CA Paris, 1re ch. H, 2 avril 2008, n° 2007/11675
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Sacyr Vallehermoso (Sté), Acciones Reunidas SL (Sté), Arcomundo SL (Sté), Inmobiliaria Vano SL (Sté), Explotaciones Forestales Agricolas Y Pecuarias Alavesas (Sté), Bens Patricios SL (Sté), Portman Golf (SA)
Défendeur :
Eiffage (Sté), Elliott International LP (Sté), Liverpool Limited Partnership (Sté), Cypress Holding AB (Sté), Association pour la défense des actionnaires minoritaires, Eiffaime (Sté), Président de l'Autorité des marchés financiers
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Magendie
Conseillers :
M. Pimoulle, M. Remenieras, Mme Signoret, Mme Mouillard
Avocats :
SCP Duboscq & Pellerin, Me Darrois, Me Pisani, SCP Baufume Galland Vignes, Me Ardaillou, Me Pouzilhac, SCP Bersay & Associés, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, Me Morabia, Me Martin, Me Huyghe, Me Henry, Me Geniteau, Me Teytaud, Me Martel, Me Schmidt
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Le 19 avril 2007, la société Sacyr Vallehermoso (ci-après dénommée : Sacyr) a déposé auprès de l'Autorité des marchés financiers (ci-après : l'AMF) un projet d'offre publique d'échange volontaire visant les actions de la société Eiffage, relevant de la procédure normale du règlement général. Détenant, au jour du dépôt de ce projet, 31 047 259 actions Eiffage, soit 33,32 % du capital et 29,61 % des droits de vote de cette société, l'initiateur s'engageait à acquérir, à raison de 12 actions Sacyr à émettre pour 5 actions Eiffage présentées, la totalité des actions Eiffage non détenues par lui, soit 62 136 083 actions représentant 66,68 % du capital. L'offre était assortie, conformément à l'article 231-9 du règlement général, d'un seuil de renonciation si le nombre d'actions apportées ne lui permettait pas de détenir au moins 60 % des droits de vote d'Eiffage sur une base totalement diluée à l'issue de l'offre publique.
Par décision n° 207C1202 du 26 juin 2007, l'AMF a déclaré ce projet d'offre publique d'échange non conforme aux dispositions législatives et réglementaires qui lui sont applicables et demandé à la société Sacyr, agissant de concert, de déposer un projet d'offre publique visant les actions de la société Eiffage tel qu'il puisse être déclaré conforme aux dispositions législatives et réglementaires applicables, et notamment aux articles 234-2, 234-6 et 231-8 du règlement général et L. 433-3 IV du code monétaire et financier.
Pour ce faire, la décision retient, en premier lieu, que l'initiateur, agissant de concert, au sens de l'article 233-10 du code de commerce, avec au moins six autres actionnaires, les sociétés Acciones Reunidas, Arcomundo, Immobiliaria Vano, Explotaciones Forestales Agricolas y Pecuarisas Alavesas, Bens Patricios et Portman Golf, a franchi en hausse le seuil du tiers et a acquis en numéraire plus de 5 % du capital de la société Eiffage au cours des douze derniers mois précédant l'offre. Elle en déduit, d'une part, que l'initiateur agissant de concert doit, conformément à l'article 234-2 du règlement général, proposer une offre publique obligatoire, à un prix au moins équivalent au prix le plus élevé payé par lui, agissant seul ou de concert, sur une période de douze mois précédant le dépôt de l'offre ainsi que le prévoit l'article 234-6 dudit règlement, d'autre part, que cette offre doit être assortie d'une option en numéraire conformément à l'article 231-8 du règlement général.
En second lieu, la décision relève que la société Eiffage détient plus d'un tiers du capital de la société Autoroute Paris Rhin Rhône (ci-après : la société APRR), qui représente pour elle un actif essentiel au sens de l'article L. 433-3-IV du code monétaire et financier. Elle en déduit qu'en application de ce texte et de l'article 231-13 du règlement général, Sacyr est tenue de déposer ou de s'engager à déposer un projet d'offre publique sur les titres de la société APRR, au plus tard à la date d'ouverture de l'offre publique déclarée conforme par l'Autorité.
