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Décisions

CA Bordeaux, 2e ch. civ., 2 juin 2009, n° 08/02368

BORDEAUX

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

29 Porte Dijeaux (SCI)

Défendeur :

Reseau Club Bouygues Telecom (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bougon

Conseillers :

M. Legras, Mme Larsabal

Avoués :

SCP Gautier & Fonrouge, SCP Casteja-Clermontel & Jaubert

Avocats :

Me Bellocq, Me Saint Geniest

TGI Bordeaux, du 6 mars 2008, n° 06/1242…

6 mars 2008

EXPOSE DU LITIGE :

La SCI [...] a interjeté appel, par déclaration du 21 avril 2008 et dans des conditions de régularité non contestées, d'un jugement rendu le 6 mars 2008 par la 5ième chambre du tribunal de grande instance de Bordeaux qui, dans le cadre d'un litige relatif à un bail commercial, l'a déboutée de sa demande d'inopposabilité au bailleur d'une cession de droit au bail qui ne lui a pas été notifiée.

Le litige, qui porte sur un local commercial situé [...] actuellement exploité pour une activité de téléphonie sous l'enseigne Bouygues, est survenu dans les circonstances suivantes.

Par acte du 19 octobre 1995, madame Colombo a donné à bail commercial à la société Confiserie Porte Dijeaux le dit local pour une durée de neuf ans et un loyer annuel de 48 000 francs HT (7 317,55€) indexé.

Par acte du 31 juillet 1998, la Confiserie Porte Dijeaux a cédé le droit au bail à la société Bouygues Télécom ; cette cession a fait l'objet d'un avenant N°1 au contrat de bail commercial entre madame Colombo et la société Bouygues Télécom ; le loyer annuel a été porté à cette occasion à la somme de 52 800 francs (8 049,30€) ; la SCI Aklyn est par la suite venue aux droits de madame Colombo, puis par suite d'une cession de propriété immobilière du 2 novembre 2005, la SCI [...].

Par contrat d'apport du 22 juillet 1999, le bail a été apporté par la société Bouygues Télécom à l'une de ses filiales, la société Distribution réseau boutiques (DRB), qui par la suite en 2004 a changé de dénomination pour prendre celle de Réseau club Bouygues Télécom (RCBT). Cet acte prévoyait que le preneur ne pouvait céder le présent bail sans autorisation préalable expresse et par écrit du bailleur sauf à une filiale du preneur, à une société du groupe Bouygues, ou à toute autre société étant amenée à détenir une part significative des actifs d'exploitation du réseau de radio téléphone DCS 1800.

Le bail conclu le 19 octobre 1995 à compter du 1er avril 1995, pour une durée de neuf ans, venait à expiration le 1er avril 2004.

Par acte d'huissier du 8 août 2003, la société Aklyn a délivré congé avec offre de renouvellement à la société Bouygues Télécom, titulaire du bail par effet de l'acte de cession du 31 juillet 1998.

Dans le cadre d'une procédure devant le juge des loyers commerciaux, la société Bouygues Télécom est intervenue conjointement avec la société RCBT, soutenant que le congé du 8 août 2003 était nul et de nul effet pour avoir été délivré à la société Bouygues Télécom en dépit de la cession de droit au bail intervenue entre elles le 22 juillet 1999.

Le 18 décembre 2006, la SCI [...] a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Bordeaux la société RCBT aux fins de voir dire que la cession du bail faite par Bouygues Télécom à RCBT est inopposable à la SCI, de valider l'acte de rétractation partielle du congé notifié le 27 décembre 2006, voire dire et juger que la société RCBT est occupant sans droit ni titre et ordonner son expulsion sous astreinte, en la condamnant au paiement d'une indemnité d'occupation de 36 000€ par an depuis le 2 novembre 2005, date d'acquisition par la SCI.

Par jugement du 6 mars 2008, le tribunal de grande instance de Bordeaux a :

- constaté l'existence d'acte positif de la bailleresse caractérisant sa volonté de reconnaître la société DRB devenue RCBT comme titulaire du bail

- constaté que l'apport du droit au bail réalisé le 22 juillet 1999 au profit de la société DRB devenue RCBT est opposable à la bailleresse

- débouté la SCI [...] de l'ensemble de ses demandes

- condamné la SCI [...] aux dépens.

