CAA Bordeaux, 3e ch. (formation a 3), 2 avril 2013, n° 11BX02720
BORDEAUX
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. de Malafosse
Rapporteur :
Mme Lacau
Rapporteur public :
M. de La Taille Lolainville
Avocat :
Me Debray
Vu, I, la requête enregistrée le 4 octobre 2011 sous forme de télécopie et régularisée par courrier le 10 octobre 2011 sous le n° 11BX02720, les mémoires et la pièce complémentaires enregistrés les 7 novembre, 20 décembre et 23 décembre 2011, présentés pour l'association syndicale autorisée des planteurs du Grand-Nord (ASAPGN), ayant son siège 9 km route de Balata à Fort-de-France (97200), par Me Debray ;
L'ASAPGN demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0700011 du 27 juin 2011 du tribunal administratif de Fort-de-France en tant qu'il l'a condamnée à verser à la société EI Montagne une somme de 127 435 euros correspondant au paiement de travaux de franchissement des ravines dans le cadre du marché conclu le 9 septembre 2004 avec la société Sogéa Martinique en vue de la mise en oeuvre d'un système d'irrigation sur le territoire des communes de Macouba et de Grand-Rivière et a mis à sa charge, d'une part, la moitié des frais de l'expertise liquidés et taxés à la somme de 8 688,20 euros, d'autre part, le paiement d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) de rejeter la demande présentée par la société EI Montagne devant le tribunal administratif ;
3°) d'homologuer le rapport d'expertise déposé le 13 janvier 2007 et de mettre à la charge de la société EI Montagne la totalité des frais d'expertise ;
4°) d'appeler en la cause la société Sogéa Martinique ;
5°) de condamner la société EI Montagne à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu, II, la requête, enregistrée le 9 août 2012, sous le n° 12BX02144, présentée pour l'association syndicale autorisée des planteurs du Grand-Nord (ASAPGN), ayant son siège 9 km route de Balata à Fort-de-France (97200), par Me Debray ;
L'ASAPGN demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 0700011 du 27 juin 2011 du tribunal administratif de Fort-de-France en tant qu'il l'a condamnée à verser à la société E.I. Montagne une somme de 127 435 euros correspondant au paiement de travaux et a mis à sa charge, d'une part la moitié des frais de l'expertise liquidés et taxés à la somme de 8 688,20 euros, d'autre part, le paiement d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le code de procédure civile ;
Vu la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 5 mars 2013 :
- le rapport de Mme Marie-Thérèse Lacau, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville ; rapporteur public ;
1. Considérant que, par un marché conclu le 9 septembre 2004, l'association syndicale autorisée des planteurs du Grand Nord (ASAPGN) a confié à la société Sogéa Martinique la création d'un réseau d'irrigation sur le territoire des communes de Macouba et de Grand-Rivière ; que, le 30 septembre 2004, l'entreprise titulaire du marché a conclu un contrat de sous-traitance avec la société EI Montagne pour la réalisation des travaux acrobatiques de franchissement des ravines consistant en la création de six layons et la pose de canalisations, d'un montant de 711 760 euros TTC ; que le sous-traitant a été agréé et ses conditions de paiement acceptées par le maître d'ouvrage en vue du paiement direct de ses prestations ; que, le 7 juin 2006, la société Sogéa Martinique a notifié à son sous-traitant la résiliation pour faute du contrat de sous-traitance ; que, le 8 janvier 2007, la société EI Montagne a saisi le tribunal administratif de Fort-de-France d'une demande tendant à la condamnation de l'ASAPGN à lui payer une somme totale de 659 256,77 euros, tant sur le fondement de son droit au paiement direct que sur le terrain de la responsabilité délictuelle et l'enrichissement sans cause du maître d'ouvrage ; que, par sa requête enregistrée sous le n° 11BX02720, la société ASAPGN fait appel du jugement du 27 juin 2011 par lequel le tribunal administratif l'a condamnée à verser une somme de 127 435 euros à la société EI Montagne et a mis à sa charge 50 % des frais de l'expertise liquidés et taxés à la somme de 8 688,20 euros ; que, par la voie de l'appel incident, la société EI Montagne demande que l'indemnité allouée soit portée à 659 256,77 euros ; que, par sa requête enregistrée sous le n° 12BX02144, la société ASAPGN demande qu'il soit sursis à exécution dudit jugement ; qu'il y a lieu de joindre ces requêtes, dirigées contre un même jugement, pour y statuer par un seul arrêt ;
