CA Lyon, 8eme ch., 2 novembre 2011, n° 10/03119
LYON
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
LE CLOS DE LA DENTELLE (SCI)
Défendeur :
VITRAL'OR (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Pascal VENCENT
Conseillers :
Dominique DEFRASNE, Françoise CLEMENT
La SCI LE CLOS DE LA DENTELLE propriétaire à RETOURNAC d'une maison d'habitation ancienne dont elle avait entreprit la rénovation a confié à la SARL VITRAL'OR, maître verrier le remplacement des vitraux traditionnels existants dans la montée d'escalier et au rez-de-chaussée de l'immeuble.
A cet effet un devis a été établit le 1er décembre 2003 d'un montant de 3.235,69 euros TTC.
Les travaux ont été réalisés de juillet à octobre 2004. La SCI LE CLOS DE LA DENTELLE a réglé intégralement le prix en exprimant toutefois son insatisfaction sur la qualité des travaux ensuite de la réception intervenue le 15 octobre 2004.
En juillet 2005 elle a dénoncé à la société VITRAL'OR l'absence d'étanchéité à l'air et à l'eau de son ouvrage et l'a mise en demeure d'y remédier.
Ne pouvant obtenir satisfaction elle a sollicité et obtenu auprès du juge des référés du tribunal de grande instance de SAINT-ETIENNE la désignation d'un expert en la personne de madame A....
Cet expert a déposé son rapport le 25 avril 2007, rapport dans lequel elle a proposé un partage de responsabilité entre la SCI LE CLOS DE LA DENTELLE et la société VITRAL'OR avec prise en charge par la première des travaux de maçonnerie et de pose de châssis métalliques et par la seconde la dépose et la repose de vitrage.
Le 30 novembre 2007, la SCI LE CLOS DE LA DENTELLE a fait assigner au fond la société VITRAL'OR devant le tribunal de grande instance de SAINT-ETIENNE pour avoir réparation de son préjudice sur le fondement de l'article 1792-3 du code civil et subsidiairement, de l'article 1147 du code civil.
Par jugement du 10 février 2010 le tribunal de grande instance a rejeté l'intégralité de ses prétentions et l'a condamnée aux dépens à l'exclusion de tous les frais supplémentaires au bénéfice de la SARL VITRAL'OR.
Le 28 avril 2010, la SCI LE CLOS DE LA DENTELLE a interjeté appel du jugement.
L'appelante demande à la cour :
- d'infirmer le jugement querellé,
- de condamner la société VITRAL'OR à lui payer :
* 17.075,29 euros TTC correspondant au coût de reprise des désordres,
* 14.076 euros correspondant au préjudice subi du fait du retard apporté à l'achèvement des travaux du logement,
* 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle indique que l'activité de maître verrier de la société VITRAL'OR relève bien des garanties des articles 1792 à 1792-3 du code civil, que les travaux de pose des vitraux constituent bien des travaux de constructions et de bâtiment et que contrairement à l'avis des premiers juges il ne s'agit pas seulement d' un ouvrage de décoration sans lien spécifique avec des ouvrages de menuiserie classique.
Elle fait valoir qu'il incombait à la société VITRAL'OR d'assurer l'étanchéité des vitraux même si elle n'était pas chargée des travaux de maçonnerie et que l'expert judiciaire a d'ailleurs estimé que les désordres provenaient d'une erreur de conception de cette société, d'une malfaçon et d'un non-respect des règles de l'art.
Elle ajoute qu'elle-même ne peut avoir aucune responsabilité à cet égard, n'étant pas maître d'oeuvre.
La SCI LE CLOS DE LA DENTELLE prétend rechercher la responsabilité de la société VITRAL'OR sur le fondement de la garantie de bon fonctionnement en expliquant que les vitraux comme les fenêtres devaient être ancrés dans la maçonnerie.
