CA Riom, ch. com., 5 octobre 2022, n° 21/00104
RIOM
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Sibel (Sté), Tanneries Haas (Sté)
Défendeur :
Mandatum (Sté), Selarl AJ Up (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Chalbos
Conseillers :
Mme Theuil-Dif, M. Kheitmi
Avocats :
Me Rahon, Me Arnoux, Me Wautot
EXPOSE DU LITIGE
La SAS Tanneries Haas exerce une activité de tannerie de cuir, elle est spécialisée notamment dans la tannerie de cuir de veau de très haute gamme.
La SAS Sibel exerce pour sa part une activité de négoce de cuirs et peaux.
La SAS Sibel était un client régulier de la SAS Tanneries Haas à qui elle achetait des peaux tannées qu'elle revendait à ses clients en France et à l'international.
C'est ainsi que la SAS Tanneries Haas a livré à la SAS Sibel de la marchandise, livraisons ayant donné lieu à des factures émises entre le 6 avril et le 29 août 2018 à échéance à 60 jours par virement. Le montant total des factures sur la période s'est élevé à 289 748,56 euros TTC
A réception des marchandises, la SAS Sibel a adressé à la SAS Tanneries Haas par courriels, quatre réclamations détaillées les 17 avril, 15 mai, 6 juillet et 27 juillet 2018, en précisant la référence du produit concerné, la nature du défaut, les métrages et les numéros de lot.
La SAS Tanneries Haas a établi trois avoirs les 1ers et 3 octobre 2018 pour la somme de 10 357,02 euros TCC en réparation des réclamations, portant ainsi la somme due à 279 391,54 euros TTC.
Par courriel du 15 octobre 2018, la SAS Tanneries Haas a relancé la SAS Sibel pour le paiement des factures.
Le même jour, la SAS Sibel a adressé un courrier à la SAS Tanneries Haas lui précisant avoir reçu des plaintes de ses clients, en particulier asiatiques, sur des défauts apparaissant après montage des produits finis, que ces clients lui demandaient des remises de 50 % et qu'elle avait enregistré des retours de marchandises. Elle conditionnait le paiement des factures à la signature d'un contrat de distribution exclusive des produits de la SAS Tanneries Haas sur la Chine, Hong Kong, la Turquie et la Russie, contrat qui avait fait l'objet d'une négociation et d'échanges entre les parties fin 2017 jusqu'en avril 2018, et à l'obtention de nouveaux avoirs pour compenser les problèmes de qualité.
Une mise en demeure de payer la somme de 279 391,54 euros a été adressée à la SAS Sibel le 7 novembre 2018 par Groupama agissant pour le compte de la SAS Tanneries Haas.
Le 12 novembre 2018, la SAS Sibel a répondu qu'elle avait constaté de graves défauts sur la qualité des cuirs livrés, qu'elle avait diligenté une analyse des cuirs auprès du centre technique des cuirs et qu'elle attendait un avoir de 50 % que la SAS Tanneries Haas lui avait refusé.
Par acte d'huissier du 21 décembre 2018, la SAS Tanneries Haas a fait assigner la SAS Sibel devant le tribunal de commerce de Clermont-Ferrand, au visa des articles 1103, 1104, 1231-1, 1217, 1231-2 et suivants du code civil, aux fins de voir condamnée la SAS Sibel à lui payer la somme de 279 391,54 euros TTC avec intérêts de droit à compter du 9 novembre 2018.
Reconventionnellement, la SAS Sibel a sollicité avant dire droit une expertise technique des cuirs livrés, et suite à l'expertise, de fixer la créance de la SAS Tanneries Haas après réduction du prix tel que retenue par le tribunal.
Il a été également sollicité la condamnation de la demanderesse à lui payer la somme de 556 198 euros en réparation du préjudice subi en raison des actes de concurrence déloyale et de la rupture fautive des accords de distribution, outre la somme de 55 000 euros pour réparation du préjudice moral, la compensation devant être ordonnée le cas échéant à due concurrence.
