relocation à laquelle ils n'ont pu procéder, du fait de la nécessité de remettre en état les locaux laissés dans un état déplorable, pendant une période allant du 1er décembre 2010 au 1er décembre 2012 ;

Ils ne produisent cependant aucun état des locaux à la date de remise des clefs permettant d'imputer aux occupants la responsabilité des travaux entrepris dont la liste ne peut suffire à déterminer qu'il s'agit de travaux de réparations d'autant que les factures se rapportent davantage, eu égard à la description des travaux et à leur ampleur, à une renovation complète. Il s'ensuit qu'ils seront également déboutés tant de leur demande en remboursement du coût des travaux que de celle au titre de la perte de loyers.

II- Sur l'appel principal de la socef :

M Cowley et la société Racine Art font valoir que la socef rémunérée par leurs soins pour procéder aux formalités de constitution de la société Racine Art avait à leur égard une obligation de résultat, que les statuts sont entachés d'une erreur grave les privant de toute efficacité juridique dans la mesure où la société n'était pas titulaire du droit au bail; que la socef qui est un professionnel aurait du s'assurer de la cession du bail au profit de la société, qu'elle a manqué à son obligation notamment de conseil alors que M Cowley ressortissant britannique comptait précisément sur son expertise, que la faute de la socef est en lien direct avec le préjudice en résultant qui est la fin de l'activité de la société Racine Art et l'impossibilité de mettre en place une solution de remplacement, que le tribunal a justement estimé devoir désigner un expert pour l'apprécier.

La Socef fait au contraire valoir qu'elle n'a commis aucune faute, que l'acte de cession du droit au bail contenait une clause prévoyant expressément que le preneur devait communiquer, dans les deux mois de la signature de l'acte, l'extrait K bis justifiant de son immatriculation au registre du commerce et des sociétés, que la socef n'a été saisie de la constitution de la société Racine Art qu'en octobre 2003 soit à l'expiration du délai dont disposait M Cowley pour s'immatriculer, qu'au surplus, le préjudice alléguée résulte de l'inexécution par M Cowley de ses obligations, notamment celle d'avoir à payer régulièrement le loyer à laquelle elle est étrangère, qu'enfin l'évaluation de son préjudice manque de caractère sérieux dans la mesure où la société Racine Art était déficitaire.

Or la socef convient elle-même dans ses conclusions qu'elle devait disposer du contrat de bail pour pouvoir établir le siège social de la société Racine Art en France ; ayant reçu l'acte de cession mentionnant M Brian Cowley comme seul preneur avec nécessité pour lui de s'immatriculer personnellement, elle n'a nullement attiré l'attention de ce dernier sur le fait que la société qui se constituait n'était pas elle-même titulaire du droit au bail bien qu'ayant statutairement son siège social à l'adresse des lieux loués ; la socef est mal fondée à invoquer qu'à la date où elle a eu connaissance de l'acte de cession, le délai pour l'immatriculation de M Cowley prévu dans l'acte était dépassé alors que le condition d'immatriculation s'apprécie à la date de renouvellement et qu'en outre, le défaut de paiement des loyers n'était pas invoqué principalement par les bailleurs pour justifier la rétractation de l'offre de renouvellement du bail qu'ils avaient d'abord formée.

Le tribunal a donc justement apprécié que la socef a gravement manqué à son devoir de conseil à l'égard de M Cowley de nationalité britannique et qui était en droit d'attendre du professionnel auquel qu'il s'était adressé des conseils éclairés sur la constitution de sa société et retenu sa responsabilité dans la réalisation du préjudice subi, constitué par la privation du droit au bénéfice du statut des baux des baux commerciaux et au renouvellement du bail. Le tribunal a, à juste titre, ordonné une expertise, faute d'élément d'appréciation suffisant pour déterminer le préjudice.

III - Sur les autres demandes :

La socef supportera les dépens d'appel, exceptés ceux relatifs à l'appel provoqué à l'encontre des époux Terk qui seront supportés in solidum par M Cowley et la société Racine Art ;

M Cowley et la société Racine Art déboutés de leur propre demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile paieront in solidum aux époux Terk une somme de 8 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Déclare recevable l'appel provoqué formé le 26 janvier 2012 par M Cowley et la société Racine Art à l'encontre de M et Mme Terk .

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions.

Déboute les parties de leurs autres demandes,

Condamne la société d'organisation comptable et d'études fiduciaires dite Socef aux dépens d'appel, excepté ceux relatifs à l'appel provoqué à l'encontre de M et Mme Terk qui seront supportés in solidum par M Brian Cowley et la société Racine Art.

Condamne M Brian Cowley et la société Racine Art à payer à M et Mme Terk la somme de 8 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.