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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 30 novembre 2018, n° 17/14128

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Société civile Des Auteurs de Jeux (Sté)

Défendeur :

Orange (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gaber

Conseillers :

Mme Renard, Mme Lehmann

TGI Paris, 3e ch. sect. 1, du 1 juin 201…

1 juin 2017

Vu le jugement contradictoire du 1er juin 2017 rendu par le tribunal de grande instance de Paris,

Vu l'appel total interjeté par voie électronique le 12 juillet 2017 par la Société des Auteurs de Jeux (ci-après SAJE),

Vu les dernières conclusions numérotées 4 remises au greffe et notifiées, par voie électronique, le 15 juin 2018 de la société appelante,

Vu les dernières conclusions numérotées 2 remises au greffe et notifiées, par voie électronique, le 28 mai 2018, de la société ORANGE, intimée et appelante incidente,

Vu l'ordonnance de clôture du 28 juin 2018,

SUR CE, LA COUR,

Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.

Il sera simplement rappelé que la SAJE est une société civile de gestion collective constituée uniquement de personnes physiques, qui figure sur la liste des sociétés de perception et de répartition des droits (SPRD) reconnues par le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique.

L'article IV de ses statuts initiaux, rédigés le 29 juillet 1997, définissait son «OBJET» comme suit :

«1°) de percevoir, pour le compte des auteurs des oeuvres de jeux de son répertoire ou entrant dans son répertoire et de leurs ayants droit, toutes les rémunérations dont une Directive Communautaire ou une Loi Interne impose le versement à une Société de Perception et de Répartition de Droits, et notamment la rémunération pour copie privée,

2°) lorsqu'une Directive Communautaire ou une Loi Interne impose aux auteurs ou à leurs

ayants droit, la cession à une Société de Perception de Droits où l'exercice par une Société

de Perception et de répartition de Droits d'un de leurs droits patrimoniaux d'auteur :

l'exercice, l'administration et la gestion de ces droits dans les pays imposant cette gestion

collective, ainsi que la perception et la répartition des rémunérations de ces droits,

3°) la mise en commun d'une partie des droits perçus,

4°) l'aide à la création d'oeuvres de jeux,

5°) la défense, y compris en justice, des intérêts matériels, professionnels et moraux de ses

membres,

6°) la défense y compris en justice des droits dont elle a statutairement la charge,

7°) la détermination des règles morales professionnelles en rapport avec l'activité de ses

membres. Les associés se réservent la possibilité d'étendre ultérieurement, en se conformant aux dispositions légales, l'objet social de la société, à l'exercice, l'administration et la gestion des autres droits patrimoniaux qu'ils tiennent de leurs oeuvres et qu'ils exercent, administrent et gèrent individuellement. Dans cette hypothèse, les statuts modifiés intégreront les dispositions de l'article L32l-8 du Code de la Propriété Intellectuelle.».

Et l'article VII de ces statuts initiaux, intitulé «APPORT» était ainsi rédigé :

«Du fait de leur adhésion aux statuts, les associés apportent à titre exclusif à la société, l'exercice, l'administration et la gestion des droits patrimoniaux d'auteur dont ils sont titulaires et qui ne peuvent être exercés que par une société de perception et de répartition des droits en vertu d'une directive communautaire ou d'une loi interne».

Ainsi à sa création, la SAJE n'avait reçu de ses adhérents que les droits d'exercer, d'administrer et de gérer leurs droits patrimoniaux, pour l'exercice desquels le recours à la gestion collective est obligatoire (L311-6 du Code de la propriété intellectuelle).

Lors d'une assemblée générale extraordinaire qui s'est tenue le 23 septembre 2011, l'objet social de la SAJE a été étendu à l'exercice du droit dit de « retransmission secondaire » ou de «télédiffusion secondaire» par l'ajout d'un paragraphe 2 bis à l'article IV ainsi rédigé :

«2°bis) l'exercice, en France et à l'étranger, pour le compte des auteurs des oeuvres de jeux de son répertoire ou entrant dans son répertoire et de leurs ayants droit, du droit exclusif d'autoriser la retransmission simultanée, intégrale et sans changement de leurs oeuvres par réseau filaire (câble, ADSL, ou toute autre technologie filaire) ou non 'laire, notamment par bouquet satellite numérique, pour la réception par le public d'une transmission initiale, sans fil ou avec fil, notamment par satellite, d'émissions de télévision ou de radio destinées à être captées par le public ainsi que la perception et la répartition des rémunérations de ces droits».

