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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 28 septembre 2022, n° 20/16396

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Sante Azur Prestations (SA)

Défendeur :

Scaleo Medical (Sarl)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun Lallemand

Conseillers :

Mme Depelley, Mme Lignieres

Avocats :

Me Cholay, Me Urbani, Me Caillaboux-Rouquet , Me Carriere

CA Paris n° 20/16396

27 septembre 2022

La SARL Scaleo Medical (ci-après dénommée « Scaleo ») commercialise du matériel médical et des équipements d'oxygénothérapie. C'est un grossiste français du fabricant américain Inogen Inc. de dispositifs respiratoires portables Inogen G2 et G3, lesquels ont pour intérêt de permettre la déambulation.  
 
Par arrêté du 17 mai 2013, le "concentrateur d'oxygène mobile Inogen One G2 de la société Scaleo médical " a été inscrit au chapitre 1er du titre 1er de la liste des produits et prestations remboursables prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale. Par arrêté du 24 juillet 2014, il en a été de même du forfait hebdomadaire de location du " concentrateur d'oxygène mobile Inogen One G3 et ses forfaits associés ". Scaleo a en conséquence, à compter de ces dates, détenu les codes d'enregistrement de ces produits sur la liste des produits et prestations remboursables (dite LPPR). Puis, suite au courrier du 27 juillet 2015, par lequel Scaleo a fait connaitre aux autorités en charge de ces questions sa décision de céder ces codes, la dénomination Scaleo medical a, par arrêté du 15 janvier 2016, été remplacée par Inogen dans les nomenclatures concernées.
 
La SA Santé Azur Prestations (ci-après dénommée " SAP ") est la centrale d'achat du réseau des agences SOS Oxygène, lequel assure l'installation et la maintenance au domicile de patients insuffisants respiratoires.
 
Scaleo et SAP sont entrées en contact en 2011. Les commandes ont fortement progressé à partir de 2015, puis ont cessé à compter du 19 avril 2017.
 
Le conseil de Scaleo a mis en demeure SAP le 30 mai 2017 de respecter un préavis de 9 mois minimum et de tenir ses engagements de commande jusqu'à la fin dudit préavis.  
 
Sans réponse malgré une relance le 10 juillet 2017, Scaleo, s'estimant victime d'une rupture brutale d'une relation commerciale établie, a assigné SAP le 6 février 2019 devant le tribunal de commerce de Marseille.
 
Par jugement du 6 octobre 2020, le tribunal de commerce de Marseille a :  
 
-Dit que la société Santé Azur Prestations a rompu brutalement sans préavis les relations commerciales établies qu'elle avait avec la société Scaleo Medical ;
 
En conséquence,  
 
-Condamné la société Santé Azur à payer à la société Scaleo Medical la somme de 166 634 € (cent soixante-six mille six cent trente-quatre euros) à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi suite à la rupture brutale des relations commerciales établies;
 
 
-Condamné la société Santé Azur Prestations à lui verser la somme de 3 000 euros (trois mille euros) au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
 
-Condamné la société Santé Azur Prestations aux dépens toutes taxes comprises de la présente instance tels qu'énoncés par l'article 695 du code de procédure civile, étant précisé que les droits, taxes et émoluments perçus par le secrétariat-greffe de la présente juridiction sont liquidés à la somme de 74,18 euros T.T.C. ;
 
-Ordonné l'exécution provisoire du jugement.  
 
Vu les dernières conclusions récapitulatives de la société SAP, appelante, du 9 mai 2022 par lesquelles il est demandé à la Cour :
 
-Reformer le jugement du tribunal de commerce de Marseille en date du 6 octobre 2020 en ses dispositions relatives à la rupture brutale des relations commerciales établies, aux frais irrépétitibles et aux dépens ;
 
Et, statuant à nouveau :
 
1/ A titre principal :
 
-Juger que l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce est inapplicable à l'arrêt des relations commerciales ayant existé entre la société Santé Azur Prestations et la société Scaleo Medical ;
 
-Condamner la société Scaleo Medical à rembourser à la société Santé Azur Prestations le montant des condamnations prononcées à savoir les sommes de 166 634 € et 3 000 €, le tout avec intérêts au taux légal à compter de leur versement ;
 
-Débouter la société Scaleo Medical de l'ensemble de ses demandes ;
 
2/ Subsidiairement, si par extraordinaire, la Cour venait à déclarer inapplicable en l'espèce l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce :
 
