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Décisions

Cass. com., 28 janvier 2003, n° 00-18.732

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

Paris, du 19 mai 2000

19 mai 2000

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 mai 2000), que la société de droit canadien Chum produit sous le nom de "fashion television" une émission de télévision consacrée à la mode, diffusée dans divers pays, dont la France ; qu'elle a poursuivi M. X... en annulation de l'enregistrement des marques "fashion television" et "television fashion network" déposées les 3 et 7 avril 1997, et de la marque "fashion TV", déposée le 21 avril 1998, dans le cadre du lancement d'une chaîne thématique de télévision dite fashion TV, diffusée en France ; que, fondant en outre son action sur la concurrence déloyale et parasitaire résultant de l'usage de ces termes par M. X... et par la société Fashion TV, exploitante de cette chaîne, la société Chum a demandé qu'il leur soit fait interdiction d'en user ;

Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches :

Attendu que la société Chum fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir rejeté ses demandes tendant à voir juger qu'elle jouissait d'un droit d'auteur sur le titre "fashion television" avant le mois d'avril 1997, et d'avoir rejeté ses demandes tendant à voir annuler ces marques et à interdire à M. X... et à la société Fashion TV d'en utiliser les termes, alors, selon le moyen :

1 / qu'il résulte de l'article 5 de la Convention de Berne que

-ainsi que la société Chum le soutenait dans ses conclusions- il importe peu que le titre fashion television soit ou non protégeable au regard du droit canadien dès lors qu'il l'est au regard du droit français ; qu'en retenant qu'il n'est pas établi que ce titre serait protégé par le droit d'auteur au Canada, la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs inopérants, a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 112-4 alinéa 1er et L. 711-4 du Code de la propriété intellectuelle ,

2 / que dans ses conclusions récapitulatives, la société Chum, après avoir fait valoir que les appelants confondaient le droit des marques et le droit d'auteur, soutenait qu'en outre, leurs développements sont incomplets ; qu'aux termes, en effet, de l'article 12.2 de la loi canadienne sur les marques, une marque, même descriptive, est susceptible de faire l'objet d'une protection par le droit des marques canadien, dès lors qu'elle a été employée au Canada par le requérant ou son prédécesseur comme titre de façon à être devenue distinctive à la date de la production d'une demande d'enregistrement ; que, pour le justifier, la société Chum produisait aux débats non seulement la loi canadienne sur les marques, mais également une consultation d'un jurisconsulte canadien qui, après avoir étudié l'affidavit produit par les appelants, justifiait et estimait que les droits de propriété intellectuelle, propriété de la société Chum sur la marque de commerce fashion television, sont opposables à tout tiers qui voudrait utiliser cette marque dans le cadre d'activités de services de radiodiffusion d'émissions télévisées et de programmes d'émissions ; qu'en se fondant uniquement sur l'affidavit produit aux débats par M. X... et par la société Fashion TV pour infirmer le jugement entrepris et arguer du sort des marques déposées au Canada par la société Chum sans aucunement s'expliquer sur l'affidavit produit aux débats par la société Chum, la cour d'appel a violé l'article 1353 du Code civil ;

3 / qu'aux termes de l'article L. 112-4 alinéa 1er du Code de la propriété intellectuelle, le titre d'une oeuvre de l'esprit, dès lors qu'il présente un caractère original, est protégé comme l'oeuvre elle-même ;

qu'aux termes de l'article L. 711-4 du même Code, ne peut être adopté comme marque un signe portant atteinte à des droits antérieurs et notamment aux droits d'auteur ; que le caractère d'originalité d'un titre, condition nécessaire et suffisante de sa protection par le droit d'auteur, est indépendant de son caractère distinctif, spécifique du droit des marques ; que tout en reconnaissant que les conditions de sa protection par le droit d'auteur diffèrent de celles exigées par le droit des marques, la cour d'appel, qui a retenu qu'elles s'en rapprochaient lorsque le droit d'auteur est invoqué à propos d'un titre et a déduit l'absence de caractère original du titre litigieux uniquement du sort des marques déposées par la société Chum au Canada et aux Etats-Unis et de son absence en France de caractère distinctif, le mot fashion y étant compris d'une grande partie du public comme désignant la mode, a violé les articles L. 112-4 alinéa 1er et L. 711-4 du Code de la propriété intellectuelle ;