Ce n'est cependant que par une assemblée générale extraordinaire du 21 octobre 2014 que l'article VII traitant des apports effectués à la société par ses adhérents a été modifié comme suit :

«Du fait de leur adhésion aux statuts, les associés apportent à la société, pour la durée de la société, à titre exclusif pour tous pays, l'exercice, l'administration et la gestion des droits patrimoniaux d'auteur dont ils sont titulaires et qui entrent dans son objet statutaire.

Les droits patrimoniaux ainsi apportés comprennent :

1°) La gérance du droit à rémunération pour copie privée et, plus généralement, du droit à percevoir toute rémunération due au titre de droit d'auteur en gestion collective obligatoire ainsi que toute rémunération due dans le cadre d'une licence légale, instaurées par le code de la propriété intellectuelle, le droit communautaire ou international.

Les apports en gérance des droits définis à l'article VII, 1°), al. 1er ci-dessus consistent dans le mandat exclusif donné à la société de veiller au respect des dispositions législatives et réglementaires, nationales, communautaires ou internationales, relatives à ces droits, de les exercer et de les administrer, directement ou par l'intermédiaire d'organismes constitués à cet effet, à travers la négociation, la perception et la répartition des rémunérations qui sont dues aux auteurs au titre de l'exercice de ces droits.

2°) Le droit exclusif d'autoriser ou d'interdire, en France et à l'étranger, la retransmission

simultanée, intégrale et sans changement de leurs oeuvres par réseau filaire (câble, ADSL, ou toute autre technologie filaire) ou non filaire, notamment par bouquet satellite numérique, pour la réception par le public d'une transmission initiale, sans fil ou avec fil, notamment par satellite, d'émissions de télévision ou de radio destinées à être captées par le public ainsi que la négociation, la perception et la répartition de la rémunération de ces droits. En conséquence, la société peut seule conclure toute convention avec les tiers aux fins d'exercice, d'administration et de gestion des droits ainsi apportés. En raison de leur caractère particulier, les droits que les associés apportent ainsi à la société ne concourent pas à la formation du capital social.

L'ensemble des droits définis aux articles VII, 1°) et 2°) ci-dessus, que chaque associé apporte à la société au moment de son adhésion, concerne tant les oeuvres créées à la date d'adhésion des associés, que celles qui le seront postérieurement à celle-ci. ».

Le répertoire de la SAJE est ainsi composé de formats de jeux, créés par un ou des auteurs ou encore adaptés de formats étrangers. Le format de jeux tel que défini par les parties consiste en une sorte de mode d'emploi qui décrit le déroulement formel du jeu afin de servir de base au jeu télévisuel qui en sera tiré.

La société ORANGE, anciennement FRANCE TELECOM, est un distributeur de services de communication et télécommunication. Elle commercialise des abonnements multi-services incluant un accès à Internet, un accès à la téléphonie (sur IP et le cas échéant via les réseaux mobiles), et un accès à la télévision via un décodeur. Ces abonnements permettent en outre d'opter pour un ou plusieurs abonnements spécifiques à différents services de la télévision, commercialisés individuellement ou sous la forme de bouquets.

Dans le cadre de ses offres Triple et Quadruple Play, la société ORANGE reprend notamment le signal des chaînes de la télévision numérique terrestre (« TNT ») pour une diffusion « en intégral, simultanée et sans changement » de leurs programmes audiovisuels. Elle a, à cet effet, conclu avec des organismes de gestion collective de droits d'auteur (SACEM, SDRM, SACD, SCAM et ADAGP) et de producteurs de vidéogrammes (ANGOA/AGICOA) des contrats généraux de représentation licitant la retransmission secondaire de leurs répertoires respectifs par l'intermédiaire de ses services.

La SAJE a entamé en 2012 des discussions avec les câblodistributeurs et les FAI afin de régulariser les droits dus par ces derniers aux auteurs de son répertoire pour la reprise sans changement, en intégral et en simultané des programmes des télédiffuseurs sans pour autant arguer d'aucun contrat signé avec l'un d'eux.

Par acte d'huissier du 8 avril 2015, la SAJE a fait assigner la société ORANGE en contrefaçon devant le tribunal de grande instance de Paris.

Elle sollicitait la condamnation de la société ORANGE à titre principal à lui verser la somme de 11.314.221 euros en réparation de son préjudice patrimonial subi entre le 21 mars 2012 et le 31 décembre 2013, la somme de 555.000 euros par mois entre le 1er janvier 2014 et le jugement à intervenir et qu'il lui soit fait interdiction sous astreinte d'exploiter les oeuvres du répertoire de la SAJE à défaut de signature d'un contrat général de représentation.

