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Décisions

CA Versailles, 12e ch., 2 juin 2022, n° 20/05558

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Agence De L'hotel De Ville (SAS)

Défendeur :

Bass (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Thomas

Conseillers :

Mme Muller, M. Dusausoy

Avocats :

Me Gontard, Me Placktor, Me Pichon, Me Berthault

TJ Versailles, 3e ch., du 29 oct. 2020, …

29 octobre 2020

EXPOSE DU LITIGE

Le 28 septembre 2007, M. [Y] [U], aux droits duquel est venue la société SCI Bass, (la société Bass) a donné à bail commercial à la société Gefimo des locaux (rez-de-chaussée : 63m2 ; sous-sol : 63,50 m2) dépendants d'un ensemble immobilier situé à [Adresse 5], pour une durée de neuf années à compter du 1er octobre 2007 et moyennant Ie règlement d'un loyer annuel en principal de 12.000 euros, afin d'y exercer une activité d'agence immobilière et toute activité attachée à l'immobilier.

Le 31 août 2010, la société Gefimo a cédé son fonds de commerce à la société Janot immobilier.

Le 29 mai 2015, la société Bass a donné congé sans offre de renouvellement avec paiement d'une indemnité d'éviction, à la société Janot immobilier à effet du 30 septembre 2016.

Le 3 novembre 2015, la société Janot immobilier a cédé son fonds de commerce à la société l'Agence de l'hôtel de ville.

Le 29 septembre 2016, la société Bass a signifié à la société l'Agence de l'hôtel de ville l'exercice de son droit de repentir, avec offre de renouvellement de bail.

Le même jour, la société l'Agence de l'hôtel de ville a fait dresser par huissier un état des lieux de sortie non contradictoire.

Le 15 février 2017, la société Bass a signifié à la société l'Agence de l'hôtel de ville un commandement de payer la somme de 7.530,52 euros en principal, visant la clause résolutoire du bail du fait du non paiement du loyer à compter du renouvellement du bail.

Le 10 mai 2017, la société Bass a assigné en référé la société l'Agence de l'hôtel de ville devant le président du tribunal de grande instance de Versailles en constatation de l'acquisition de la clause résolutoire du bail et expulsion.

Par ordonnance du 3 octobre 2017, Ie juge des référés s'est déclaré incompétent pour statuer tant sur la validité du droit de repentir signifié par la bailleresse le 29 septembre 2016 et contesté par la société Agence de l'Hôtel de ville, que sur la demande reconventionnelle de cette dernière tendant à la désignation d'un expert pour chiffrer l'indemnité d'éviction.

Par acte du 6 décembre 2017, la société l'Agence de l'hôtel de ville a assigné la société Bass devant le tribunal de grande instance de Versailles aux fins de restitution du dépôt de garantie et paiement d'une indemnité d'éviction.

Par jugement 16 novembre 2018, ce tribunal a :

- Dit que Ie droit de repentir en date du 29 septembre 2016 n'a pas été valablement exercé par la société Bass ;

- Condamné la société Bass à payer à la société l'Agence de l'hôtel de ville la somme de 3.258,39 euros au titre de la restitution du dépôt de garantie ;

- Dit que la société Bass est redevable d'une indemnité d'éviction ;

Avant dire droit sur la fixation de I'indemnité d'éviction :

- Ordonné une expertise confiée à M. [F] [C] ;

- Sursis à statuer sur toutes autres demandes et dit que la procédure serait radiée dans I'attente du dépôt de son rapport par I'expert.

Il n'a pas été interjeté appel de ce jugement qui est donc définitif.

Aux termes de son rapport du 18 juin 2019, I'expert a proposé que I'indemnité d'éviction soit fixée à la somme de 17.000 euros dont 12.000 euros d'indemnité principale consécutive à la perte du droit au bail.