Par jugement du 10 décembre 2020, le tribunal a :
- dit la SAS Tanneries Haas recevable et partiellement fondée en ses demandes ;
- débouté la SAS Sibel de sa demande d'expertise technique et de sursis à statuer ;
- condamné la SAS Sibel à payer à la SAS Tanneries Haas la somme de 279 391,54 euros en principal, outre intérêts au taux légal à compter du 9 novembre 2018 ;
- condamné la SAS Sibel à payer à la SAS Tanneries Haas la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;
- condamné la SAS Sibel à une amende civile de 5 000 euros au titre de l'article 32-1 du code de procédure civile ;
- débouté la SAS Sibel de l'ensemble de ses autres demandes, fins et conclusions ;
- ordonné l'exécution provisoire du jugement ;
- condamné la SAS Sibel à payer à la SAS Tanneries Haas la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Le tribunal a énoncé :
- que la SAS Sibel ne versait aucun élément qui démontrait que les produits livrés par la SAS Tanneries Haas avaient présenté d'autres défauts que ceux évoqués par les courriels des 17 avril 2018, 15 mai 2018 et 27 juillet 2018, et qui avaient fait l'objet des avoirs établis les 1er et 3 octobre 2018 ; que la SAS Sibel ne démontrait pas plus que les produits livrés par la SAS Tanneries Haas avaient été acheminés chez des clients en Chine, qu'ils avaient présenté des défauts dans le temps et que des clients avaient retourné ces produits supposés défectueux en son entrepôt à [Localité 11] ; que si la SAS Sibel disposait de fournitures retournés par ses clients, elle disposait manifestement des éléments suffisants pour prouver les faits qu'elle alléguait ; que la demande d'expertise ne visait qu'à retarder la décision du tribunal ;
- que si des négociations avancées jusqu'en septembre 2018 avaient eu lieu entre les parties pour la conclusion d'un contrat de distribution exclusive des produits de la SAS Tanneries Haas par la SAS Sibel sur la Chine, le contrat n'avait pas été signé par la SAS Tanneries Haas, et que la SAS Sibel ne pouvait prétendre à une rupture fautive d'un contrat qui n'avait pas été signé ; que si les parties avaient collaboré sur des salons et manifesté leur intention de travailler ensemble sur les marchés chinois, russe, turque, la SAS Tanneries Haas transmettant le 26 février 2018 à la SAS Sibel des contacts clients collectés sur le salon de Milan, la SAS Sibel ne produisait aucun élément démontrant qu'elle avait développé un chiffre d'affaires sur le marché chinois, développé un portefeuille de clients chinois pour le compte de la SAS Tanneries Haas et créé un courant d'affaires avec les produits de cette dernière, et ce que ces clients aient été approchés directement et détournés par la SAS Tanneries Haas ; que la SAS Tanneries Haas n'avait pas d'obligation contractuelle de distribution exclusive de ses produits sur le marché chinois par la SAS Sibel, et était libre d'embaucher une commerciale sur le territoire chinois ; que le préjudice subi n'était en outre pas démontré.
La SAS Sibel a interjeté appel du jugement suivant déclaration électronique reçue au greffe de la cour en date du 14 janvier 2021.
Par jugement du 12 mai 2022, le tribunal de commerce de Clermont-Ferrand a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la SAS Sibel, la SELARL Mandatum a été désignée mandataire judiciaire et la société AJ UP administrateur judiciaire.
Par actes d'huissier du 17 mai 2022, la SAS Tannerie Haas a appelé en cause le mandataire judiciaire et l'administrateur judiciaire.
Aux termes de leurs conclusions déposées et notifiées le 1er juin 2022, la SAS Sibel, la SELARL Mandatum agissant en qualité de mandataire judiciaire de la SAS Sibel, et la SELARL AJ UP agissant en qualité d'administrateur judiciaire de ladite société, demandent à la cour, au visa des articles 232 et suivants du code de procédure civile, 1217 et suivants du code civil, 1641 et suivants du code civil, de :
- recevoir les interventions de la SELARL Mandatum ès qualité de mandataire judiciaire de la SAS Sibel et de la SELARL AJ UP, administrateur judiciaire de ladite société, et ordonner la jonction des appels en cause avec l'instance en cours ;
- recevoir la SAS Sibel en son appel et en ses demandes, fins et conclusions ;
- rejeter la demande de jonction entre la présente instance et l'instance portant sur l'appel contre l'ordonnance du 4 janvier 2022 ;
Avant dire droit :
- ordonner la tenue d'une expertise judiciaire et désigner un expert ou un technicien afin de procéder à une analyse des cuirs vendus par la SAS Tanneries Haas par comparaison avec le 'MASTER' (échantillon), donner son avis sur leur qualité, dire si les cuirs livrés sont conformes à leur destination, ou s'ils sont atteints d'un vice caché, dire si ce vice est antérieur à la vente et si les marchandises sont impropres à l'utilisation attendue, émettre toute conclusion eu égard à la qualité commerciale, et chiffrer les préjudices de la société Sibel ;
- surseoir à statuer jusqu'au dépôt du rapport de l'expert ;
Subsidiairement infirmer le jugement et statuant à nouveau :
- dire que la SAS Sibel était fondée à opposer l'exception d'inexécution et retenir le paiement de la créance invoquée par la SAS Tanneries Haas ;
- condamner la SAS Tanneries Haas à payer la somme de 210 000 euros HT en réparation du préjudice subi, sauf à parfaire à dire d'expert ;
En tout état de cause :
- débouter la SAS Tanneries Haas de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner la SAS Tanneries Haas sous astreinte de 100 euros par jour à produire à la cour les éléments suivants pour lui permettre de statuer : l'état des ventes et marge réalisées depuis la rupture jusqu'à ce jour sur les territoires suivants : Chine, Turquie et Russie ;
