CA Angers, ch. com. A, 13 septembre 2022, n° 21/02311
ANGERS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
FRANKLIN BACH (S.E.L.A.R.L.), AMD ACCESSOIRES MODE DIFFUSION (S.A.S.)
Défendeur :
BRETONN (S.C.I.)
FAITS ET PROCÉDURE
Le 9 août 1994, la société SJ, aux droits de laquelle vient la SCI Bretonn, a donné à bail commercial à la société AMD Accessoires Modes Diffusion (ci-après société AMD) des locaux à usage industriel situé zone industrielle, [Adresse 6] à [Localité 7]. Ce bail a été renouvelé le 1er juillet 2006 aux clauses et conditions du bail expiré, moyennant un loyer annuel de 129 566,72 euros hors charges et hors taxes.
Le 9 juillet 2014, un plan de sauvegarde de la société AMD a été adopté par un jugement du tribunal de commerce d'Angers.
En 2017, une instance a été introduite par la locataire devant le juge des loyers commerciaux en fixation à la baisse du prix du bail renouvelé à compter du 1er juillet 2017. Par jugement du 17 novembre 2020, le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire d'Angers, confirmé par arrêt du 28 septembre 2021, a fixé ce loyer à la somme de 114 100 euros hors taxes et hors charges à compter du 1er janvier 2017.
Par jugement du 26 février 2020, le tribunal de commerce a prononcé la résolution du plan de sauvegarde arrêté le 9 juillet 2014 et a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société AMD. La SELARL Franklin Bach, prise en la personne de M. Bach, a été désignée en qualité de mandataire judiciaire.
Ce jugement a été publié au BODACC le 4 mars 2020.
Par deux jugements du 27 mai 2020, le redressement judiciaire a été converti en liquidation judiciaire avec poursuite d'activité jusqu'au 1er juin 2020, la SELARL Franklin Bach étant désignée en qualité de liquidateur judiciaire, et un plan de cession des actifs de la société AMD a été arrêté, qui exclut le droit au bail. Ce dernier jugement constate l'accord du bailleur pour une sous-location entre la société AMD et le cessionnaire aux conditions tenant notamment au règlement mensuel de la provision à verser au titre de la taxe foncière, à ce que le bailleur soit prévenu suffisamment à l'avance du départ du repreneur et a dit que le repreneur régularisera un contrat de sous-location avec le bailleur d'une durée de six mois sur la base d'un loyer annuel de 115 000 euros HT et hors charges.
Par courriel du 7 septembre 2020, le repreneur a informé la SCI Bretonn qu'il entendait quitter les locaux.
Par lettre recommandée du 9 octobre 2020, M. Bach en sa qualité de liquidateur de la société AMD a notifié à la SCI Bretonn, en application de l'article L. 622-14 du code de commerce, la résiliation du bail à effet au 30 septembre 2020.
Par lettre du 30 octobre 2020, la SCI Bretonn, se prévalant des dispositions de l'article R. 622-21 du code de commerce, et faisant valoir qu'à la suite de la résiliation anticipée du bail, elle détenait sur la société AMD une créance globale comprenant la taxe foncière ainsi que les loyers à échoir à titre de dommages et intérêts, a déclaré à M. Bach une créance d'un montant de 706 892,40 euros TTC, se décomposant comme suit :
- Loyer du 4ème trimestre 2020 : 47 980,80 euros TTC
- Taxe foncière année 2020 : 19 088,40 euros TTC.
- Loyer année 2021 : 191 923,20 euros TTC.
- Loyer année 2022 : 191 923,20 euros TTC.
- Taxe foncière année 2002 : 19 088,40 euros TTC.
- Travaux de remise en état : 217 800 euros TTC.