Par jugement du 29 octobre 2020, le tribunal judiciaire de Versailles a :

- Fixé I'indemnité d'éviction due par la société Bass à la société l'Agence de l'hôtel de ville, comme suit :

- indemnité principale : néant ;

- frais de réinstallation : 830 euros hors taxes, sur production de la facture acquittée à la société IRT ingénierie ;

- indemnité pour trouble commercial : 1.500 euros ;

- Condamné la société Bass à payer à la société l'Agence de l'hôtel de ville, cette indemnité d'éviction ;

- Condamné la société Bass aux dépens de I'instance, en ce compris les honoraires d'expertise et dit qu'ils pourront être recouvrés par Me [E] [T] dans les conditions fixées par l'article 699 du code de procédure civile ;

- Dit que chacune des parties conservera la charge des frais irrépétibles qu'elle a exposés pour faire valoir ses droits en application de I'article 700 du code de procédure civile ;

- Débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

- Ordonné I'exécution provisoire.

Par déclaration du 12 novembre 2020, la société l'Agence de l'hôtel de ville a interjeté appel limité du jugement.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 12 janvier 2022, la société l'Agence de l'hôtel de ville demande à la cour :

- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- Débouté la société l'Agence de l'hôtel de ville du surplus de ses demandes;

- Fixé à néant le montant de l'indemnité principale d'éviction ;

- Fixé à néant le montant des frais de remploi ;

- Fixé à néant le montant des frais de déménagement ;

- Fixé à néant le montant de la perte de clientèle ;

- Dit que chacune des parties conservera la charge de ses frais irrépétibles exposés en application de l'article 700 ;

- de le confirmer en ce qu'il a condamné la société Bass à payer à la société l'Agence de l'hôtel de ville :

- La somme de 830 euros hors taxes, soit 996 euros toutes taxes comprises, au titre des frais de réinstallation ;

- La somme de 1.500 euros à titre d'indemnité pour trouble commercial ;

Statuant à nouveau,

- Dire et juger la société l'Agence de l'hôtel de ville bien fondée en ses demandes, fins et prétention ;

En conséquence,

- Condamner la société Bass à payer à la société l'Agence de l'hôtel de ville les sommes suivantes :

- Perte du droit au bail : 12.000 euros ;

- Frais de remploi : [pas de montant indiqué];

- Frais de réinstallation : 830 euros hors taxes, soit 996 euros toutes taxes comprises ;

- Frais de déménagement : 890 euros hors taxes, soit 1.068 euros toutes taxes comprises ;

- Perte de clientèle : 1.800 euros ;

- Trouble commercial : 1.500 euros ;

soit la somme totale de 17.364 euros au titre de l'indemnité d'éviction ;

En toute hypothèse,

- Condamner la société Bass à payer à la société l'Agence de l'hôtel de ville la somme de 6.000 euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile;

- Condamner la société Bass à payer la société l'Agence de l'hôtel de ville les entiers dépens.

Par dernières conclusions notifiées le 2 février 2022, la société Bass demande à la cour de:

- Débouter la société l'Agence de l'hôtel de ville de son appel ;

- Dire et juger que la société l'Agence de l'hôtel de ville ne peut prétendre au paiement d'une indemnité d'éviction fondée sur un différentiel de loyer ;

- Confirmer le jugement en ce qu'il a fixé à 2.320 euros le montant des indemnités accessoires dues à la société l'Agence de l'hôtel de ville sous réserves de la production de la facture acquittée de la société IRT ingénierie ;

- Condamner la société l'Agence de l'hôtel de ville à payer à la société Bass une indemnité de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- La condamner aux dépens d'appel.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 10 février 2022.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Par jugement 16 novembre 2018, dont il n'a pas été interjeté appel, les premiers juges ont notamment dit que Ie droit de repentir n'avait pas été valablement exercé par la société Bass. Ils ont condamné la société Bass à payer à la société l'Agence de l'hôtel de ville la somme de 3.258,39 euros au titre de la restitution du dépôt de garantie. Enfin ils ont dit que la société Bass était redevable d'une indemnité d'éviction.

Il en résulte que devant la présente cour, saisie de l'appel du second jugement du 29 octobre 2020, seuls sont en débat le quantum de l'indemnité d'éviction, principale et accessoire, ainsi que les dépens et l'indemnité de procédure.