Aux termes de ses conclusions du 21 août 2008, la SCI [...] demande à la cour, vu les articles 1134, 1184 et 1690 du code civil, réformant le jugement :

- de dire et juger que la cession du fonds de commerce faite par Bouygues télécom à RCBT est inopposable à la SCI [...] venant aux droits de la SCI Aklyn

- de valider l'acte de rétractation partielle du congé notifié le 27 décembre 2006

- de dire et juger que la société RCBT est dès lors occupante sans droit ni titre

- d'ordonner qu'elle devra rendre les lieux libres de toute occupation et en bon état au délai d'un mois de la signification de la décision sous astreinte de 500€ par jour de retard pendant trois mois

- de la condamner à payer une indemnité d'occupation sur la base de 36 000€ par an depuis le 2 novembre 2005 jusqu'à la date de restitution des lieux sous déduction des sommes qui ont été payées

- de la condamner au paiement des dépens et d'une somme de 5 000€ au titre des frais irrépétibles.

La SCI [...] fait valoir :

- que l'apport en société d'un droit au bail, quand bien même elle n'a pas à être autorisée comme en l'espèce, doit être signifié au propriétaire bailleur par application de l'article 1690 du code civil pour lui être opposable

- qu'il n'a pas été procédé à cette notification

- qu'elle n'a en rien été informée de la cession du droit au bail, le fait que les factures aient été établies au nom de la société DRB, sans changement de l'activité commerciale exercée, pouvant laisser à penser qu'il s'agissait d'une simple modification de dénomination ou d'une location gérance

- que le simple encaissement des loyers ne constitue pas un acte positif de connaissance par le bailleur du transfert intervenu

- que la société appelante est fondée à obtenir une indemnité d'occupation depuis la date à laquelle elle a acquis l'immeuble, et que le préjudice subi se confond en l'espèce avec la valeur locative qui doit être recherchée indépendamment du loyer contractuel et doit être fixé à 36 000€ par an soit 3 000€ par mois.

Aux termes de ses conclusions du 19 décembre 2008, la société RCBT demande à la cour de confirmer le jugement sauf en ce qu'il a rejeté sa demande d'indemnisation au titre de l'article 700 du code de procédure civile et :

- de donner acte à la SCI de ce qu'elle offre à la société RCBT le renouvellement du bail à compter du 1er mai 2009

- de condamner la SCI au paiement d'une indemnité de 5 000€ au titre des frais irrépétibles de 1er instance et d'une seconde du même montant au titre des frais d'appel outre les dépens.

La société RCBT fait valoir :

- que si l'apport du bail en société, qui doit être assimilé à une cession de bail, n'a pas été notifié au bailleur au sens de l'article 1690 du code civil, il n'en demeure pas moins que celui-ci a une parfaite connaissance de la cession du bail et l'a acceptée par les éléments suivants :

. établissement des factures de loyers au nom de DRB puis RCBT

. demande d'apurement des charges auprès de la société DRB par lettre du 23 mai 2003

. demande d'application de l'indexation annuelle du loyer par lettre du 1er octobre 2003

. retour à RCBT le 5 avril 2004 d'une fiche de renseignement accompagnée d'un relevé d'identité bancaire pour permettre un règlement du loyer par virement

. information par l'intermédiaire de son avocat lors de la signification du congé de l'existence de deux sociétés distinctes

. lettre du 14 janvier 2004 au directeur de la société DRB pour s'enquérir des suites données au renouvellement proposé accompagné d'une augmentation du loyer à 24 000€ par an et formulation d'une offre de location d'un local complémentaire de 60m2 au premier étage

et qu'il résulte de ces éléments que le bailleur a accepté sans équivoque la cession dont il avait connaissance

- que la circonstance que la cession soit intervenue par acte sous seing privé et non par acte authentique ne constitue pas une infraction au contrat de bail initial

- qu'en 2008, la SCI [...] a fait délivrer à la société RCBT une offre de renouvellement du bail à compter du 1er mai 2009 dans l'hypothèse où il serait jugé que l'apport du droit au bail opéré le 22 juillet 1999 lui est opposable, et moyennant un loyer annuel de 45 000€.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 23 janvier 2009.

MOTIFS

Il est constant que l'apport en société du droit au bail est assimilé à une cession de bail.

En l'espèce, la cession de bail n'avait pas à être autorisée expressément par le bailleur dès lors qu'elle était faite au profit d'une filiale de la société Bouygues Télécom comme le permettait l'avenant du 31 juillet 1998.

