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Décisions

CA Rouen, ch. civ. et com., 17 février 2011, n° 10/03848

ROUEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Barhdadi, Echahid

Défendeur :

Guersent

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Brunhes

Conseillers :

Mme Vinot, Mme Holman

Avoués :

SCP Duval Bart, Me Couppey

Avocats :

Me Chabert, Me Savoye, Me Herce

TGI Rouen, du 19 juill. 2010

19 juillet 2010

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme Micheline GUERSENT, propriétaire d'un immeuble [...], a consenti par acte du 8 janvier 2007 un bail commercial d'une durée de neuf années sur les locaux en rez-de-chaussée et au 1er étage à la Société le Pressing du Gros Horloge. Ce bail prévoyait, en cas de cession du droit au bail comme de cession du fonds de commerce par le preneur, un droit de préemption en faveur du bailleur.

Par acte authentique du 30 octobre 2008, le bail en cause a été cédé à Messieurs Hicham BARHDADI et Abdelaziz ECHAHID en leur qualité d'associés seuls membres de la Société en formation Next Fashion, Mme Micheline GUERSENT intervenant à cette cession et autorisant la Société locataire à exploiter un fonds de « prêt-à-porter et accessoires ».

Micheline GUERSENT a déposé requête le 29 avril 2010 pour être autorisée à assigner Hicham BARHDADI et Abdelaziz ECHAHID à jour fixe.

Elle a exposé dans cette requête que la Société n'avait pas été créée et que le commerce n'avait pas ouvert, que des dégradations avaient été faites dans les lieux, que Hicham BARHDADI et Abdelaziz ECHAHID avaient vendu par un compromis de cession à un certain Krimau Zitouni leur droit au bail, qu'elle-même avait exercé son droit de préemption le 22 mars 2010 mais que le cessionnaire et les cédants avaient le 30 mars 2010 entendu résilier à l'amiable leur engagement.

Il a été fait droit à cette requête dans laquelle, selon les prétentions formulées, elle demandait que soit constaté le caractère parfait de l'exercice de son droit de préemption et de la cession à son bénéfice du droit au bail.

Hicham BARHDADI et Abdelaziz ECHAHID se sont opposés à cette demande.

Par jugement du 19 juillet 2010, le Tribunal de Grande Instance de Rouen a :

  • déclaré recevable et fondée Mme Micheline GUERSENT en ses demandes,
  • dit que celle-ci a exercé régulièrement son droit de préemption le 22 mars 2010 après notification le 5 mars 2010 d'un compromis de cession du droit au bail consenti par Messieurs Hicham BARHDADI et Abdelaziz ECHAHID,

- déclaré parfaite la cession du droit au bail de Messieurs Hicham BARHDADI et Abdelaziz ECHAHID aux clauses et conditions précisées dans le compromis de vente du 3 mars 2010 par l'effet de l'exercice du droit de préemption de Mme Micheline GUERSENT,

  • enjoint, sous astreinte journalière de 300 €, à Messieurs Hicham BARHDADI et Abdelaziz ECHAHID de quitter les locaux objet du bail du 8 janvier 2007 dans un délai d'un mois à compter du jugement,
  • condamné Hicham BARHDADI et Abdelaziz ECHAHID à verser la somme de 1800 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Messieurs Hicham BARHDADI et Abdelaziz ECHAHID ont relevé appel par déclaration du 20 août 2010.

Mme Micheline GUERSENT a présenté requête le 17 septembre 2010 pour qu'il soit autorisé que l'appel relevé soit jugé selon la procédure à jour fixe, autorisation donnée par ordonnance du 22 septembre 2010.

Par cette requête valant conclusions qui a donc été déposée avant que les appelants n'aient eux-mêmes conclu, Mme Micheline GUERSENT a sollicité :

  • le rejet des demandes de Messieurs Hicham BARHDADI et Abdelaziz ECHAHID et la confirmation du jugement en toutes ses dispositions,
  • la condamnation de ceux-ci à lui verser une somme de 2000 € en vertu de l'article 700 du code de procédure civile.