Par lettre du 22 février 2021, le mandataire liquidateur à informé la SCI Bretonn que la créance ainsi déclarée était contestée par le débiteur aux motifs, d'une part, que la créance pour travaux se confond avec celle non déclarée en temps et en heure et faisant l'objet d'une demande de relevé de forclusion, et, d'autre part, que la créance réclamée pour non coïncidence de la résiliation à la période triennale n'est pas justifiée.
Le 11 mars 2021, dans le délai prévu aux articles L. 622-27 et R. 624-1 du code de commerce, la SCI Bretonn a répondu au mandataire liquidateur qu'elle maintenait sa demande tendant à l'admission au passif de la société AMD de sa créance d'un montant de 706 892,40 euros.
Par ordonnance du 19 octobre 2021, le juge commissaire du tribunal de commerce d'Angers a :
- admis la créance de la société SCI Bretonn au passif de la procédure collective de la société AMD Accessoires Mode Diffusion (SAS), pour la somme de 157 675 euros à titre chirographaire ;
- rejeté le surplus de la créance de la société SCI Bretonn au passif de la procédure collective de la société AMD Accessoires Mode Diffusion (SAS) ;
- dit que mention sera portée sur l'état des créances par les soins de M. le greffier ;
- ordonné l'emploi des dépens en frais privilégiés de procédure collective.
***
Avant cette déclaration de créance, le juge-commissaire de la liquidation judiciaire de la société AMD avait, par ordonnance du 16 décembre 2020, au visa des articles L. 622-24, L. 622-26 et R. 622-24 du code de commerce, déclaré irrecevable la requête présentée le 16 septembre 2020 par la SCI Bretonn en relevé de forclusion au titre d'une créance de réparations locatives qu'elle voulait déclarer à l'égard de la société AMD et, en conséquence, a rejeté cette requête au motif que la SCI Bretonn n'avait pas agi dans le délai de six mois imparti à l'article L. 622-26 du code de commerce alors qu'elle était en mesure de déclarer sa créance par estimation, étant informée à la fois de l'état du bâtiment et de l'existence de la conversion en liquidation.
Par un jugement du 9 mars 2022, le tribunal de commerce d'Angers a confirmé cette ordonnance et rejeté la requête en relevé de forclusion présentée par la SCI Bretonncomme non-fondée. Après avoir rappelé que la SCI Bretonn avait, après avoir été informée le 7 septembre 2020 de ce que les locaux seraient libérés le 19 septembre suivant, mandaté un architecte pour constater la nature des éventuels travaux de remise en état, lequel avait établi un devis le 24 septembre et que ce n'est que le lendemain qu'elle avait demandé à être relevé de forclusion, le délai pour déclarer les créances ayant expiré le 24 août 2020, il a retenu que les travaux de remise en état dont il était demandé indemnisation, liés aux éventuelles inexécutions contractuelles du preneur concernaient, d'une part, le sprinklage, dont la SCI Bretonnavait connaissance antérieurement à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire puisqu'une procédure judiciaire en faisant état était pendante devant le juge des loyers depuis 2017, d'autre part, des travaux de remise en état des lieux que le bailleur avait la possibilité de faire déterminer dès le 27 mai 2020 dès lors que le jugement de cession prévoyait la faculté pour le bailleur de faire visiter le bien loué et ainsi de faire un état des lieux. Il en a déduit que la SCI Bretonn avait alors toute possibilité de déclarer sa créance par estimation dans les délais légaux.
***
Par déclaration reçue au greffe le 27 octobre 2021, la SELARL Franklin Bach, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société AMD, et la SAS AMD ont interjeté appel de l'ordonnance du 19 octobre 2021 en ce qu'elle a admis au passif de la liquidation judiciaire de la société AMD Accessoires Mode Diffusion la créance déclarée par la SCI Bretonn pour un montant de 157 675 euros à titre chirographaire ; dit que mention sera portée sur l'état des créances par les soins du greffier ; ordonné l'emploi des dépens en frais privilégiés de procédure collective. Elles ont intimé la SCI Bretonn.
Une ordonnance du 2 mai 2022 a clôturé l'instruction de l'affaire.
