Cass. 3e civ., 19 janvier 2011, n° 09-10.276
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Philippot
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 9 octobre 2008), que la SCI La Majolane, propriétaire de locaux à usage commercial donnés à bail à la société Hôtel Excelsior, a, par acte du 29 avril 2004, notifié à cette dernière un congé avec offre de renouvellement pour un nouveau loyer ; que la locataire, se prévalant de sa qualité de propriétaire indivis d'une partie des locaux compris dans l'assiette du bail, a assigné la bailleresse en nullité du congé ;
Sur le premier moyen :
Vu l'article 815-3 du code civil dans sa rédaction applicable ;
Attendu que pour rejeter cette demande, l'arrêt retient que, le bail, portant sur des locaux divis appartenant à la SCI La Majolane et sur des locaux indivis appartenant à la SCI La Majolane et à la société Hôtel Excelsior, présentait un caractère indivisible, et que la bailleresse, à qui le preneur avait, en toute connaissance de cause, reconnu cette qualité pour l'ensemble des biens composant l'assiette du bail, avait qualité pour délivrer seule congé ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le congé, dès lors que le bail, qui portait sur des locaux divis et indivis, avait un caractère indivisible, nécessitait l'accord de tous les indivisaires ou, à défaut, un mandat spécial, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 octobre 2008, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
Condamne la SCI La Majolane aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la SCI La Majolane à payer à la société Hôtel Excelsior la somme de 2 500 euros ; rejette la demande de la SCI La Majolane ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé à l'audience publique du dix-neuf janvier deux mille onze par Mme Bellamy, conformément à l'article 452 du code de procédure civile.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat aux Conseils pour la société Hôtel Excelsior
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté l'irrégularité de fond tirée par la société HOTEL EXCELSIOR du défaut de qualité de l'auteur du congé du 29 avril 2004 et d'avoir, par suite, déclaré régulier et valable ledit congé ;
Aux motifs que « dans le bail commercial, soumis au statut des baux commerciaux, en date du 08.11.1995, liant la SCI " LA MAJOLANE" et la SA HOTEL EXCELSIOR, les lieux loués sont ainsi désignés: "divers locaux dépendant de 1'immeuble à SAINT-RAPHAEL (83 700), boulevard F.Martin et rue Boetmann, anciennement dénommé "Marie Stella" comprenant. "rez-de-chaussée : salle de restauration, bureau penderie, toilettes, une deuxième salle de restauration avec accès à l'hôtel Excelsior, petit jardinet. Sous Sol : caves, 1er étage : 7chambres + une petite dont deux avec baignoire sabots, 2ème étage : 7 chambres + une petite, dont deux avec baignoire sabots, 3ème étage : pièces mansardées"; qu'au vu des pièces produites aux débats et notamment des titres de propriété respectivement du 27.06.1962 pour la SCI" LA MAJOLANE" et du 07.08.1967 pour la SA HOTEL EXCELSIOR, il est avéré que "le petit jardinet et la deuxième salle de restauration avec accès à l 'HOTEL EXCELSIOR ", inclus dans l'assiette du bail, appartiennent en indivision à la SCI "LA MAJOLANE", bailleresse et à la SA HOTEL EXCELSIOR, locataire, dans les proportions des 2/3 pour la SCI " LA MAJOLANE" et d'1/3 pour la SA HOTEL EXCELSIOR ; que ce jardinet et cette salle de restaurant, ancienne terrasse couverte construite sur le jardinet, dans les actes de propriété susvisés, ne sont pas soumis aux règles de la copropriété, laquelle n'a pas été instituée entre les coïndivisaires, malgré l'avènement du statut de la copropriété en 1965, qu'en tous cas, cela ne ressort d'aucun acte pas plus que le fait allégué que les parties auraient pu mettre fin à l'indivision pour adopter les règles de la mitoyenneté, le jardinet devenant cour commune ; que ce bail commercial unique traduit la commune intention des parties de soumettre au même régime, soit celui du statut des baux commerciaux, tous les locaux donnés à bail par la SCI" LA MAJOLANE", y compris le jardinet et la salle de restaurant avec accès à l'hôtel EXCELSIOR, ces locaux attachés à l'ensemble immobilier, cadastré D 793 et constitué par deux villas, dénommées Villa Saint Jean et Villa Marie Stella, à SAINT RAPHAEL (83), appartenant à la SCI" LA MAJOLANE", formant un tout indivisible matériellement en raison de la seule dénomination cadastrale, à la date du bail et de l'usage exclusif des locaux pour l'exploitation du fonds d'hôtellerie de la SA HOTEL EXCELSIOR ; ainsi, que, contrairement à ce qu'elle prétend, la SCI " LA MAJOLANE" n'a commis aucune erreur en donnant à bail des locaux, qui ne lui appartenaient que pour les 2/3, mais s'est comportée volontairement en