Vu le recours formé le 6 juillet 2007 par Sacyr, tendant à l'annulation de cette décision et à la déclaration, par la cour, de la conformité du projet d'offre publique d'échange déposé par elle le 19 avril 2007 aux dispositions législatives et réglementaires qui lui sont applicables ;
Vu le recours formé le 6 juillet 2007 par les sociétés de droit espagnol Acciones Reunidas SL, Arcomundo SL, Immobiliaria Vano SL, Explotaciones Forestales Agricolas y Pecuarisas Alavesas, Bens Patricios SL, Portman Golf SA, tendant à l'annulation, subsidiairement à la réformation de cette décision ;
Vu la déclaration d'intervention volontaire, en date du 9 juillet 2007, de l'Association pour la défense des actionnaires minoritaires (ci-après : l'ADAM), au soutien de la décision entreprise ;
Vu la déclaration d'intervention volontaire, en date du 9 juillet 2007, de la société de droit des îles Caïman Elliott International LP (ci-après : la société Elliott), de la société de droit des Bermudes The Liverpool Limited Partnership (ci-après : la société LLP), de la société de droit suédois à responsabilité limitée Cypress Holding AB (ci-après : la société Cypress), au soutien de la décision entreprise ;
Vu la déclaration d'intervention volontaire, en date du17 juillet 2007, de la société par actions simplifiée Eiffaime au soutien de la décision entreprise ;
Vu les ordonnances du juge délégué par le premier président en date du 3 septembre 2007 et du 22 octobre 2007 autorisant, compte tenu de la communication tardive du dossier de l'AMF, le dépôt de deux mémoires complémentaires par les requérantes pour le 26 septembre 2007 et le 30 octobre 2007 ;
Vu le mémoire déposé le 20 juillet 2007 par Sacyr à l'appui de son recours, soutenu par ses observations complémentaires du 26 septembre 2007 et du 30 octobre 2007 et par son mémoire en réplique du 22 janvier 2008, par lequel cette société demande à la cour :
- de constater que la décision attaquée viole les garanties fondamentales de procédure et est insuffisamment motivée et de l'annuler en conséquence,
- subsidiairement :
. De constater que la décision retient à tort une action de concert et de l'annuler en conséquence,
. De juger que la participation détenue par la société Eiffaime dans la société APRR ne constitue pas un actif essentiel de Eiffage au sens de l'article L. 433-3 IV du code monétaire et financier et d'annuler la décision attaquée en ce qu'elle lui impose de déposer ou de s'engager à déposer un projet d'offre publique sur les titres APRR,
. De déclarer conforme aux dispositions légales et réglementaires qui lui sont applicables le projet d'offre d'échange déposé par elle le 19 avril 2007 ;
Vu le mémoire déposé le 20 juillet 2007 par les sociétés Acciones Reunidas, Arcomundo, Immobiliaria Vano, Explotaciones Forestales Agricolas y Pecuarisas Alavesas, Bens Patricios et Portman Golf à l'appui de leur recours, soutenu par leurs observations complémentaires du 26 septembre 2007 et du 30 octobre 2007 et par leur mémoire en réplique du 22 janvier 2008 et par celui du 1er février 2008 répondant aux conclusions écrites du ministère public, par lequel ces sociétés demandent à la cour :
- de déclarer recevable leur recours,
- à titre principal d'annuler la décision attaquée pour violation des principes élémentaires des droits de la défense, défaut d'indépendance et insuffisance de motifs,
- à titre subsidiaire, de réformer la décision en retenant que l'action de concert n'est pas caractérisée entre les demanderesses au recours,
- de condamner la société Eiffage à leur payer à chacune une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu le mémoire en réponse déposé le 6 novembre 2007 par lequel la société Eiffage poursuit le rejet des recours et la condamnation solidaire des requérantes à lui payer une somme de 100 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu les mémoires déposés le 23 juillet 2007 et le 20 novembre 2007 par les sociétés Elliott, LLP et Cypress tendant à la confirmation de la décision attaquée, au rejet des demandes de Sacyr et à la condamnation de cette dernière aux dépens ;
