CA Nouméa, ch. com., 28 juin 2021, n° 21/00018
NOUMÉA
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Axium (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dorcet
Conseillers :
M. Billon, Mme Xivecas
PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE
Le 12 mai 2020, la SNC AXIUM a fait publier dans un journal d'annonces légales de Nouméa, la décision de l'assemblée générale en date du 05/05/2020 de la société MP3, associée unique de la SNC AXIUM, de dissoudre ladite société de manière anticipée. Cette annonce informait les créanciers de la société AXIUM qu'ils pouvaient faire opposition à la dissolution dans un délai de trente jours à compter de la publication de l'avis ;
Selon requête déposée le 12 juin 2020, M. Thierry L., qui se prévalait d'une créance à la suite de malfaçons, a saisi le tribunal mixte de commerce de Nouméa d'une opposition à la dissolution et à la transmission universelle de patrimoine ;
Par jugement rendu le 30/11/2020, le Tribunal Mixte de Commerce a :
- dit recevable l'opposition formée par M. Thierry L. à la dissolution de la SNC AXIUM décidée le 05/05/2020 et publiée le 12 mai suivant,
- constaté que M. Thierry L. disposait d'une créance certaine mais non liquide et exigible à l'encontre de la SNC AXIUM,
- Sursis par suite de statuer sur son opposition à la dissolution de ladite société, soit dans l'attente d'une décision exécutoire qui rendra cette créance liquide et exigible et/ou du paiement de cette créance, soit en l'attente de la constitution par la SNC AXIUM des garanties visées par l'article 1844-5 al3 du code civil.
- réservé les dépens.
Par ordonnance du 28/01/2021, le Premier Président a autorisé la SNC AXIUM à interjeter appel de la décision de sursis, considérant qu'il existait un motif grave et légitime à trancher la question de la recevabilité de l'opposition de M. Thierry L. eu égard aux implications juridiques de la perte de la personnalité morale et de la transmission de patrimoine alors que le délai dans lequel l'opposition devait être formée prenait fin plus d'un mois après la date de cessation de la période d'urgence sanitaire prévue par la délibération du 11/04/2020 portant aménagement des règles et délais dans le contexte du Covid 19.
PROCÉDURE D'APPEL
Par requête du 26/02/2021, la SNC AXIUM a fait appel de la décision rendue et demande à la Cour dans son mémoire ampliatif du 15/03/2021 et dans ses conclusions récapitulatives d'infirmer le jugement entrepris et statuant à nouveau :
- dire irrecevable l'opposition de M. Thierry L. comme formée hors délai,
- condamner M. Thierry L. à lui payer la somme de 500 000 Fcfp sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile le condamner aux dépens de la procédure y compris exposés devant le 1er Président.
Elle fait grief au Tribunal Mixte de Commerce d'avoir déclaré l'opposition recevable alors que le délai d'opposition de 30 jours qui commençait à courir le lendemain de la publication soit le 13 mai 2020 heures en application de l'article 641du code de procédure civile, expirait le 11 juin à 24 h et non le 12 juin de sorte que l'opposition n'a pas été valablement faite puisque le 11 juin était un jour ordinaire non chômé ou férié ; qu'en effet l'article 641 susvisé dispose que : ' tout délai expire le dernier jour à 24 heures . Le délai qui expirerait normalement un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé est prorogé jusqu'au 1er jour ouvrable suivant.'
L'article 640 précise : ' Lorsqu'un délai est exprimé en jours, celui de l'acte, de l'événement, de la décision ou de la notification qui le fait courir ne compte pas.
Lorsqu'un délai est exprimé en mois ou en années, ce délai expire le jour du dernier mois ou de la dernière année qui porte le même quantième que le jour de l'acte, de l'événement, de la décision ou de la notification qui fait courir le délai. A défaut d'un quantième identique, le délai expire le dernier jour du mois. Lorsqu'un délai est exprimé en mois et en jours, les mois sont d'abord décomptés, puis les jours.'
Dans ses écritures en réponse du 12/04/2021 M. Thierry L. demande de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et y ajoutant, vu la fraude commise par la SNC AXIUM prononcer la suspension de la transmission du patrimoine de la SNC AXIUM à son associée unique et la dissolution de la SNC AXIUM jusqu'à paiement intégral de la créance de M. Thierry L..