- condamner la SAS Tanneries Haas à payer la somme de 556 198 euros HT pour réparation du préjudice subi par la SAS Sibel en raison de la rupture fautive des accords de distribution et des actes de concurrence déloyale ;
- condamner la SAS Tanneries Haas à payer la somme de 55 000 euros HT pour réparation de son préjudice moral ;
- le cas échéant, ordonner la compensation des créances querellées à due concurrence ;
- condamner la SAS Tanneries Haas à payer la somme de 9 000 euros à la SAS Sibel sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- prononcer la charge des entiers dépens de première instance et d'appel à la charge de la SAS Tanneries Haas, avec pour ceux d'appel, droit de recouvrement direct au profit de Me Rahon dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 25 mai 2022, la SAS Tanneries Haas demande à la cour, au visa des articles 1103, 1104, 1231-1, 1217, 1231-2 et suivants, 1343-5 du code civil, 367 et 496 alinéas 2 du code de procédure civile, et l'article L.611-7 alinéa 5 du code de commerce, de :
- prononcer la jonction des deux instances pendantes devant la cour d'appel de Riom et enregistrées sous les numéros 21/00104 et 22/00130 ;
- débouter la SAS Sibel de toutes ses demandes aussi irrecevables que mal fondées ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la SAS Sibel à payer à la SAS Tanneries Haas la somme de 279 391,54 euros TTC et l'infirmer sur le montant en le ramenant, après saisie, à la somme de 238 391,45 euros, avec intérêts de droit à compter du 9 novembre 2018, date de réception de la mise en demeure ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la SAS Sibel à payer à la SAS Tanneries Haas des dommages et intérêts pour résistance abusive, et l'infirmer sur le montant en le fixant à la somme de 20 000 euros ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la SAS Sibel à payer une amende civile de 5 000 euros au titre de l'article 32-1 du code de procédure civile ;
- confirmer l'ordonnance de référé rendue le 4 janvier 2022 par le président du tribunal de commerce de Clermont-Ferrand en ce qu'elle a déclaré la SAS Tanneries Haas recevable dans sa demande de rétractation de l'ordonnance ;
- infirmer l'ordonnance de référé rendue le 4 janvier 2022 par le président du tribunal de commerce de Clermont-Ferrand en ce qu'elle a prononcé d'une part, une interruption et une interdiction de toute procédure d'exécution forcée de la créance de la SAS Tanneries Haas pendant la durée de la période de conciliation et d'autre part, en ce qu'elle a octroyé à la SAS Sibel un délai de grâce de 24 mois ;
En conséquence :
- fixer au passif de la procédure de redressement judiciaire ouverte au profit de la SAS Sibel les créances de la SAS Tanneries Haas aux sommes de :
238 391,45 euros avec intérêts de droit à compter du 9 novembre 2018, date de réception de la mise en demeure ;
20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;
Soit la somme totale de 258 391,45 euros ;
Statuant à nouveau :
- débouter la SAS Sibel de sa demande d'interruption et d'interdiction jusqu'au terme de la procédure de conciliation de la SAS Sibel, de toute procédure d'exécution forcée de la part de la SAS Tanneries Haas pour la créance qu'elle détient à l'encontre de la SAS Sibel ;
- débouter la SAS Sibel de toute demande de délai de paiement ;
En tout état de cause :
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la SAS Sibel à payer à la SAS Tanneries Haas des frais irrépétibles, et l'infirmer sur le montant en le portant, au titre des frais de première instance et d'appel à la somme de 25 000 euros, et fixer cette créance au passif de la procédure de redressement judiciaire ouverte au profit de la SAS Sibel ;
- statuer ce que de droit sur les dépens.
Il sera renvoyé pour l'exposé complet des demandes et moyens des parties, à leurs dernières conclusions.
La procédure a été clôturée à l'audience du 8 juin 2022, avant l'ouverture des débats.
MOTIFS
A titre liminaire, il sera précisé qu'il n'apparaît pas dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice de prononcer la jonction de la présente instance avec celle relative à l'appel de l'ordonnance du tribunal de commerce du 04 janvier 2022. Cette demande de la SAS Tanneries Haas sera rejetée.
- Sur la demande d'expertise judiciaire
Selon l'article 146 du code de procédure civile, une mesure d'instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l'allègue ne dispose pas d'éléments suffisants pour la prouver.
En aucun cas une mesure d'instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l'administration de la preuve.
Lorsque la mesure sollicitée est destinée à recueillir des renseignements que la partie aurait dû produire elle-même ou lorsque la preuve peut être rapportée par d'autres moyens que les recherches sollicitées, la carence est caractérisée.
La SAS Sibel soutient qu'en raison des défauts de la marchandise livrée par la SAS Tanneries Haas, celle-ci est toujours bloquée dans les quantités suivantes :
- stock [Localité 11] : 2 690 m²
- stock Turquie : 1 678,56 m²
- stock Chine : 5 432,64 m²,
Et que ce stock est inutilisable.
La SAS Tanneries Haas verse aux débats les factures émises entre le 6 avril 2018 et le 29 août 2018, à échéance à 60 jours, correspondant aux peaux livrées sur la période à la SAS Sibel, avec pour chaque article un numéro de lot, une quantité, une surface en m² et un prix unitaire. Le montant total des factures s'élève à 289 748,56 euros TTC.
A réception des marchandises, la SAS Sibel a adressé à la SAS Tanneries Haas quatre réclamations détaillées en date des 17 avril, 15 mai, 6 juillet et 27 juillet 2018, en précisant la référence du produit concerné, la nature du défaut, les métrages et les numéros de lot.
