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Décisions

CA Pau, 1re ch., 10 mai 2012, n° 10/05108

PAU

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Dauga

Défendeur :

Taris

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pons

Conseillers :

M. Augey, Mme Beneix

Avocats :

SCP Rodon, Me Tonnet, SCP Longin, Longin Dupeyron, Mariol, Me Longin, Me Farthouat

TGI Mont de Marsan, du 22 sept. 2010

22 septembre 2010

A l'occasion de son passage dans une émission de télé réalité diffusée du 11 avril au 4 juillet 2002 par la chaîne de télévision M6, M. Taris a chanté à plusieurs reprises le refrain suivant :

«choper choper choper le Cum cum, avant que ce soit le cum cum qui vous chope ».

Ce refrain est né au cours de soirées animées régulièrement par M. Thierry Dauga, auteur-compositeur.

Il a alors été décidé de créer une chanson complète intégrant ce refrain, dont les paroles ont été écrites par M. Dauga, l'arrangement musical réalisé par M. Ramis, et d'enregistrer un disque dont M. Taris était l'interprète vocal, et cette chanson a connu un grand succès à compter de l'été 2002.

Sur le bulletin de déclaration adressé le 4 juin 2002 à la Sacem, les droits de reproduction mécanique de l'oeuvre musicale ont été répartis de la manière suivante :

- auteur : M. Dauga : 50 % ;

- compositeur : Thierry Dauga 35 %, Christian Ramis 5 % ;

- arrangeur : Christian Ramis : 10 %.

Par contrat de cession et d'édition d'oeuvre musicale du 13 août 2002, MM. Dauga et Ramis ont cédé leurs droits patrimoniaux sur cette oeuvre moyennant une rémunération à la SARL FJT Production constituée le 12 juillet 2002 entre MM. Taris, Dauga et Deyries, ce qui a donné lieu à une nouvelle répartition déclarée comme suit à la Sacem :

- auteur : Thierry Dauga 20 % ;

- compositeur : Thierry Dauga 25 % ;

- arrangeur : Christian Ramis 10 % ;

- éditeur : FJT Production 45 %.

Par suite de la rétrocession de la part éditoriale de l'oeuvre aux auteurs-compositeurs, sans opposition de Me Guérin, mandataire liquidateur de la SARL Olé-Olé, venant aux droits de la SARL FJT Production, une dernière répartition des droits de reproduction mécanique est intervenue le 11 avril 2006 comme suit :

- auteur : Thierry Dauga 45 % ;

- compositeur : Thierry Dauga 45 % ;

- arrangeur : Christian Ramis : 10 %.

Par acte d'huissier du 7 août 2009, M. Taris a fait assigner M. Dauga devant le tribunal de grande instance de Mont de Marsan, afin de voir dire et juger qu'il a la qualité de coauteur et de co-compositeur de l'oeuvre musicale intitulée « Cum cum Mania », que sa reproduction, sa représentation ou bien sa diffusion en violation de ses droits constituent des actes de contrefaçon d'une oeuvre artistique, et que cela lui a causé un préjudice constitué par la perte de ses droits d'auteur qu'il évalue à 138 695 €.

Par jugement du 22 septembre 2010, le tribunal de grande instance de Mont de Marsan a reconnu à M. Taris la qualité de coauteur de cette oeuvre musicale, dit que sa reproduction, sa diffusion et sa représentation par M. Dauga en violation des droits de M. Taris sont constitutives du délit de contrefaçon d'une oeuvre artistique, et M. Dauga a été condamné à lui payer la somme de 10 000 € en réparation du préjudice subi du fait de l'atteinte à son droit moral d'auteur, et 39 420 € en réparation du manque à gagner sur son exploitation patrimoniale, outre une indemnité de 1 500 € pour frais irrépétibles.

Par déclaration au greffe du 20 décembre 2010, M. Dauga a relevé appel de ce jugement.