Il fait valoir que la SNC AXIUM a décidé de la dissolution anticipée de la société dans un but frauduleux qui est d'échapper à ses créanciers puisqu'au jour de la décision de dissolution, la SNC AXIUM était parfaitement informée de la situation (existence et ampleur des désordres apparus en 2019 dont elle reconnaissait la responsabilité) ; que selon l'adage ' Fraus omnia corrumpit ' la décision prise par les associés encourt l'inopposabilité voire même la nullité de sorte que la tardiveté de l'opposition dont la SNC AXIUM se prévaut n'a aucun intérêt.
Subsidiairement, il reproche à l'intimé de soulever pour la 1ère fois en cause d'appel l'irrecevabilité de l'opposition ce qui démontrerait selon lui, l'attitude déloyale de la SNC AXIUM qui n'avait jamais excipé de ce moyen devant le Tribunal Mixte de Commerce; M. Thierry L. fait valoir par ailleurs qu'il n'y a pas irrecevabilité de l'opposition car l'annonce légale de transmission universelle de patrimoine ayant été publiée en pleine période de Covid, le délai d'opposition a été suspendu en application des dispositions de la délibération n° 21/CP du 11/04/2020.
Il soutient que la date de cessation de la période d'urgence sanitaire a été fixée au 3 mai 2020 par arrêté n° 2020-6436 du 14 mai 2020 ; que l'article 2 de la Délibération n° 21/CP du 11 avril 2020 précitée prévoit que : «Tout acte, recours, action en justice portée devant les juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d'office, application d'un régime particulier: non avenu ou déchéance d'un droit quelconque et qui aurait dû être accompli au cours de la période mentionnée à l'article Ier sera réputé avoir été fait à temps s'il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois. ''
M. Thierry L. considère en conséquence que l'annonce légale ayant été publiée le 12 mai 2020 soit au cours de la période de suspension des délais, le délai d'opposition à l'encontre de la décision de dissolution est concerné par la délibération n°21/CP du 11 avril 2020 car, conformément aux textes locaux, les dispositions sont applicables aux délais qui ont expiré ou qui expirent entre le 23 mars 2020 et la fin d'un délai d'un mois suivant la date de cessation de la période d`urgence sanitaire. Ladite date de cessation de la période d'urgence sanitaire visée par cet article ayant été fixée au 3 mai 2020, le nouveau délai d'opposition a donc commencé à courir à compter du 3 juin 2020 pour une durée de 30 jours, pour expirer le 0 3 juillet 2020.
M. Thierry L., en conclut que la forclusion dont la SNC AXIUM se prévaut n'était pas acquise à la date du ll juin 2020 puisqu'en vertu des dispositions susvisées :
- le cours du délai a été suspendu pendant toute la période d'urgence sanitaire, soit du 23 mars 2020 au 3 mai 2020, augmenté d'un mois, soit jusqu'au 3 juin 2020 ;
- le délai a recommencé à courir, à compter de cette date, dans la double limite du délai imparti pour agir et du délai de 2 mois à compter de cette date pour expirer le 03/07/2020.
La SNC AXIUM réplique, sur le grief qui lui est fait de n'avoir pas soulevé avant toute défense au fond l'irrecevabilité de l'opposition, alors que la forclusion de l'action en justice aurait dû être invoquée devant les juridictions avant toute défense au fond que n'est pas en cause, dans le présent litige, la nullité d'un acte de procédure qui doit être soulevée avant toute défense au fond mais bien le droit d'agir en justice ; Que s'agissant d'un tel droit, M. Thierry L., avait 30 jours pour introduire son action, ce qu'il n'a pas fait. Qu'en effet , l'article 122 du Code de procédure civile dispose que « Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix ou la chose jugée. » ; que l'article 123 précise : « Les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause, sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt. »
Partant, la société AXIUM considère qu'elle peut parfaitement invoquer cette fin de non-recevoir en cause d'appel alors qu'au surplus la fin de non-recevoir aurait dû être relevée d'office par le juge dès lors qu'elle avait un caractère d'ordre public, puisqu'elle résultait de l'inobservation des délais dans lesquels doivent être exercées les voies de recours ou l'absence d'ouverture d'une voie de recours. Elle fait remarquer que si le Tribunal ne s'était pas mépris sur la recevabilité de l'opposition, l'opposition aurait été rejetée et le sursis jamais ordonné.
Sur la question de l'interruption du délai de forclusion, la société AXIUM relève qu'à la différence de la prescription, le délai de forclusion ne peut être ni interrompu, ni suspendu, sauf par une action en justice.