La SAS Tanneries Haas a établi trois avoirs les 1ers et 3 octobre 2018 pour une somme totale de 10 357,02 euros TTC :
- le premier d'un montant de 2 926,40 euros concernant la facture du 6 avril 2018, une remise de 15 % a été accordée sur les lots n°10 087, 10 201, 11 471, 20 204 de Derby noir (209,27 m² + 31,94 m² + 217,23 m² + 41,80 m²) ;
- le second d'un montant de 1 150,17 euros concernant la facture du 29 juin 2018, une remise de 15 % a été accordée sur le lot n°10693 de Derby noir (196,61 m²) ;
- le troisième d'un montant de 6 280,45 euros concernant la facture du 6 avril 2018, une remise de 50 % a été accordée sur le lot n°20 004 de Novonappa Gold (228,38 m²).
Le 15 octobre 2018, la SAS Tanneries Haas a adressé un courriel de relance afin d'inviter la SAS Sibel à lui payer la somme de 279 391,54 euros, en tenant compte des avoirs.
Dans une lettre datée du 15 octobre 2018, la SAS Sibel a répondu avoir reçu plusieurs plaintes de ses clients, en particulier asiatiques, au sujet de la qualité des peaux venant de la SAS Tanneries Haas ; que des défauts après montage des produits finis étaient apparus, les cuirs devenaient creux et le grain disparaissait avec le temps. Elle a soutenu que les clients lui demandaient des remises de 50 % et qu'elle avait enregistré des retours de marchandises. Elle a demandé une remise plus importante que les 15 % accordés sur le noir seulement, et ce, sur l'ensemble des cuirs 2018. Il a également été demandé à la SAS Tanneries Haas la signature du contrat d'exclusivité négociée entre les parties et l'arrêt des commercialisations en direct en Chine par l'intermédiaire de son employée locale. Enfin, la lettre se terminait en ces termes :
'Pour ce qui est de nos dettes envers vous, nous attendons d'une part l'établissement d'avoirs selon le point 1) [sur les problèmes de qualité], et également l'obtention de notre contrat signé. Cependant nous proposons sous cette réserve de vous régler votre créance en quatre fois, selon le planning ci-dessous : 15/11 : 75 000 euros, 15/12 : 75 000 euros, 15/01 : 75 000 euros et 15/02 : 64 748 euros.'
S'agissant des plaintes des clients, il est notamment invoqué un premier courrier électronique émanant a priori de la société Ralph Lauren ([email protected]) en date du 30 avril 2018, dans lequel il est fait état de la mauvaise qualité des peaux, de l'impossibilité de couper les sacs prévus à la commande et d'une annulation de la commande de sacs qui constitueraient une perte très importante pour eux. Un second courriel associé à la pièce sus-mentionnée, mais sans précision sur son auteur et sa date, fait état d'articles référencés 'Léo' en gris ardoise ('in slate colour') dernièrement livrés, qu'il n'aurait pas été possible de découper, ce qui aurait entraîné l'annulation de la production de sacs dans cette couleur et la facturation des préjudices subis par cette société à la SAS Sibel.
Il est ensuite versé aux débats en pièce n°37, un document intitulé 'Procès-verbal de réunion' traduit par un traducteur expert assermenté en chinois, faisant état d'une réunion ayant eu lieu le 11 mars 2019 en Chine, en présence d'un représentant légal de 'Guangdong Bajia Luggage Co. LDT : LYU Dingqing', de responsables d'export de Sibel de France : M. [H] et Mme [V], et d'un représentant commercial de Haas de France : M. [C] et M. [S] [E]. Il est mentionné dans ce document :
'Lors de cette réunion, nous avons ensemble vérifié la qualité des cuirs envoyés par Haas en Chine. Ces marchandises présentaient de sérieux problèmes, surtout des problèmes de ligne, qui nous a empêchés de vendre normalement ce lot de cuir. A ce moment-là, nous avons également fait savoir aux représentants de Haas qu'après la transformation de ces cuirs en sacs à main, les lignes devenaient progressivement moins profondes, puis disparaissait. En d'autres termes, il s'agit des cuirs de paume et avec le temps, les lignes disparaissent. En plus la surface est sérieusement lâche. Egalement les représentants de Haas ont reconnu leurs fautes et ont indiqué qu'ils ont sélectionné les peaux de mauvaise qualité pour une raison de prix car Sibel leur avait demandé des peaux moins chères. C'est pour cela que Haas a utilisé des peaux de mauvaise qualité pour réaliser la production...Finalement, ils nous ont promis de rembourser ou indemniser après le renvoi de toutes les peaux problématiques à la tannerie Haas en France'.
S'agissant encore des plaintes de clients, la SAS Sibel verse deux pièces issues de traduction par un expert traducteur en langue turque (les originales ne sont pas versées) et qui ne sont pas assorties de pièces d'identité :
- une attestation non datée de M. [L] [Y] représentant la société Sibel Leather Istanbul Derisan Ldt STI, exposant que des cuirs référencés Derby et Novatan ont été commandés à la SAS Tanneries Haas en 2018-2019, que des plaintes de ses clients sont survenues en raison de défauts résultant des étapes de production de ces cuirs, qu'il a été constaté des creux à la surface des cuirs, que les impressions sur le cuir n'étaient pas apparentes et disparaissaient lors de la fabrication du produit ; que les entreprises qui se plaignaient, avaient exigé une remise importante pour ces cuirs ;
- une attestation du 17 février 2021 de M. [K] [T] directeur de l'entreprise Hakan Canta Ve Deri San. Dis Tic.Ldt, faisant état d'une commande de cuirs par le biais de l'entreprise Sibel Deri dans les années 2018-2019 ; que des défauts et des déformations résultant de la production de cuir étaient apparus dans les sacs : les cuirs comportaient des creux, les impressions qui reflètent les propriétés du cuir n'étaient pas suffisamment visibles, et les empreintes du cuir disparaissaient lors de la fabrication des sacs. Ils ont sollicité des remises et leur relation avec Sibel Deri s'est détériorée.