bailleresse de l'intégralité du jardinet et de la deuxième salle de restaurant, ce que la SA HOTEL EXCELSIOR a accepté, en toute connaissance de cause, et ce, d'autant qu'elle avait déjà loué, dans le cadre d'un bail commercial, les mêmes locaux à la SCI WINTER PALACE, aux droits de laquelle vient la SCI" LA MAJOLANE" ; que l'indivisibilité tant conventionnelle que matérielle des locaux entraîne l'indivisibilité du bail, et par là même, la soumission du jardinet et de la deuxième salle de restaurant au statut des baux commerciaux ; que, donc, seule la SCI " LA MAJOLANE", bailleresse, avait qualité pour délivrer un congé ; qu'elle n'avait donc pas à solliciter le consentement de la SA HOTEL EXCELSIOR, en tant que propriétaire indivis du jardinet et de la deuxième salle de restaurant, compris dans l'assiette du bail du 8.11.1995 ; en conséquence, que c'est, à tort, que le Tribunal a déclaré nul le congé avec offre de renouvellement, délivré le 29.04.2004, par la SCI " LA MAJOLANE" a la SA HOTEL EXCELSIOR en ce qu'il porte sur les autres locaux, propriété de la SCI "LA MAJOLANE" ; qu'il sera dit à nouveau qu'en raison de l'indivisibilité du bail, le jardinet et la deuxième salle de restaurant sont soumis au régime des autres locaux désignés dans le bail, dès lors qu'ils ont été loués par le même bail ; que le jugement entrepris sera infirmé de ce chef, le congé délivré le 29.04.2004 étant valable en son entier, l'irrégularité de fond tirée du défaut de qualité étant écartée » (arrêt attaqué, p. 4 et s.) ;
1°) Alors d'une part que, lorsqu'un bien indivis fait l'objet d'un bail, un indivisaire seul ne peut faire délivrer un congé sans l'accord de ses coïndivisaires ; qu'au cas présent, il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué que le bail portait sur un ensemble indivisible de biens appartenant, pour partie, en indivision à la société LA MAJOLANE et à la société HOTEL EXCELSIOR ; qu'en considérant valable le congé délivré par la société LA MAJOLANE sans l'accord de la société HOTEL EXCELSIOR, la cour d'appel a violé l'article 815-3 du Code civil, dans sa rédaction applicable en la cause ;
2°) Alors d'autre part que lorsqu'un bien indivis est donné à bail, un indivisaire ne peut faire délivrer un congé qu'avec l'accord ou le mandat exprès et spécial de son coïndivisaire, la simple circonstance que le coïndivisaire ait, à l'origine, laissé l'indivisaire précité conclure seul le bien ne valant pas renonciation par avance à ce droit ; qu'en considérant que, par la conclusion du bail, la société HOTEL EXCELSIOR aurait accepté le fait que la société LA MAJOLANE se comporte comme le seul bailleur et que cette acceptation aurait eu pour effet d'attribuer à la société LA MAJOLANE le droit de délivrer congé sans accord, ni mandat exprès et spécial, de son coïndivisaire, la cour d'appel a violé l'article 815-3 du Code civil, dans sa rédaction applicable en la cause ;
3°) Alors de troisième part que lorsqu'un bien indivis fait l'objet d'un bail portant, de manière indivisible, sur des biens divis et des biens indivis, les règles de l'indivision, protectrices des coïndivisaires, n'en restent pas moins applicables ; qu'au cas présent, il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué que le bail portait, de manière indivisible, sur des biens divis et des biens indivis ; qu'en considérant que cette circonstance aurait été de nature à écarter les règles de l'indivision, et spécialement la règle de l'unanimité concernant les actes de disposition portant sur les biens indivis, la cour d'appel a violé l'article 815-3 du Code civil, dans sa rédaction applicable en la cause ;
4°) Alors de quatrième part que lorsqu'un bien indivis fait l'objet d'un bail soumis au statut des baux commerciaux, les règles de l'indivision protectrices des indivisaires n'en restent pas moins applicables ; qu'en conséquence, un indivisaire ne peut, seul, faire délivrer un congé sans l'accord de ses coïndivisaires, même lorsque le bien indivis fait l'objet d'un bail soumis au statut des baux commerciaux ; qu'au cas présent, il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué que le bail portait sur un ensemble indivisible de biens appartenant, en partie, en indivision à la société LA MAJOLANE et à la société HOTEL EXCELSIOR ; qu'en écartant le moyen tiré du défaut de qualité de l'auteur du congé au motif que le bail était indivisible et donc soumis au statut des baux commerciaux, la cour d'appel a violé l'article 815-3 du Code civil, dans sa rédaction applicable en la cause ;
SECOND MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut de pouvoir de l'auteur du congé du 29 avril 2004, et d'avoir, par suite, déclaré régulier et valable ledit congé ;