Vu le mémoire déposé par la société Eiffaime le 20 novembre 2007, tendant au rejet du recours et à la condamnation des requérantes à lui payer une somme de100 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu le mémoire déposé le 19 novembre 2007 par lequel l'ADAM demande à la cour :
- à titre principal, de rejeter les recours,
- à titre subsidiaire, de constater que les sociétés Sacyr, Acciones Reunidas, Arcomundo, Immobiliaria Vano, Explotaciones Forestales Agricolas y Pecuarisas Alavesas, Bens Patricios et Portman Golf ont agi de concert et que le dépôt d'un projet d'offre publique sur les actions de la société Eiffage entraîne nécessairement l'obligation de déposer un projet d'offre publique sur les actions de la société APRR en application de l'article L. 433-3 IV du code monétaire et financier et de la directive 2004/25/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004, de dire en conséquence que les sociétés Sacyr, Acciones Reunidas, Arcomundo, Immobiliaria Vano, Explotaciones Forestales Agricolas y Pecuarisas Alavesas, Bens Patricios et Portman Golf devront, dans les 30 jours de l'arrêt à intervenir, déposer un projet d'offre publique visant les actions de la société Eiffage tel qu'il puisse être déclaré conforme aux dispositions législatives et réglementaires applicables, et notamment aux articles 234-2, 234-6 et 231-8 du règlement général et L. 433-3 IV du code monétaire et financier,
- à titre très subsidiaire, de saisir la Cour de justice des Communautés européennes de la conformité de l'article L. 433-3 IV du code monétaire et financier à la directive 2004/25/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les offres publiques d'acquisition en ce qu'il conditionne une offre publique sur une cible secondaire à ce qu'elle constitue un actif essentiel de la cible primaire ;
Vu les observations écrites de l'AMF en date du 18 décembre 2007 ;
Vu les observations écrites du ministère public, mises à la disposition des parties avant l'audience, tendant à l'irrecevabilité du recours des sociétés Acciones Reunidas, Arcomundo, Immobiliaria Vano, Explotaciones Forestales Agricolas y Pecuarisas Alavesas, Bens Patricios et Portman Golf et au rejet du recours de Sacyr ;
Ouï à l'audience publique du 5 février 2008, en leurs observations orales, les conseils des requérantes qui ont été mis en mesure de répliquer, ceux des parties intervenantes, le représentant et le conseil de l'Autorité des marchés financiers, ainsi que le ministère public ;
Vu les procès-verbaux communiqués par l'AMF le 6 février 2008 à la demande de la cour et la note en délibéré déposée par Sacyr le 12 février 2008 en réponse à cette communication ;
SUR CE, LA COUR :
- Sur la recevabilité du recours des sociétés Acciones Reunidas, Arcomundo, Immobiliaria Vano, Explotaciones Forestales Agricolas y Pecuarisas Alavesas, Bens Patricios et Portman Golf, contestée par le ministère public
Considérant que le ministère public fait valoir que le recours de ces sociétés contre la décision de l'AMF qui ne déclare pas conforme le projet d'offre publique déposé par Sacyr n'est pas recevable dès lors qu'elles ne sont pas les initiatrices du projet et que la décision, qui ne comporte en elle-même aucune exécution, n'affecte pas leur situation d'actionnaires de la société Eiffage ;
Considérant que ces objections sont pertinentes en ce qui concerne la déclaration de non-conformité, par l'AMF, du projet d'offre publique d'échange déposé par Sacyr, étant observé d'ailleurs que les sociétés Acciones Reunidas, Arcomundo, Immobiliaria Vano, Explotaciones Forestales Agricolas y Pecuarisas Alavesas, Bens Patricios et Portman Golf ne fondent pas la recevabilité de leur recours sur leur qualité d'actionnaires minoritaires ;