Sur le montant de l'indemnité d'éviction

Selon les dispositions de l'article L. 145-14 du code de commerce, le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé, une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement. Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.

Celui qui réclame le paiement de l'indemnité d'éviction doit justifier de son bien fondé et du montant des sommes réclamées.

L'indemnité d'éviction se compose d'une indemnité dite 'principale' correspondant à la valeur marchande du fonds de commerce et éventuellement d'indemnités 'accessoires' (ex : frais de déménagement et de réinstallation).

*

Dans son rapport du 18 juin 2019, l'expert judiciaire désigné par le tribunal a fixé l'indemnité d'éviction à la somme arrondie de 17.000 euros, selon la ventilation suivante :

- perte du droit au bail : 12.000 euros ;

- frais de remploi : non reconnu ;

- frais de réinstallation : 830 euros ;

- frais de déménagement (sous réserve de la facture) : 890 euros ;

- perte de clientèle : 1.800 euros ;

- trouble commercial : 1.500 euros.

Le jugement n'a retenu que les frais de réinstallation pour 830 euros HT sur justificatif d'une facture acquittée et l'indemnité pour trouble commercial de 1.500 euros.

Pour écarter l'indemnité de perte du droit au bail, les premiers juges ont retenu le principe d'une indemnité de transfert calculée selon la valeur du droit au bail puisque le preneur a pu transférer son activité dans une seconde agence acquise concomitamment et située également à [Localité 4]. Ils ont retenu que, dans l'hypothèse d'un transfert de l'activité, l'indemnité principale était déterminée sur la base de la valeur du droit au bail qui résulte de la différence entre le montant de la valeur locative de marché et le loyer qui aurait été perçu si le bail avait été renouvelé, cette différence étant elle même affectée d'un coefficient multiplicateur. Ils ont, enfin, jugé que les locaux étaient à usage de bureaux de sorte que le loyer en renouvellement des locaux à usage de bureaux n'était pas soumis à la règle du plafonnement, et, en conséquence, il devait être fixé à la valeur locative de marché, conduisant à une valeur nulle du droit au bail. La motivation du jugement s'est fondée sur les dispositions de l'article R. 145-11 du code de commerce qui prévoit que 'le prix du bail des locaux à usage exclusif de bureaux est fixé par référence aux prix pratiqués pour des locaux équivalents, sauf à être corrigés en considération des différences constatées entre le local loué et les locaux de référence. Les dispositions des deuxième et troisième alinéas de l'article R. 145-7 sont en ce cas applicables.'.

*

Sur l'indemnité principale : la valeur du droit au bail 

Il n'est pas contesté que le preneur a pu transférer son activité en un autre lieu ([Adresse 2]) de sorte que l'indemnité principale doit être appréciée selon la valeur du droit au bail (également appelée valeur de déplacement) et non à la valeur de remplacement du fonds de commerce.

La société l'Agence de l'hôtel de ville critique les premiers juges d'avoir considéré que les lieux loués étaient à usage de bureaux pour conférer une valeur nulle au droit au bail alors qu'il s'agit de locaux commerciaux. Elle sollicite de la cour qu'elle fixe à 12.000 euros cette indemnité telle que l'expert l'a évaluée.

La société Bass soutient que les locaux litigieux relèvent de la catégorie des locaux à usage de bureaux dès lors que l'activité qui y est exercée ne comporte ni dépôt, ni livraison de marchandises. Elle sollicite la confirmation du jugement qui a considéré que la valeur du droit au bail était nulle.

*

Sur l'usage des locaux litigieux

L'article R. 145-5 du code de commerce stipule que 'La destination des lieux est celle autorisée par le bail et ses avenants ou par le tribunal dans les cas prévus aux articles L. 145-47 à L. 145-55 et L. 642-7.'.

La clause de destination du bail ('II DESTINATION DES LOCAUX') est ainsi  rédigée : 'Les locaux à usage commercial, objet du présent bail, sont exclusivement destinés à l'activité visée ci-après : ACTIVITÉ AUTORISÉE : AGENCE IMMOBILIÈRE ET TOUTE ACTIVITÉ ATTACHÉE A L'IMMOBILIER.'.