Enfin sur la suspension et la prorogation du délai en raison de la période COVID 2020 en application de l'article 2 de la Délibération n°21/CP du 11 avril 2020, la société AXIUM conteste cette interprétation et considère que les dispositions COVID 2020 ne sont pas applicables à la présente affaire. Seul est applicable l'article 1 de cette Délibération qui indique très clairement que les dispositions du titre 1 er sont applicables aux délais qui ont expiré ou qui expirent entre le 23 mars 2020 et la fin d'un délai d'un mois suivant la date de cessation de la période d'urgence sanitaire.
Etant précisé que l'arrêté n°2020-4608 du 23 mars 2020 a fixé la fin de la période d'urgence sanitaire au 3 mai 2020, la société AXIUM soutient que si on applique strictement ces dispositions :
- La période de l'article 1 er de la Délibération est du 23 mars au 3 juin 2020,
- Les dispositions de la Délibération sont applicables aux délais qui ont expiré entre le 23 mars 2020 et le 3 juin 2020.
Le délai d'opposition de M. Thierry L. expirait le 11 juin à minuit, soit en dehors de la période fixée par la Délibération du 23 mars 2020. Cette Délibération n'a pas eu pour effet de faire allonger le délai de 30 jours pendant lequel M. Thierry L. pouvait faire opposition.
Sur la fraude, la société AXIUM estime qu'elle n'a fait qu'obéir à la loi et que la transmission universelle de patrimoine est sans conséquence sur le gage de ses créanciers ainsi qu'en attestent l'expert-comptable et le commissaire aux comptes qui ont clairement exposé après analyse qu'il n'y avait aucune aggravation du risque à craindre pour les créanciers.
Qu'au surplus, la société n'est pas seule à répondre des désordres ni à indemniser les préjudices puisqu'elle est intervenue en qualité de vendeur VEFA aux côtés des entreprises de travaux.
Vu l'ordonnance de clôture.
Vu l'ordonnance de fixation.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'opposition
Aux termes de l'article 1844-5 du code civil<< Le délai des créanciers pour faire opposition à la transmission universelle de patrimoine d'une société à son associé unique sans qu'il y ait lieu à liquidation est de 30 jours à compter de la publication de celle-ci. >>
En l'espèce, l'avis de dissolution a été publié dans un journal d'annonce légale le 12 mai 2020.
En application de l'article 641 du code de procédure civile, le délai commençait à courir le lendemain de la publication soit le 13/05/2020 à 0 heure. Le mois de mai comptabilisant 31 jours, le délai expirait le 11/06/2020 à 24 heures sans possibilité de prorogation puisque le 11 juin ne tombait ni un jour férié ni un jour chômé ni un samedi ni un dimanche.
Il s'en suit que l'opposition effectuée le 12/06/2000 est tardive comme hors délai.
Il résulte des article 122 et 123 du code de procédure civile, que la forclusion attachée au droit d'agir en justice s'analyse comme une fin de non-recevoir et comme telle, elle peut être soulevée en tout état de cause et pour la 1ère fois en cause d'appel. Il ne peut donc être fait grief à la SNC AXIUM de ne pas avoir invoquer ce moyen en 1ère instance. Qui plus est, ce délai est d'ordre public et son inobservation doit être soulevé d'office par le juge.
S'agissant d'un délai d'épreuve (délai préfix) il n'est pas susceptible d'interruption (sauf par une assignation en justice) ou de suspension. Il en résulte qu'une reconnaissance de responsabilité ne peut valablement l'interrompre.
Enfin, la période de Covid 2020 n'a eu aucun effet sur la suspension du délai ;
La délibération n°21/CP du 11/04/2020 relative à la prorogation des délais et dispositions particulières à certains délais administratifs dispose dans son article 1 alinéa 1er que : << Les dispositions du présent titre sont applicables aux délais qui ont expiré ou qui expirent entre le 23 mars 2020 et la fin d'un délai d'un mois suivant la date de cessation de la période d'urgence sanitaire. >>
Cette période a été fixée au 03/05/2020 selon arrêté n° 2020-4608 du 23/03/2020.
Les délais qui ont expiré après le 03/06/2020 ne sont donc pas concernés par les mesures de prolongation et le fait que le délai a couru pendant la période Covid est indifférent.