Par une ordonnance du 31 mars 2016, le juge de la mise en état a rejeté la demande de nullité de l'assignation formulée par la société ORANGE au visa des articles 4 et 56 du Code de procédure civile en jugeant que la SAJE a fondé son action sur son répertoire qui aurait été indument repris lors de diffusion secondaire par la société Orange sans son autorisation. L'ordonnance renvoyait par ailleurs à l'appréciation du tribunal les questions concernant la qualité à agir de la SAJE et la pertinence des moyens développés au regard des demandes formées.

Le juge de la mise en état demandait par ailleurs aux parties, en application de l'article 765 du code de procédure civile, de développer leurs moyens sur les points suivants :

* les jeux télévisés qui sont des oeuvres audiovisuelles sont-ils des oeuvres composites '

* les contrats conclus par les auteurs de formats de jeux avec les producteurs sont-ils des contrats de cession de droits d'auteur en vue de la réalisation d'une oeuvre audiovisuelle et ce au sens de l'article L. 113-7 du code de la propriété intellectuelle '

* les auteurs de formats de jeux qui n'ont pas fait l'apport de leurs droits pour la diffusion primaire considérant qu'il n'y avait pas là de gestion collective obligatoire, peuvent-ils prétendre faire l'apport de leurs droits à la SAJE uniquement pour la diffusion secondaire '

* peut-on dire que la SAJE défend un répertoire alors que seules les diffusions secondaires sont apportées par les adhérents '

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées devant le tribunal de grande instance, la société SAJE maintenait ses demandes telles que présentées dans son assignation sauf à actualiser les demandes indemnitaires et à formuler une demande d'expertise. Elle maintenait ses demandes d'interdiction sous astreinte.

Le tribunal, par jugement du 1er juin 2017, a déclaré irrecevables les demandes de la SAJE, au titre de la contrefaçon de droits d'auteur faute d'établir le caractère protégeable des formats de jeux composant son répertoire sur lesquels elle ne bénéficie d'aucune présomption d'originalité, et à titre surabondant, faute de justifier de la réalité des apports de ses adhérents dont elle se prévaut pour les formats concernés par les diffusions litigieuses.

Les demandes reconventionnelles de la société ORANGE visant à voir interdire à la SAJE d'exercer des activités de recouvrement et à la voir condamnée pour procédure abusive étaient rejetées.

Devant la cour, la société SAJE reproche au jugement d'avoir ajouté des conditions à la recevabilité de son action alors qu'elle tenait ses droits de ses statuts et de l'article L. 321-1 du Code de la propriété intellectuelle aux termes desquels elle avait bien qualité pour agir en contrefaçon du droit de télédiffusion secondaire dont elle a statutairement la charge, que ce soit au titre de l'un quelconque des attributs de ladite action : attribut coercitif d'interdiction de diffusion ou attribut indemnitaire.

La SAJE soutient qu'elle serait titulaire d'une action personnelle de percevoir et de répartir issue de l'article L. 321-1 du Code de la propriété intellectuelle qui naîtrait du seul fait de l'existence de son répertoire constitué des apports effectués par les auteurs du fait de leurs adhésions, et que cette action serait distincte du droit réel des auteurs ou des producteurs sur l'oeuvre. Elle considère au vu de cette distinction qu'elle détiendrait une «action personnelle en contrefaçon», relative au volet indemnitaire de l'action, qui ne l'obligerait à justifier ni de l'originalité des oeuvres de son répertoire, ni de la titularité des auteurs sur les oeuvres.

La société ORANGE rétorque que toute action en contrefaçon est nécessairement une action ayant pour objet un droit réel et qu'il n'existe pas de notion d'action en contrefaçon « de type collectif ». Elle sollicite à titre principal la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action de la SAJE. Au soutien de cette irrecevabilité, elle argue de la non titularité des droits qui appartiennent aux producteurs des jeux télévisés, de l'absence de mises en cause de tous les titulaires de droits, et du caractère non protégeable des formats de jeux.

A titre subsidiaire, la société ORANGE reprend les mêmes motifs au fond pour conclure au débouté des demandes et à titre infiniment subsidiaire le rejet des demandes indemnitaires disproportionnées constitutives d'un abus de position dominante.

Sur la recevabilité de l'action

L'article 31 du Code de procédure civile dispose que :

« L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé ».

