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Décisions

Cass. crim., 7 septembre 2022, n° 21-83.823

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme de la Lance

Rapporteur :

Mme Fouquet

Avocat général :

M. Salomon

Avocats :

SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, SCP Waquet, Farge et Hazan

Versailles, du 2 juin 2021

2 juin 2021

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Par jugement en date du 27 janvier 2017, M. [I] [W], ancien dirigeant de la société [1] a été condamné du chef d'abus de biens sociaux au préjudice de celle-ci, notamment pour avoir procédé au règlement de plusieurs factures au profit des sociétés [3] (société [3]) et [2] ([2]).

3. Sur appel du prévenu, du procureur de la République et de la partie civile, la cour d'appel, par arrêt du 7 mars 2018 a confirmé la décision des premiers juges.

4. Par arrêt en date du 20 novembre 2019, la chambre criminelle a cassé partiellement cet arrêt, en ses seules dispositions d'une part relatives à la condamnation de M. [W] du chef d'abus de biens sociaux pour avoir réglé les factures émises par les sociétés [3] et [2], d'autre part relatives aux peines, enfin, ayant confirmé la condamnation du prévenu à verser à la partie civile les sommes de 108 578,79 euros en remboursement des factures des sociétés [3] et [2] et y ajoutant la somme de 57 408 euros au titre de deux factures de la société [3], toutes autres dispositions étant expressément maintenues.

5. L'affaire a été renvoyée devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée

Examen des moyens

Sur les premier et second moyens

Enoncé des moyens

6. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [W] coupable d'abus de biens sociaux et l'a, en conséquence, condamné à une peine d'amende de 30 000 euros et à une peine complémentaire de confiscation des scellés et a prononcé sur les intérêts civils, alors « que c'est au dispositif de l'arrêt de cassation que doit s'attacher la juridiction de renvoi pour déterminer son office ; que l'arrêt de cassation du 20 novembre 2019 a annulé l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 7 mars 2018, notamment en toutes ses dispositions « relatives à la condamnation de M. [W] du chef d'abus de biens sociaux pour avoir réglé les factures émises par les sociétés [3] et [2] » ; qu'en refusant de se prononcer sur les moyens soulevés par M. [W] pour contester sa culpabilité de ce chef d'infraction, autres que celui sur lequel la cassation avait été prononcée, notamment sur les moyens qui faisaient valoir d'une part, l'absence de caractère fictif des factures émises par les sociétés [3] et [2], d'autre part que le règlement de ces factures n'était pas contraire à l'intérêt de la société [1] et enfin, l'absence d'élément intentionnel, la cour d'appel de renvoi a violé les articles 567, 593 et 609 du code de procédure pénale. »

7. Le second moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [W] coupable d'abus de biens sociaux et l'a, en conséquence, condamné à une peine d'amende de 30 000 euros et à une peine complémentaire de confiscation des scellés et a prononcé sur les intérêts civils, alors « que l'abus de biens sociaux implique que le prévenu ait agi à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle il est intéressé directement ou indirectement ; qu'au cas présent, M. [W] faisait valoir qu'il n'était pas établi que les dépenses liées aux factures des sociétés [3] et [2] auraient été engagées dans son intérêt personnel ou qu'il aurait des intérêts directs ou indirects dans l'une de ces deux sociétés ; que la cour d'appel s'est bornée à relever que ces dépenses rémunéraient des prestations fictives pour affirmer que leur règlement l'a « nécessairement été dans son intérêt personnel » ; qu'en s'abstenant de mieux s'expliquer sur l'existence de cet intérêt personnel de M. [W] aux dépenses litigieuses, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure de s'assurer de la légalité de sa décision qu'elle a privée de base légale au regard de l'article L. 242-6, 3°, du code de commerce. »

Réponse de la Cour

8. Les moyens sont réunis.

Vu les articles L. 242-6, 3°, du code de commerce, 609 et 593 du code de procédure pénale :

9. Il se déduit du deuxième de ces textes qu'il appartient à la cour de renvoi, saisie après cassation, de statuer, en fait et en droit, sur l'intégralité des dispositions annulées par l'arrêt de cassation, quelle qu'ait été la portée du moyen qui a servi de base à la décision intervenue.

10. Aux termes du premier de ces textes commettent le délit d'abus de biens sociaux le président, les administrateurs ou les directeurs généraux d'une société anonyme qui font, de mauvaise foi, des biens ou du crédit de la société, un usage qu'ils savent contraire à l'intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement.

11. Il résulte du dernier que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

12. Pour déclarer le prévenu coupable d'abus de biens sociaux, l'arrêt attaqué, statuant sur renvoi après cassation, retient qu'il résulte des motifs de l'arrêt de la Cour de cassation que celle-ci n'a pas remis en cause le caractère fictif des factures émises par les sociétés [3] et [2] retenu par la présente cour dans son arrêt du 7 mars 2018.

13. Il relève que la Cour de cassation a seulement considéré que la cour de ce siège avait insuffisamment caractérisé un des éléments constitutifs du délit d'abus de bien sociaux, puisqu'elle n'a pas tranché la question de savoir si le règlement des factures litigieuses a été commis dans l'intérêt personnel de M. [W] ou dans celui d'une société dans laquelle il serait intéressé.

14. Il énonce que l'appréciation de l'intérêt personnel du prévenu ou de l'intérêt des sociétés dans lesquelles il serait directement ou indirectement intéressé relève du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond.

15. Les juges ajoutent qu'au cas présent, pour le motif précédemment développé, il est acquis que les factures émises par les sociétés [3] et [2] ne correspondent à aucune prestation réelle.

16. La cour d'appel en déduit qu'en l'absence de toute justification de leur caractère social, leur règlement par le prévenu, au moyen des fonds de la société [1], l'ont nécessairement été dans son intérêt personnel de sorte que le dol spécial du délit d'abus de biens sociaux est en l'espèce établi.

17. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.

18. En effet, en premier lieu, la cassation prononcée par la chambre criminelle le 20 novembre 2019 ayant porté, sans réserve, sur les dispositions relatives à la condamnation de M. [W] du chef d'abus de biens sociaux pour avoir réglé les factures émises par les sociétés [3] et [2], la cour d'appel, qui se devait de statuer sur la culpabilité du prévenu de ce chef, ne pouvait se considérer comme tenue par les dispositions de l'arrêt partiellement annulé relatives au caractère fictif des factures litigieuses.

19. En second lieu, le caractère fictif des factures acquittées ne saurait à lui seul suffire à présumer que le dirigeant avait soit pris un intérêt direct ou indirect dans le règlement des factures fictives, soit favorisé une autre société ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement.

20. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Versailles, en date du 2 juin 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.