4 / qu'en se fondant, pour affirmer que le mot fashion est compris d'une grande partie du public comme désignant la mode, sur des dictionnaires, tel le Littré, le Grand Robert, le Grand Larousse universel, le Trésor de la langue française, qui, à l'évidence, ne sont pas possédés ni même consultés par une grande partie du public, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 112-4 et L. 711-4 du Code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel a souverainement décidé, au vu notamment d'extraits de dictionnaires comportant, au mot fashion, des rubriques dans lesquelles sont cités des auteurs français l'ayant employé, que s'il ne fait pas partie du langage français courant, ce mot est compris d'une grande partie du public français comme désignant la mode ;

Et attendu, en second lieu, que l'arrêt retient que l'association de ce mot au terme television pour désigner une émission de télévision sur la mode ne porte pas l'empreinte de la personnalité de son créateur et ne présente pas l'originalité requise pour bénéficier en France de la protection du droit d'auteur, excluant ainsi le droit à la protection de ce terme au regard de la loi française, peu important qu'il constate, en sus, que ce caractère original avait également été dénié en tout ou partie par l'office des marques du Canada et par celui des Etats-Unis ;

D'où il suit que le moyen, qui n'est pas fondé en sa quatrième branche, s'attaque en ses trois premières branches à des motifs surabondants, et ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses trois branches :

Attendu que la société Chum fait encore grief à l'arrêt d'avoir rejeté ses demandes en annulation de marques et en interdiction d'usage des termes contestés, alors, selon le moyen :

1 / qu'une marque sert à distinguer, et partant à désigner, les produits ou les services d'une personne physique ou morale ; qu'en retenant que les marques incriminées désignent, non pas une oeuvremais une chaîne de télévision, soit une entreprise de communication, comme le faisaient valoir M. X...et la société Fashion TV, la cour d'appel a violé l'article L. 711-1 du Code de la propriété intellectuelle ;

2 / qu'il résulte des articles L. 712-1 et L. 713-1 du Code de la propriété intellectuelle que les produits ou services auxquels s'appliquent une marque sont déterminés par le dépôt de la marque, telle qu'enregistrée, que dans les services désignés dans les dépôts le 3 avril 1997 des marques fashion television et television fashion network figurent : production de spectacles, de films, de location de films, filmage sur bandes vidéos" ; que dans le dépôt le 21 avril 1998 de la marque fashion TV figurent : diffusion de programmes de télévision, émissions télévisées ou radiophoniques, production de programmes de télévision ;

qu'en affirmant, pour dénier l'identité ou même seulement la similarité des genres, que les marques incriminées désignent, non pas une oeuvre mais une entreprise de communication, la cour d'appel, qui ne s'est pas référée, comme elle le devait, au dépôt des marques incriminées, a violé les articles L. 712-1 et L. 713-1 du Code de la propriété intellectuelle ;

3 / qu'en se déterminant de la sorte, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 112-4 du Code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu que la cour d'appel ayant écarté tout droit à protection originaire de l'expression "fashion television" au titre du droit d'auteur, et la société Chum ne soutenant pas être titulaire de quelque marque susceptible de s'opposer à la validité de l'enregistrement des marques contestées, le moyen, qui s'attaque à des motifs surabondants de l'arrêt, ne peut être accueilli en aucune de ses trois branches ;

Sur le troisième moyen, pris en ses huit branches :

Attendu que la société Chum fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté ses demandes tendant à voir juger frauduleux le dépôt par M. X... des marques contestées, et en conséquence ses demandes d'annulation et d'interdiction d'usage, alors, selon le moyen :

1 / que tout jugement doit être motivé, prescrit l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, à peine de nullité, précise l'article 458 du même Code ; qu'en se fondant uniquement sur les allégations de M. X... et de la société Fashion TV, sans analyser, même sommairement elle-même les pièces versées aux débats et sans par ailleurs s'expliquer aucunement sur les nombreuses pièces versées aux débats par la société Chum, la cour d'appel a méconnu les exigences des articles 455 et 458 du nouveau Code de procédure civile ;