En effet, les dispositions rappelées ci-dessus prévoient un mécanisme de report du terme des délais concernés et non pas un report de leur point de départ. La délibération ne prévoit ni une suspension générale ni une interruption générale des délais arrivés à terme pendant la période protégée.
La formalité requise pour faire courir le délai d'opposition des créanciers en matière de transmission universelle de patrimoine à savoir la publicité de l'avis de dissolution sans liquidation dans un journal d'annonces légales, peut donc valablement être effectuée pendant la période protégée (donc entre le 23 mars et le 03 juin 2020 à minuit) et ainsi constituer le point de départ du délai d'opposition.
Les dispositions de la délibération ne concernent pas les délais dont le terme ou l'échéance est fixé après la fin de la période protégée, c'est-à-dire à compter du 04 juin 2020. (Sauf prorogation de ladite période).
En l'espèce, le délai d'opposition ayant commencé à courir pendant la période protégée mais expirant après la fin de la période protégée, c'est-à-dire après le 03 juin 2020 à 24 heures, ce délai d'opposition n'est pas concerné par les aménagements susvisés et expire dans le délai légal initial (30 jours à compter de l'accomplissement de la formalité de publicité), donc au plus tôt (et potentiellement) au lendemain de l'expiration de la période protégée (c'est à dire, le 03 juin 2020 à minuit).
Il s'en suit que l'opposition formée tardivement par M. Thierry L. n'est pas recevable et n'a pu faire échec à la dissolution avec transmission de patrimoine sans liquidation.
Sur la fraude
Au sens de l'article L. 650-1 du Code de commerce, la fraude s'entend, en matière civile ou commerciale, comme un acte réalisé en utilisant des moyens déloyaux destinés à surprendre un consentement, à obtenir un avantage matériel ou moral indu, ou réalisé avec l'intention d'échapper à l'application d'une loi impérative ou prohibitive.
En application du principe général selon lequel la fraude corrompt tout, M. Thierry L. peut se prévaloir indépendamment du délai d'opposition, de la nullité de l'acte de dissolution sans liquidation, s'il rapporte la preuve que l'acte a été frauduleusement accompli par la SNC AXIUM au mépris des droits de ses créanciers.
En l'espèce, la transmission universelle de patrimoine opérée par la SNC AXIUM n'a fait qu'obéir à la loi qui exige qu'une SNC soit composée au minimum de deux associés et qui prévoit qu'en cas de réunion de toutes les parts sociales en une seule main, la dissolution de la société pourra être demandée par tout intéresser.
La SNC AXIUM qui s'est retrouvée en juin 2018 avec un seul associé après rachat par la société MP3 de l'ensemble des parts de la société ALENA n'avait d'autre choix que de procéder à sa dissolution et à la transmission universelle de son patrimoine à son associé unique.
Il ne peut être soutenu sérieusement que le rachat des parts par la société MP3 en 2018 avait pour objet d'anticiper une cessation ultérieure des paiements par la SNC AXIUM et ainsi de faire échec aux droits de ses créanciers.
La décision de dissolution est intervenue deux ans après le rachat des parts et ne s'est donc pas faite en catimini ou de façon précipitée.
De plus, si dans les sociétés en nom collectif, les associés sont responsables indéfiniment sur leurs propres biens, en l'espèce l'associé unique de la SNC AXIUM est une SARL donc une société à responsabilité limitée qui fait nécessairement écran dans les deux cas susvisés :
- qu'il y ait transmission universelle de patrimoine à ladite Sarl, MP3 ;
- que la société la SNC AXIUM survive avec pour associé unique la Sarl MP3.
Enfin, dans le cadre de la transmission universelle de patrimoine, la société absorbante absorbe le passif mais aussi l'actif de la société absorbée.
Aucune fraude n'est démontrée qui peut faite obstacle à la dissolution de la société appelante.
Sur l'article 700
Eu égard à la nature du litige, il n'est pas inéquitable de débouter la SNC AXIUM de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
Sur les dépens
M. Thierry L. succombant supportera les dépens de la procédure d'appel, de 1ère instance et de la procédure initiée devant le 1er président
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme la décision en toutes ses dispositions,
Et statuant à nouveau :
Déclare irrecevable l'opposition de M. Thierry L. à la dissolution de la SNC AXIUM décidée le 05/05/2020 et publiée le 12 mai suivant ;
Y ajoutant
Déboute la SNC AXIUM de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. Thierry L. aux dépens de 1ère instance et d'appel et aux dépens de la procédure initiée devant le 1er président.