Néanmoins, ces pièces ne permettent nullement d'établir que les produits livrés par la SAS Tanneries Haas à la SAS Sibel, objets des factures impayées, ont été vendues aux personnes sensées avoir établi les pièces précitées (l'authenticité des pièces posant en outre question). En effet, la SAS Sibel ne produit pas aux débats, ce qui avait fait pourtant fait l'objet d'une sommation de communiquer de la part de la SAS Tanneries Haas, les factures clients ou les bons de livraisons ou encore les bons de transport.
De même, ces mêmes pièces ne permettent pas de démontrer que si les produits ont présenté des défauts, ceci a eu des conséquences pour la SAS Sibel que ce soit en termes de retour de produits supposés défectueux ou de demande de remise, de remboursement ou d'indemnisation de la part de ses clients, à défaut de produire ni bon de retour, ni avoir.
En appel, la SAS Sibel produit un constat d'huissier qu'elle a fait établir le 21 janvier 2021.
L'huissier de justice indique s'être rendu dans les locaux de la société à [Localité 11] pour réaliser son constat. Le représentant de la société lui a remis un échantillon de référence portant au verso les inscriptions 'Tanneries HAAS 255 dm²1". Il s'agit selon l'huissier, d'un cuir veau grainé, le grain est nettement visible à la vue mais aussi au toucher, la partie lisse est uniforme et très lisse au toucher.
L'huissier poursuit en exposant :
'Dans le hangar de stockage, des rouleaux de peaux cuir veau grainé (grain Derby) sont stockés. Le stock est évalué à 1 408 m².
Au dos du rouleau cuir on peut lire une inscription (même calligraphie que sur le verso de l'échantillon : 236dm²5 11470).
Deux rouleaux ont été transportés sur une table dans un bureau à la lumière afin de comparer l'échantillon et le rouleau de cuir livré.
J'ai posé l'échantillon sur le premier rouleau. Visuellement le grain de l'échantillon est plus marqué. Au toucher le grain est nettement reconnaissable. Cependant le cuir du rouleau est très lisse au toucher et les grains semblent aplatis. La partie lisse du rouleau présente des défauts de creux par rapport à la partie lisse représentée sur l'échantillon de référence.
Puis, j'ai constaté les rouleaux de cuir NOVOTAN posés sur le chariot élévateur dans le hangar de stockage dont la quantité est évaluée à 1 282m². Il s'agit de cuir en provenance des Tanneries Haas. Le grain est plus fin que le grain du cuir précédent. Il s'agit de cuir veau grain NOVOTAN. Toutefois on remarque à la lumière un défaut de rayures'.
Par ailleurs, la SAS Sibel a fait réaliser par le [Adresse 7] (CTC) de [Localité 9] en février 2021, une expertise par comparaison. Il a été comparé l'échantillon visé par l'huissier de justice avec le rouleau portant l'inscription '236dm²5 11 470". Il a été relevé une importante différence de brillance par comparaison des parties grainées des deux cuirs ; que l'épaisseur moyenne des deux cuirs présentait une différence significative et que la profondeur du grain était plus faible sur le cuir entier.
Ainsi, la SAS Sibel justifie à l'appui du constat d'huissier et de l'expertise du CTC qu'un rouleau portant l'inscription '236dm²5 11 470" présente une profondeur du grain plus faible par rapport à l'échantillon de comparaison, alors même qu'elle invoque une exception d'inexécution pour justifier le non paiement de la totalité des factures à hauteur de plus de 279 000 euros portant sur de nombreux cuirs livrés entre avril et juillet 2018.
Malgré les éléments de preuve supplémentaires versés en appel, la cour estime que le tribunal a, à juste titre, considéré que si la SAS Sibel disposait de fournitures retournées par ses clients, elle disposait des éléments suffisants pour prouver les faits qu'elle alléguait, et que selon l'article 146 du code de procédure civile, il ne pouvait être ordonné une mesure d'instruction en vue de suppléer la carence manifeste de la SAS Sibel dans l'administration de la preuve.
Il sera en effet rappelé que la SAS Tanneries Haas a adressé une sommation d'avoir à communiquer des documents qui auraient été de nature à étayer les allégations de la SAS Sibel, à savoir : justificatif de l'expédition des peaux litigieuses (bons de transport et de douane), justificatif des conditions d'expédition, de réception, de stockage des peaux, justificatif de la réclamation du client chinois à réception des peaux, justificatif du retour des peaux litigieuses en France (bons de transport et de douane), justificatif des conditions de stockage des peaux en France, justificatif de la gestion commerciale par Sibel de la réclamation de ses clients. Aucun de ces éléments n'a été produit.
La seule production de 'réclamations' dont l'origine est douteuse et de constatations ne portant que sur une partie infime de la marchandise litigieuse est bien insuffisante pour faire droit à la demande d'expertise ou de consultation.