L'activité autorisée, ici exclusive, d'agence immobilière relève de prestations intellectuelles sans dépôt de marchandises de sorte que les locaux litigieux doivent être considérés comme des locaux à usage de bureaux. En effet, l'Agence de l'Hôtel de ville n'explique pas en quoi la précision 'toute activité attachée à l'immobilier' conduirait nécessairement à permettre l'exercice d'une activité ne relevant pas de prestations intellectuelles sans dépôt de marchandises.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu que les locaux litigieux étaient à usage de bureaux.

Sur le quantum de l'indemnité d'éviction

L'expert a proposé une évaluation de la valeur du droit au bail à 12.000 euros, par la différence, sur une année, entre la valeur locative de marché des locaux, fixée par ses soins à 18.000 euros et la valeur locative de renouvellement, retenue pour 14.000 euros, à laquelle il a appliqué un coefficient de commercialité de 3.

Toutefois, comme les premiers juges l'ont relevé, il est constant que le loyer des locaux à usage de bureaux échappe à la règle du plafonnement et qu'il est fixé à la valeur locative, par référence au prix du marché pour des locaux équivalents, corrigé le cas échéant pour tenir compte des éventuelles différences de situation ou consistance avec les locaux loués.

En l'espèce, les locaux litigieux étant à usage de bureaux, le loyer renouvelé aurait été fixé à la valeur locative ainsi il n'y aurait pas eu de différence entre le loyer renouvelé et la valeur locative de sorte que la valeur du droit au bail est nulle.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il n'a donné aucune valeur à l'indemnité principale d'éviction.

Sur les indemnités accessoires sollicitées : frais de réinstallation ; de  déménagement ; la perte de clientèle : le trouble commercial

Dans son rapport l'expert avait proposé les valeurs d'indemnités accessoires suivantes:

- frais de réinstallation : 830 euros ;

- frais de déménagement : 890 euros ;

- perte de clientèle : 1.800 euros ;

- trouble commercial : 1.500 euros.

Les parties se sont accordées sur la somme de 1.500 euros pour le trouble commercial et celle de 830 euros pour les frais de réinstallation, sous réserve de production de la facture correspondante précise le bailleur. En revanche elles se sont opposées sur l'indemnité de perte de clientèle et les frais de déménagement.

Le jugement n'a retenu que les frais de réinstallation (830 euros) et le trouble commercial (1.500 euros) et a débouté la société l'Agence de l'hôtel de ville de ses autres demandes au titre des indemnités accessoires.

La société l'Agence de l'hôtel de ville sollicite la somme de 890 euros HT au titre des frais de déménagement. Toutefois elle ne produit qu'un devis de la société Alpha Net non signé de sorte qu'elle ne rapporte pas la preuve d'avoir supporté ce coût.

La société l'Agence de l'hôtel de ville sollicite également la somme de 1.800 euros au titre de la perte de clientèle en reprenant la proposition de l'expert qui toutefois précise que celle-ci est formulée 'sous réserve de l'absence de local de réinstallation rue [G] [K]'. L'expert a, en effet, constaté que des locaux étaient disponibles dans la rue même où se situaient les locaux loués litigieux.

La société l'Agence de l'hôtel de ville ne fournit aucun élément susceptible de lever la réserve émise par l'expert et permettant de justifier sa demande.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de la société l'Agence de l'hôtel de ville au titre de l'indemnité de perte de clientèle et de déménagement.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera confirmé sur les dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

La société Agence de l'Hôtel de Ville supportera la charge des dépens d'appel.

Chacune des parties supportera la charge des frais irrépétibles qu'elle a exposés en cause d'appel pour faire valoir ses droits en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement du tribunal de grande instance de Versailles du 29 octobre 2020 en ses dispositions frappées d'appel

REJETTE toutes autres demandes,

Y ajoutant

DIT que la société Agence de l'Hôtel de Ville supportera les dépens d'appel.