Messieurs Hicham BARHDADI et Abdelaziz ECHAHID, appelants, ont conclu le 10 novembre puis le 10 décembre 2010 et, selon ces dernières écritures,

  • à la réformation du jugement et au rejet des demandes de Mme Micheline GUERSENT,
  • à titre subsidiaire, à la constatation de la restitution des lieux le 14 septembre 2010, au rejet de la demande de Mme Micheline GUERSENT d'astreinte pour libérer les lieux et, à tout le moins, à la fixation du point de départ de cette astreinte à compter de la signification de l'arrêt, à la condamnation de Mme GUERSENT à leur verser le prix de cession soit 20 000 € augmenté des intérêts à compter du 14 septembre 2010,
  • à la condamnation de celle-ci à leur payer la somme de 2 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Il est renvoyé à ces conclusions et requête pour l'exposé des moyens des parties.

SUR CE, LA COUR

La clause du bail discutée dans le débat et intitulée «droit de préemption du bailleur » est ainsi rédigée :

«En cas de cession du droit au bail comme de cession du fonds de commerce par le preneur, le bailleur bénéficiera d'un droit de préemption, le preneur devra notifier au bailleur par lettre recommandée avec accusé de réception ou par acte d'huissier, le compromis de vente mentionnant notamment à peine de nullité de la notification, le prix, ses modalités de paiement, les diverses clauses et conditions de la cession projetée.

Dans le mois de la réception de cette notification, le bailleur pourra faire connaître dans les mêmes formes au preneur qu'il entend, en conséquence du droit de préférence que lui reconnaît le preneur, acquérir aux clauses et conditions projetées.»

Il a déjà été dit que Messieurs Hicham BARHDADI et Abdelaziz ECHAHID sont devenus titulaires de ce droit au bail par acte notarié du 30 octobre 2008 en leur qualité, selon cet acte, de seuls membres de la Société en formation Next Fashion. La clause, auparavant citée, est reproduite dans cet acte. Le bailleur, Mme Micheline GUERSENT, y est intervenu pour donner son agrément à la cession du bail.

Puis, par compromis de cession de droit au bail commercial du 3 mars 2010, Messieurs Hicham BARHDADI et Abdelaziz ECHAHID ont cédé leurs droits à Krimau Zitouni au prix de 20 000 €, le compromis rappelant notamment le droit de préemption du bailleur.

Après notification de ce compromis par lettre du notaire du 5 mars, Mme Micheline GUERSENT a, par LRAR de son avocat du 22 mars 2010, fait jouer son droit de préemption « aux mêmes charges et conditions que celles prévues par le compromis ».

Puis, par lettre du 1er avril, Mme Micheline GUERSENT a été destinataire de l'acte du 31 mars 2010 passé entre les cédants, Messieurs Hicham BARHDADI et Abdelaziz ECHAHID, et le cessionnaire, Zitouni, par lequel ils résiliaient d'un commun accord le compromis.

Elle a ensuite fait connaître à chacun des preneurs, par lettres de son avocat des 13 et 19 avril, qu'elle tenait cette résiliation pour inopérante, qu'elle avait exercé son droit de préemption.

Par lettre du 6 mai 2010 à Mme Micheline GUERSENT, le conseil des preneurs lui a notifié un nouveau compromis de cession au profit de la Société L'Elégance, en cours d'immatriculation, pour le prix de 70 000 €.

Reprenant leurs moyens présentés en première instance, Messieurs Hicham BARHDADI et Abdelaziz ECHAHID font notamment valoir qu'il est faux de prétendre, comme le fait Mme Micheline GUERSENT, que la cession de droit au bail intervenue est devenue parfaite à réception par le notaire de son courrier faisant part de son intention de préempter, qu'il est faux aussi de prétendre que la notification du compromis doit s'analyser comme une offre de cession et que cette offre ayant été acceptée elle rend parfaite la transaction.

Ils indiquent encore que la clause du bail ne prévoit pas que la notification vaut offre, que selon sa jurisprudence la Cour de Cassation admet que le titulaire du bail renonce à son projet de cession, qu'en la cause aucune des conditions suspensives de ce compromis de cession n'a été levée dans le délai fixé ce qui fait que cet acte n'a jamais reçu application, qu'au contraire les parties l'ont résilié.

