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Décisions

CA Versailles, ch., 14 juin 2016, n° 11/05422

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Spod-Specialites De La Publicité Par L'objet Et Dérives (SARL)

Défendeur :

Cayola Groupe (SARL), Les Editions De La Construction (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rosenthal

Conseillers :

M. Leplat, Mme Soulmagnon

Avocats :

Me Minault, Me Lakits, Me Perrault, Me Guerrini

TGI Nanterre, 1re ch., du 19 déc. 2013, …

19 décembre 2013

Vu l'appel interjeté le 19 mars 2014, par la société SPOD, Spécialiste de le Publicité par l'Objet et Dérivés, d'un jugement rendu le 19 décembre 2013 par le tribunal de grande instance de Nanterre qui :

* l'a déboutée de ses demandes,

* a rejeté la demande en dommages et intérêts pour procédure abusive,

* l'a condamnée à payer aux défendeurs la somme de 10. 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;

Vu les dernières écritures en date du 13 octobre 2014, par lesquelles la société SPOD, poursuivant l'infirmation du jugement déféré, demande à la cour de :

Vu l'article L. 711-4 du code de la propriété intellectuelle,

Vu l'article L. 112-4 du code de la propriété intellectuelle,

Subsidiairement, vu les articles 1382 et 1383 du code civil,

* faire interdiction en tant que besoin aux intimés de faire usage à compter de la signification de l'arrêt de l'appellation " France BTP. com " ou toute autre appellation contenant le signe " France BTP " pour individualiser une publication consacrée au bâtiment et plus généralement pour désigner des produits de l'imprimerie ou tout autre produit similaire et ce, sous astreinte de 1. 000 € par infraction constatée,

* ordonner à la société Cayola Groupe de procéder au transfert des noms de domaine " francebtp. com ", " francebtp. info " et " francebtp. fr " au profit de la société SPOD sous astreinte de 1. 000 € par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir et dire que celle-ci devra justifier, dans le délai d'un mois de la signification du jugement, auprès de la société appelante du transfert des noms de domaine,

* à défaut prononcer la radiation des noms de domaine ci-dessus cités,

* prononcer la nullité des marques no3 538 314, 3 538 313, 3 538 312, en application desarticles L. 711-4 et L. 714-3 du code de la propriété intellectuelle,

* ordonner la transmission de la décision prononçant la nullité aux services de l'institut national de la propriété industrielle,

* condamner la société Les Editions de la Construction au paiement de la somme de 50. 000 euros à titre de dommages et intérêts, sauf à parfaire ou compléter,

* condamner la société Cayola Groupe au paiement de la somme de 30. 000 euros à titre de dommages et intérêts, sauf à parfaire ou compléter,

* condamner Florence B... et Sébastien X... au paiement de la somme de 15. 000 euros à titre de dommages et intérêts du fait des dépôts de marques litigieux,

* ordonner la publication de l'arrêt dans trois revues de son choix, aux frais in solidum des intimés, dans la limite de 3. 500 euros hors taxes par insertion,

* ordonner la publication de la décision à intervenir sur la page d'accueil du site Internet www. francebtp.com pour une durée d'un mois, sous astreinte de 3. 000 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

* dire que la cour se réservera la liquidation de l'astreinte,

* condamner les intimés au paiement de la somme de 15. 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;

Vu les dernières écritures en date du 14 août 2014, aux termes desquelles la société Les Editions de la Construction, Florence B..., Sébastien X... et la société Cayola Groupe prient la cour de :

Vu l'article 564 du code de procédure civile, l'article L. 112-4 du code de la propriété intellectuelle, l'article 1382 du code civil,

* déclarer la société SPOD irrecevable en sa demande de transfert des noms de domaine " francebtp.com ", " francebtp.info " et " francebtp.fr ",

* débouter la société SPOD de ses demandes,

* confirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu'il les a déboutés de leur demande pour procédure abusive,

* statuant à nouveau de ce chef, condamner la société SPOD à leur verser à chacun d'eux la somme de 15. 000 euros pour procédure abusive,

* condamner la société SPOD au versement de la somme de 25. 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de la procédure ;

SUR CE, LA COUR,

Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties ; qu'il convient de rappeler que :

* la société Cayola, Groupe co-gérée par Sébastien X... et Florence B..., est spécialisée dans l'édition de supports dédiés à la construction,

* elle édite plusieurs revues professionnelles qui traitent de l'actualité des bâtiments et travaux public,