Aux motifs que « le congé doit être délivré par celui qui a la capacité juridique de le faire ; que la SCI " LA MAJOLANE", aux termes de ses statuts en date du 30.10.2002, a deux gérants, dont la signature conjointe est exigée pour tous les actes engageant la SCI ; que la SCI " LA MAJOLANE" figure au congé du 29.04.2004, en la personne de sa cogérante en exercice, Madame Marine COURJON MONTOUFILS, qui a qualité pour la représenter ; que la SA HOTEL EXCELSIOR soulève en appel, ce qui est recevable, la fin de non recevoir tirée du défaut de pouvoir de l'auteur du congé ; mais que la SA HOTEL EXCELSIOR, dont le gérant est co-gérant de la SCI" LA MAJOLANE", agit indiscutablement, dans cette instance sur la validité du congé avec offre de renouvellement, qui lui a été délivré le 29.04.2004, en sa qualité de locataire, comme tiers à la SCI " LA MAJOLANE" ; qu'elle n'est donc pas fondée à se prévaloir du défaut de signature d'un des co-gérants de la SCI "LA MAJOLANE", dans la mesure où d'une part, en cas de pluralité de gérants, chaque gérant a, à l'égard des tiers, les mêmes pouvoirs que s'il était gérant unique et peut agir séparément des autres gérants et où d'autre part, la clause statutaire limitant les pouvoirs des gérants lui est inopposable, la société restant engagée ; par ailleurs, que la SA HOTEL EXCELSIOR ne démontre pas qu'elle est un tiers lésé par ce défaut de co-signature des gérants de la SCI " LA MAJOLANE", cas auquel elle pourrait l'opposer à cette dernière ; que le congé avec offre de renouvellement met fin au titre en cours, sans pour autant mettre fin à la jouissance du locataire ; qu'au contraire, la poursuite lui en est offerte, qu'il est libre d'accepter ou de refuser, le montant du loyer de renouvellement étant, en outre, discutable devant le juge des loyers commerciaux ; qu'au surplus, la SA HOTEL EXCELSIOR, en qualité de tiers, ne démontre pas qu'elle ait eu connaissance d'une opposition formée au congé, avant la prise d'effet de celui-ci, par le co-gérant non signataire; que la Cour observe que la SA HOTEL EXCELSIOR n'a soulevé la fin de non recevoir, tirée du défaut de pouvoir que dans ses conclusions du 27.05.2008, soit 4 ans environ après la date d'effet du congé ; que dans ces conditions, l'opposition formée par un gérant aux actes d'un autre gérant, entrant dans l'objet social, est sans effet à l'égard des tiers ; que la fin de non recevoir, tirée du défaut de pouvoir sera rejetée ; enfin, qu'aucune nullité du congé délivré le 29.04.2004 par la SCI " LA MAJOLANE" ne peut découler du loyer, prétendument abusif, sollicité par la bailleresse, à compter de la date de renouvellement du bail ; que c'est à juste titre que le Tribunal a dit qu'il ne lui appartenait pas de se prononcer sur le montant du loyer demandé dans le congé avec offre de renouvellement, ce litige étant de la compétence du juge des loyers commerciaux, lequel fera application de l'article L 145-3 8 du Code de Commerce, pour apprécier le montant de ce loyer du bail renouvelé ; en conséquence, que la Cour, infirmant le jugement entrepris, déclare régulier et valable le congé, avec offre de renouvellement au 01.11.2004, signifié à la SA HOTEL EXCELSIOR par la SCI " LA MAJOLANE" le 29.04.2004, et portant sur l'ensemble des locaux, désignés dans le bail commercial du 8.11.1995, en ce, inclus le jardinet et la deuxième salle de restaurant » (arrêt attaqué, p. 5, al. 8 et s.) ;
1°) Alors d'une part que si la situation de cogérance et la limitation statutaire du pouvoir des gérants sont inopposables par la société aux tiers, ceux-ci peuvent néanmoins s'en prévaloir ; qu'en écartant le moyen tiré du défaut de pouvoir du gérant ayant délivré le congé au motif qu'en cas de cogérance, chaque gérant a, à l'égard des tiers, les mêmes pouvoirs qu'un gérant unique et que les clauses statutaires limitant le pouvoirs du gérant sont inopposables aux tiers, cependant que la situation de cogérance était ici invoquée par le tiers, à l'encontre de la société, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 1849 du Code civil ;
2°) Alors d'autre part que la règle « pas de nullité sans grief » n'est applicable qu'aux vices de forme ; qu'en écartant le moyen tiré du défaut de pouvoir de l'auteur du congé au motif que la société HOTEL EXCELSIOR n'établissait pas être un tiers lésé, cependant que le défaut de pouvoir est un vice de fond, la cour d'appel a violé les articles 114 et 117 du Code de procédure civile ;
3°) Alors, en tout état de cause, que la règle « pas de nullité sans grief » n'est applicable qu'aux actes de procédure ; qu'en écartant le moyen tiré du défaut de pouvoir de l'auteur du congé au motif que la société HOTEL EXCELSIOR n'établissait pas être un tiers lésé, alors que le congé avec offre de renouvellement, intervenant en dehors de tout procès, n'est pas un acte de procédure, la cour d'appel a violé les articles 114 et 117 du Code de procédure civile.