Cependant par le compromis de vente du 3 mars 2010, les preneurs Messieurs Hicham BARHDADI et Abdelaziz ECHAHID ont pris l'engagement de céder leur droit au bail. Ils connaissaient le droit de préemption que le bailleur pouvait faire jouer. Les conditions suspensives de leur compromis notaient, bien sûr la possibilité de l'exercice de ce droit de préemption, deux autres conditions à la discrétion du bailleur, l'exigence de la production de documents administratifs et d'un diagnostic amiante, et il était précisé que ces conditions étaient stipulées dans l'intérêt exclusif du cessionnaire.

Ainsi, au vu des clauses de leur bail, de leur compromis de vente, du droit de préemption contractuellement prévue, les cédants Messieurs Hicham BARHDADI et Abdelaziz ECHAHID étaient donc engagés en vue de la vente par leur compromis et ils ne peuvent invoquer ici les conditions suspensives.

Dans le délai contractuel d'un mois à compter de la notification du compromis de vente, le bailleur, Mme Micheline GUERSENT, a donc exercé son droit de préemption et a ainsi manifesté son accord sur la chose et sur le prix, soit acquisition «aux clauses et conditions projetées» comme l'indique la clause contractuelle sur ce droit de préemption.

La résiliation ultérieure du compromis de vente, invoquée par Messieurs Hicham BARHDADI et Abdelaziz ECHAHID, est donc sans effet. La jurisprudence, que ces appelants citent, concerne une affaire d'indivision ce qui ne correspond pas aux faits de la cause.

Au surplus, ainsi que le fait remarquer Mme Micheline GUERSENT au vu de l'article 1134 du Code civil, les conventions doivent être exécutées de bonne foi, et, en la cause, en informant celle-ci par lettre du 1er avril 2010 qu'ils renonçaient à leur compromis de vente alors qu'elle leur avait fait savoir par lettre du 22 mars précédent qu'elle exerçait son droit de préemption, Messieurs Hicham BARHDADI et Abdelaziz ECHAHID n'ont pas agi de bonne foi.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a dit que Mme Micheline GUERSENT a exercé son droit de préemption et en ce qu'il a déclaré parfaite la cession du droit au bail.

Il est indiqué par Messieurs Hicham BARHDADI et Abdelaziz ECHAHID qu'ils ont quitté les lieux le 14 septembre 2010, et cette affirmation n'est pas contestée.

Ce fait ne justifie pas ' et ceci n'aurait guère de sens ' de fixer le point de départ de l'astreinte à compter de la signification de l'arrêt. Au demeurant la Cour d'appel ne peut liquider l'astreinte prononcée par le jugement qui lui est déféré par voie de l'appel, et l'astreinte est en principe liquidée par le juge de l'exécution.

Il sera noté seulement dans le dispositif que l'astreinte n'a couru que jusqu'au 14 septembre 2010.

Messieurs Hicham BARHDADI et Abdelaziz ECHAHID demandent par ailleurs dans leurs dernières conclusions déposées quelques jours avant l'audience, «afin d'éviter toute difficulté d'exécution ultérieure», la condamnation de Mme Micheline GUERSENT à leur verser le prix de cession de 20 000 €.

Il s'agit d'une demande nouvelle et par conséquent irrecevable conformément à l'article 564 du code de procédure civile.

Messieurs Hicham BARHDADI et Abdelaziz ECHAHID succombent en appel et seront condamnés, outre la somme déjà prévue de ce chef par le jugement, à verser pour la procédure d'appel la somme de 800 € à Mme Micheline GUERSENT en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement et contradictoirement,

En la forme reçoit l'appel,

Au fond,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions sauf à préciser, en ce qui concerne l'injonction sous astreinte journalière de 300 € pour Messieurs Hicham BARHDADI et Abdelaziz ECHAHID de quitter les lieux objet du bail, que cette astreinte n'a couru que jusqu'au 14 septembre 2010 date où ils ont quitté les lieux,

Déclare irrecevable comme nouvelle devant la Cour la demande présentée par Messieurs Hicham BARHDADI et Abdelaziz ECHAHID de condamnation de Mme Micheline GUERSENT à verser le prix de cession

Condamne Messieurs Hicham BARHDADI et Abdelaziz ECHAHID aux dépens d'appel qui seront recouvrés par les avoués de la cause conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Condamne Messieurs Hicham BARHDADI et Abdelaziz ECHAHID à verser à Mme Micheline GUERSENT la somme de 800 € en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.