Mais considérant que ces dernières se prévalent à juste titre de ce que la décision, après avoir constaté l'existence d'un concert entre l'initiateur et elles-mêmes, demande à Sacyr, agissant de concert, de déposer un projet d'offre publique visant les actions de la société Eiffage tel qu'il puisse être déclaré conforme aux dispositions législatives et réglementaires applicables (...)' ; que, l'article L. 233-10, III, du code de commerce disposant que les personnes agissant de concert sont tenues solidairement aux obligations qui leur sont faites par les lois et règlements, la décision qui demande à l'initiateur, agissant de concert , de déposer un projet d’offre publique d’achat, emporte nécessairement des effets à l'égard des membres du concert ainsi identifiés lorsque, comme en l'espèce, ces derniers peuvent se trouver, par le jeu des dispositions légales et réglementaires applicables, associés à l'obligation de déposer une offre publique ; qu'il suit de là que, même si la décision n'est pas immédiatement exécutoire à l'encontre des sociétés Acciones Reunidas, Arcomundo, Immobiliaria Vano, Explotaciones Forestales Agricolas y Pecuarisas Alavesas, Bens Patricios et Portman Golf, ce chef de la décision est, en lui-même, susceptible d'affecter leur situation juridique, de sorte que ces dernières justifient d'un intérêt légitime à le contester ; que leur recours est donc recevable dans cette limite ;
- sur la procédure suivie devant l'AMF
Sur les conditions dans lesquelles le Collège a statué
Considérant que Sacyr ayant soulevé dans ses écritures que, si certains membres du Collège n'avaient pas pris part au vote du fait d'un conflit d'intérêts, il n'était pas démontré qu'ils n'avaient pas pris part aux débats, la cour a invité l'AMF à produire les procès-verbaux relatifs aux deux séances des 19 et 26 juin 2007 au cours desquelles a été examinée la conformité du projet d'offre publique déposé par Sacyr ; qu'il résulte de ces procès-verbaux que cinq des membres du collège, soit MM Jean-François L., Jean-Michel Naulot, Dominique Hoenn, Yves M. et Thierry C., se sont, en application des dispositions de l'article L.621-4-1 du code monétaire et financier, abstenus de prendre part aux délibérations relatives à l'examen de la conformité du projet d'offre publique d'échange Eiffage ; qu'aucune irrégularité de ce chef n'est donc démontrée ;
Sur la violation du principe de la contradiction et l’atteinte aux droits de la défense alléguées
- en ce qui concerne de la décision de non-conformité du projet d'offre publique déposé par Sacyr
Considérant que Sacyr poursuit l'annulation de la décision en faisant valoir que l'AMF, qui s'apprêtait à rendre une décision de nature pénale au sens de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, a violé le principe de la contradiction en ne lui communiquant pas les écritures de la société Eiffage qui dénonçait un concert, ni les éléments tirés de l'enquête ;
Considérant que l'AMF réplique que ce principe ne s'applique pas lorsqu'elle rend une décision à caractère administratif et que l'instruction a été accomplie loyalement, ses services ayant communiqué à Sacyr, chaque fois qu'ils l'ont pu et dans le respect du secret professionnel, les éléments utiles à l'examen de son dossier ;
Considérant qu'il résulte des dispositions contenues à la section VI du chapitre premier du titre III du règlement général, relatif aux offres publiques d'acquisition, soit des articles 231-20 et suivants, que l'AMF dispose d'un délai de dix jours de négociation pour se prononcer sur la conformité du projet d'offre déposé, qu'il lui est loisible à cette fin de demander toutes justifications et garanties appropriées ainsi que toute information complémentaire nécessaire à son appréciation, qu'elle peut demander à l'initiateur de modifier son projet d'offre, et que, lorsque le projet d'offre satisfait aux exigences des articles 231-21 et 231-22 du règlement, l'Autorité publie une déclaration de conformité motivée qui emporte visa de la note d'information, et, dans le cas contraire, refuse, par décision motivée, de déclarer le projet d'offre conforme ;
Qu'il suit de là que l'AMF, autorité publique indépendante habilitée à prendre des décisions individuelles ayant la nature d'actes administratifs, décides en cette occasion envers l'initiateur, non d'une accusation en matière pénale, mais de droits et obligations de caractère civil, au sens de l'article 6,1 de la Convention précitée ;