Sur la requête n° 11BX02720 :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance : " Le sous-traitant qui a été accepté et dont les conditions de paiement ont été agréées par le maître de l'ouvrage est payé directement par lui pour la part du marché dont il assure l'exécution " ; que, dans l'hypothèse où le contrat de sous-traitance est résilié, le droit ainsi établi par la loi au profit du sous-traitant s'applique à tous les travaux qui ont été réalisés avant la résiliation ; que le sous-traitant a également droit à ce paiement direct pour les travaux supplémentaires qu'il a exécutés et qui ont été indispensables à la réalisation de l'ouvrage, ainsi que pour les dépenses résultant pour lui de sujétions imprévues qui ont bouleversé l'économie générale du marché, dans les mêmes conditions que pour les travaux dont la sous-traitance a été expressément mentionnée dans le marché ou dans l'acte spécial signé par l'entrepreneur principal et par le maître de l'ouvrage ;
En ce qui concerne l'appel principal :
3. Considérant que le litige né de l'exécution d'un marché de travaux publics et opposant des participants à l'exécution de ces travaux relève de la compétence de la juridiction administrative, sauf si les parties en cause sont unies par un contrat de droit privé ; que la société EI Montagne a participé à l'exécution des travaux en sa qualité de sous-traitante de la Sogéa Martinique ; que la société EI Montagne, qui n'est liée à l'ASAPGN par aucun contrat de droit privé, recherchait la responsabilité du maître d'ouvrage, à titre principal, sur le fondement du droit au paiement direct, à titre subsidiaire, sur le fondement quasi-délictuel et sur le terrain de l'enrichissement sans cause ; que la juridiction administrative est compétente pour connaître de ces demandes ; qu'il suit de là que si l'ASAPGN a entendu, dans ses écritures en réplique, soutenir que les premiers juges n'étaient pas compétents pour statuer sur les demandes de la société EI Montagne, ce moyen doit être écarté ;
4. Considérant que si, par un jugement du 9 mars 2010, le tribunal mixte de commerce de Fort-de-France, estimant que l'annulation, par un jugement du tribunal administratif de Fort-de-France du 28 septembre 2006, de l'arrêté préfectoral du 22 novembre 2005 portant autorisation de prélèvement d'eau à usage d'irrigation agricole sur la Grande Rivière, avait eu pour effet de priver de cause le contrat de sous-traitance conclu entre la Sogéa Martinique et la société EI Montagne, a annulé ce contrat, il est constant que ce jugement a été frappé d'appel ; que, par suite, eu égard à la règle de l'effet suspensif de l'appel énoncée à l'article 539 du code de procédure civile, le moyen tiré de la nullité du contrat de sous-traitance, auquel l'ASAPGN n'était d'ailleurs pas partie, est sans incidence sur la solution du litige ;
5. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la loi du 31 décembre 1975 : "L'entrepreneur principal dispose d'un délai de quinze jours, comptés à partir de la réception des pièces justificatives servant de base au paiement direct, pour les revêtir de son acceptation ou pour signifier au sous-traitant son refus motivé d'acceptation. Passé ce délai, l'entrepreneur principal est réputé avoir accepté celles des pièces justificatives ou des parties de pièces justificatives qu'il n'a pas expressément acceptées ou refusées. Les notifications prévues à l'alinéa 1er sont adressées par lettre recommandée avec accusé de réception. " ; qu'aux termes de l'article 116 du code des marchés publics dans sa rédaction applicable en l'espèce : " Le sous-traitant adresse sa demande de paiement au titulaire du marché. Cette demande de paiement, revêtue de l'acceptation du titulaire du marché, est transmise par ce dernier à la personne désignée au marché à cette fin. La personne désignée au marché avise le sous-traitant de la date de réception de la demande de paiement envoyée par le titulaire et lui indique les sommes dont le paiement à son profit a été accepté par ce dernier. L'ordonnateur mandate les sommes dues au sous-traitant. Dans le cas où le titulaire d'un marché n'a ni opposé un refus motivé à la demande de paiement du sous-traitant dans le délai de quinze jours suivant sa réception, ni transmis celle-ci à la personne désignée au marché, le sous-traitant envoie directement sa demande de paiement à la personne désignée au marché par lettre recommandée avec avis de réception postal ou la lui remet contre un récépissé dûment daté et inscrit sur un registre tenu à cet effet. La personne désignée au marché met aussitôt en demeure le titulaire, par lettre recommandée avec avis de réception postal, de lui faire la preuve, dans un délai de quinze jours à compter de la réception de cette lettre, qu'il a opposé un refus motivé à son sous-traitant. Dès réception de l'avis, elle informe le sous-traitant de la date de cette mise en demeure. A l'expiration du délai prévu au précédent alinéa, au cas où le titulaire ne serait pas en mesure d'apporter cette preuve, la personne désignée au marché paie les sommes dues aux sous-traitants dans les conditions prévues à l'article 96. " ;