- Sur l'exception d'inexécution
En vertu de l'article 1217 du code civil, la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut :
- refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation ;
- poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation ;
- obtenir une réduction de prix ;
- provoquer la résolution du contrat ;
- demander réparation des conséquences de l'inexécution.
L'article 1219 prévoit qu'une partie peut refuser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave.
Au vu des développements précédents, il y lieu d'adopter les motifs retenus par le tribunal qui a énoncé que la SAS Sibel ne rapportait pas la preuve des clients impactés, de la nature et de l'ampleur des défauts, ni même si les marchandises objet des factures impayées avaient été expédiées à ces clients, si les réclamations des éventuels clients produites étaient liées à des marchandises livrées par la SAS Tannerie Haas, si des remises avaient été établies à ces clients et si des retours de marchandises avaient réellement eu lieu ; qu'en outre si des retours avaient eu lieu, aucun élément ne permettait d'identifier les peaux retournées comme des marchandises objet des factures impayées.
Ainsi, la SAS Sibel n'établit pas l'existence d'une faute de la SAS Tanneries Haas dans l'exécution de ses obligations à l'origine d'un préjudice pour la SAS Sibel, préjudice distinct de celui réparé par les avoirs établis les 1ers et 3 octobre 2018 à la suite des réclamations formées dans les courriers électroniques des 17 avril, 15 mai, 6 et 27 juillet 2018.
Le jugement doit être confirmé en ce qu'il a énoncé que la SAS Sibel devait être tenue au paiement des factures.
Toutefois, au vu de la saisie attribution mise en oeuvre et de la procédure collective ouverte, il y a lieu de fixer la créance de la SAS Tanneries Haas à l'égard de la SAS Sibel à hauteur de 238 391,45 euros avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 9 novembre 2018.
- Sur les demandes indemnitaires tirées de la rupture fautive des accords de distribution et des actes de concurrence déloyale
La SAS Sibel soutient que la SAS Tanneries Haas a, en dépit d'engagements contractuels dûment souscrits et exécutés, eu un comportement fautif et déloyal envers la SAS Sibel ; que les parties étaient convenues d'un accord de distribution exclusive confiée à la SAS Sibel ; que celle-ci a démarché officiellement pour la marque Haas et a constitué un fichier client pour ses produits au cours de salons professionnels spécialisés. Puis, la SAS Tanneries Haas a fait le choix de recruter ses propres agents, a mis fin à la relation contractuelle et a détourné la clientèle qu'elle avait démarchée à son profit. Elle estime que le tribunal ne pouvait écarter l'existence du contrat au seul motif qu'il n'était pas signé au regard du principe de la liberté de la preuve pour les actes conclus entre commerçants. Elle considère que la rupture unilatérale a présenté un caractère abusif et demande à titre de dommages et intérêts à bénéficier de la perte de marge sur la période contractuelle restant à courir, soit quatre ans. Par ailleurs, rappelant la définition de la concurrence déloyale, et notamment du parasitisme, elle indique s'interroger sur un fait volontaire de la SAS Tanneries Haas de vouloir livrer une marchandise de mauvaise qualité pour instrumentaliser la distribution et nouer directement des relations d'affaires avec la clientèle de la SAS Sibel. Elle sollicite la réparation d'un préjudice moral en raison notamment de l'atteinte à sa réputation commerciale.
Pour caractériser l'accord de distribution exclusive convenu entre les parties, la SAS Sibel verse aux débats plusieurs courriers électroniques échangés entre les parties :
- 10 octobre 2017 courriel d'un représentant de la SAS Tanneries Haas adressé à la SAS Sibel : '...Suite à nos discussions sur le marché chinois, je voulais vous demander de ne pas contacter He Lady pour le moment, je l'informerai moi-même de nos accords et qu'il devra parler avec vous de la distribution des cuirs Haas en Chine...' ;
- 30 octobre 2017 courriel de la SAS Tannries Haas à la SAS Sibel : 'J'ai prévu un déplacement en Asie début décembre et serai sur Hong Kong le mercredi 6 décembre. Si c'est possible j'aurais souhaité rencontrer la personne qui a la charge de votre bureau à Guangzou et échanger sur les possibilités de développement sur ce marché...' ;
- 24 janvier 2018 courriel de la SA Tanneries Haas à la SAS Sibel :
'Comme informé, je vous joins le contrat corrigé par les soins de notre bureau d'avocat. Il reprend les termes discutés ensemble lors de nos dernières entrevues. A ce contrat va s'ajouter une annexe, qui liste les contreparties de l'exclusivité accordées. Ces contreparties sont les suivantes, que je vous propose de discuter lors de notre prochaine rencontre au salon de [Localité 10]:
1/ Objectif par marché
Chine + [Adresse 8]
Turquie
Russie
2/ communication des chiffres par marché et secteur d'activité
3/ objectif articles : max 50% lisse / min 50 % de Grainé
4/ Articles :
Cuirs lisses foulonnés, 0.8/10 mm à 12/14 mm
Cuirs grainés 08 /10 mm à 12/14 mm
Cuir lisse non foulonné choix chaussure'.