* la société Les Editions de la Construction créée en 2008, détenue à 99 % par la société Cayola Groupe, dirigée par Sébastien X..., édite depuis 2009, un journal FRANCEBTP. COM consacré au secteur du bâtiment et des travaux public, qui parait 9 fois par an et est vendue au prix de 3, 50 euros,

* la société Cayola Groupe exploite un site internet à l'adresse " francebtp.com " qui est couplé avec les revues précitées et est consacré à l'actualité du BTP,

* Sébastien X... est titulaire du nom de domaine " francebtp.info ",

* Florence B... et Sébastien X... sont titulaires de trois marques semi-figuratives :

- FRANCEBTP no3538314 enregistrée le 16 novembre 2007 en classes 16, 35, 36, 39, 41, 42 et 43,

- FRANCEBTP.net no35388313 enregistrée le 16 novembre 2007 en classes 16, 35, 36, 39, 41, 42 et 43,

- FRANCEBTP.com no3538312 enregistrée le 16 novembre 2007 en classes 16, 35, 36, 39, 41, 42 et 43,

* la société Spécialiste de la Publicité par l'Objet et dérivés, ayant pour sigle SPOD, qui selon son Kbis, a pour objet social la vente, la commercialisation d'articles publicitaires sur tous supports, objets textiles, régie publicitaire, opération marketing, opérations immobilières, opérations financières mobilières,

* elle édite une revue sous le titre FRANCE BTP qui comporte des informations sur les réalisations de chantiers à l'étranger,

* se plaignant d'atteinte à ses droits sur le titre de cette revue et sur son nom commercial, par courrier du 26 novembre 2010, le conseil en propriété industrielle de la société SPOD a mis en demeure la société Cayola Groupe de modifier le titre de sa revue et le nom de son site,

* par lettre du 11 mars 2011, le conseil de la société Cayola Groupe a répondu que les recherches n'avaient pas permis d'identifier un usage sérieux et réel de la dénomination FRANCE BTP antérieur à la publication du titre FRANCEBTP.COM,

* le 15 avril 2011, la société SPOD a assigné devant le tribunal de grande instance de Nanterre la société Cayola Groupe, la société Les Editions de la Construction, Sébastien X... et Florence B..., sollicitant en substance l'interdiction faite aux défendeurs de faire usage de l'appellation " FranceBtp. com " ou de toute autre appellation contenant le signe " FranceBtp ", la radiation des noms de domaine " francebtp. com ", " francebtp. info ", " francebtp. fr ", la nullité des marques déposées par Sébastien X... et Florence B..., la condamnation des défendeurs au paiement de dommages et intérêts,

* c'est dans ces circonstances qu'est intervenu le jugement déféré ;

Sur les dispositions de l'article L. 112-4 du code de la propriété intellectuelle :

Considérant que l'article L. 112-4 du code de la propriété intellectuelle dispose que :

Le titre d'une oeuvre de l'esprit, dès lors qu'il présente un caractère original, est protégé comme l'oeuvre elle-même.

Nul ne peut, même si l'oeuvre n'est plus protégée dans les termes des articles L. 123-1 à L. 123-3, utiliser ce titre pour individualiser une oeuvre du même genre, dans des conditions susceptibles de provoquer une confusion ;

Considérant que la société SPOD soutient être recevable à invoquer l'alinéa second de cet article qui s'appliquerait aussi bien à propos de titre originaux encore protégés ou tombés dans le domaine public, que de titres dépourvus d'originalité ;

Qu'elle ajoute qu'à supposer qu'elle ne puisse revendiquer les dispositions de l'article L. 112-4 précité, elle serait néanmoins recevable à agir sur le fondement de la concurrence déloyale et les dispositions desarticles 1382 et 1383 du code civil ;

Considérant que les intimés soulèvent l'absence de droit de la société SPOD à invoquer les dispositions de l'article L. 112-4 du code de la propriété intellectuelle qui ne prévoit aucunement la protection d'un titre dépourvu d'originalité ;

Considérant que force est de constater que l'alinéa 1er de cet article protège le titre d'une oeuvre de l'esprit à la condition qu'il soit original ;

Que l'alinéa 2 de ce texte n'étend pas la protection aux titres dépourvus d'originalité dès lors qu'il renvoie d'une part, au titre tel qu'il est défini à l'alinéa 1er (le législateur ayant utilisé l'adjectif démonstratif " ce "), d'autre part, aux dispositions des articles L. 123-1 à L. 123-3 du même code relatives à la durée de protection par le droit d'auteur, de sorte qu'il n'pas d'autre portée que celle d'étendre la protection du titre original au-delà de la durée de protection de l'oeuvre elle-même ;

