CA Bordeaux, ch. com., 28 septembre 2022, n° 20/04138
BORDEAUX
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
PHP (SARL)
Défendeur :
Pebeyre (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pignon
Conseillers :
Mme Fabry, Mme Goumilloux
Avocats :
Me Visseron, Me Monroux
EXPOSE DU LITIGE
Par acte notarié du 30 juin 2006, la SCI Pebeyre a consenti un bail commercial d'une durée de neuf ans à effet au 1er juillet 2006 à la société Le Pétrin du Cap, aux droits de laquelle est venue le 27 avril 2012 la société PHP, portant sur des locaux mixtes (local commercial au rez-de-chaussée et appartement à usage d'habitation à l'étage) situés dans un immeuble au [Adresse 2] (33) , aux fins que celle-ci y exerce une activité de 'boulangerie-viennoiserie-patisserie' (et accessoirement de vins et produits de petit déjeuner). Le loyer annuel a été fixé au montant de 27 444 euros par an hors droits, charges et taxes.
Par acte du 29 décembre 2014, le bailleur a notifié au preneur un congé avec offre de renouvellement du bail à compter du 1er juillet 2015 aux conditions antérieures sauf à voir le loyer déplafonné pour être porté à la somme de 60 000 euros par an.
Le preneur a accepté le renouvellement du bail mais a contesté le déplafonnement du loyer.
Par décision du 14 novembre 2018, rendue à la requête du bailleur, le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Bordeaux a ordonné une expertise.
L'expert judiciaire a déposé son rapport le 15 novembre 2019, aux termes duquel il évalue la valeur locative des lieux à la somme annuelle de 45 110 euros HT et HC et la valeur du loyer renouvelé plafonné à la somme de 31 851,60 euros HT et HC.
Par jugement contradictoire du 16 septembre 2020, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :
- fixé le prix du loyer du bail renouvelé à effet du 1er juillet 2015 à la somme annuelle de 45 110 euros, hors taxes et hors charges,
- rappelé que les intérêts couraient de plein droit au taux légal entre le loyer réglé et le loyer judiciairement fixé en fonction des échéances contractuelles à compter du 7 mars 2018,
- ordonné la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 ancien, devenu l'article 1343-2, du code civil,
- débouté les parties des autres chefs de leur demande,
- condamné la société PHP à payer les dépens dont les frais d'expertise judiciaire et dit que chaque partie conservera sa charge les frais engagés non compris dans les dépens,
- ordonné l'exécution provisoire de la décision.
Par déclaration du 2 novembre 2020, la société PHP a interjeté appel de cette décision énumérant expressément les chefs critiqués et intimant la SCI Pebeyre.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières écritures notifiées par RPVA le 22 janvier 2021, auxquelles la cour se réfère expressément, la société PHP demande à la cour de :
- déclarer la société PHP recevable et bien fondée en son appel,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fixé le prix du loyer du bail renouvelé à effet du 1er juillet 2015 à la valeur locative,
- fixer le montant du loyer renouvelé au prix du loyer plafonné de 31 851,60 euros HT et HC par an à compter du 1er juillet 2015,
- subsidiairement, si la Cour estimait devoir fixer le prix du loyer du bail renouvelé à la valeur locative,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fixé le prix du loyer du bail renouvelé à effet du 1er juillet 2015 à la somme annuelle de 45111 euros HT et HC,
- fixer le prix du loyer du bail renouvelé à effet du 1er juillet 2015 à la somme annuelle de 36 000 euros HT et HC,
- en toute hypothèse,
- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a ordonné la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 ancien, devenu l'article 1343-2 du Code civil,
- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société PHP aux dépens dont les frais d'expertise judiciaire,
- y ajoutant,
- condamner la société Pebeyre au paiement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens de procédure,
La société PHP soutient en substance qu'il n'y a pas eu de modification notable des facteurs locaux de commercialité contrairement à ce qui a été retenu par l'expert judiciaire et le premier juge; que la hausse de la population de la commune de [Localité 4] ne concerne pas le village du [Localité 4] dans lequel se situe la boulangerie, qui reste dédié aux résidences secondaires et a ainsi une activité strictement saisonnière; que la saison touristique ne s'est pas allongée; que la renommée du [Localité 4] est bien antérieure à la conclusion du bail et que seule une médiatisation des lieux est intervenue depuis; que la hausse du chiffre d'affaires de la boulangerie coïncide avec la cession du fonds de commerce en 2012; que le volume fournisseur en farine reste stable ce qui démontre l'absence de toute augmentation de la production; que la modification des facteurs locaux de commercialité doit se faire in concreto en fonction de l'intérêt que représente cette évolution pour le commerce considéré; qu'en l'espèce, il n'est pas justifié de l'existence d'une modification des facteurs locaux de commercialité ayant eu un impact favorable sur l'activité de la boulangerie.