La SAJE soutient la recevabilité de son action au vu de la seconde partie de cet article qui réserve les cas «dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie» au motif qu'elle détiendrait cette habilitation légale en vertu de l'article L. 321-1 du Code de la propriété intellectuelle en vigueur au jour de l'introduction de l'instance qui dispose que :

«Les sociétés de perception et de répartition des droits d'auteur et des droits des artistes-interprètes et des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes sont constituées sous forme de sociétés civiles.Les associés doivent être des auteurs, des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes ou de vidéogrammes, des éditeurs, ou leurs ayants droit. Ces sociétés civiles régulièrement constituées ont qualité pour ester en justice pour la défense des droits dont elles ont statutairement la charge.

Les actions en paiement des droits perçus par ces sociétés civiles se prescrivent par cinq ans à compter de la date de leur perception, ce délai étant suspendu jusqu'à la date de leur mise en répartition.».

Aux termes du premier alinéa de l'article L. 321-2 du Code de la propriété intellectuelle, issu de l'ordonnance du 22 décembre 2016 portant transposition de la directive 2014/26/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 «les organismes de gestion collective régulièrement constitués ont qualité pour ester en justice pour la défense des droits dont ils ont statutairement la charge et pour défendre les intérêts matériels et moraux de leurs membres, notamment dans le cadre des accords professionnels les concernant.».

Il n'est pas contesté, en l'espèce, que la SAJE est une société civile régulièrement constituée et que, dès lors, elle a qualité pour agir pour la défense des droits dont elle a statutairement la charge.

Le 6° alinéa de l'article IV de ses statuts énonce qu'elle a pour objet «la défense y compris en justice des droits dont elle a statutairement la charge» et ses statuts tels que modifiés par les assemblées générales extraordinaires des 23 décembre 2011 et 21 octobre 2014 ont étendu son objet et ses apports aux droits relatifs à la retransmission simultanée, intégrale et sans changement des oeuvres par réseaux filaires ou non filaire de son catalogue qu'elle entend défendre par la présente instance.

L'action exercée par la SAJE est selon ses propres termes une action en contrefaçon étant effectivement précisé qu'il ne peut s'agir ni d'une action en paiement contractuelle puisqu'aucun contrat n'a été conclu entre la SAJE et la société ORANGE, ni d'une action en recouvrement fondée sur un titre de paiement exécutoire.

Or l'action en contrefaçon est ouverte aux termes de l'article L. 332-1 alinéa 1er du Code de la propriété intellectuelle, à «tout auteur d'une oeuvre protégée par le livre Ier de la présente partie, ses ayants droit ou ses ayants cause».

Il s'agit d'une action réelle issue d'un droit de propriété intellectuelle appartenant à l'auteur ou ses ayants droit ou ayant cause.

Le droit patrimonial peut être cédé ou la gestion de ce droit apportée à une société de perception et de répartition (aujourd'hui dénommée organisme de gestion collective) mais il ne peut être cédé ou confié en gestion plus de droits qu'il n'en existe.

Si la SAJE est au titre de l'article L. 321-1, devenu L. 321-2 du Code de la propriété intellectuelle, habilitée à exercer l'action en contrefaçon, encore faut-il pour que cette action soit recevable, qu'elle justifie qu'elle se fonde sur des droits qui lui ont été effectivement et régulièrement apportés par ses membres.

Dès lors notamment, si la titularité des droits des auteurs supposément apportés à la SAJE est contestée par le défendeur à l'action en contrefaçon, il appartient au demandeur d'en apporter la preuve sauf à voir son action déclarée irrecevable.

La titularité des droits de la SAJE sur le droit de retransmission secondaire de ses membres étant contestée en l'espèce, la recevabilité de son action est subordonnée à la démonstration de la réalité des apports invoqués.

Or son catalogue, s'agissant des droits de retransmission secondaire, est constitué des seuls droits patrimoniaux volontairement apportés par ses adhérents déterminés par les statuts de la société et les bulletins d'adhésions des personnes physiques, auteurs d'oeuvres de jeux, devenant membres de la société SAJE.

Comme ci-dessus rappelé, ce n'est qu'à compter de l'assemblée générale extraordinaire du 21 octobre 2014 que l'article VII traitant des apports effectués à la société par ses adhérents a inclus les droits de retransmission simultanée, intégrale et sans changement des oeuvres.

Ainsi, avant cette date et s'agissant des auteurs ayant adhéré au vu des seuls statuts antérieurs, la SAJE ne pouvait se prévaloir des termes de l'article L. 321-1 du Code de la propriété intellectuelle pour agir en justice.

De plus, les retransmissions reprochées à la société ORANGE ne sont pas directement celles des formats de jeux susceptibles de constituer le répertoire de la SAJE mais des oeuvres audiovisuelles qui, tout au plus, incorporeraient les formats revendiqués.