MOYEN ET PRÉTENTION DES PARTIES
La SELARL Franklin Bach ès qualités et la SAS AMD (ci-après les appelants) demandent à la cour, au visa de l'article L.622-14-1° du code de commerce, de l'article R.624-7 du code de commerce, et des pièces versées aux débats, de :
- infirmer l'ordonnance du juge-commissaire de la procédure de liquidation judiciaire de la société AMD Accessoires Mode Diffusion (SAS) rendue le 19 octobre 2021 en ce qu'elle a :
* admis au passif de la liquidation judiciaire de la société AMD Accessoires Mode Diffusion la créance déclarée par la SCI Bretonn pour un montant de 157 675 euros à titre chirographaire ;
* dit que mention sera portée sur l'état des créances par les soins de M. le greffier ;
* ordonné l'emploi des dépens en frais privilégiés de procédure collective ;
et statuant à nouveau :
- rejeter la créance déclarée le 30 octobre 2020 par la SCI Bretonn au passif de la liquidation judiciaire de la société AMD Accessoires Mode Diffusion ;
- condamner la SCI Bretonn à payer à la SELARL Franklin Bach prise en la personne de maître Franklin Bach ès qualités la somme de 4.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la SCI Bretonn à supporter les entiers dépens de la présente procédure.
La SCI Bretonn prie la cour, au visa de l'article L.622-14, L.622-17 et L.622-24 du code de commerce, de':
- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 19 octobre 2021 ;
- condamner la SELARL Franklin Bach ès qualités à payer à la SCI Bretonn la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la SELARL Franklin Bach à supporter les entiers dépens de la présente procédure.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 954 du code de procédure civile, à leurs dernières conclusions respectivement remises au greffe :
- le 29 mars 2022 pour la SELARL Franklin Bach, ès qualités, et la SAS AMD Accessoires Modes Diffusion,
- le 27 avril 2022 pour la SCI Bretonn.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La créance de la société SCI Bretonn admise par le premier juge au passif de la procédure collective de la société AMD, pour la somme de 157 675 euros à titre chirographaire, correspond au préjudice prétendument causé par la résiliation du bail considérée comme hâtive (79 968 euros), à la taxe foncière pour l'année 2020 (15 907 euros) et aux travaux de remise en état des locaux (61 800 euros).
Il convient d'examiner successivement ces trois créances à l'admission desquelles la société AMD et le mandataire liquidateur de cette société s'opposent.
Sur la créance d'indemnisation du préjudice prétendument causé par la résiliation du bail considérée comme hâtive
La SCI Bretonn invoque les dispositions de l'article L. 622-14 1° du code de commerce selon lesquelles la résiliation intervient au jour où le bailleur est informé de la décision de l'administrateur de ne pas le continuer et dans ce cas, 'l'inexécution peut donner lieu à des dommages et intérêts au profit du cocontractant, dont le montant doit être déclaré au passif'. Elle rappelle que le jugement de cession du 27 mai 2020 a constaté l'accord du bailleur à la sous-location des locaux au profit du repreneur à condition d'être prévenu suffisamment à l'avance de son départ. Elle fait valoir qu'il lui était indispensable de pouvoir bénéficier d'un délai de prévenance avant le départ du repreneur afin de pouvoir entreprendre les démarches utiles à la mise en location du bien et pour procéder au rafraîchissement des locaux et le cas échéant procéder à leur réorganisation, en rappelant que la société AMD les avait occupés pendant vingt-cinq ans et qu'à la sortie du confinement, il était difficile de trouver des entreprises du bâtiment immédiatement disponibles. Le liquidateur l'ayant officiellement informée de la résiliation du bail le 9 octobre 2020 à effet rétroactif au 30 septembre précédent, elle considère qu'il a commis une faute en ne l'informant pas suffisamment à l'avance du départ du repreneur. Elle ajoute qu'elle n'a pas été en mesure de prendre les mesures adéquates pour empêcher que les locaux soient 'squattés', en octobre 2020, après la restitution des clés, intrusion favorisée par l'absence d'entretien par la société AMD du système d'alarme, en soulignant que les travaux de mise en sécurité qu'elle a dû alors faire réaliser ont contribué à la dégradation des lieux. Ainsi, elle prétend subir un préjudice tenant à l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée de relouer rapidement les locaux tout en devant continuer à supporter la charge du remboursement de l'emprunt contracté pour l'acquisition de l'immeuble, préjudice qu'elle évalue à l'équivalent de six mois de loyers. Elle indique que compte tenu de l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée de relouer rapidement les locaux, elle a été contrainte de les vendre sans délai, à un prix sans rapport avec la réalité.