- 26 février 2018 courriel de la SA Tanneries Haas à la SAS Sibel :
'...N'hésitez pas à revenir vers nous si vous avez des questions sur les articles que nous vous avons laissés pour le salon de Hong Kong.
Je vous envoie des scans de contacts pris à Milan avec un Russe, un Turc et deux Chinois[...].
Je voulais aussi revenir sur He Lady, je lui ai annoncé notre décision de travailler avec vous sur le marché chinois et qu'il devrait passer par vous s'il veut commander du cuir Haas, notamment pour les lots et prix spéciaux [...]' ;
- 27 février 2018, réponse de la SAS Sibel à la SAS Tanneries Haas :
'...Merci pour votre aide pendant Lineapelle [salon Milan] ainsi que pour les contacts que vous nous envoyez ; nous allons travailler sur ces clients.
Nous pensons que ce serait aussi une très bonne idée un voyage en Asie afin de développer les clients potentiels sur lesquels nous pouvons travailler ensemble et ainsi développer le marché davantage [...].
Par ailleurs, en ce qui concerne He Lady nous souhaitons vraiment qu'il passe par Sibel car nous ne voulons pas faire de concurrence sur le marché local en Chine mais au contraire, être le distributeur exclusif afin de maintenir un prix de vente régulier [...].
Nous sommes en cours d'investissement sur un nouveau showroom et magasin dédiés aux ventes en plein coeur de Guangzhou et pensons développer le marché de vos produits via un travail intensif et pensons qu'une stratégie de distribution exclusive serait plus efficace.'
- 28 février 2018, réponse de la SAS Tanneries Haas à la SAS Sibel :
'...Effectivement il est préférable de contrôler le marché chinois à partir d'un seul point de distribution...'.
Il est ensuite produit aux débats des courriels échangés entre les parties entre février et avril 2018 concernant l'envoi d'un projet de contrat de distribution exclusive au profit de la SAS Sibel pour les territoires de la Chine (Hong Kong compris), la Turquie et la Russie, le dernier message de la SAS Tanneries Haas du 4 avril 2018 indiquant : 'Ci-joint contrat modifié selon nos dernières discussions. Le seul point qu'il n'était pas possible de modifier est celui des conditions de règlement à 60 jours.'.
Le contrat est versé, annexé à ces échanges de courriers électroniques.
Il ressort de courriels échangés en septembre 2018 que les parties étaient convenues de se rencontrer pour faire le point notamment sur le marché chinois (et sur les litiges en cours relatifs aux factures impayées).
Suite à la mise en demeure de payer les factures de marchandises du 15 octobre 2018, la SAS Sibel a répondu le même jour en invoquant en premier lieu des problèmes de qualité de la marchandise, et en second lieu le non-respect de l'engagement contractuel :
'Vous nous avez proposé dès septembre 2016 de devenir votre distributeur exclusif en Chine (ainsi que Hong Kong, la Turquie, et la Russie), à charge pour nous de faire les démarches commerciales et d'ouvrir largement ce marché à vos produits. Nous avions bien sur accepté, et avons commencé en toute confiance à démarrer ce marché.
Après échanges, vous êtes revenus vers nous en début 2018, pour que nous signions un contrat de distribution exclusive sur la Chine (ainsi que Hong Kong, la Turquie, et la Russie), entérinant la relation que nous avions déjà mise en place en pratique depuis 2017. Vous nous avez passé à cet effet un contrat le 15 mars 2018, par mail, et une version validée par votre avocat le 4 avril 2018.
Nous avons donc respecté en toute confiance l'esprit de ce contrat, et l'avons signé de notre côté dès réception. Malgré nos différentes demandes, vous ne nous avez jamais renvoyé ce contrat signé par vos soins, depuis avril 2018.
Vous comprendrez notre surprise en apprenant récemment d'une part que votre maison-mère, la société CHANEL, ne vous permettait pas de valider ce contrat, et d'autre part, que vous vendez vous même en Chine directement, au mépris de votre engagement, en ayant engagé une commerciale en Chine, en septembre 2018, et ce, en profitant de l'ouverture des produits que nous avons développé. [...]'.
Il était ensuite demandé la signature du contrat et l'arrêt des commercialisations en direct en Chine par l'intermédiaire de leur employée locale.
La SAS Tanneries Haas a répondu que le 22 octobre 2018 que leurs premières discussions au sujet du contrat avaient eu lieu le 2 juin 2017 et qu'elle n'avait jamais demandé de signature de contrat ; que c'était la SAS Sibel qui l'avait initié et avait envoyé un exemple de contrat qu'elle avait fait étudier par ses services juridiques. Elle a rappelé qu'il n'y avait jamais eu aucun engagement de sa part de ne pas avoir de force de vente Haas en Chine et qu'en outre, elle n'avait rien vendu en Chine en 2018 hors la SAS Sibel. Elle a également précisé qu'elle n'avait pas reçu de sa part de demandes de développements ou d'échantillons pour de nouveaux clients en Chine.
Ces différents échanges démontrent qu'il y a eu des négociations entre les deux parties jusqu'en septembre 2018, pour la conclusion d'un contrat de distribution exclusive des produits de la SAS Tanneries Haas par la SAS Sibel notamment sur la Chine. Toutefois, le contrat lui-même dont la SAS Sibel est à l'origine, n'a finalement pas été signé par la SAS Tanneries Haas.