A titre subsidiaire, l'appelante conteste la valeur locative retenue par le tribunal qui selon elle doit être fixée à 150 euros le m² compte tenu de l'état des locaux pour la partie commerciale, la surface à retenir devant être en outre de 179,37 m² au lieu de 186,6 m². Concernant l'appartement, la valeur locative ne peut selon elle être fixée au-delà de 9000 euros par an.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées par RPVA le 22 avril 2021, auxquelles la cour se réfère expressément, la SCI Pebeyre demande à la cour de :
- déclarer recevable et mal fondé l'appel interjeté par la société Php,
- en conséquence,
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- débouter la société Php de toutes ses demandes,
- condamner la société Php à verser à la SCI Pebeyre une indemnité de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Php aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire sur le fondement de l'article 696 du code de procédure civile.
La SCI Pebeyre soutient qu'il existe une modification notable des facteurs locaux de commercialité justifiant un déplafonnement du loyer commercial, à savoir une augmentation de la population de la commune, une augmentation de l'activité économique, une envolée de l'attrait touristique et une hausse du chiffre d'affaires du preneur, ces modifications présentant un intérêt pour le commerce considéré.
Elle demande à la cour de confirmer le calcul de la valeur locative retenue par le premier juge sur la base du rapport d'expertise judiciaire.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 8 juin 2022 et le dossier a été fixé à l'audience du 29 juin 2022.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées.
MOTIFS DE LA DECISION
1) sur la modification notable des facteurs locaux de commercialité :
Aux termes de l'article L. 145-33 du code de commerce, le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative.
A défaut d'accord, cette valeur est déterminée d'après :
1 Les caractéristiques du local considéré ;
2 La destination des lieux ;
3 Les obligations respectives des parties ;
4 Les facteurs locaux de commercialité ;
5 Les prix couramment pratiqués dans le voisinage.
Aux termes de l'article L 145-34 du même code, à moins d'une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33, le taux de variation du loyer applicable lors de la prise d'effet du bail à renouveler, si sa durée n'est pas supérieure à neuf ans, ne peut excéder la variation, intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré, de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires.
L'article R 145-6 du même code précise que 'les facteurs locaux de commercialité dépendent principalement de l'intérêt que présente, pour le commerce considéré, l'importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation, de la répartition des diverses activités dans le voisinage, des moyens de transport, de l'attrait particulier ou des sujétions que peut présenter l'emplacement pour l'activité considérée et des modifications que ces éléments subissent d'une manière durable ou provisoire.'
Le bailleur sollicite un déplafonnement du loyer à l'occasion du renouvellement du bail en raison de la modification notable des facteurs locaux de commercialité.
L'expert commis par le tribunal a retenu quatre modifications notables des facteurs locaux de commercialité susceptible de justifier un déplafonnement du loyer : la hausse de la population locale, la hausse du tourisme, l'augmentation du chiffre d'affaires de la boulangerie et l'installation d'une nouvelle boulangerie.
L'appelante conteste l'existence de ces modifications, leur caractère notable et leur intérêt pour le commerce qu'elle exerce.
* l'augmentation de la population :
L'expert a constaté une augmentation importante du nombre d'habitants de la commune de [Localité 4] qui est ainsi passée de 7322 habitants en 2006 à 8196 habitants en 2015, soit une augmentation de 12%.
En outre, sur la période 2010-2015 (soit 5/9ème de la période concernée), le nombre de résidences principales a augmenté de 28% alors que celui des résidences secondaires n'a progressé que de 3,3% et que le taux de logement vacant a baissé, ce qui induit une augmentation de la population présente toute l'année.