Dans ses dernières écritures du 1er février 2011, il a conclu à la réformation de cette décision, et au débouté de M. Taris de l'ensemble de ses demandes, au motif qu'il ne peut revendiquer la qualité de coauteur de cette œuvre, faute d'apport créatif original, et il a sollicité sa condamnation au paiement d'une somme de 10 000 € à titre de dommages- intérêts en réparation de son préjudice moral, et d'une indemnité de 8 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

A titre subsidiaire, il a soutenu qu'il s'agit d'une oeuvre collective sur laquelle M. Taris ne peut prétendre à aucun droit d'auteur, et à titre infiniment subsidiaire il a soutenu qu'aucun acte de contrefaçon ne peut lui être imputé, et que dès lors l'intimé ne peut pas prétendre à une quelconque réparation de son droit moral.

Il soutient :

- que M. Taris n'a été que l'interprète de cette chanson ;

- que le disque a été divulgué sous le seul nom d'auteur du concluant qui bénéficie donc de la présomption de paternité de l'oeuvre en application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle ;

- que par ailleurs l'intimé ne rapporte pas la preuve d'un apport créatif et original ;

- qu'enfin il n'est pas établi qu'il serait le seul auteur des paroles du refrain qui pourrait par contre s'avérer n'être qu'une oeuvre collective, puisque ce refrain a été inventé par M. Taris mais également plusieurs de ses amis lors de soirées, et qu'ainsi il ne justifie pas qu'il s'agirait d'une oeuvre de collaboration qui implique notamment la concertation entre tous ceux qui y ont participé.

Dans ses dernières écritures du 5 août 2011, M. Taris a conclu à la confirmation du jugement en ce qu'il lui a reconnu la qualité de coauteur de cette chanson, et en ce qu'il a dit que la reproduction par M. Dauga en violation de ses droits constitue le délit de contrefaçon d'une oeuvre artistique.

Il a par contre conclu à sa réformation en ce qu'il n'a pas retenu sa qualité de co-compositeur au niveau du calcul de l'indemnisation, et il a sollicité à ce titre la somme de 49 275 € de dommages-intérêts en réparation du préjudice matériel, et 50 000 € au titre de l'atteinte à son droit moral sur l'oeuvre.

Il fait valoir qu'il est l'auteur original du refrain de cette oeuvre réalisée en collaboration avec M. Dauga, qu'il est le seul interprète de ses paroles, et qu'il a toujours été présenté comme en étant l'auteur.

Il en veut notamment pour preuve un courrier recommandé avec accusé de réception du 14 octobre 2002 dans lequel M. Dauga lui a reconnu la qualité d'auteur du refrain de cette chanson.

Il soutient qu'il est à l'origine d'un apport créatif original, au motif que le succès de cette chanson est imputable aux paroles du refrain autour desquelles elle a été élaborée, et qu'enfin cette chanson reprend non seulement les paroles dont il est l'auteur mais également la musique et la mélodie qu'il a contribué à créer de manière originale.

Il prétend donc que les dispositions de l'article L. 113-2 alinéa 1er du code de la propriété intellectuelle relatives à l'œuvre de collaboration lui sont applicables.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 novembre 2011.

. Motifs de l'arrêt

M. Taris soutient qu'il a la qualité de coauteur de la chanson dénommée « Cum cum mania » qui doit donc être qualifiée d'oeuvre de collaboration, lui conférant des droits patrimoniaux et moraux sur l'exploitation de cette oeuvre.

L'article L. 113-2 alinéa 1er du code de la propriété intellectuelle définit l'oeuvre de collaboration comme celle à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques, et pose ainsi un double critère lié à l'existence d'un travail créatif conduit par plusieurs auteurs, donc d'un apport créatif original marqué de l'empreinte personnelle de chacun, et à une communauté d'inspiration.

L'auteur dispose en cette qualité sur son oeuvre, d'une part, d'un droit moral défini par l'article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle comme le droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre, perpétuel, inaliénable et imprescriptible, dont découle le droit de divulguer l'oeuvre, et d'autre part de droits patrimoniaux ayant pour finalité l'exploitation de l'oeuvre, et comprenant le droit de représentation et celui de reproduction, librement cessibles, que ce soit à titre gratuit ou à titre onéreux, ensemble ou séparément, en application des dispositions de l'article L. 122-7 de ce code.

Enfin, l'article L. 335-3 dudit code qualifie de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d'une oeuvre de l'esprit, en violation des droits de l'auteur.