La SAS Sibel estime pourtant que ce contrat existait puisqu'il a commencé à être exécuté. Néanmoins, ainsi que l'a relevé le tribunal, si les parties ont collaboré sur des salons professionnels, ont manifesté leur intention de travailler ensemble sur les marchés chinois, turc et russe, la SAS Tanneries Haas ayant transmis des contacts clients collectés au cours de salons, la SAS Sibel ne démontrait pas qu'elle avait développé un chiffre d'affaires sur le marché chinois, développé un portefeuille de clients chinois pour le compte de la SAS Tanneries Haas et créé un courant d'affaires avec les produits de cette dernière, et qu'en outre ces clients auraient été approchés directement et détournés par la SAS Tanneries Haas.
Ces différents échanges témoignent d'un courant d'affaires entre les sociétés, mais la SAS Sibel ne démontre pas avoir développé un réseau de clients sur la Chine dans le cadre d'un partenariat commercial avec la SAS Tanneries Haas, ni que cette dernière aurait détourné des clients au préjudice de la SAS Sibel. Il n'est pas fourni de liste de clients qui auraient été démarchés pour le compte de la SAS Tanneries Haas, de factures établies à ces clients pour l'année 2018, de bons de livraison ou de factures d'achat correspondant aux marchandises livrées.
Par ailleurs, la thèse selon laquelle la SAS Tanneries Haas aurait volontairement livré à la SAS Sibel de la marchandise de mauvaise qualité pour instrumentaliser la distribution et nouer des relations d'affaires avec la clientèle de la SAS Sibel, et qui caractériserait selon elle un cas de concurrence de déloyale, n'est étayée par aucune pièce du dossier, et ce, d'autant que la cour a rejeté l'exception d'inexécution soulevée par la SAS Sibel dans les développements exposés ci-dessus.
Dans ces circonstances, le jugement sera confirmé, par motifs en partie substitués, en ce qu'il a rejeté les demandes de dommages et intérêts formées par la SAS Sibel en réparation d'une rupture fautive d'un accord de distribution et d'actes de concurrence déloyale.
- Sur les demandes de dommages et intérêts pour résistance abusive et d'amende civile
Le tribunal a condamné la SAS Sibel à payer à la SAS Tanneries Haas la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive, ainsi qu'à une amende civile de 5 000 euros.
Il a estimé que la SAS Sibel avait porté de façon abusive, à des fins dilatoires, des accusations sans fondement, et sans verser aucun élément de preuve à l'appui, sur les pratiques commerciales de la SAS Tanneries Haas, et surtout à l'encontre de son dirigeant M. [X] ; qu'elle avait conditionné le paiement des factures à la signature du contrat et à l'obtention de nouveaux avoirs, qu'elle savait non justifiés, retenant de façon abusive les sommes dues.
La SAS Tanneries Haas sollicite en appel une somme de 20 000 euros.
Toutefois, la SAS Tanneries Haas ne justifie pas d'un préjudice distinct de celui résultant du retard de paiement, d'ores et déjà indemnisé par les intérêts moratoires. Cette demande de dommages et intérêts sera rejetée et le jugement infirmé en ce sens.
Par ailleurs, selon l'article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile. Or, en l'espèce, il n'est caractérisé aucun abus de la part de la SAS Sibel dans l'exercice de son droit d'agir en justice, celle-ci succombant en ses prétentions après appréciation des éléments de fait débattus devant la juridiction.
- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Succombant à l'instance, la SAS Sibel sera condamnée aux dépens d'appel.
Une indemnité de 2 000 euros sera octroyée à la SAS Tanneries Haas au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement,
Reçoit les interventions de la SELARL Mandatum ès qualité de mandataire judiciaire de la SAS Sibel et de la SELARL AJ UP administrateur judiciaire de la société ;
Rejette la demande de jonction formée par la SAS Tanneries Haas entre la présente instance et l'instance portant sur l'appel de l'ordonnance du 4 janvier 2022 du tribunal de commerce de Clermont-Ferrand ;
Infirme le jugement en ce qu'il a condamné la SAS Sibel à payer à la SAS Tanneries Haas la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et condamné la SAS Sibel à une amende civile de 5 000 euros ;
Confirme par motifs en partie substitués, le surplus des dispositions du jugement déféré, sauf à actualiser le quantum de la créance et à fixer les créances au passif de la procédure collective de la SAS Sibel;
Statuant à nouveau et y ajoutant :
Fixe au passif de la procédure de redressement judiciaire ouverte au profit de la SAS Sibel, la créance de la SAS Tanneries Haas à la somme de 238 391,45 euros avec intérêts au taux légal à compter du 9 novembre 2018 ;
Déboute la SAS Tanneries Haas de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive et de sa demande visant à voir prononcer une amende civile à l'encontre de la SAS Sibel ;
Fixe au passif de la procédure de redressement judiciaire ouverte au profit de la SAS Sibel, la créance de la SAS Tanneries Haas à la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance ;
Fixe au passif de la procédure de redressement judiciaire ouverte au profit de la SAS Sibel, la créance de la SAS Tanneries Haas à la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ;
Condamne la SAS Sibel aux dépens d'appel.