Qu'en cette matière, des impératifs de souplesse et d'efficacité, entièrement compatibles avec la protection des droits de l'Homme, peuvent justifier l'intervention préalable d'organes administratifs ne satisfaisant pas sous tous leurs aspects aux prescriptions de forme de ce texte, dès lors que les décisions prises par ceux-ci subissent a posteriori, sur les points de fait et les questions de droit, le contrôle effectif d'un organe judiciaire offrant toutes les garanties au sens du texte susvisé ; que tel est le cas de l'AMF qui, lorsqu'elle instruit une procédure de conformité d'un projet d'offre publique, n'est pas tenue de faire observer le principe de la contradiction, ni d'instruire sa décision autrement que par l'examen des demandes, pièces et mémoires qui lui sont transmis ou dont elle peut demander la production ;
Qu'au demeurant, il résulte du dossier -qui a été entièrement communiqué à la cour comme aux parties- que Sacyr, après avoir répondu aux questions posées par l'AMF sur l'existence d'une action concertée, a adressé à l'Autorité une première note le 7 mai 2007 sur l'absence d'action de concert, puis deux courriers en dates des 15 et 25 juin 2007 accompagnés de pièces, par lesquels elle exposait de façon circonstanciée les éléments qui, selon elle, s'opposeraient à ce qu'une action de concert soit caractérisée entre elle-même et d'autres sociétés ayant acquis des titres Eiffage ; que le Collège a examiné cette note et le premier de ces courriers lors de sa séance du 19 juin 2007, puis le second lors de sa séance du 26 juin 2007 ; qu'il a également pris connaissance de la note de la Direction des Emetteurs présentée au Collège le 26 juin 2007 qui expose de façon détaillée les arguments de l'initiateur, ainsi que des conclusions déposées par Sacyr dans le cadre des procédures commerciales engagées après l'assemblée générale d'Eiffage réunie le 18 avril 2007 ; que le fait que les arguments de Sacyr ne soient pas détaillés dans la décision ne saurait signifier, comme la requérante le soutient, qu'ils ont été dissimulés au Collège ;
Qu'il résulte de ce qui précède que le moyen de Sacyr, tiré d'une violation du principe de la contradiction, manque en droit comme en fait et doit être écarté ;
- en ce qui concerne la décision demandant à Sacyr, agissant de concert, de déposer un projet d'offre publique d'achat conforme aux textes qui lui sont applicables
Considérant, ainsi qu'il a été précédemment indiqué, que par application de l'article L. 233-10, III, du code de commerce, selon lequel les personnes agissant de concert sont tenues solidairement aux obligations qui leur sont faites par les lois et règlements, la demande formulée à l'adresse de Sacyr, agissant de concert, de déposer une offre publique d'achat sur les titres d'Eiffage, fait grief aux sociétés Acciones Reunidas, Arcomundo, Immobiliaria Vano, Explotaciones Forestales Agricolas y Pecuarisas Alavesas, Bens Patricios et Portman Golf, expressément visées dans la décision comme participant au concert qu'elle identifiait ; que cette demande, qu'au demeurant l'AMF n'était pas tenue de formuler dans le cadre de la procédure de conformité dont elle était saisie, s'analyse en une injonction, laquelle ne pouvait être prononcée que dans le respect de la procédure prévue à l'article L. 621-14 du code monétaire et financier, qui exige que les personnes concernées soient mises en mesure de présenter leurs explications ;
Or, considérant qu'à cet égard, l'AMF ne conteste pas que, si elle a interrogé Sacyr et les six actionnaires espagnols, par voie de questionnaires détaillés, sur les conditions dans lesquelles elles avaient acquis les actions Eiffage qui leur permettaient de prétendre participer à l'assemblée générale du 18 avril 2007, auxquels ces sociétés n'ont pas toujours répondu d'ailleurs, elle ne les a pas avisés du franchissement de seuil qui leur était imputé ni invitées à présenter leurs observations sur la matérialité des manquements qu'elle s'apprêtait à relever et les conséquences, au regard des articles 234-2, 234-6 et 231-8 du règlement général, qu'il convenait d'en tirer ;