Les appelants répondent qu'une indemnité au titre de la résiliation du contrat ne peut résulter que, soit d'une faute du mandataire de justice qu'il appartient au bailleur de prouver, tout comme l'existence et le quantum du préjudice invoqué, ainsi que le lien de causalité entre cette faute et ce préjudice, soit d'une stipulation du bail prévoyant que le preneur sera tenu au paiement du loyer jusqu'à la fin d'une période triennale quelle que soit la cause de la rupture du contrat. Ils considèrent qu'aucune de ces conditions n'est remplie ; qu'au contraire, la décision de résiliation s'imposait au liquidateur judiciaire en vertu du jugement de cession de l'entreprise qui prévoyait que le repreneur pourrait rester dans les lieux jusqu'à la fin de novembre 2020, de sorte qu'après cette date, aucune activité ni fonds de commerce ne pouvait être exploités dans les locaux, ce dont le bailleur était parfaitement informé et que ce dernier aurait d'ailleurs pu se plaindre de la poursuite du bail au-delà de cette échéance, sans activité et sans loyer. Considérant que le bailleur avait connaissance, dès le 27 mai 2020, de la date de libération des locaux qui ne pouvait intervenir après le mois de novembre 2020, qui courrait jusqu'à seulement deux mois après la résiliation effective du bail, ils font valoir que le bailleur était en mesure d'anticiper cette situation dès le 27 mai 2020, ce qu'il a fait puisque l'immeuble a été vendu dès le 29 mars 2021, soit à peine six mois après la date à laquelle il a été libéré, ce dont ils déduisent que le bailleur ne peut prétendre avoir été 'pris de court' par la décision de résiliation alors que le projet de vendre a nécessairement été antérieurement planifié. Ils soulignent que le nouveau propriétaire a fait procéder à une réhabilitation complète et de grande envergure du site au moyen d'un investissement de l'ordre de 2,5 millions d'euros et qui a été terminée moins d'un an après l'acquisition, ce qui suppose qu'elle a été largement anticipée. Ils ajoutent qu'un tel projet rend inopérant le moyen selon lequel l'état du bien aurait pu avoir une quelconque incidence sur la vente. Ainsi, ils prétendent que le sort réservé à l'immeuble démontrerait que la créance alléguée est artificielle et n'a pour objet que d'obtenir une compensation avec la dette de restitution de loyers trop perçus.
Sur ce,
Le liquidateur a la faculté de résilier le bail commercial à tout moment, sans préavis. Le bailleur est alors en droit d'obtenir le dédommagement du préjudice né de la rupture immédiate du bail en cours, à condition d'en déclarer le montant dans un délai d'un mois comme l'exige l'article R. 622-21 alinéa 2 du code de commerce.
La résiliation est effective, par application de la loi, au jour où le bailleur en est informé, soit en l'espèce le 9 octobre 2020. Le fait que le mandataire liquidateur ait indiqué au bailleur que la résiliation prenait effet le 30 septembre 2020 n'a pas pour effet de la rendre irrégulière ni d'en anticiper la date.