Pour autant, cette dispense d'autorisation n'entraînait pas opposabilité de la cession du droit au bail sans respect des dispositions de l'article 1690 du code civil prévoyant la notification de la cession en l'espèce au bailleur.

Il n'est pas contesté qu'il n'a pas été procédé à cette notification.

Pour autant, l'acceptation de la cession de la part du bailleur peut résulter d'actes positifs sans équivoque montrant qu'il avait connaissance de la cession et qu'il l'avait acceptée.

L'encaissement des loyers versés par le cessionnaire n'est pas à lui seul un élément d'acceptation sans équivoque de la cession ; en outre en l'espèce, alors que la cession du droit au bail entre la société Bouygues Télécom et la société DRB est intervenue le 22 juillet 1999, ce n'est qu'à compter de janvier 2003, soit 3 ans et demi après, que les factures ont été établies au nom de la société DRB, et il n'est pas justifié dès auparavant, la preuve des paiements et les factures n'étant pas produites par aucune des parties, que le paiement et les facturations aient été établis au nom de la société DRB.

Il importe de souligner qu'en dépit de la cession, une activité identique s'est poursuivie sous la même enseigne et les factures ont été délivrées certes au nom de la société DRB à partir de 2003 mais avec la mention Boutique Bouygues, de sorte que cet élément à lui seul ne pouvait davantage établir la connaissance du bailleur d'une cession du droit au bail.

La demande de régularisation des charges effectuées auprès de la société DRB par la société Aklyn le 23 mai 2003 ne répond pas davantage à la notion de connaissance et d'acceptation sans équivoque dès lors que la société DRB était celle au nom de laquelle étaient délivrées les factures, qu'il n'est là encore pas justifié d'une demande de régularisation des charges adressées au cours des années précédentes à la société DRB.

La délivrance du congé étant intervenue le 8 août 2003, seuls doivent être pris en considération les actes antérieurs à la délivrance de ce congé pour établir que le bailleur avait connaissance de la cession.

La lettre adressée par son avocat le 29 juillet 2003 à la société Aklyn dont se prévaut la société RCBT n'établit pas davantage qu'une cession de droit au bail serait intervenue entre Bouygues Télécom et DRB dès lors qu'elle fait simplement référence au fait que les quittances de loyer sont adressées à une société qui n'est pas partie au contrat de bail, celui-ci étant au nom de Bouygues Télécom ; cet élément peut même être interprété a contrario par le bailleur comme la confirmation que son locataire est bien Bouygues Télécom et non DRB, et c'est d'ailleurs exclusivement à la société Bouygues Télécom qu'a été délivré le congé sans que celle-ci, à cette occasion, juge bon de faire connaître la cession de droit au bail intervenue.

En outre, le bailleur était à cette date là la société Aklyn, la SCI [...] n'étant devenue propriétaire des murs que le 2 novembre 2005, sans qu'il soit justifié qu'il lui ait été indiqué à cette occasion qu'une cession du droit au bail était intervenue, ni sans que la SCI [...] ait accompli, postérieurement à l'acquisition des biens immobiliers, d'acte positif non équivoque prouvant son acceptation de la cession.

Il n'y a pas lieu dans ce contexte de prendre en considération les actes postérieurs au 8 août 2003 accomplis par la société Aklyn qui portaient sur la renégociation des conditions du bail auprès de la société DRB , et la gestion normale des suites de celui-ci (lettre du 1er octobre 2003 relative à l'indexation) ; l'information par la société DRB de son changement de dénomination au profit de RCBT et la mise en place, à sa demande, d'un virement bancaire au profit du bailleur pour le paiement des loyers ne constitue pas davantage l'expression dépourvue d'équivoque d'un changement de titulaire du bail, entre la société Bouygues Télécom et la société DRB en 1999 .

Au regard de ces éléments, il y a lieu de réformer le jugement, de dire que la cession du droit au bail sous forme d'apport en société par la société Bouygues Télécom à la société DRB est inopposable au bailleur la SCI [...], et de valider l'acte de rétractation partielle de congé notifié le 27 décembre 2006 à la société RCBT ; celle-ci devient en conséquence occupant sans droit ni titre et devient redevable d'une indemnité d'occupation.