Que c'est donc à juste titre que tant Sacyr que les sociétés Acciones Reunidas, Arcomundo, Immobiliaria Vano, Explotaciones Forestales Agricolas y Pecuarisas Alavesas, Bens Patricios et Portman Golf critiquent ce chef de la décision en invoquant une atteinte aux droits de la défense ; qu'il suit de là que la décision, en ce qu'elle demande à Sacyr, agissant de concert, de déposer un projet d'offre publique visant les actions de la société Eiffage tel qu'il puisse être déclaré conforme aux dispositions législatives et réglementaires applicables, doit être annulée ;
Que la demande subsidiaire de l'ADAM tendant à cette fin ne peut être accueillie ;
. Sur l'atteinte au principe de loyauté
Considérant que Sacyr soutient que l'AMF a violé le principe de loyauté en se prononçant au vu d'une enquête inachevée, s'interdisant ainsi de prendre en compte les éléments recueillis postérieurement qui viendraient infirmer sa théorie et rendant improbable une issue qui démentirait la décision déférée ;
Mais considérant que c'est à juste titre que l'AMF réplique que la délibération du collège avait pour objet, non de déterminer si les faits constatés pouvaient motiver l'ouverture d'une procédure de sanction, mais de statuer sur la conformité du projet d'offre, de sorte que le collège était autorisé à se prononcer dès qu'il estimait détenir suffisamment d'éléments pertinents, sans être tenu d'attendre l'achèvement de l'enquête et la présentation du rapport de synthèse, ainsi qu'il l'a fait après avoir retenu que les éléments matériels et objectifs d'ores et déjà recueillis lui permettaient de conclure à l'existence d'une action concertée avec certains des actionnaires d'Eiffage et qu en tout état de cause, les acquisitions réalisées par ces actionnaires sont susceptibles de porter atteinte à la transparence, à l'intégrité du marché, à la loyauté dans les transactions et la compétition, dans le cadre de l'offre publique examinée' ;
Que le moyen n'est donc pas fondé ;
. Sur l'absence de motivation
Considérant que la décision contient l'énoncé des considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement et qui permettent d'en contrôler la légalité ; que, dès lors, le moyen de Sacyr, tiré d'un défaut de motifs, doit être écarté ;
- sur le fond
Considérant que, pour refuser de déclarer le projet conforme aux dispositions législatives et réglementaires qui lui sont applicables, la décision déférée retient, en synthèse, « qu'il existe un accord entre Sacyr et les actionnaires d'Eiffage - parmi lesquels figurent au moins les sociétés Explotaciones Forestales Agricolas y Pecuarisas Alavesas, Acciones Reunidas, Bens Patricios, Arcomundo et Portman Golf et Immobiliaria Vano, sans que cette liste puisse être considérée comme exhaustive à ce stade, en l'état actuel des investigations menées par l'Autorité, qui se poursuivent - en vue d'acquérir et d'exercer des droits de vote pour mettre en oeuvre une politique vis-à-vis d'Eiffage, [...] qu'en l'état actuel des investigations, il apparaît que d'autres actionnaires d'Eiffage pourraient également avoir participé audit concert et qu'en tout état de cause, les acquisitions réalisées par ces actionnaires sont susceptibles de porter atteinte à la transparence, à l'intégrité du marché, à la loyauté dans les transactions et la compétition, dans le cadre de l'offre publique examinée [...] » ;
Considérant que Sacyr conteste l'existence de l'accord ainsi dénoncé, en vertu duquel elle et au moins six autres sociétés espagnoles auraient procédé aux acquisitions retenues par l'AMF comme ayant pu porter atteinte à la transparence, à l'intégrité du marché, à la loyauté dans les transactions et à la compétition et ainsi contrevenir aux prescriptions contenues dans l'article 231-3 du règlement général ; qu'elle soutient que l'AMF ne pouvait retenir une action de concert sans disposer de la preuve écrite d'un accord contraignant, en se fondant presque exclusivement sur les comportements parallèles des prétendus concertistes sur le marché, exclusifs d'un accord en vue d'appliquer une politique commune durable, et sans tenir compte des dénégations sur l'honneur de ces derniers ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 233-10 du code de commerce, sont considérées comme agissant de concert les personnes qui ont conclu un accord en vue d'acquérir ou de céder des droits de vote ou en vue d'exercer les droits de vote, pour mettre en oeuvre une politique vis à vis de la société ;