-Juger que la société Scaleo Medical ne démontre en aucune façon le montant de son préjudice, et en conséquence débouter cette dernière de ses demandes ;
 
-Condamner la société Scaleo Medical à rembourser à la société Santé Azur Prestations le montant des condamnations prononcées par le tribunal de commerce de Marseille, à savoir les sommes de 166 634 € et 3 000 €, le tout avec intérêts au taux légal à compter de leur versement ;
 
-Débouter la société Scaleo Medical de l'ensemble de ses demandes ;
 
3/ De manière infiniment subsidiaire, si la Cour venait à considérer que la société Scaleo Medical avait subi une perte de marge sur coût variable :
 
-Juger que le préavis qui aurait dû être accordé ne saurait dépasser un mois, et que dès lors, le préjudice et l'indemnisation subséquents ne sauraient dépasser un mois de taux de marge sur coût variable ;
 
-Condamner la société Scaleo Medical à rembourser à Santé Azur Prestations la différence entre le montant la condamnation de première instance et la condamnation définitive le tout avec intérêts au taux légal à compter de leur versement ;
 
-Débouter la Société Scaleo Medical de l'ensemble de ses demandes ;
 
 
 
4/ Et de toute façon :
 
-Condamner la société Scaleo Medical à régler à la société Santé Azur Prestations la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'instance ;
 
-Débouter la société Scaleo Medical de sa demande relative aux frais irrépétibles et de condamnation aux dépens.
 
Vu les dernières conclusions de la société SCALEO, intimée, du 30 août 2021 par lesquelles il est demandé à la Cour :
 
Vu l'article L.442-6 I- 5° du Code de commerce ;
 
- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement attaqué ;
 
- Condamner la société Santé Azur Prestations à payer à la société Scaleo Medical la somme de 7 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de ses frais irrépétibles d'appel ;
 
- Condamner la société Santé Azur Prestations aux entiers dépens d'appel.  
 
La Cour renvoie à la décision attaquée et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
 
MOTIVATION
 
 
La Cour rappelle que les ruptures brutales intervenues avant le 26 avril 2019 sont soumises à l'ancien article L. 442-6-I, 5e du code de commerce, lequel dispose :
 
« Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé par le fait, pour tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au registre des métiers :  
 
(...) 5° de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.
 
(...) Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. »
 
-Sur la rupture brutale de la relation commerciale établie  
 
SAP soutient n'avoir eu qu'une courte relation commerciale contrainte par le monopole de distribution de produits remboursés dont a bénéficié Scaleo pendant 3 ans et estime que cette société ne peut prétendre avoir eu une croyance légitime dans la stabilité des relations d'affaires dans de telles circonstances.
 
 Sur la date à laquelle la relation commerciale a débuté
 
Exposé du moyen :
 
SAP souligne les très faibles volumes de commandes avant 2014. Elle fait état de 4 machines commandées sur les 5 derniers mois de 2011, de 5 machines pour toute l'année 2012 et d'une absence de commande entre le 1er janvier au 28 mai 2013 (32 sur les 7 mois suivants). Il s'agissait selon elle d'une période de test, et la relation commerciale n'aurait véritablement acquis une certaine consistance et donc un caractère établi qu'à compter du 1er janvier 2014 (263 machines vendues en 2014, 812 en 2015, 1245 en 2016 et 265 sur le premier trimestre 2017), soit après l'entrée en vigueur des arrêtés permettant le remboursement des produits et prestations par l'assurance-maladie.
 
Scaleo répond que la relation commerciale a débuté en 2011 car les premières ventes remontent à cette année. Elle a par ailleurs, selon elle, gratuitement mis à disposition des Agences SOS Oxygen des appareils de démonstration pour que ces dernières soient en mesure d'en apprécier la qualité. Elle considère que SAP procède à un découpage purement artificiel pour réduire la durée d'ancienneté de la relation commerciale, ce qui n'est pas conforme à la pratique jurisprudentielle qui retient comme seule référence la durée de la relation commerciale entretenue entre les deux parties, peu important les niveaux d'activité variables pendant le déroulé de cette durée.  
 