La SCI Bretonn était informée dès le jugement de cession du 27 mai de ce que sous-location expirerait au plus tard le 27 novembre 2020 et, par suite, que le bail prendrait fin au plus tard à cette date.
La rupture anticipée du bail n'est intervenue que moins de deux mois avant cette date butoir.
La SCI Bretonn admet avoir été informée, le 7 septembre 2020, de façon informelle par le liquidateur que la sous-locataire allait quitter les lieux le 19 septembre suivant.
Elle a vendu le bien moins de six mois après la résiliation du bail, ce qui est un délai relativement court après la fin du bail et qui laisse penser que la vente a été anticipée avant même la notification par le mandataire liquidateur de la résiliation.
La bailleresse ne justifie pas avoir cherché à relouer le bien ni cherché à engager des entreprises pour faire les travaux de remise en état en vue de sa re-location. Elle ne démontre pas que du fait de la résiliation immédiate, elle n'aurait pas été en mesure de mettre en location le bien.
A défaut de préjudice établi en lien avec l'absence de préavis à la résiliation anticipée, la créance d'indemnisation ne peut qu'être rejetée.
Sur la créance de charge de la taxe foncière 2020
La SCI Bretonn entend faire admettre au passif de la société AMD une créance de 15 907 euros HT, soit 19 088 euros TTC au titre de la taxe foncière de l'année 2020 en application des dispositions de l'article L. 622-24 alinéa 5 du code de commerce selon lesquelles les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture, autres que celles mentionnées au I de l'article L. 622-17 sont soumises à déclaration de créance, les délais courant à compter de la date d'exigibilité de la créance. Rappelant que l'article 3.6 du contrat de bail stipule que le preneur remboursera au bailleur la taxe foncière afférente aux lieux loués, que le jugement de cession prévoyait que la taxe foncière était payée par le preneur, mais que celui-ci ne l'a pas payée, la SCI Bretonn expose avoir établi une facture le 1er octobre 2020, portant sur la taxe foncière due au titre des mois de janvier à septembre 2020 et avoir déclaré au passif de la société AMD la taxe foncière due pour l'année 2020. Elle soutient qu'il s'agit d'une créance qui n'est pas née au 1er janvier 2020 comme le considèrent les appelants qui, selon elle, tentent de créer une confusion entre la date de naissance de la taxe foncière à l'égard du propriétaire et la date de naissance de la créance de remboursement au bailleur par le preneur de la taxe foncière, mais née postérieurement au jugement d'ouverture étant due au titre de la poursuite du bail après l'ouverture de la procédure de liquidation et née de l'exécution du jugement de cession du 27 mai 2020 qui ordonne expressément que la taxe foncière soit payée mensuellement par la société AMD. En réponse aux appelants, elle prétend avoir expressément déclaré cette créance due au titre du paiement par le preneur de la taxe foncière incombant au propriétaire pour l'année 2020.
Les appelants considèrent que cette demande est irrecevable pour plusieurs motifs. D'abord, parce que la SCI Bretonn sollicite présentement l'admission d'une autre créance que celle qu'elle a déclaré, qui était une créance indemnitaire en conséquence de la résiliation du bail ; ensuite, parce que la créance au titre de la taxe foncière est née antérieurement au jugement d'ouverture, au 1er janvier 2020 en vertu de l'article 1415 du code général des impôts et aurait donc dû être déclarée avant le 24 août 2020 compte tenu de la prorogation du délai prévue par l'ordonnance du 25 mars 2020, modifiée par l'ordonnance du 13 mai 2020, le fait que le jugement de cession du 27 mai 2020 ait changé les modalités de règlement de la taxe foncière en prévoyant un règlement mensuel le temps de la sous-location étant sans incidence sur la naissance du droit pour le bailleur de se faire rembourser la taxe foncière par sa locataire.
Sur ce,
La déclaration de créance doit exprimer de façon non équivoque la volonté du créancier de demander le paiement de sa créance.