Considérant que, pour estimer qu'une action de concert était établie, l'AMF s'est fondé sur les faits suivants, dont ni la matérialité, ni la chronologie ne sont contestées par les requérantes :
- depuis le rejet, par l'assemblée générale extraordinaire des actionnaires d'Eiffage du 19 avril 2006, de la demande de Sacyr d'être représentée au conseil d'administration de cette société, le projet de rapprochement ouvertement promu par Sacyr n'avait été suivi d'aucune réalisation ;
- dans sa déclaration effectuée le 5 avril 2006 pour exposer ses intentions en application de l'article L. 233-7 du Code de commerce, Sacyr avait indiqué ne pas avoir l'intention d'acquérir le contrôle d'Eiffage ou de lancer une offre publique sur cette société, ce qu'elle avait réitéré par des déclarations publiques dans les jours et semaines précédant le dépôt du projet d'offre soumis à l'examen ;
- entre le 19 avril 2006 et le 23 mars 2007, Sacyr avait acquis au total 2.245.795 actions Eiffage, dont 661.612 actions dans les quatre derniers jours de la période, portant ainsi sa participation à 33,32% du capital, soit juste en-dessous du seuil du tiers du capital d'Eiffage ;
- Sacyr avait demandé à sa banque conseil de la rapprocher d'autres investisseurs qui pourraient soutenir, lors de l'assemblée générale extraordinaire du 19 avril 2006, son action en vue d'être représentée au conseil d'administration d'Eiffage ;
- lors de cette assemblée, Sacyr avait proposé sans succès la nomination de cinq administrateurs au conseil d'administration d'Eiffage et s'était opposée au renouvellement du mandant de l'un d'entre eux et à la ratification de la cooptation de deux autres ;
Considérant que l'AMF a regardé ces faits à la lumière des circonstances suivantes, dont la réalité n'est pas davantage discutée :
- les sociétés Acciones Reunidas, Arcomundo, Immobiliaria Vano, Explotaciones Forestales Agricolas y Pecuarisas Alavesas, Bens Patricios et Portman Golf ont acquis progressivement, entre juin 2006 et mars 2007, des actions d'Eiffage jusqu'à se constituer chacune des participations voisines du seuil de 1 %, dont le franchissement leur aurait imposé une déclaration prévue par les statuts ;
- deux de ces sociétés, qui avaient franchi ce seuil, se sont abstenues de le déclarer mais ont aussitôt revendu le surplus de titres pour ramener leur participation à moins de 1 % ;
- il existe des relations personnelles, capitalistiques et d'affaires entre les dirigeants ou actionnaires de ces sociétés, hors Bens Patricios, et les actionnaires fondateurs et dirigeants de Sacyr ;
- ces sociétés ont chacune un objet social sans rapport avec celui de Sacyr ;
- elles n'ont, pour cinq d'entre elles, pas d'autre participation étrangère que les titres Eiffage ;
- elles ont réalisé un investissement au capital d'Eiffage pour des montants compris entre cinquante et soixante-dix millions d'euros, qui paraissent hors de proportion avec leur surface financière réelle sans que le mode de financement n'ait pu être expliqué de manière convaincante ;
Considérant que l'AMF a en outre décrit les échanges intenses et inhabituels qui ont conduit le titre Eiffage à des valeurs en très forte hausse en mars et avril 2007, et noté différents propos ou déclarations de représentants de Sacyr montrant que cette société était personnellement intéressée aux droits de vote de quatre-vingt-neuf autres actionnaires qui en avaient été privés par le bureau de l'assemblée générale du 18 avril 2007 à raison, précisément, d'un soupçon de concert ;