En premier lieu, le fait que M. Félicien Taris ait bénéficié du produit des droits d'exploitation cédés par MM. Dauga et Ramis en vertu du contrat de cession et d'édition d'oeuvre musicale du 13 août 2002 ne le prive pas du droit de faire reconnaître sa qualité de coauteur de l'oeuvre ni d'obtenir la réparation du préjudice causé par l'atteinte aux droits moraux et patrimoniaux qu'ils détiendraient en cette qualité.

Par contre, il ne peut pas bénéficier de la présomption de titularité de droit d'auteur sur cette chanson édictée par l'article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle qui est édictée en faveur de la personne sous le nom de laquelle l'oeuvre a été divulguée, c'est-à-dire en l'espèce M. Dauga.

Il appartient donc à M. Taris de renverser la présomption existante en faveur de M. Dauga qui apparait sur la pochette d'édition du disque comme auteur-compositeur.

M. Taris soutient qu'il est l'auteur des paroles et de la mélodie du refrain de la chanson « cum cum mania » , qui est le suivant : « choper choper le cum cum avant que ce soit le cum cum qui vous chope ».

M. Dauga ne conteste pas que ce refrain a été chanté à plusieurs reprises par M. Taris à l'occasion de son passage dans l'émission de télé réalité Loft Story diffusée par la chaîne de télévision M6 du 11 avril au 4 juillet 2002, et que ce refrain est né au cours de soirées karaoké au café de la Halle à Amou (Landes), animées régulièrement depuis 1996 par M. Dauga, et que c'est après avoir entendu ce refrain qu'il a été décidé entre MM. Dauga et Taris de créer une chanson complète intégrant ledit refrain, les paroles des couplets ayant été écrites par M. Dauga et l'arrangement musical réalisé par M. Ramis, M. Taris en étant l'interprète vocal.

M. Taris ne conteste donc pas le fait que les paroles du refrain ont été inventées par M. Dauga, mais il soutient d'une part que celui-ci ne démontre pas qu'elles constituent un apport créatif original, que d'autre part, aux termes de l'article L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle, les éléments déterminants d'une oeuvre musicale demeurent la mélodie, l'harmonie et le rythme, et que les paroles ne sont donc pas un élément déterminant de la qualification d'oeuvre musicale.

Il ajoute qu'en tout état de cause, seule une qualification d'oeuvre collective pourrait être reconnue aux paroles de ce refrain puisqu'il a été composé par M. Taris ainsi que ses amis et compagnons rencontrés au cours de soirées karaoké, et que la « paternité » des paroles de ce refrain ne peut donc être attribuée exclusivement à M. Taris.

Dans un courrier du 14 octobre 2002 adressé à M. Taris, M. Dauga a écrit ceci : « quand je t'ai proposé cum cum mania, tu étais enthousiaste à condition de rajouter le refrain « choper le cum cum » (refrain inventé par toi et tes amis de la pena) ».

Un peu plus loin dans ce courrier il ajoute : « par conséquent, comme ma chanson initiale a été gardée dans sa globalité musicale, et à laquelle tu as rajouté ce refrain dont tu es avec tes amis de la pena l'auteur, je confirme mon état d'auteur-compositeur de la cum cum mania... ».

Les termes de ce courrier ne sont pas contestés par M. Dauga qui a donc reconnu à M. Taris la qualité d'auteur tout au moins d'une oeuvre collective, puisqu'il attribue les paroles de ce refrain à l'intimé et à ses amis.

L'article 113-2 alinéa 3 du code de la propriété intellectuelle définit l'oeuvre collective comme celle qui est créée sur l'initiative d'une personne physique qui l'édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom, dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fonde dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé.

En l'espèce, il ressort des attestations concordantes et motivées de MM. Hibelot Caplanne, Merchan-Rodriguez et Daudignon que c'est M. Taris qui a été à l'origine des paroles de ce refrain et qu'il le chantait régulièrement, avant que M. Dauga ne fréquente cette pena en qualité d'animateur de soirées.

D'autre part les paroles de ce refrain sont distinctes par définition de celle des couplets et elles doivent être attribuées sans conteste à M. Taris, et elles constituent un élément essentiel et original de la chanson qui a été construite autour de ce refrain.

Il s'agit donc d'une oeuvre de collaboration et M. Taris doit se voir reconnaître la qualité de coauteur de la chanson.