Réponse de la Cour :
 
La Cour retient que le tribunal a, dans la décision attaquée, fait une juste appréciation des faits et des pièces versées aux débats lorsqu'il a constaté que les relations commerciales entre SAP et Scaleo avaient débuté en 2011 (pour des patients insuffisants respiratoires voyageant en avion selon Scaleo), et qu'elles s'étaient matérialisées et poursuivies entre les parties tout à la fois par la passation de commandes régulières depuis 2011, par des négociations de tarifs et remises, et par le paiement de factures correspondant à ces commandes.
 
Il s'en suit que l'antériorité des relations litigieuses remonte, en l'espèce, à 2011.
 
 Sur l'impact de la détention des codes LPPR sur la relation commerciale entre SAP et Scaleo  
 
Exposé du moyen :
 
SAP considère que les arrêtés du 24 mai 2013 (pour l'Inogen G2) et 28 juillet 2014 (pour l'Inogen G3), en prévoyant le remboursement par l'assurance-maladie de ces produits et prestations dès lors qu'ils étaient achetés auprès de Scaleo, a placé cette société en situation monopolistique, jusqu'à ce qu'elle décide d'en céder les codes. SAP ajoute que la supériorité technique de ces dispositifs médicaux (portabilité, autonomie) et l'efficacité des concentrateurs d'oxygène Inogen G2 et Inogen G3, dont Scaleo a été le distributeur exclusif jusqu'en 2017, lui a conféré un monopole de fait, les produits concurrents n'étant pas sérieusement substituables à ceux fabriqués par Inogen.  
 
Scaleo répond, en premier lieu, avoir procédé aux démarches permettant l'inscription d'Inogen G2 et G3 sur la liste des produits et prestations remboursables à la demande de la société Inogen Inc, qui ne disposait d'aucune structure juridique en Europe. Une telle procédure est longue et complexe, et a entièrement été supportée par Scaleo, qui a dû engager de lourds investissements à cette fin. Il était normal qu'Inogen lui accorde, en contrepartie de ses démarches, une exclusivité commerciale temporaire en France. Scaleo ajoute que la cession des codes est intervenue ultérieurement d'un commun accord avec Inogen Inc., dans le cadre d'une évolution de leurs relations contractuelles, et en totale coopération avec la Haute autorité de santé. Ainsi, dès 2015, la société GCE SAS a constitué un concurrent direct de Scaleo pour la commercialisation du matériel Inogen (pièce adverse n°15). Scaleo conteste donc toute corrélation entre la fin de l'exclusivité commerciale temporaire que lui avait consentie par Inogen et la fin de ses relations commerciales avec SAP, lesquelles ont perduré plus d'une année après le transfert des codes de remboursement LPPR.
 
 
Scaleo soutient, en second lieu, qu'il existait d'autres matériels concentrateurs d'oxygène portables et transportables similaires à Inogen G2 et G3 sur le marché et ce dès début 2012. Elle cite 4 marques ayant selon elle ces caractéristiques.  
 
Réponse de la Cour :
 
La Cour retient que le tribunal de commerce a de façon pertinente, dans la décision attaquée, considéré que le caractère prévisible de la rupture des relations commerciales entre SAP et Scaleo suite au transfert des codes d'enregistrement Inogen One G2 et Inogen One G3 de la société Scaleo Medical vers le fabricant Inogen, n'était pas établi.
 
Il peut être observé, tout d'abord, que « de par leurs spécifications techniques différentes et au vu des besoins en oxygénothérapie des patients variables, aucun concentrateur d'oxygène portable ne répond à l'ensemble des situations cliniques avec une supériorité sur toutes les autres », selon l'avis du 28 février 2018 de Commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et de technologie de santé, qui dépend de la Haute autorité de santé (pièce SAP n°5).  
 
Il convient de constater, ensuite, que la circonstance que Scaleo ait bénéficié d'une exclusivité commerciale temporaire sur les dispositifs respiratoires portables Inogen G2 et G3 ne peut suffire à caractériser une relation « contrainte ». Les courriels versés au débat démontrent que des négociations commerciales annuelles tarifaires ont eu lieu et que notamment courant 2013, Scaleo, qui faisait essentiellement valoir que « le code LPPR de l'Imogen est actif (…) sur Ameli » s'est vu demander un « effort supplémentaire sur le prix (au motif que) nous avons chez vos confrères de meilleurs tarifs (entre 10 % et 20 % moins chers) pour des produits se trouvant dans la même catégorie » (Courriel du 18 juin 2013 du directeur des achats de SOS Oxygène - pièce Scaleo n°9), SAP admettant ainsi avoir la possibilité de s'approvisionner ailleurs.  
 