Considérant qu'en cet état, et dès lors que l'article L. 233-10 précité n'exige pas que l'accord résulte d'un écrit, ni qu'il revête un caractère contraignant, c'est par une appréciation pertinente que la cour fait sienne que la décision retient que le rapprochement des éléments rappelés ci-avant révèle, nonobstant les déclarations en sens contraire des intéressés, que les acquisitions successives d'actions d'Eiffage par Sacyr et par les six autres sociétés nommées ont procédé, non d'un simple parallélisme de comportements, mais d'une démarche collective organisée tendant à la poursuite d'une finalité commune consistant à se grouper pour apparaître en force afin d'imposer ensemble, par surprise, lors de l'assemblée générale extraordinaire d'Eiffage du 18 avril 2007, une recomposition à leur avantage du conseil d'administration leur permettant ensuite de réaliser le rapprochement entre les deux sociétés ;
Qu'eu égard au caractère subreptice de ces manoeuvres, qui méconnaissaient notamment les obligations d'information sur les prises de participations rappelées à l'article L. 451-2 du code monétaire et financier, c'est à bon droit que l'AMF a estimé que le projet d'offre publique d'échange présenté par Sacyr dans ces conditions ne respectait pas les principes de transparence et de loyauté visés par l'article 231-3 de son règlement et ne pouvait dès lors être déclaré conforme aux dispositions législatives et réglementaires qui lui sont applicables ;
D'où il suit que le recours de Sacyr, en ce qu'il vise la déclaration de non-conformité, n'est pas fondé et doit être rejeté ;
Considérant qu'il y a lieu de laisser aux sociétés Sacyr Vallerhermoso, Eiffaime, Elliot International, The Liverpool Limited Partnership, Cypress Holding AB, et à l'ADAM la charge des dépens par elles exposés ;
Considérant que les sociétés Acciones Reunidas, Arcomundo, Immobiliaria Vano, Explotaciones Forestales Agricolas y Pecuarisas Alavesas, Bens Patricios et Portman Golf ne se sont trouvées dans la nécessité de former un recours que par suite de l'action de la société Sacyr, laquelle supportera les dépens exposés par ces sociétés ;
Et, considérant que la représentation des parties n'étant pas obligatoire en cette matière, les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile sont inapplicables à la présente instance ;
Qu'enfin, il n'y a pas lieu de faire application en la cause des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
Déclare recevable le recours des sociétés Acciones Reunidas, Arcomundo, Immobiliaria Vano, Explotaciones Forestales Agricolas y Pecuarisas Alavesas, Bens Patricios et Portman Golf, mais seulement en ce qu'il vise le chef de la décision ordonnant à la société Sacyr Vallehermoso, agissant de concert, de déposer un projet d'offre publique ;
Rejette le recours formé par la société Sacyr Vallehermoso contre la décision en ce qu'elle déclare non conforme aux dispositions législatives et réglementaires qui lui sont applicables le projet d'offre publique d'échange visant les actions Eiffage déposé par cette société ;
Annule la décision susvisée, mais seulement en ce qu'elle demande à la société Sacyr, agissant de concert, de déposer un projet d'offre publique visant les actions de la société Eiffage, tel qu'il puisse être déclaré conforme aux dispositions législatives et réglementaires applicables et notamment aux articles 234-2, 234-6 et 231-8 du règlement général et L. 433-3 IX du code monétaire et financier' ;
Rejette toute prétention contraire aux motifs de la présente décision ;
Laisse aux sociétés Sacyr Vallerhermoso, Eiffaime, Elliot International, The Liverpool Limited Partnership, Cypress Holding AB, et à l'ADAM la charge des dépens par elles exposés ;
Dit que les dépens exposés par les sociétés Acciones Reunidas, Arcomundo, Immobiliaria Vano, Explotaciones Forestales Agricolas y Pecuarisas Alavesas, Bens Patricios et Portman Golf seront à la charge de la société Sacyr ;
Rejette les demandes présentées par les sociétés Acciones Reunidas, Arcomundo, Immobiliaria Vano, Explotaciones Forestales Agricolas y Pecuarisas Alavesas, Bens Patricios et Portman Golf, Eiffage et Eiffaime sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.