Elle devra rendre les lieux libres de toute occupation et en bon état dans le délai de quatre mois suivant la signification du présent arrêt ; et n'y a pas lieu en l'état au prononcé d'une astreinte, au regard de la proposition de renouvellement du bail à compter du 1er mai 2009 adressée par la SCI 29 Porte Dijeaux dans le courant de l'année 2008, à une date non précisée, le procès verbal ne portant pas mention du jour et du mois de délivrance, à la société RCBT.

S'agissant du montant de l'indemnité d'occupation, il convient de rappeler que le loyer annuel était fixé le 31 juillet 1998 à la somme de 52 800 francs indexés soit 8 049,30€.

Lors de la signification du congé, l'offre de renouvellement était faite à un montant de loyer annuel de 24 000€ soit une multiplication par trois

Dans son mémoire introductif devant le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Bordeaux en date du 13 mars 2006, la SCI [...], qui était entre temps venue aux droits de la SCI Aklyn, proposait un loyer de 36 000€ par an à compter du présent mémoire et de 24 000€ auparavant, se fondant sur des locations similaires [...] dans la même portion de rue, sur la base de baux conclus en novembre 2002 à 860€ le m2 annuel (Foot Locker, N°20) en novembre 2002, et en février 2003 à 700€ le m2 annuel (Armand Thierry, N°51).

Dans ses conclusions devant la cour, la SCI [...] demande une indemnité d'occupation annuelle de 36 000€ soit 3 000€ par mois, ce qui constitue une nouvelle augmentation de 50% par rapport au loyer proposé en 2003.

Dans son offre de renouvellement du bail, certes conditionnée par la reconnaissance de l'opposabilité de la cession du droit au bail, que la cour ne reconnaît pas, la proposition de renouvellement est faite pour un loyer annuel de 45 000€ soit une nouvelle augmentation sensible.

Au vu de ces éléments de comparaison, qui permettent une évaluation de la valeur locative sur la base de laquelle doit être appréciée l'indemnité d'occupation, pour une surface de vente de 33m2 et une réserve de 13,30m2, il convient de fixer l'indemnité d'occupation à la somme de 2 500€ par mois, qui est, s'agissant d'une indemnité, exclusive de taxes.

Il est précisé que la société intimée ne formule aucune observation sur le montant de l'indemnité d'occupation réclamée par la SCI [...], et ne produit aucun élément d'appréciation, mais sur la proposition formulée en 2008 d'un renouvellement à compter du 1er mai 2009 dans l'hypothèse où la cour validerait l'offre de renouvellement, a accepté cette proposition ce dont elle demandait qui lui soit donné acte, ladite proposition étant formée à hauteur de 45 000€.

L'offre de congé avec renouvellement n'étant pas validée, il n'y pas lieu de statuer sur cette demande de la société RCBT.

Cette indemnité d'occupation n'est due qu'à compter du 2 novembre 2005, date à laquelle la SCI [...] est devenue propriétaire des murs.

Les dépens tant de première instance que d'appel seront mis à la charge de la société RCBT dont les prétentions sont rejetées.

Tenue aux dépens, celle-ci devra verser à la SCI [...] une somme de 2 500€ en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

LA COUR,

Reçoit en la forme la SCI [...] en son appel,

Au fond,

Réforme le jugement déféré,

Statuant à nouveau,

Dit que l'apport du droit au bail réalisé le 22 juillet 1999 par la société Bouygues Télécom au profit de la société Distribution réseau boutiques dont la nouvelle dénomination est société Réseau club Bouygues télécom est inopposable au bailleur, la SCI [...] venant aux droits de la SCI Aklyn valide l'acte de rétractation partielle du congé notifié le 27 décembre 2006 par la SCI [...] à la société Réseau club Bouygues télécom,

Dit que la société Réseau club Bouygues télécom est dès lors occupante sans droit ni titre,

Dit qu'elle devra rendre les lieux libres de toute occupation et en bon état au plus tard quatre mois après la signification du présent arrêt,

Dit n'y avoir lieu à astreinte,

Dit que la société Réseau club Bouygues télécom devra verser à la SCI [...] une indemnité mensuelle d'occupation de 2 500€ à compter du 2 novembre 2005 et sous déduction des sommes qui ont été payées,

Condamne la société Réseau club Bouygues télécom à verser à la SCI [...] une somme de 2 500€ en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Réseau club Bouygues télécom aux dépens tant de première instance que d'appel et en ordonne la distraction pour ceux d'appel, au profit de la SCP Gautier et Fonrouge, avoués, en application de l'article 699 du code de procédure civile.