L'appelante ne conteste pas cette augmentation de la population mais soutient que celle-ci profite essentiellement au village de [Localité 4]. Au soutien de cette affirmation, elle allègue de la fermeture d'une classe de l'école du village de [Localité 4] mais n'en justifie pas. Elle ne produit aucune autre pièce permettant d'établir que le village du [Localité 4] serait exclu de cette dynamique haussière de la population communale, et donc de sa clientèle potentielle.
* la hausse du tourisme :
L'expert a constaté l'existence d'une hausse du trafic routier permettant d'accéder à la commune de [Localité 4] sur la période de laquelle il déduit une augmentation de la fréquentation touristique.
Il a interrogé l'office du tourisme qui lui a confirmé :
- la montée de la notoriété du Cap,
- l'arrivée d'influenceurs médiatiques,
- l'explosion des courts séjours sur les nouveaux modèles Airbnb;
- le rallongement de la saison touristique,
- la montée en gamme des touristes.
L'appelant met en avant le caractère extrêmement saisonnier de son activité et conteste notamment l'allongement de la période touristique.
La commune de [Localité 4] est composée de plusieurs villages. Le village du [Localité 4] se trouve à son extrémité. Eu égard à sa situation exceptionnelle et à sa notoriété, il n'est pas contestable que l'activité de ses commerçants est essentiellement saisonnière, comme l'appelant le soutien d'ailleurs.
Dès lors, la majeure partie du chiffre d'affaires des commerçants se réalise pendant la saison touristique et la forte augmentation de l'attrait touristique des lieux a nécessairement un impact important sur le chiffre d'affaires du commerce concerné contrairement à ce que soutient la preneuse.
Selon les propres pièces de l'appelante, le nombre de touristes accueillis à l'office de Tourisme est extrêmement important pour une ville de 8000 habitants, en l'espèce en 2015 :
- 23 774 personnes en juillet ( dont 11 581 personnes pour le seul point info saisonnier du [Localité 4]),
- 32428 personnes en août ( dont 18 000 personnes pour le seul point info saisonnier du [Localité 4]).
Ce nombre important de touristes se retrouve dans une moindre mesure en intersaison ( plus de 3000 touristes se sont rendus en moyenne sur le point info du [Localité 4], chaque mois en mai, juin et septembre et 2260 en avril).
En outre, si la boulangerie réalise le principal de son chiffre d'affaires en août, soit environ 26% du chiffre d'affaires annuel, puis en juillet, soit environ 19 %, son activité perdure entre avril et juin et en septembre et octobre ( environ 7,5 % pour chaque mois) ce qui caractérise bien une saisonnalité étendue comme l'a constaté l'expert et retenu comme critère d'une modification notable des facteurs locaux de commercialité
La hausse du trafic routier sur les axes d'entrée de la commune ressort en outre des pièces produites.
Compte tenu de la notoriété du village du [Localité 4], rien ne permet d'établir que les touristes empruntant cet axe ne se rendent qu'en nombre réduit au village du [Localité 4].
L'augmentation de la population, comme l'augmentation de la fréquentation touristique, a nécessairement entraîné une affluence complémentaire de clientèle sur le commerce objet de ce litige , ce qui présente un intérêt direct pour le commerce considéré.
* l'augmentation du chiffre d'affaires de la boulangerie concernée et l'installation d'une nouvelle boulangerie au village du [Localité 4] :
L'augmentation du chiffre d'affaires du locataire ne s'analyse pas en elle-même en une modification notable des facteurs de commercialité. Elle est cependant un indicateur pour apprécier le caractère favorable ou défavorable des modifications de la commercialité du secteur et peut être retenue à titre de recoupement.
En l'espèce, l'expert a pu ainsi à juste titre considéré que l'augmentation exceptionnelle du chiffre d'affaires de la boulangerie pendant la durée du bail (62% entre 2008 et 2015) ne peut s'expliquer, quelles que soient les qualités propres du commerçant, autrement que par une augmentation de la clientèle potentielle à mettre en lien avec l'augmentation de la population de la ville et de sa fréquentation touristique en haute saison . L'installation d'une nouvelle boulangerie dans la même zone confirme l'attrait des lieux. Rien enfin, ne permet d'établir que cet afflux supplémentaire de clientèle serait intégralement absorbé par les commerces du quartier de l'avenue de la Plage.