Les jeux télévisés qui vont incorporer les formats de jeux sont des oeuvres composites au sens de l'article L. 113-2 alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle

Aux termes de l'article L. 113-7 :

« Ont la qualité d'auteur d'une oeuvre audiovisuelle la ou les personnes physiques qui réalisent la création intellectuelle de cette oeuvre.

Sont présumés, sauf preuve contraire, coauteurs d'une oeuvre audiovisuelle réalisée en collaboration :

1° L'auteur du scénario ;

2° L'auteur de l'adaptation ;

3° L'auteur du texte parlé ;

4° L'auteur des compositions musicales avec ou sans paroles spécialement réalisées pour l'oeuvre ;

5° Le réalisateur.

Lorsque l'oeuvre audiovisuelle est tirée d'une oeuvre ou d'un scénario préexistants encore protégés, les auteurs de l'oeuvre originaire sont assimilés aux auteurs de l'oeuvre nouvelle.».

L'article L. 132-24 institue quant à lui au profit du producteur de l'oeuvre audiovisuelle une présomption de cession des droits exclusifs d'exploitation de l'oeuvre audiovisuelle appartenant aux co-auteurs de celle-ci en disposant :« Le contrat qui lie le producteur aux auteurs d'une oeuvre audiovisuelle, autres que l'auteur de la composition musicale avec ou sans paroles, emporte, sauf clause contraire et sans préjudice des droits reconnus à l'auteur par les dispositions des articles L. 111-3, L. 121-4, L. 121-5, L. 122-1 à L. 122-7, L. 123-7, L. 131-2 à L. 131-7, L. 132-4 et L. 132-7, cession au profit du producteur des droits exclusifs d'exploitation de l'oeuvre audiovisuelle. »

Ainsi et comme l'a justement retenu le tribunal, il en résulte que pour pouvoir valablement apporter en propriété à la SAJE le droit de télédiffusion secondaire des formats incorporés dans des oeuvres audiovisuelles, les auteurs de formats protégeables ne doivent pas, au moment de leur adhésion, s'être déjà dessaisis de ce droit au profit du producteur de l'oeuvre audiovisuelle de jeu.

Or, la SAJE n'apporte pas la preuve qui lui incombe d'une clause contractuelle contraire à la présomption légale dans les contrats conclus entre ses adhérents et leur producteur audiovisuel.

Au contraire, il ressort de la lecture des trois contrats de cession de droit d'auteur qui avaient été produits à titre d'exemple en première instance par la SAJE et produit en cause d'appel par la société ORANGE que seulement un de ces contrats, celui conclu par monsieur Le N., contenait une clause de réserve au profit de la SAJE.

Les deux autres, conclus respectivement par messieurs S. et A. n'en prévoyaient pas et un avenant avait été ultérieurement été conclu par monsieur A..

Dès lors, il y a lieu de dire que la SAJE ne justifie pas détenir un «catalogue» d'oeuvres sur lequel elle disposerait des droits patrimoniaux lui permettant d'agir en contrefaçon à l'encontre de la société ORANGE pour des diffusions qu'elle n'aurait pas autorisées.

Son action sera dès lors déclarée irrecevable et le jugement confirmé de ce chef.

Au vu de cette irrecevabilité, il n'y a pas lieu de juger de la question traitée par le tribunal relative au caractère protégeable ou non des formats de jeux qui relève du fond du droit.

Sur la demande relative à l'abus de procédure

La société ORANGE demande l'infirmation du jugement en ce qu'il avait rejeté sa demande d'indemnisation fondée sur l'abus de procédure.

L'exercice d'une action en justice constitue, en principe, un droit, et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages-intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi, ou d'erreur grossière équipollente au dol.

En l'espèce, la société ORANGE ne rapporte pas la preuve d'une quelconque intention de nuire ou de légèreté blâmable de la société SAJE qui a pu se méprendre sur ses droits, ni d'un préjudice qu'elle aurait subi qui ne puisse être réparé par l'octroi d'une somme au titre des frais irrépétibles déboursés sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Sur les autres demandes

Le jugement doit être confirmé en ce qu'il a condamné la SAJE aux dépens de première instance et au paiement de la somme de 50.000 euros à la société ORANGE sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La SAJE qui succombe en appel sera condamnée aux dépens et au paiement d'une somme supplémentaire de 30.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement du 1er juin 2017 sauf en ce qu'il a statué sur le caractère protégeable des formats de jeux ;

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à statuer sur le caractère protégeable des formats de jeux,

Condamne la Société des Auteurs de Jeux aux dépens de la procédure d'appel qui pourront être recouvrés par le cabinet Christophe C., conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile et à payer à la société Orange la somme de 30.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.