A titre subsidiaire et se référant aux constatations de l'expert judiciaire, elle soutient que la société VITRAL'OR a commis des fautes d'exécution à l'origine du désordre et en toute hypothèse, manqué à son devoir de conseil en acceptant d'intervenir sur un support insuffisant pour assurer une étanchéité convenable.
La SARL VITRAL'OR demande de son côté à la cour de confirmer en toutes ses dispositions le jugement frappé d'appel sauf en ce qu'il a écarté sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle réclame sur ce fondement la somme de 5.500 euros.
Elle fait valoir que son activité de maître verrier est une activité artistique avec une production et des règles professionnelles spécifiques sans rapport avec l'activité des constructeurs, de sorte qu'elle ne peut être tenue aux garanties légales applicables à ces derniers.
Elle fait valoir également que l'ouvrage commandé par la SCI LE CLOS DE LA DENTELLE est un ouvrage ornemental intégré dans une ouverture de fenêtre qui obligeait seulement le vitrier à réaliser un simple calfeutrement et qu'un scellement au niveau des embrasures ou la pose de menuiseries métalliques ne relevaient pas de sa compétence.
Elle ajoute que le maître de l'ouvrage a choisi de ne pas recourir aux services d'un maître d'oeuvre préférant concevoir et coordonner lui-même le chantier et qu'il a bien assumé à cet égard les fonctions de maître d'oeuvre.
Elle conteste toute responsabilité tant sur le fondement de l'article 1792-3 du code civil en indiquant que les ouvrages artistiques ou décoratifs ne sont pas des éléments d'équipements soumis à cette garantie, que sur le fondement de l'article 1147 du code civil en indiquant que la qualité des vitraux n'est pas en cause et qu'elle n'assumait aucune obligation d'exécution ou de conseil concernant les supports, étant rappelé que le devis laissait à la charge du client la préparation des encadrements.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1o Sur la nature de l'ouvrage
Attendu que le devis daté du 1er décembre 2003 comporte les indications suivantes :
- prestations comprenant la conception à la fabrication de vitraux traditionnels au plomb, verre de St Just série sahara ou équivalent et leur intégration en double vitrage,
- le démontage des existants et la préparation des encadrements sont à la charge du client,
- la fabrication des volumes étant exécutée après possibilité de prendre les dimensions exacte en fond de feuillure ;
Que la société VITRAL'OR a effectivement fourni et posé les vitraux dans la maçonnerie existante au moyen d'un calfeutrement à la chaux ;
Attendu que les éléments vitrés fournis et posés par la société VITRAL'OR dans la montée d'escalier et au rez-de-chaussée d'une maison d'habitation devait avoir une fonction isolante, à l'instar des autres vitrages de l'immeuble et qu'il ne s'agissait pas d'un simple élément de décoration venant s'insérer dans les éléments existants ;
Que quelque soit l'activité artistique ou non de la société VITRAL'OR, la prestation réalisée par elle en l'espèce constitue bien un élément d'équipement d'un ouvrage de bâtiment relevant des garanties légales des constructeurs ;
2o Sur les désordres et les responsabilités
Attendu qu'il résulte des constatations de madame A... que les vitraux ne sont pas posés dans un châssis et que l'étanchéité n'est pas assurée entre les vitrages et la maçonnerie, que les feuillures recevant ces vitraux ne sont pas dressées correctement et que le rejingot recevant la partie basse du vitrage est construit devant le vitrage si bien qu'elle ne remplit pas son office ;
Que l'expert relève à juste titre que l'étanchéité à l'air et à l'eau exigée dans un bâtiment d'habitation, au moyen d'un vitrage isolant est complètement différente de la réparation d'anciens vitraux dans un monument historique et contredit ainsi l'argumentation de l'intimé selon laquelle le calfeutrement à la chaux est parfaitement conforme pour un vitrail traditionnel ;