Par contre, il n'est pas justifié du caractère original que présenterait l'air de ce refrain, étant observé que M. Taris ne rapporte pas la preuve que la mélodie a été composée par lui ou bien qu'il y a collaboré, d'autant qu'un arrangeur, M. Ramis qui est un musicien professionnel, est intervenu à ce stade de l'élaboration de la chanson.

Il y a donc eu lieu en définitive de confirmer le jugement en ce qu'il a qualifié cette chanson d'oeuvre de collaboration dont MM. Taris et Dauga sont les coauteurs.

L'oeuvre de collaboration étant la propriété commune des coauteurs en vertu de l'article L. 113-3 du code de la propriété intellectuelle, M. Taris est en droit de revendiquer la co- titularité des droits d'auteur sur l'oeuvre et de réclamer à ce titre sur le fondement des dispositions de l'article 1382 du code civil, d'une part la réparation de l'atteinte nécessairement portée à son droit moral par l'appropriation de la paternité de l'oeuvre par M. Dauga seul dans les divers bulletins de déclaration à la Sacem comme du manque à gagner sur son exploitation patrimoniale, d'autre part, la cessation du trouble illicite correspondant relevant de la qualification de contrefaçon prévue par l'article L. 335-3 de ce code, quand bien même il a consenti à la divulgation de l'oeuvre en sa double qualité d'interprète et d'associé des sociétés d'édition FJT Productions et Olé-Olé.

M. Taris a sollicité une somme de 50'000 € en réparation de l'atteinte à son droit moral, mais il ne rapporte pas la preuve d'un préjudice distinct de celui qui a été réparé par le premier juge par une somme de 10'000 € motivée par le fait que cette chanson a connu un large succès populaire à compter de son lancement au mois de juillet 2002, mais qu'il s'agit aussi d'une oeuvre périssable, voire éphémère, puisqu'elle n'était pas destinée à durer plus de quelques étés, et d'ailleurs les droits de diffusion qui s'élevaient à 79'783 € en 2003 n'étaient plus que de 1 901 € en 2009.

Ce chef de dispositif sera donc confirmé.

En ce qui concerne les droits patrimoniaux, c'est-à-dire le manque à gagner sur les exemplaires du « single » vendus ou téléchargés, M. Taris n'a pas remis en cause l'application du contrat de cession et d'édition d'oeuvre musicale du 13 août 2002 dont il a bénéficié à tout le moins jusqu'à la mise en liquidation judiciaire de la SAR Olé Olé par jugement du tribunal de commerce de Dax du 19 octobre 2005, puisqu'il base sa demande sur le pourcentage de droits de reproduction mécanique rétrocédés par la Sacem à M. Dauga tel qu'il résulte de ce contrat, à savoir 20 % en qualité d'auteur, et 25 % ès qualités de compositeur.

Il n'est pas contesté par M. Dauga que 800'000 exemplaires de ce « single » ont été vendus au jour de l'acte introductif d'instance du 7 août 2009 au prix de gros de 3 € HT par disque, et que 2 millions d'exemplaires ont été téléchargés à cette date au prix de gros HT de 0,99 € par unité.

En sa qualité de coauteur, M. Taris est donc en droit de percevoir la moitié des droits de reproduction mécanique soit 10 % du montant de la redevance de 9 % qui aurait dû lui être rétrocédée sur tous les exemplaires vendus et téléchargés, soit la somme dûment justifiée de 39'420 €.

En définitive, le jugement du 22 septembre 2010 sera confirmé en toutes ses dispositions, y compris celles relatives à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. Taris les frais irrépétibles qu'il a dû exposer en cause d'appel ; M. Dauga sera condamné à lui payer une indemnité de 2 000 € à ce titre.

M. Dauga qui succombe dans cette procédure sera débouté de ses demandes en paiement de dommages-intérêts et d'indemnités pour frais irrépétibles.

. Par ces motifs

La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort.

Confirme le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Mont de Marsan le 22 septembre 2010, et y ajoutant :

Condamne M. Thierry Dauga à payer à M. Félicien Taris une indemnité de 2 000 € (deux mille euros) en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Déboute les parties de leurs autres demandes.

Condamne M. Thierry Dauga aux dépens de première instance et d'appel.

Autorise les avocats de la cause qui en ont fait la demande à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision.