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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 4 novembre 2015, n° 13/19574

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Sofonil (SCI), L'oxymore (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bartholin

Conseillers :

Mme Chokron, Mme Parant

TGI Paris, du 16 mai 2013, n° 11/05481

16 mai 2013

EXPOSE DU LITIGE

Par acte sous seing privé du 1er mars 2006, M F., aux droits duquel se trouve la société Sofonil, a donné à bail à la société C., aux droits de laquelle se trouve la société E., un local commercial situé [...] pour une durée de 10 ans à compter du 1er mars 2006, moyennant un loyer variable dont le pourcentage est fixé à 11% du chiffre d'affaires hors taxes, sans pouvoir être inférieur à la somme annuelle de 10 300 €, pour l'exercice d'une activité de restauration rapide.

En 2007, la SCI Sofonil est devenue propriétaire des murs ainsi donnés à bail.

Par acte conclu à une date discutée entre les parties, pour M. B., du 15 avril 2009, et pour la SCI Sofonil du 26 mars 2009, la société C. a cédé son fonds de commerce de restauration rapide à la société E. dont le gérant était M Azzouz B. et un avenant au bail a été régularisé le 19 mai 2009, entre la SCI Sofonil et le nouveau preneur, la société E..

Le 31 mars 2010, la société A2A, mandataire de la SCI Sofonil, était informée d'une promesse de cession de bail commercial intervenue entre la société E. et M Eric S., gérant de la société en formation L'Oxymore. Par courrier du 21 avril 2010, la SCI Sofonil a indiqué au séquestre du prix de vente, Me Layachi B., que, sous réserve que la société E. lui verse une somme de 7 518,50 € à titre de loyer variable pour l'année 2009, somme ramenée à 5 000 € à titre commercial, elle consentait à la cession du fonds.

Par acte du 3 août 2010, la société E. a régularisé la cession de son fonds de commerce à la société l'Oxymore.

Après plusieurs courriers, par lettres recommandées du 9 novembre 2010 dont rappel a été fait par lettre simple, le 1er décembre 2010, la société A2A a mis en demeure les sociétés E. et L'Oxymore de lui régler la somme de 7 518, 50 €.

Sans réponse, la SCI Sofonil a alors assigné la société E., M Azzouz B., la société L'Oxymore et Me Layachi B., devant le tribunal de grande instance de Paris.

Par jugement du 16 mai 2013, le tribunal de grande instance de Paris a :

- dit que la cession du fonds de commerce intervenue le 3 août 2010 entre la société E. et la société L'Oxymore est inopposable à la SCI Sofonil,

- prononcé la résiliation judiciaire du bail commercial du 1er mars 2006 liant la SCI Sofonil et la société E. aux torts de la société E.,

- condamné solidairement la société E. et son gérant, M Azzouz B., à payer à la SCI Sofonil le loyer commercial, dans sa part fixe d'un montant annuel de 10 3000 € hors taxes, et, dans sa part variable, à hauteur de 11% du chiffre d'affaires hors taxes, jusqu'au prononcé du présent jugement,

- ordonné l'expulsion de la société E. et de tous occupants de son chef, et notamment la SARL L'Oxymore, au besoin avec l'assistance du commissaire de police et de la force publique des lieux concernés,

- autorisé la SCI Sofonil à faire séquestrer les objets mobiliers trouvés dans les lieux dans tel garde-meubles ou réserves qu'il lui plaira, aux frais, risques et périls de la société E.,

- fixé l'indemnité d'occupation au montant du loyer contractuel et des charges à compter de la résiliation du bail et jusqu'à la reprise effective des lieux,

- déclaré le jugement opposable à M. Layachi B., pris en qualité de séquestre et à la société L'Oxymore,

- débouté la société E. de l'ensemble de ses demandes,

-débouté la SCI Sofonil du surplus de ses demandes,

- ordonné l'exécution provisoire,

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné solidairement la société E. et M. B. aux entiers dépens, dont distraction.

M Azzouz B. a relevé appel de ce jugement le 11 octobre 2013 contre la SCI Sofonil.

La SCI Sofonil a assigné aux fins d'appel provoqué :

- par exploit du 28 mars 2014, la société L'Oxymore, à domicile, qui n'a pas constitué avocat,

- par exploit du 1er avril 2015, la société E., conformément à l'article 659 du code de procédure civile qui n'a pas constitué avocat,

- par exploit du 26 mars 2014, Me Layachi B. qui a constitué avocat et a conclu.

Le présent arrêt sera rendu par défaut en application de l'article 474 du code de procédure civile.

Par ses dernières conclusions du 16 juin 2015, M. B. demande à la cour, au visa des articles 1134 et 2288 du code civil et des articles L 341-2 et L 341-3 du code de la consommation, de :

-infirmer dans toutes ses dispositions le jugement rendu entre les parties le 16 mai 2013 par le tribunal de grande instance de Paris,

- prononcer sa mise hors de cause,

- dire et juger qu'aucune somme n'était due à la SCI Sofonil par la société E.,

- débouter la SCI Sofonil de toutes ses demandes,

- condamner la SCI Sofonil à payer à Monsieur B. la somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile,

- condamner la SCI Sofonil à payer à Monsieur B. la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la SCI Sofonil aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Par dernières conclusions du 5 mars 2014, la SCI Sofonil demande à la cour, au visa des articles 1147, 1184, 1382 et 1741 du code civil, de :

-rejeter l'appel de M B. comme étant totalement infondé,

A titre principal,

- confirmer le jugement du 16 mai 2013, à l'exception de ses dispositions relatives aux demandes dirigées contre Maître B.,

A titre subsidiaire,

- condamner solidairement la société E. et Monsieur Azzouz B. à lui payer la part variable du loyer due à la date du 3 août 2010, soit la somme de 5 666,98 €,

En tout état de cause,

- recevoir l'appel provoqué de la SCI Sofonil à l'encontre de Maître Layachi B.,

- infirmer le jugement entrepris en ses dispositions sur la responsabilité de Maître B.,

- dire et juger que la responsabilité de Maître Layachi B. est engagée en sa qualité de rédacteur d'acte et de séquestre à l'égard de la SCI Sofonil,

- condamner solidairement Maître B., la société E. et M. B. à lui payer la part variable du loyer due à la date du 3 août 2010, soit la somme de 5 666,98 €,

- condamner M. B. à lui payer la somme de 5 000 € en application de l'article 32-1 du code de procédure civile,

- condamner M. B. à lui la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens, avec distraction.

Par dernières conclusions du 22 mai 2014, Maître Layachi B. demande à la cour de :

- déclarer irrecevables et mal fondées les demandes de la SCI Sofonil,

- dire et juger que Me Layachi B. n'a commis aucune faute susceptible d'engager sa responsabilité civile professionnelle à l'encontre de la société Sofonil,

- dire et juger qu'il n'existe aucun lien de causalité entre les fautes reprochées à Me B. et le non paiement éventuel de la part variable du loyer due par la société E. et que ce défaut éventuel de paiement qui n'a aucun caractère certain ne saurait constituer un préjudice indemnisable,

- débouter en conséquence la société Sofonil de toutes ses demandes,

- condamner la société Sofonil à lui payer la somme de 7 200 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux entiers dépens, avec distraction.

MOTIFS

La recevabilité de l'appel provoqué diligenté par la SCI Sofonil à l'encontre de M.B. n'est pas discutée de sorte que cet appel sera déclaré recevable conformément à la demande de la SCI Sofonil.

Sur l'obligation à paiement des loyers par la société E. et par M. B., sur le prononcé de la résiliation du bail et l'inopposabilité de la cession du fonds de commerce à la SCI Sofonil

M. B. soutient que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, au moment de la cession du fonds de commerce par la société E., aucune somme n'était due par cette dernière ; qu'en effet, le bail prévoyait le paiement d'un loyer variable calculé en fonction du chiffre d'affaires avec un minimum garanti de 10 300 €, et nullement d'un cumul entre le loyer variable et un loyer fixe ; que la société E. s'est toujours acquittée du paiement du loyer mensuel de 1 083, 71 € et qu'elle était à jour de ses loyers, ce qui se déduit de l'absence de demande de paiement d'un quelconque arriéré avant la cession du 3 août 2010 ; que la société E. qui n'a exploité le fonds que du 15 avril 2009 au 3 août 2010 a réalisé des chiffres d'affaires limités qui expliquent qu'a été réglé le loyer minimum garanti.

Il ajoute qu'il n'est, en tout état de cause, tenu, à titre personnel, d'aucune somme ; qu'il n'a pris aucun engagement personnel de paiement lors de la prise à bail ; qu'il était le gérant de la société E., seule locataire des locaux ; que seul un engagement de caution pourrait le rendre débiteur à l'égard du bailleur et qu'il n'a jamais souscrit un tel engagement, lequel ne se présume pas et serait nul pour défaut de respect des articles L 341-2 et 3 du code de la consommation ; qu'il ne peut pas plus être tenu personnellement au titre des engagements pris par le cédant du fonds de commerce.

La SCI Sofonil prétend que, comme l'a justement décidé le tribunal, la cession du fonds de commerce intervenue entre la société E. et la société L'Oxymore lui est inopposable, faute du paiement par la société E. de la part variable du loyer, cette condition ayant été clairement posée par le bailleur pour agréer la cession ; que M. B. est, conformément à l'article 22 du contrat de bail, solidairement responsable de la dette locative de la société E. ; qu'il s'est engagé personnellement au paiement des loyers lors de l'acquisition du fonds de commerce de la société C. le 26 mars 2009, peu important l'immatriculation postérieure de la société E. au registre du commerce et des sociétés ; que l'engagement à paiement de M. B. n'est pas régi par les articles L 341 - 1 et 2 du code de la consommation, la SCI Sofonil n'étant pas un créancier professionnel au sens de ces articles ; qu'en qualité de commerçant, M. B., gérant de la société E., est solidaire des engagements pris par la société qu'il gérait.

À titre subsidiaire, elle demande que la société E. et M. B. soient condamnés au paiement de la somme de 5 666, 98 € correspondant à la part variable de loyer sur chiffre d'affaires calculée sur la base du chiffre d'affaires réalisé par la société E..

Sur ce,

Le bail du 1er mars 2006 précise en sa page 3 sous la rubrique ' loyer ' :

a) pourcentage sur le chiffre d'affaires

Le présent bail est consenti et accepté moyennant un loyer annuel hors taxes dont le montant sera égal à un pourcentage du chiffre d'affaires annuel ( année civile ) réalisé par le preneur dans les lieux loués ...ce pourcentage est fixé sous le e - 2.

b) loyer minimum garanti

le loyer annuel déterminé dans les conditions prévues ci - dessus ne pourra cependant en aucun cas être inférieur à un montant hors taxes fixé ci - après ...

Ce loyer minimum garanti est fixé sous le e -1.

En page 5 :

e) spécification du loyer

1 - loyer de base

Le loyer annuel de base hors taxes est fixé à la somme de dix mille trois cents euros ( 10 300 euros )

2 - loyer variable

Le pourcentage est fixé à 11 % du chiffre d'affaires hors taxes.

Le bail prévoyait ensuite, à la rubrique f, que ce loyer serait payé en quatre termes égaux les 1ers mars, juin, septembre et décembre et, par avenant du 7 décembre 2007, les parties ont modifié le ' f ' du bail en convenant d'un paiement du loyer en 12 termes égaux le premier de chaque mois, cette modification prenant effet le 1er janvier 2008.

Contrairement à ce que soutient la SCI Sofonil, le bail prévoit clairement le principe d'un loyer variable, fonction du chiffre d'affaires réalisé par le preneur et d'un loyer annuel garanti ne pouvant être en aucun cas inférieur à la somme de 10 300 €. Le loyer minimum garanti renvoie expressément au loyer calculé sur le chiffre d'affaires, la clause relative au loyer minimum garanti contenant un renvoi au loyer annuel déterminé dans les conditions prévues ci - dessus de sorte qu'il ne peut être soutenu qu'il s'ajoute au loyer calculé sur le chiffre d'affaires mais que son montant dépend expressément du montant du loyer fixé par pourcentage sur le chiffre d'affaires.

Les principes de fixation du loyer variable et minimum garanti figurent à la page 3 du bail et, par renvoi exprès aux article e1 et e2, à la page 5, sont déterminés le montant du loyer de base, à savoir 10 300 € par an, et le pourcentage du chiffre d'affaires, à savoir 11 % du chiffre d'affaires hors taxes.

En aucun cas, le bail ne prévoit, comme le prétend la SCI Sofonil, le paiement cumulatif d'un loyer minimum et d'un loyer variable de 11 % du chiffre d'affaires et c'est d'ailleurs ainsi que les parties ont exécuté ledit contrat, la société E. s'acquittant par mensualités constantes du loyer minimum garanti, aucune régularisation n'étant intervenue fin 2009, le pourcentage de 11 % sur son chiffre d'affaires étant inférieur au montant du loyer annuel minimum garanti .

M. B. est bien fondé à voir dire et juger que, lors de la cession du fonds de commerce de la société E. à la société L'Oxymore intervenue le 3 août 2010, la société E. qui s'était acquittée du loyer minimum garanti envers son bailleur ne devait plus aucun loyer à la SCI Sofonil. La SCI Sofonil n'était pas fondée à conditionner le 21 avril 2010 son accord à la cession au paiement par la société E. du loyer variable de l'année 2009, alors que la société E. s'était déjà acquittée du paiement du loyer prévu au bail.

Le jugement entrepris qui a déclaré la cession du 3 août 2010 inopposable à la SCI Sofonil sera infirmé ainsi que les conséquences tirées par le tribunal du défaut de paiement de la part variable du loyer, à savoir le prononcé de la résiliation du bail aux torts de la société E., l'expulsion et la séquestration de meubles, la fixation d'une indemnité d'occupation ainsi que la condamnation solidaire de la société E. et de M. B. à payer la part variable de loyer, M. B. ne pouvant être condamné à garantir le paiement d'une dette de loyer inexistante.

Sur les demandes formées contre Me B.

La SCI Sofonil sollicite la condamnation à paiement de Me B. qui a, selon elle, engagé sa responsabilité d'avocat rédacteur de l'acte de cession, d'une part, en ne lui versant pas, après la cession du 3 août 2010, le montant du loyer variable dû par la cédante, et, d'autre part, en régularisant l'acte de cession malgré l'absence de réalisation de la condition de paiement qu'elle avait expressément posée dans son courrier du 21 avril 2010.

Me B. rappelle que, n'étant pas le mandataire de la SCI Sofonil, cette dernière doit rapporter la preuve d'une faute quasi - délictuelle qu'il aurait commise, ce qui n'est nullement le cas ; en qualité de séquestre, il n'a pas obtenu l'accord de la société E. au paiement de la part variable de loyer sollicitée et s'est contenté de répondre au mandataire de la société SCI Sofonil que la créance de cette dernière était préservée, ce qui ne constitue pas un engagement de paiement. Il a parfaitement rempli sa mission de séquestre en respectant le mandat confié par les parties à la cession et ne peut être tenu de réparer un préjudice inexistant.

Sur ce,

Me B. fait justement valoir que la SCI Sofonil étant tiers au mandat de rédaction d'acte de cession et de séquestre confié à lui par les parties à la cession du fonds du 3 août 2010, la SCI Sofonil ne peut engager sa responsabilité que sur un fondement délictuel ou quasi-délictuel et, force est de constater que la preuve d'une faute n'est pas rapportée : Me B., en sa qualité de séquestre, a, conformément à sa mission, pris note de la demande de paiement de loyer de la SCI Sofonil et il vient d'être jugé que cette demande était injustifiée ; au surplus, le bailleur ne peut faire valoir aucune irrégularité lors de la signature de l'acte de cession puisque la seule condition posée par lui, à savoir le paiement par la société E. de la part variable du loyer était sans objet.

La SCI Sofonil sera déboutée de sa demande en paiement de la somme de 5 666, 98 € à titre de dommages et intérêts formée contre Maître B. par infirmation du jugement déféré qui avait dit n'y avoir lieu à statuer sur la responsabilité de Maître B..

Sur le surplus des demandes

Les conditions d'application de l'article 32 - 1 du code de procédure civile ne sont pas réunies à défaut de preuve du caractère abusif de l'action de la SCI Sofonil et de l'appel de M. B., ce qui conduit à rejeter les demandes de dommages et intérêts formées par M. B. et la SCI Sofonil sur le fondement de ce texte.

Le jugement entrepris sera également infirmé sur l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens et la SCI Sofonil sera condamnée à payer à M. B. la somme de 5 000 € au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel et à Me B. la somme de 3 500 € du même chef.

Elle sera également condamnée aux entiers dépens.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et, statuant à nouveau,

Déboute la SCI Sofonil de toutes ses demandes à l'encontre de la société E. et de M. Azzouz B. et dit et juge que la cession de fonds de commerce intervenue entre la société E. et la société L'Oxymore est opposable à la SCI Sofonil,

Déboute la SCI Sofonil de sa demande de prononcé de la résiliation du bail liant la SCI Sofonil et la société E. et de ses demandes accessoires d'expulsion, de séquestration des meubles, et de fixation de l'indemnité d'occupation,

Déboute la SCI Sofonil de toutes ses demandes dirigées contre Me Layachi B.,

Condamne la SCI Sofonil à payer à M. B. la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à Me B. la somme de 3 500 € sur le même fondement,

Rejette les demandes d'application de l'article 32 - 1 du code de procédure civile,

Condamne la SCI Sofonil aux dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.