2 / que la cour d'appel a, de plus fort, méconnu les exigences des articles 455 et 458 du nouveau Code de procédure civile en ne répondant pas aux conclusions récapitulatives de la société Chum sollicitant la confirmation du jugement entrepris et soutenant, en le justifiant -par la production d'un article du journal "Vidéo game daily" de 1996, des guides 1995 et 1996 des Marchés internationaux de vente de programmes de télévision (MIP) qui se tiennent à Cannes et où étaient proposée à la vente l'émission fashion television de la société Chum et notamment le programme Ooh la la - que M. X..., qui avait, ainsi qu'il l'écrivait lui-même dans son assignation en contrefaçon devant le tribunal de grande instance de Grasse, préparé le lancement de sa chaîne dès 1996 et était en tout cas un professionnel de la mode, connaissait avant avril 1997 par les salons MIP l'utilisation de la dénomination fashion television pour désigner des émissions ou programmes de télévision ;

3 / que le fax du 1er mai 1997 a été adressé, non par la société Chum à M. X..., mais par celui-ci à la société Chum ; qu'en effet, dans le fax du 21 avril 1997 répondant à une précédente demande de M. X... de concession de licence du programme Ooh la la, la société Chum lui demandait un certain nombre de renseignements portant notamment sur la méthode de transmission utilisé par ses services, l'ampleur de diffusion de ceux-ci, le nom de sa maison mère et des informations sur cette société ; que la société Chum indiquait également qu'en ce qui concerne notre programme fashion television, comme Stephen (de la société Chum) a pu vous l'indiquer au MIP TV, malheureusement un autre diffuseur détient déjà les droits ; que pour répondre à ces demandes, M. X..., par le fax du 1er mai 1997 adressait à la société Chum le communiqué de presse relatif au lancement de la chaîne FTV à compter du même jour, 1er mai ; qu'en affirmant que le fax du 1er mai 1997 était adressé par la société Chum à M. X..., que dans ces fax des 21 avril et 1er mai 1997 adressés à M. X..., la société Chum proposait de lui vendre certains de ses programmes, notamment une émission Ooh la la, que ces fax montrent que la société Chum ne faisait alors aucune objection à l'exploitation de la chaîne fashion TV, la cour d'appel a dénaturé les fax des 21 avril et 1er mai 1997, violant l'article 1134 du Code civil ;

4 / qu'en affirmant que la société Chum avait entrepris en septembre 1997 le lancement au Canada d'une chaîne fashion television en s'inspirant du succès de la chaîne de M. X... et visant à en tirer indûment profit, sans aucunement indiquer sur quels éléments de preuve étaient fondées de telles affirmations, la cour d'appel a, à cet égard encore, méconnu les exigences des articles 455 et 458 du nouveau Code de procédure civile ;

5 / qu'il incombe aux juges de se prononcer sur les documents régulièrement versés aux débats et soumis à leur examen ;

que pour justifier que M. X... ne pouvait ignorer l'utilisation avant avril 1997 de la dénomination fashion television pour désigner une émission de télévision consacrée à la mode, la société Chum produisait également aux débats une attestation de la Fédération française de la haute couture et du prêt-à-porter des couturiers, une attestation de M. Geoffroy Y... (directeur d'une agence de relations de presse), une attestation de Mme Z... (productrice), un article du magasine "The Globe and mail" de 1993 et de très nombreux autres articles de journaux ; qu'en ne se prononçant sur aucun de ces documents, la cour d'appel a violé l'article 1353 du Code civil ;

6 / que la fraude exigée par l'article L. 712-6 du Code de la propriété intellectuelle résulte de la seule connaissance par le déposant de l'usage antérieur du signe par un tiers ; que tout en constatant que M. X... connaissait, lors du dépôt, le 21 avril 1998, de la marque fashion TV, l'utilisation antérieure par la société Chum du titre fashion television et les prétentions de la société Chum, ce dont il résultait que la fraude était caractérisée, la cour d'appel, qui l'a néanmoins écartée (de surcroît par des motifs qui la démontrait de plus fort), a violé l'article L. 712-6 du Code de la propriété intellectuelle ;