Que dès lors, la société SPOD n'est pas fondée à invoquer un droit sur le fondement de l'article L. 112-4 du code de la propriété intellectuelle, mais seulement les dispositions des articles 1382 et 1383 du code civil ;

Sur la concurrence déloyale :

Sur l'atteinte au titre France BTP :

Considérant que le principe de la liberté du commerce implique que le titre d'une revue, qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle, peut être librement reproduit, sous certaines conditions, tenant notamment en une faute consistant à créer intentionnellement ou par imprudence ou négligence un risque de confusion dans l'esprit du consommateur entre deux titres individualisant des oeuvres d'un même genre ;

Que l'appréciation de la faute sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil, au regard du risque de confusion, doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause ;

Considérant que la société SPOD expose éditer depuis 2004 une revue de qualité sous le titre " FRANCE BTP ", réalisée sur papier glacé et comportant des articles de fond sur les ouvrages et constructions réalisées en France ainsi que des informations sur les réalisations de chantiers à l'étranger, qui a attiré de nombreux annonceurs, notamment des entreprises de travaux publics notoirement connues ;

Qu'elle soutient que cette revue fait l'objet d'une diffusion conforme aux usage dans le domaine des revues techniques, est reconnue par l'ensemble des professionnels du secteur concerné, s'adresse aux responsables de la Direction départementale d'équipement, est diffusée gratuitement auprès des collectivités territoriales, que les plus grandes entreprises françaises du domaine du BTP ont fait paraître des annonces à plusieurs reprises dans la revue, que selon une enquête de satisfaction il est attesté que cette revue est reçue par ses clients depuis plusieurs années ;

Qu'elle reproche à la société Editions de la Construction d'éditer depuis 2009 une revue du même genre sous le titre " FRANCEBTP. com ", à Sébastien X... et Florence B... le dépôt en 2007 de trois marques " FRANCEBTP. com ", " FRANCEBTP. net ", " FRANCEBTP. ", à la société Cayola Groupe la mise en ligne sur internet de cette revue ;

Qu'elle fait valoir que l'appellation " France BTP " constitue le titre d'une oeuvre de l'esprit, le titre d'une publication, que la dénomination " FRANCEBTP. com " utilisée par les intimés est nécessairement susceptible de provoquer une confusion avec ce titre, l'adjonction du terme " com " n'ayant aucun caractère distinctif ;

Qu'elle souligne les ressemblances entre les titres en présence, l'appellation " FRANCE BTP " en attaque, apparaissant immédiatement, étant également mise en exergue en caractères de grande dimension, inscrite dans un cartouche, comportant pareillement un sous-titre présenté en petits caractères ;

Qu'elle expose que les deux revues ne peuvent coexister sous le même nom sans qu'il y ait confusion, qu'au demeurant, un client, l'entreprise Charrin, aurait au mois de février 2013, annulé une demande de parution ;

Considérant que les intimés répliquent qu'il appartient à la société SPOD de démontrer qu'ils ont commis une faute intentionnelle ou non intentionnelle en ne s'assurant pas que le titre " FRANCEBTP. COM " pouvait créer un risque de confusion avec le titre d'une revue déjà existante ;

Qu'ils soutiennent qu'aucune faute ne peut leur être reprochée dans la mesure où il était matériellement impossible pour n'importe quelle société opérant dans le domaine de l'édition de supports liés à la construction, d'avoir connaissance de la publication FRANCE BTP de la société SPOD ;

Considérant que les pièces versées aux débats par la société SPOD démontrent que sa revue est éditée depuis 2005, une à deux fois par an, est tirée de 400 à 600 exemplaires qui sont diffusés dans neuf pays, ce qui manifeste sa faible diffusion ;

Que l'enquête de satisfaction réalisée par la société SPOD en 2012 révèle que la plupart des clients indiquent avoir reçu la revue depuis moins de deux ou un an ou l'avoir reçue irrégulièrement, de sorte que ce document ne démontre nullement qu'au jour du lancement du journal FRANCEBTP. COM, la revue de la société SPOD était connue du marché du BTP ;