La SCI Bretonn mentionne, dans sa déclaration de créance établie le 30 octobre 2020, après avoir rappelé les dispositions de l'article R. 622-21 du code de commerce et la résiliation du bail intervenue, que 'suite à cette résiliation anticipée, la SCI Bretonn détient à l'encontre de la SAS AMD une créance globale comprenant la taxe foncière ainsi que les loyers à échoir à titre de dommages-intérêts se décomposant comme suit [...]. En effet, la résiliation avant son terme, à l'initiative du liquidateur, peut ouvrir droit à des dommages et intérêts au profit du bailleur à raison de la perte de loyer jusqu'à l'expiration du bail ou de la période triennale...'
Il ressort de cette déclaration de créance, que la SCI Bretonn n'a pas déclaré une créance correspondant au remboursement de la taxe foncière qui serait due par le preneur au titre de l'année 2020 mais une créance indemnitaire au titre du préjudice que lui aurait causé la résiliation anticipée du bail, évalué sur la base des loyers à échoir et des taxes foncières 2020 et 2021, dont elle aurait été privés. Le fait que la taxe foncière 2021 soit incluse dans cette créance démontre qu'il ne s'agissait pas de la réclamation du remboursement d'une créance exigible au titre de la jouissance des lieux mais bien de l'indemnisation d'un préjudice lié à la rupture anticipée du contrat. La créance ainsi déclarée correspond à des dommages et intérêts.
C'est donc à juste titre que les appelants soulèvent l'irrecevabilité de la demande d'admission au passif d'une créance correspondant à la taxe foncière due en exécution du plan de cession, s'agissant d'une créance qui n'a pas été déclarée.
En outre, le remboursement de la taxe foncière mise à la charge du preneur en vertu des stipulations du bail est dû à titre de charge en contrepartie de la jouissance des lieux, laquelle est donc le fait générateur de la créance ; ainsi, c'est une créance postérieure au jugement seulement pour la période correspondant à l'exécution du bail après le jugement d'ouverture, à déclarer au prorata, dans les conditions de l'article L. 622-24 alinéa 5 du code de commerce, soit dans le mois de l'exigibilité de la créance. Par suite, le 30 octobre 2020, la SCI Bretonn n'aurait pu, tout au plus, valablement déclarer qu'une créance calculée au prorata pour une période allant du 30 septembre au 9 octobre 2020, puisque la créance de remboursement de la taxe pour la période d'exécution du bail antérieure aurait dû être déclaré avant le 30 septembre 2020 et qu'aucune créance n'était due à compter du 9 octobre 2020, date de résiliation du bail.
Sur la créance d'indemnisation des frais de remise en état du local:
Les appelants s'opposent à l'admission de cette créance en faisant valoir que la SCI Bretonn s'est vue rejeter sa requête en relevé de forclusion pour voir admettre au passif cette même créance. Ils estiment que le bailleur tente, en ayant déclaré à nouveau cette créance, de contourner la forclusion qui est acquise. Ils ajoutent que la SCI Bretonn n'a pas explicitement déclaré cette créance dans sa déclaration du 30 octobre 2020.
La SCI Bretonn affirme qu'en cas de continuation du contrat après jugement d'ouverture, la créance de remise en état a la qualité de créance postérieure audit jugement. Elle rappelle que le bail s'est poursuivi en exécution du plan de cession et prétend n'avoir découvert l'existence et l'ampleur des travaux de réparation locatives que lors de la visite préalable à la remise des clés, en particulier les travaux indiqués comme étant le lot n°2 sur l'estimation financière, devis établi par un cabinet d'architecture, d'un montant de 42 000 euros, augmenté des honoraires associés, d'un montant de 19 800 euros.
Elle ajoute, en réponse aux appelants, que sa déclaration de créance du 30 octobre 2020 a été établie en application, notamment, de l'article R. 622-21 du code de commerce en vertu duquel les cocontractants mentionnés aux articles L. 622-13 et L. 622-14 bénéficient d'un délai d'un mois à compter de la date de la résiliation de plein droit ou de la notification de la décision prononçant la résiliation pour déclarer au passif la créance résultant de cette résiliation.
