CA Amiens, 1re ch. civ., 14 décembre 2021, n° 20/04049
AMIENS
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Brillet
Conseiller :
Mme Segond
Avocats :
Me Decocq, Me Gomes
Exposé des faits
DECISION :
Selon compromis de vente en date du 18 juin 2016, M. E R et Mme M C ont acheté à M. L Y et à son épouse, Mme A Z epouse Y, 'un terrain à bâtir d'environ 1151 m²' section B n° ..., à Vez (60), pour le prix de 64 000 €, ultérieurement ramené à 61 000 €, sous la condition d'obtention du permis de construire par les acquéreurs.
Après obtention du permis, la vente a été régularisée par acte de Maître Sandrine Fleury Boyer, notaire à Crépy en Vallois, le 28 avril 2017, contenant un prêt à taux zéro pour 61 100 € et un prêt à intérêts pour 139 400 €.
Les acquéreurs ont régularisé un contrat de construction de maison individuelle avec la société Maisons France Confort, et lors des premiers travaux de terrassement, le terrain s'est effondré sur une importante cavité souterraine.
Une étude géotechnique réalisée par la société Alp'Géorisques a révélé l'existence d'une ancienne carrière en sous-sol et a conclu, le 3 août 2017, à l'inconstructibilité totale du terrain.
Faute d'arrangement amiable, les consorts R C ont assigné leurs vendeurs en nullité de la vente pour dol et en indemnisation de divers chefs de préjudices.
Par jugement en date du 7 juillet 2020, dont les époux Y ont relevé appel, le tribunal judiciaire de Senlis a fait droit à leurs demandes et a condamné les époux Y à leur payer :
-61 000 € au titre de la restitution du prix,
-7 480, 52 € au titre des frais liés à l'acquisition du bien,
- la prime d'assurance de 6, 58 € du mois de janvier 2017 puis les primes d'assurance mensuelles de 10, 97 € échus de février 2017 jusqu'à la date du remboursement anticipé du prêt dont devront justifier Mme C et M. R,
- l'indemnité de remboursement anticipé correspondant à 3% du capital restant dû à la date du remboursement sur production par Mme M C et M. E Q d'un justificatif du remboursement anticipé du crédit,
-18 220, 11 € à titre de dommages et intérêts pour indemniser un préjudice financier,
-5 000 € au titre de leur préjudice moral,
-2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La cour se réfère aux conclusions uniques des parties par visa.
Vu les conclusions de M. et Mme Y notifiées le 5 novembre 2020, sollicitant la réformation complète du jugement et le rejet de toutes les demandes faites par les consorts S C,
Vu les conclusions n° 1 de M. R et de Mme C, visant à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions.
L'instruction a été clôturée le 12 mai 2021.
Motifs
#1 MOTIFS
1. Sur l'annulation du contrat pour dol.
Aux termes de l'article 1112-1 du code civil: 'Celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance a son cocontractant'.
Le même texte précise que le manquement à cette obligation d'information peut être sanctionné par l'annulation pour erreur sur les qualités essentielles ou pour dol ou engager la responsabilité de celui qui a omis l'information ou trompé son cocontractant.
Dans le même sens, l'article 1130 sanctionne de la nullité ou de dommages et intérêts le dol, qui est 'le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des manoeuvres ou des mensonges' ou 'la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie'.
La cour devra, au regard des éléments versés aux débats, confirmer le jugement qui a reconnu la mauvaise foi des vendeurs et qui a prononcé l'annulation du contrat de vente du terrain litigieux.
#2 L'étude géotechnique de la société Alp'Géorisques conclut à l'inconstructibilité totale du terrain, et les photographies jointes à l'étude permettent à chacun de s'en convaincre.
Les époux Y ont vendu leur terrain, résultant d'une division de leur propriété, comme du 'terrain à bâtir'.
L'attestation de M. F indique formellement que c'est M. Y lui-même qui a rebouché l'entrée de la carrière avec les parpaings pris en photo par Maître Callens Henry, huissier de justice à Senlis, photographies 17 et 22, ce que M. Y ne conteste pas (conclusions page 7). Compte tenu de la configuration des lieux, la construction de ce mur haut de huit parpaings supposait de pénéter à l'intérieur de la carrière où de grandes salles ou cavités sont immédiatement visibles.
M. K précise que M. Y lui avait demandé où il pouvait trouver du remblai, lequel a effectivement permis à M. Y, après la réalisation du mur, de boucher le trou constituant l'entrée de la carrière, puis d'engazonner la zone.