Les conclusions de l'expert judiciaire sont confortées enfin par les conclusions de M. [R], expert commis à titre privé par l'intimée en 2017.
Le fait que l'appelant justifie que la 'courbe de tonnage fournisseur farine' reste stable ne remet pas en cause ces conclusions, et l'augmentation significative de son chiffre d'affaires.
Il sera ainsi jugé que le premier juge a, à juste titre, retenu l'existence d'une modification notable des facteurs locaux de commercialité justifiant un déplafonnement du loyer.
2) sur la fixation du nouveau loyer :
L'appelante conteste la surface et le prix au m² par le premier juge.
Les caractéristiques du local considéré :
Le bien donné à bail est constitué d'un local commercial en rez-de-chaussée et d'un appartement avec terrasse au premier étage d'un immeuble cubique en béton construit en 1982. L'expert a noté la présence de traces d'infiltrations d'eau provenant probablement d'un défaut d'étanchéité des terrasses.
La surface du local commercial est de 412 m², sa surface utile pondérée par l'expert de 186,6 m².
L'expert a relevé que la partie arrière du local commercial est en médiocre état d'usage et a noté à nouveau des traces d'infiltrations.
L'appartement, d'une surface de 109 m², est quant à lui en état d'usage à rafraîchir et comporte également des traces d'infiltrations.
Il sera renvoyé à l'expertise judiciaire pour une plus ample description des lieux ( page 18 et suivantes de l'expertise).
L'appelant conteste la pondération de 0,5 appliquée à l'ancien escalier, au dégagement, arrière cuisine, bureau et aux toilettes qui auraient selon lui dû recevoir une pondération de 0,3.
Le premier juge sera confirmé en ce qu'il a jugé que la pondération retenue était conforme à la charte de l'expertise en évaluation immobilière.
La destination des lieux :
Les lieux sont destinés à une activité de boulangerie-viennoiserie-patisserie ( et accessoirement de vins et produits de petit déjeuner).
Les obligations respectives des parties :
Seuls les travaux relevant de l'article 606 du code civil sont à la charge du bailleur.
Les facteurs locaux de commercialité :
L'immeuble se situe dans une station balnéaire à forte notoriété qui connait une activité commerciale essentiellement saisonnière. Il se situe dans un secteur prolongeant le [Adresse 3] où se trouve la quasi-totalité de l'offre commerciale de la partie sud du [Localité 4].
Les prix couramment pratiqués dans le voisinage :
Les termes de comparaison retenus par l'expert ne sont pas contestés par l'appelante qui soutient cependant que l'expert n'a pas tenu compte des infiltrations récurrentes et importantes affectant les lieux.
L'expert a bien noté cependant l'état 'médiocre' du local commercial et à rafraîchir de l'appartement, ainsi que les problèmes d'infiltrations. Il a en effet retenu un prix au m² inférieur à la moyenne des 14 termes de comparaison qu'il a choisi de prendre en compte.
Il conviendra donc de retenir une valeur locative de 180 euros/m²UP/an pour la partie commerciale et de 8,80 euros/m²/an pour l'appartement et de fixer le prix du loyer du bail renouvelé à la somme de 45 110 euros par an, hors taxes et hors charges à effet au 1er juillet 2015.
La décision de première instance sera ainsi intégralement confirmée, y compris en ce qu'elle a ordonné la capitalisation des intérêts, la demande de réformation sur ce point n'étant pas motivée.
La société PHP qui succombe sera condamnée aux dépens de cette instance d'appel.
Elle sera condamnée à verser la somme de 1500 euros à la SCI Pebeyre au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La cour, statuant publiquement, par décision contradictoire et en dernier ressort
Confirme la décision rendue le 16 septembre 2020 par le tribunal judiciaire de Bordeaux,
Y ajoutant,
Condamne la société PHP aux dépens de cette instance d'appel.
Condamne la société PHP à verser la somme de 1500 euros à la SCI Pebeyre au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,