Il est constant, enfin, que le volume le plus élevé des ventes intervenues entre Scaleo et SAP peut être constaté en 2016 (1245 Pack Inogen), alors même que l'arrêté qui n'évoque plus Scaleo comme distributeur des concentrateurs d'oxygène mobiles Inogen G2 et G3 date du 19 janvier 2016. C'est aussi durant 2016 que des commandes ont été passées à Scaleo par SAP pour ses agences Oxygene en Italie et en Belgique (pièce Scaleo n°11).
 
Le rythme des ventes est également très soutenu durant quatre premiers mois de 2017 (265, à comparer au chiffre total des ventes de 2015 soit 812).
 
Il s'ensuit que la relation commerciale a eu un caractère suivi, stable et habituel y compris après le transfert des codes d'enregistrement Inogen One G2 et Inogen One G3 et la fin de l'exclusivité commerciale temporaire dont a bénéficié Scaleo, et que cette dernière pouvait raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial SAP.
 
 Sur les circonstances de la rupture des relations commerciales
 
Exposé du moyen :
 
SAP dit avoir été approchée en novembre 2016 par la société Inogen Inc., lors du salon Medica. Cette dernière s'est mise à distribuer directement ses produits sur le sol français en mars 2017, tout en continuant à les distribuer par l'intermédiaire de Scaleo. Peu auparavant, en janvier 2017, Scaleo avait communiqué ses nouveaux tarifs, qui ne proposaient qu'une baisse de 90 euros HT sur le prix de la machine Inogen G3, malgré la progression du volume d'achat de SAP en 2016. SAP en déduit que Scaleo ne pouvait, dans de telles circonstances, soutenir qu'elle avait une croyance légitime en la pérennité de leurs relations. La rupture était, selon elle, totalement prévisible et Scaleo ne s'est d'ailleurs pas opposée à la reprise par Inogen du client SAP.
 
 
Scaleo répond ne pas reprocher à SAP la rupture elle-même, mais la brutalité de celle-ci, faite sans préavis, après avoir reconduit l'accord commercial de tarif lié aux volumes pour l'année 2017. Elle rappelle que lorsque deux sociétés entretiennent des relations commerciales dans la durée, sans qu'il n'y ait eu de contrat cadre formalisé par écrit, leurs relations doivent être considérées comme étant à durée indéterminée et, par conséquent, chacune des parties a le pouvoir de faire cesser la relation à tout moment, sous réserve du respect d'un préavis écrit et suffisant. Elle en déduit avoir fait l'objet d'un déférencement brutal.
 
Réponse de la Cour :
 
Le 6 janvier 2017, le directeur des achats de SOS Oxygène a été destinataire du courriel de Scaleo suivant :
 
« J'ai le plaisir de vous transmettre la proposition 2017 qui je l'espère vous satisfera et permettra de consolider le lien entre nos 2 sociétés.
 
2 SPOTS vous sont proposés cette année, qui reflète vos besoins de l'année 2016. Les packs ne seront plus dotés de sac à dos, mais nous pouvons accorder des tarifs en fonction de vos besoins tout au long de l'année sur cet article. Vous constaterez que les prix des batteries 16 cellules et les colonnes de zéolithe ont été revues à la baisse.
 
En ce qui concerne la remise supplémentaire pour l'année écoulée, je vous propose de vous offrir 15 pack G3 d'une valeur de 25 800 euros correspondant à 1,2 % du montant des commandes 2016 ».
 
Il ne ressort pas des pièces fournies que SAP ait entendu renégocier plus amplement ces propositions, les messages du fil de la discussion (objet : « proposition tarifaire 2017 ») portant sur une demande de livraison rapide de la commande en cours (de 100 unités) à SOS Oxygène, qui indiquait être en rupture d'Inogen G3 sur sa plateforme.
 
C'est de façon indirecte, par une mise en copie par erreur de Scaleo de courriels interne à Inogen Inc. que Scaleo a appris, en mai 2017, qu'il existait deux commandes directes en cours de SAP auprès du fabricant, pour un montant total d'achat de 374.500 euros (pièce Scaleo n°3). Elle a corrélativement constaté que les commandes de SAP avaient totalement cessé le 19 avril 2017.
 
Il y a donc lieu de retenir que le fait générateur de la rupture est constitué par l'arrêt des commandes de SAP à cette date, et ce sans préavis.
 