Qu'au demeurant, le manuel de conservation et de restauration versé aux débats par la société VITRAL'OR énumère plusieurs méthodes de fixation des vitraux (solins de mastic sur armature, pose de vergettes, calfeutrement au mortier) dont le but est d'assurer une étanchéité suffisante ;
Attendu que les vitraux en cause qui sont des éléments techniquement dissociables n'affectant pas la destination de l'immeuble ou sa solidité, sont soumis à la garantie biennale de l'article 1792-3 du code civil ;
Attendu que la société VITRAL'OR ne saurait s'exonérer de cette garantie au motif qu'il était convenu au devis que la préparation des encadrements était à la charge de sa cliente ;
Qu'en effet, la SCI LE CLOS DE LA DENTELLE n'avait aucune compétence particulière en matière de vitrages, de menuiserie ou de maçonnerie et que la société VITRAL'OR aurait dû refuser de poser les vitraux en l'état de la maçonnerie existante et en l'absence de châssis métalliques permettant d'assurer l'étanchéité ;
Attendu que la société VITRAL'OR ne saurait davantage reprocher à la SCI LE CLOS DE LA DENTELLE de s'être immiscée dans les travaux en tant que maître d'oeuvre dès lors qu'elle ne démontre aucun acte positif pouvant caractériser cette immixtion ;
Que le fait pour le maître de l'ouvrage de ne pas avoir eu recours au service d'un maître d'oeuvre ne constitue pas davantage une faute de sa part ni une acceptation des risques ;
Attendu en conséquence que les désordres constatés par l'expert sont bien imputables à la seule société VITRAL'OR qui devra sa garantie en application des dispositions légales précitées ;
3o Sur la réparation
Attendu que l'expert A... sur la base de plusieurs devis a évalué les travaux de remise en état à la somme totale de 9.048,73 euros comprenant la réfection des embrasures et des rejingots, la fourniture et la pose de châssis métalliques, la dépose et la repose des vitraux ;
Que cette estimation sera retenue par la cour au lieu du devis BATIM'ALU du 28 juin 2007 produit par la SCI, ce dernier mentionnant la réfection des vitraux alors que leur qualité n'est pas remise en cause par l'expert ;
Que la société VITRAL'OR qui a posé des éléments vitrés non étanches contrairement à leur destination et sans renseigner le maître de l'ouvrage sur la nécessité de les insérer dans des châssis métalliques ne peut s'en prendre qu'à elle-même si elle doit aujourd'hui réparer le préjudice causé par sa défaillance en fournissant ces châssis métalliques ;
Qu'elle devra donc payer à la SCI LE CLOS DE LA DENTELLE la somme de 9.048,73 euros à titre de dommages et intérêts ;
Attendu que la SCI LE CLOS DE LA DENTELLE réclame également l'indemnisation d'un préjudice de jouissance pendant les travaux en affirmant que la maison sera inhabitable pendant la même période ;
Que l'expert judiciaire évalue à trois jours seulement la durée des travaux qui auront lieu dans une montée d'escalier et sur une partie du rez-de-chaussée ;
Que la SCI LE CLOS DE LA DENTELLE ne démontre pas formellement que les travaux de reprise rendront l'immeuble inhabitable ni même qu'ils feront obstacle à la poursuite des autres travaux de rénovation ;
Qu'en conséquence ce chef de demande sera rejeté ;
Attendu que la société VITRAL'OR supportera les entiers dépens ;
Qu'il convient d'allouer à la SCI LE CLOS DE LA DENTELLE la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
Dit l'appel recevable,
Infirme le jugement querellé et statuant à nouveau,
Dit que la SARL VITRAL'OR doit sa garantie sur le fondement de l'article 1792-3 du code civil,
Condamne la SARL VITRAL'OR à payer à la SCI LE CLOS DE LA DENTELLE la somme de 9.048,73 euros à titre de dommages et intérêts au titre des travaux de reprise de son ouvrage,
Condamne la SARL VITRAL'OR à payer à la SCI LE CLOS DE LA DENTELLE la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute la SCI LE CLOS DE LA DENTELLE du surplus de ses prétentions,
Condamne la SARL VITRAL'OR aux dépens de première instance et d'appel distraits au profit de l'avoué de son adversaire conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.