Que les pièces no45 à 48 produites par la société SPOD enseignent qu'au mois de février 2013, un certain Fabrice C... se présentant comme journaliste pour France BTP a contacté une entreprise, la société Charrin TP, afin de lui proposer la participation à la rédaction d'un dossier spécial sur le chantier de prolongement de la ligne B du métro à Lyon, que cette société après avoir répondu favorablement s'est rétractée à la demande du Sytral (syndicat mixte des transports pour le Rhône et l'agglomération lyonnaise) l'informant que Fabrice C... ne faisait pas partie de la rédaction du groupe Cayola et qu'ils avaient été victimes d'une tentative d'escroquerie ; que ces pièces, loin de démontrer un risque de confusion entre la revue éditée par la société SPOD et le journal FRANCEBTP. COM, établissent au contraire que la revue invoquée FRANCE BTP était encore inconnue du marché concerné ;

Que si la société SPOD produit une attestation du cabinet d'expertise comptable Age Conseil datée du 8 novembre 2012, selon laquelle elle aurait réalisé en 2009, 19, 56 % de son chiffre d'affaire dans le cadre de la revue FRANCE BTP, un récapitulatif de la liste des annonceurs de cette revue, les bons de commande et les factures de ces annonceurs, il n'en subsiste pas moins que ces pièces ne démentent pas la diffusion plus que confidentielle de la revue entre 2004 et novembre 2007, date du dépôt des marques incriminées ;

Que par ailleurs, force est de constater que la société SPOD n'a déclaré à la Bibliothèque nationale de France le dépôt légal de la revue FRANCE BTP que le 28 février 2011 ;

Que dans ces circonstances, il n'est pas justifié qu'à l'époque du dépôt des marques, de la réservation des noms de domaines, du lancement du journal FRANCEBTP. COM, les intimés auraient eu connaissance de la publication de la revue éditée par la société SPOD, de sorte qu'aucune faute intentionnelle ou non intentionnelle ne peut leur être reprochée pour ne pas s'être prévenus d'un risque de confusion avec le titre de cette revue ;

Que par motifs substitués, sera confirmée la décision déférée, qui a débouté la société SPOD de ses demandes au titre de la concurrence déloyale ;

Sur l'atteinte au nom commercial :

Considérant que la société SPOD fait valoir que la dénomination " FRANCE BTP " constitue son nom commercial, est inscrite sur le registre du commerce depuis 2004, qu'elle fait un usage public de cette dénomination sur le territoire national ;

Qu'elle soutient le risque de confusion entre son nom commercial et l'appellation " FRANCE BTP. com " ;

Considérant que les intimés contestent toute atteinte au nom commercial ;

Considérant qu'il n'est pas démenti que le droit sur le nom commercial s'acquiert par l'usage qui doit être public, effectif et continu, qu'il est protégé contre une usurpation pour une activité identique ou similaire ;

Qu'en l'espèce, la société SPOD, en dépit des contrats d'insertion annonceurs et des factures correspondantes, ne démontre aucun usage public du nom commercial FRANCE BTP ;

Qu'aucune référence à l'appellation FRANCE BTP n'apparaît sur le site internet de la société SPOD, laquelle, selon son extrait Kbis, est une entreprise ayant pour activité l'achat, la vente, la commercialisation d'articles publicitaires sur tous supports, objets textiles, régie publicitaire, opération marketing, opérations immobilières, opérations financières mobilières, sans lien avec l'activité de l'édition de revues professionnelles du BTP ;

Considérant dès lors, que la société SPOD ne saurait prétendre à une atteinte à son nom commercial ;

Sur les autres demandes :

Considérant que les intimés ne caractérisent pas, à la charge de la société SPOD, la mauvaise foi, l'intention de nuire ou la légèreté blâmable susceptible d'ouvrir droit à l'allocation de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Considérant que le premier juge a exactement statué sur le sort des dépens et les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile dont il a fait une équitable application ;

Qu'en vertu de ce texte, il y a lieu de faire partiellement droit aux prétentions des intimés, au titre de leurs frais irrépétibles exposés à l'occasion de ce recours, contre la société SPOD qui succombe et doit supporter la charge des dépens ;

PAR CES MOTIFS

Confirme par motifs substitués, le jugement déféré

Y ajoutant,

Condamne la société SPOD à payer à la société Cayola Groupe, la société Les Editions de la Construction, Florence B..., Sébastien X... la somme de 15. 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,

Rejette toutes autres demandes,

Condamne la société SPOD aux dépens d'appel et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.