M. et Mme Y avaient acquis leur propriété des époux J en 2003. Il résulte suffisamment des attestations de M. F et de M. H, que tout le monde, dans le village, savait que 'le terrain J' comportait une entrée permettant de descendre dans cette ancienne carrière, assez spectaculaire, laquelle comprend plusieurs salles et des galeries, dont l'étude géotechnique de la société Alp'Géorisques et les photographies qui y sont jointes, donnent une bonne idée.
Ces éléments suffisent à rendre certaine la connaissance par M. et Mme Y de l'existence de la carrière en sous-sol de leur terrain et leur intention de cacher cette réalité aux acquéreurs.
Même à hauteur d'appel, M. et Mme Y ne produisent aucun élément contraire.
Il s'agit objectivement d'un élément déterminant du consentement d' un acquéreur de terrain nu, outre qu'en l'espèce les acquéreurs avaient fait de l'obtention d'un permis de construire une condition même de leur consentement.
Le jugement qui a annulé le contrat pour dol doit donc être confirmé par adoptions de motifs.
Peu importe que le constructeur, le cas échéant, ait insuffisamment vérifié la viabilité du terrain.
Il sera confirmé en ce qu'il a ordonné la restitution du prix, la cour précisera dans son dispositif que l'annulation entraine la restitution du terrain.
2. Sur les condamnations à des dommages et intérêts.
M. R et Mme C demandent à la cour de confirmer purement et simplement les condamnations financières qui leur ont été accordées par le premier juge à titre de dommages et intérêts.
M. et Mme Y concluent au rejet de toutes les prétentions de leurs contradicteurs sans rentrer dans le détail des chefs de condamnations à dommages et intérêts. La cour se considère comme saisie de prétentions contestant les chefs de condamnations.
#3 Il y a lieu de confirmer les condamnations suivantes qui sont effectivement justifiées par les pièces versées aux débats :
-7 480, 52 € au titre des frais liés à l'acquisition du bien,
- la prime d'assurance de 6,58 € du mois de janvier 2017 puis les primes d'assurance mensuelles de 10, 97 € échus de février 2017 jusqu'à la date du remboursement anticipé du prêt dont devront justifier Mme C et M. R,
- l'indemnité de remboursement anticipé correspondant à 3% du capital restant dû à la date du remboursement sur production par Mme M C et M. E Q d'un justificatif du remboursement anticipé du crédit,
-5 000 € au titre de leur préjudice moral.
La difficulté concerne la condamnation à la somme de 18 220,11 € à titre de dommages et intérêts pour indemniser un préjudice financier supplémentaire, lequel consisterait en la somme qu'il faudrait dépenser en plus pour assurer un projet immobilier identique à celui qu'ils sont obligés de faire annuler, tel que cela résulte de la comparaison des deux études de financement faites par leur banque, le Crédit Mutuel, en 2016 et en 2018, produites en pièces 15 et 16.
En premier lieu, rien n'indique, en 2021, que M. E R et Mme M C ait réalisé ou ait l'intention de réaliser un projet similaire.
Ensuite, l'examen des deux études montre qu'elles ne sont pas comparables. Les cotisations d'assurance sont déjà indemnisées et font double emploi. Le montant du prêt PCAS n'est aucunement le même (170 200 € contre 139 400 € dans le cas de l'espèce). En outre, les taux d'intérêts, en 2018 et 2016, étaient forts voisins, les taux en 2018 étant restés fort bas.
Le préjudice n'est pas établi.
La juridiction ne peut donc faire droit à ce chef de demande, pour un montant fort important, aussi mal justifié.
Pour le reste, le jugement sera confirmé, y compris sur les dommages et intérêts accordés pour préjudice moral.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,
Confirme le jugement rendu le 7 juillet 2020 par le tribunal judiciaire de Senlis, excepté sur la condamnation de M. L Y et Mme A Z épouse Y à payer à M. E R et à Mme M C la somme de 18 220, 01 € au titre d'un préjudice financier supplémentaire,
Précise que l'annulation de la vente entraine restitution du terrain aux vendeurs,
Condamne M. L Y et Mme A Z épouse Y aux dépens d'appel et à payer une somme de 1500 € à M. E R et à Mme M C en application de l'article 700 du code de procédure civile, pour leurs frais irrépétibles exposés en appel.