Sur ce,
L'article L. 622- 24, 1er alinéa oblige, à partir de la publication du jugement, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception des salariés, à adresser la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire dans des délais fixés par décret en Conseil d'Etat. Ce délai est fixé par l'article R. 622-24 à deux mois à compter de la publication du jugement au BODACC
Aux termes de l'article L. 622-26, 1er alinéa, à défaut de déclaration dans les délais prévus à l'article L. 622-24, les créanciers ne sont pas admis dans les répartitions et les dividendes à moins que le juge-commissaire ne les relève de leur forclusion s'ils établissent que leur défaillance n'est pas due à leur fait ou qu'elle est due à une omission du débiteur lors de l'établissement de la liste prévue au deuxième alinéa de l'article L. 622-6.
La SCI Bretonn produit un procès-verbal de constat de sortie des lieux et une estimation financière de remise en état d'un montant total de 217 800 euros comprenant des travaux de reprise sur l'installation sprinkler d'un coût de 130 000 euros, des travaux secondaires d'un montant de 35 000 euros, outre des honoraires d'un montant de 16 500 euros.
Elle n'apporte aucun élément sur l'origine des dégradations dont elle demande réparation à hauteur de 41 000 euros.
Il n'est pas établi que cette créance correspondrait à des réparations qui trouveraient leur origine dans des dégradations causées après l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire et se distinguerait donc de la créance qui n'a pas été déclarée à temps. Or, contrairement à ce que soutient la SCI Bretonn, pour qu'une créance relative aux travaux de remise en état des lieux loués soit postérieure au jugement d'ouverture, il ne suffit pas que le bail se soit poursuivi après ce jugement mais il faut que les dégradations, fait générateur de la créance, aient été commises après.
S'agissant d'une créance ayant pour origine l'inexécution par le preneur de ses obligations d'entretien et de jouissance paisible, et non d'une créance qui trouve son origine dans la résiliation du bail, les dispositions de l'article R. 622-21 du code de commerce ne trouvent pas à s'appliquer.
Surtout, le jugement du 9 mars 2022 qui a rejeté la demande de la SCI Bretonn en relevé de forclusion de la déclaration de sa créance au titre des frais de remise en état des locaux a autorité de la chose jugée et s'oppose donc à l'admission d'une même créance.
Or, la créance dont la SCI Bretonn demande présentement l'admission au passif est identique à celle qu'elle avait déclarée en dehors du délai imparti.
II s'ensuit que la créance de réparations locatives dont elle demande présentement l'admission se heurte à l'autorité de la chose jugée attachée au jugement du 9 mars 2022.
Il s'ensuit que la forclusion s'applique à cette créance.
*
L'ordonnance entreprise est infirmée en ce qu'elle a admis la créance de la société SCI Bretonn au passif de la procédure collective de la société AMD Accessoires Mode Diffusion (SAS), pour la somme de 157 675 euros à titre chirographaire, dit que mention sera portée sur l'état des créances par les soins du greffier et ordonné l'emploi des dépens en frais privilégiés de procédure collective.
La SCI Bretonn, qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et à payer à la SELARL Franklin Bach prise en la personne de M. Bach, ès qualités, la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement, par mise à disposition au greffe,
Infirme l'ordonnance entreprise sauf en ce qu'elle a rejeté le surplus de la créance de la société SCI Bretonn au passif de la procédure collective de la société AMD.
Statuant à nouveau,
Rejette la demande d'admission de la créance de la SCI Bretonn à hauteur de 157 675 euros à titre chirographaire.
Condamne la SCI Bretonn aux dépens de première instance et d'appel.
Condamne la SCI Bretonn à payer à la SELARL Franklin Bach prise en la personne de M. Bach, ès qualités, la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.