Les conditions d'application de l'ancien article L. 442-6-I, 5e du code de commerce sont donc réunies.
 
-Sur la réparation du préjudice causé par la rupture brutale
 
 
 Sur la durée du préavis de rupture que SAP aurait dû observer
 
Exposé du moyen :
SAP propose, à titre subsidiaire, qu'une l'ancienneté de la relation commerciale de 3 ans 3 mois soit retenue et fait valoir que Scaleo ne se trouvait pas en situation de dépendance économique vis-à-vis de SAP, les commandes de cette dernière ne représentant en 2014 que 13,8 % du chiffre d'affaires de Scaleo, 16,4 % en 2015 et 17,7 % en 2016.  
 
Réponse de la Cour :
 
L'antériorité de la relation remontant à 2011, la durée de la relation s'établit à 6 mois et 3 ans.
 
C'est par une juste appréciation des éléments de la cause que le jugement attaqué a retenu qu'il convenait, en tenant compte de la durée de la relation, de l'importance du courant d'affaires sur les dernières années et de la spécificité du secteur, de fixer la durée du préavis à 6 mois lui étant dû.
 
 Sur la perte de marge indemnisable
 
Exposé du moyen :
 
SAP souligne que Scaleo a calculé son préjudice en se basant sur la période 2014-2016 soit les exercices où elle a reçu le plus de commandes, alors même qu'elle prétend que la relation commerciale a commencé en 2011. Elle conteste aussi que le tribunal se soit prononcé en s'appuyant sur des preuves auto-constituées par Scaleo et non sur le fondement d'une expertise comptable contradictoire. Elle en déduit que l'intimée ne peut être regardée comme apportant la preuve du préjudice qu'elle allègue.
 
Scaleo fait valoir que les pièces comptables qu'elle a produites sont en tout point conformes à celles requises par la jurisprudence et notamment par la Cour d'appel de Paris dans sa fiche méthodologique n°9 d'octobre 2017 intitulée ''Comment réparer les préjudices résultant de la rupture brutale des relations commerciales établies ''', au demeurant versée aux débats par la partie adverse (pièce SAP n°6). Elle sollicite la confirmation du jugement attaqué.
 
Réponse de la Cour :
 
Le préjudice, qui correspond au gain manqué pendant la période de préavis non réalisée, s'évalue en comparant la marge qui aurait dû être perçue pendant le préavis qui aurait dû être octroyé, à la marge effectivement perçue.  
 
La référence à retenir est la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture.
 
En l'espèce, les parties ne font état que d'une marge brute.
 
Les ventes ayant connu une croissance rapide et continue, le tribunal a, de façon adéquate, retenu une amplitude de trois ans, et opté pour une prise en compte des exercices 2014, 2015 et 2016, étant observé que le chiffre des ventes de l'ensemble de l'année 2014 (263 Pack Inogen) est équivalent à celui des quatre premiers mois de l'année 2017 (265 Pack Inogen vendus).
 
Le tribunal s'est en outre fondé, conformément à la pratique décisionnelle habituelle, sur les liasses fiscales des trois dernières années précédant la rupture et l'attestation de son commissaire aux comptes certifiant l'exactitude arithmétique des informations produites, lesquelles sont reproduites dans le jugement attaqué, auquel la Cour renvoie.
 
Il en ressort que la marge brute par unité sur 2014, 2015 et 2016 est de 22 %, soit 27 772 euros par mois.
 
Il s'ensuit que le jugement attaqué sera confirmé en ce qu'il alloue la somme de 166 634 euros à titre de dommages-intérêts.
 
-Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile et les depens
 
Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Scaleo les frais irrépétibles d'appel qu'elle a été contrainte d'exposer pour faire valoir ses droits devant la Cour.
 
SAP sera en conséquence condamnée à lui payer la somme de 7 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
 
SAP, qui succombe en toutes ses prétentions, sera condamnée aux dépens d'appel.
 
PAR CES MOTIFS
 
 
La Cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
 
Confirme le jugement du tribunal de commerce de Marseille du 6 octobre 2020 en ses dispositions qui lui sont soumises ;
 
Y ajoutant,
 
Condamne la société Santé Azur Prestations aux dépens d'appel ;
 
Condamne la société Santé Azur Prestations à verser à la société Scaleo Medical la somme supplémentaire de 7 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.