7 / qu'en ne recherchant pas, ainsi que la société Chum le soutenait dans ses conclusions récapitulatives, si, en déposant les 3 et 7 avril 1997 les marques fashion television et televisionfashion network, et le 21 avril 1998 la marque fashion TV complétant, comme la cour d'appel le relève, les précédents dépôts, et qui était la dénomination de sa chaîne, puis en faisant procéder à une saisie-contrefaçon sur le stand de la société Chum au MIP d'octobre 1998 et en assignant cette société en contrefaçon, M. X... n'avait pas déposé les 3 et 7 avril 1997 et le 21 avril 1998 les marques susvisées pour s'assurer un monopole en empêchant la société Chum et tout concurrent de produire ou diffuser sur le même territoire des émissions de télévision consacrées à la mode et si, partant, les dépôts des 3 et 7 avril 1997 et 21 avril 1998 n'étaient pas frauduleux, la cour d'appel a en tout état de cause privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 712-6 du Code de la propriété intellectuelle ;

8 / qu'en ne répondant pas aux conclusions récapitulatives susmentionnées de la société Chum, la cour d'appel a méconnu les exigences des articles 455 et 458 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, que, sous couvert de violation de la loi, de manque de base légale et de défaut de motifs, le moyen tend, en ses cinq premières branches, à remettre en cause l'appréciation souveraine et motivée par les juges du fond des éléments de preuve soumis à leur appréciation ;

Et attendu, en second lieu, qu'ayant exactement énoncé qu'il appartient à celui qui invoque la fraude d'en rapporter la preuve, puis constaté que la marque fashion TV n'avait été déposée par M. X... que le 21 avril 1998, après l'introduction de l'instance et à une époque où il connaissait nécessairement les prétentions de la société Chum, la cour d'appel a pu écarter le caractère frauduleux de ce dépôt en retenant qu'il ne faisait que compléter les autres dépôts, dont elle avait constaté qu'ils ne méconnaissaient aucun droit antérieur de la société Chum ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le quatrième moyen, pris en ses trois branches :

Attendu que la société Chum fait enfin grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire de M. X... et de la société Fashion TV à réparer le préjudice causé par leurs agissements déloyaux et parasitaires, alors, selon le moyen :

1 / que l'action en concurrence ou agissements parasitaires qui a pour fondement les articles 1382 et 1383 du Code civil a pour objet d'assurer la protection de celui qui ne peut se prévaloir d'un droit privatif ;

qu'en retenant, pour débouter la société Chum, qu'elle a été déboutée de toutes ses demandes fondées sur de prétendus droits antérieurs, la cour d'appel a violé les articles 1382 et 1383 du Code civil ;

2 / qu'en n'indiquant pas sur quel élément de preuve elle se fondait pour affirmer que ce n'est qu'à la suite du lancement par ses adversaires de fashion TV que la société Chum a elle-même entrepris de préparer au Canada la diffusion d'une chaîne de télévision consacrée à la mode, la cour d'appel a méconnu les exigences des articles 455 et 458 du nouveau Code de procédure civile ;

3 / qu'en ne recherchant pas si M. X... et la société Fashion TV, ainsi que la société Chum le soutenait et le justifiait dans ses conclusions récapitulatives, n'avaient pas eu un comportement parasitaire en reprenant la dénomination fashion television pour des oeuvres audio-visuelles, créant ainsi une confusion avec l'émission de la société Chum, cause d'un préjudice grave pour cette société tenant à la perte de la valeur attractive de ce programme, à la difficulté de le commercialiser sur les marchés internationaux et à l'atteinte à sa renommée en faisant croire qu'elle était coupable de contrefaçon, la cour d'appel a de surcroît privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du Code civil ;

Mais attendu, qu'ayant retenu qu'il n'était pas établi qu'au moment du dépôt des trois marques M. X... ait connu l'émission diffusée par la société Chum, que celle-ci ne justifiait pas des investissements dont elle aurait été spoliée, et que ce n'est en réalité qu'à la suite du lancement par ses adversaires de "Fashion TV" qu'elle avait elle-même entrepris de préparer la diffusion au Canada d'une chaîne de télévision consacrée à la mode, la cour d'appel a pu sans encourir aucun des griefs du pourvoi, statuer comme elle a fait ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses trois branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Chum LTD aux dépens ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par Mme Garnier, conseiller le plus ancien qui en a délibéré, en remplacement du président, en son audience publique du vingt-huit janvier deux mille trois.