6. Considérant que si, pour la première fois appel, l'ASAPGN soutient qu'elle n'a pas été saisie d'une demande de paiement direct conforme aux dispositions précitées des articles 8 de la loi du 31 décembre 1975 et 116 du code des marchés publics, en tout état de cause, le sous-traitant régulièrement agréé qui n'a pas respecté la procédure prévue par ces dispositions ne saurait pour autant être définitivement privé du bénéfice du paiement direct que si le maître d'ouvrage justifie que, faute d'avoir été saisi par lui en temps utile d'une demande de paiement, il a été amené à payer, dans des délais normaux, l'entreprise principale ; que l'ASAPGN n'établit ni même n'allègue avoir réglé à la société Sogéa Martinique la situation de travaux n° 3, d'un montant de 55 510 euros HT, la situation de travaux n° 4, d'un montant de 45 925 euros HT et les travaux supplémentaires de débroussaillage des ravines d'un montant de 26 000 euros HT ; que la réalité des travaux effectués par la société EI Montagne antérieurement à la résiliation du contrat de sous-traitance conclu entre la Sogéa Martinique n'était pas sérieusement contestée en première instance et ne l'est pas davantage en appel ; qu'enfin, il ne résulte pas de l'instruction que le montant de l'avance forfaitaire versée à la société EI Montagne par le maître d'ouvrage, qui en a d'ailleurs obtenu la restitution par la société Sogéa en exécution de la transaction conclue le 28 mai 2008, se rapportait à ces travaux ;
7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il y ait lieu d'appeler la société Sogéa en la cause, que l'ASAPGN n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Fort-de-France l'a condamnée à verser la somme totale de 127 435 euros à la société EI Montagne ;
8. Considérant qu'il n'appartient pas à la cour de " constater " l'existence d'un trop-perçu de 184 400,10 euros en faveur de la société EI Montagne, ni d' " homologuer " le rapport d'expertise ;
En ce qui concerne l'appel incident :
S'agissant des frais d'immobilisation du chantier :
9. Considérant que la société EI Montagne demande la condamnation de l'ASAPGN à lui verser les sommes de 11 000 euros HT, 57 000 euros HT et 89 821,77 euros HT au titre des frais afférents à l'immobilisation du chantier du 5 avril 2005 au 2 janvier 2006 ; que s'il est vrai que les travaux ont été interrompus à la demande du maître de l'ouvrage, la société EI Montagne, qui a d'ailleurs abandonné le chantier peu après la reprise des travaux, ne met pas la cour à même d'apprécier la réalité du préjudice allégué ;
S'agissant des sujétions imprévues :
10. Considérant que si la société EI Montagne demande la condamnation de l'ASAPGN à lui verser la somme de 340 000 euros HT représentant la différence de coût entre la solution de base proposée à l'entrepreneur principal et la solution finalement retenue, le droit au paiement direct ne s'applique, ainsi qu'il a été dit au point 2, qu'aux travaux effectivement réalisés ;
11. Considérant que, pour rejeter la demande de la société EI Montagne tendant au règlement de la somme de 34 000 euros pour la réalisation, non prévue au contrat, de treize massifs d'ancrage nécessités par la configuration des sols et la déclivité des ravines, les premiers juges ont estimé, d'une part, qu'il résultait des stipulations des articles 1er et 3 du cahier des clauses techniques particulières que le sous-traitant avait été préalablement informé des particularités du site, en particulier du caractère très accidenté du terrain, d'autre part, qu'il ne pouvait sérieusement, compte tenu de ses connaissances techniques, se prévaloir d'un défaut d'information sur l'impossibilité matérielle d'utiliser une pelle araignée sur le chantier ; qu'il y a lieu de rejeter cette demande par adoption des motifs retenus par le tribunal ;
12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède et sans qu'il y ait lieu de statuer sur leur recevabilité, que les conclusions d'appel incident présentées par la société EI Montagne doivent être rejetées ;
Sur la requête n° 12BX02144 :
13. Considérant que le présent arrêt tranche le fond du litige ; que la requête de l'ASAPGN tendant à obtenir le sursis à exécution du jugement attaqué est dès lors sans objet ; qu'il n'y a pas lieu d'y statuer ;
Sur les dépens et les frais de procès non compris dans les dépens :
14. Considérant que c'est à juste titre que les premiers juges ont mis les frais de l'expertise ordonnée le 21 juillet 2006, liquidés et taxés à la somme de 8 688,20 euros, à la charge de l'ASAPGN et de la société EI Montagne à concurrence de 50 % chacune ;
15. Considérant que les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la société EI Montagne, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamnée à verser à l'ASAPGN la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'ASAPGN à payer à la société EI Montagne la somme qu'elle demande au même titre ;
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 12BX02144.
Article 2 : La requête n° 11BX02720 de l'ASAPGN et les conclusions d'appel incident de la société EI Montagne sont rejetées.