Cass. 1re civ., 28 septembre 2022, n° 21-11.221
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Défendeur :
BNP Paribas Personal Finance
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chauvin
Avocats :
Me Goldman, SCP Spinosi
Faits et procédure
1.Selon l'arrêt attaqué (Limoges, 12 décembre 2019), suivant offre de prêt acceptée le 20 juillet 2008, la société BNP Paribas Personal Finance (la banque) a consenti à M. [F] et à Mme [U] un prêt, dénommé Helvet Immo, libellé en francs suisses, remboursable en euros et destiné à financer l'acquisition d'un appartement à usage locatif. A la suite du prononcé de leur divorce, le bien financé a été attribué à Mme [F] (l'emprunteur), qui n'a pu acquitter des échéances à compter de janvier 2010.
2. Le 27 mai 2016, la banque a assigné l'emprunteur en paiement, lequel a soutenu que la clause stipulant la révision du taux d'intérêt en fonction de la variation du taux de change était abusive et devait être déclarée non écrite.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
4. L'emprunteur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer la banque et de rejeter ses demandes, alors « qu'aux fins de respecter l'exigence de transparence d'une clause contractuelle fixant un taux d'intérêt variable, dans le cadre d'un contrat de prêt, cette clause doit permettre qu'un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, soit mis en mesure de comprendre le fonctionnement concret du mode de calcul de ce taux et d'évaluer ainsi, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques, potentiellement significatives, d'une telle clause sur ses obligations financières ; qu'en se bornant à relever, pour dire que la clause fixant les conditions de variation du taux d'intérêt était claire et compréhensible, qu'elle fixait une double limite de la durée supplémentaire de remboursement et de la majoration des règlements en euros, sans rechercher si la clause litigieuse avait mis en mesure l'emprunteur, de comprendre le fonctionnement concret du mode de calcul de ce taux et d'évaluer ainsi, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques, potentiellement significatives, d'une telle clause sur ses obligations financières, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 132-1, devenu L. 212-1 et L. 241-1, du code de la consommation. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :
5. Selon ce texte, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, l'appréciation du caractère abusif des clauses ne portant ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.
6. Il incombe au juge national d'examiner d'office si, au regard des critères posés par les décisions de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), les clauses insérées dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs ne revêtent pas un caractère abusif.
7. Par arrêt du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19), la CJUE a dit pour droit que l'article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d'un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l'exigence de transparence des clauses de ce contrat qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l'emprunteur, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat.
8. Pour écarter le caractère abusif de la clause de révision du taux d'intérêt, l'arrêt retient que celle-ci définit l'objet principal du contrat et que celui-ci expose de manière parfaitement claire et compréhensible les conditions de variation du taux de l'intérêt et ses conséquences sur le plan de remboursement, en fixant une double limite de la durée supplémentaire de remboursement et de la majoration des règlements en euros.
9. En se déterminant ainsi, sans rechercher si la banque avait fourni à l'emprunteur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de cette clause dans l'hypothèse d'une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle il percevait ses revenus par rapport à la monnaie de compte sur ses obligations financières pendant toute la durée du contrat, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette les demandes de dommages-intérêts pour manquement de la banque à son obligation de mise en garde et d'information, l'arrêt rendu le 12 décembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Limoges ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne la société BNP Paribas Personal Finance aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société BNP Paribas Personal Finance et la condamne à payer à Mme [U] la somme de 3 000 euros.