Cass. com., 21 septembre 2004, n° 02-17.559
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tricot
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 mai 2002), que le 5 novembre 1998, les sociétés Muséum Partners LLP Delaware Etats-Unis, Muséum Partners LP Turks et Caicos, Edelman Value Partners LP Delawere Etats-Unis et Edelman Value Fund LTD British Virgin Islands (les fonds Edelman), actionnaires de la société du Louvre (la société SDL), exerçant l'action ut singuli, ont assigné, sur le fondement des articles 244, 245 et 249 de la loi du 24 juillet 1966, cette société et diverses personnes physiques Mmes Monique, Djamila, Brigitte, Virginie, Claire, Catherine Y..., Mme Marie-Clothide Z..., MM. Pierre Emmanuel, Frantz, Thierry, Jean Wladimir, Clovis Y..., M. F.De A... B..., MA de Saint-Cyr (les consorts Y... ), Mme Anne-Claire Y..., MM. Jean, Claude, Michel et Pierre-Christian Y... et M. de C... ainsi que M. D..., M. E..., membres du directoire de la société SDL ; que la cour d'appel a mis hors de cause les consorts Y... ainsi que MM. D... et E... et a rejeté l'ensemble des demandes des fonds Edelman ;
Sur le premier moyen pris en ses trois branches :
Attendu que les fonds Edelman font grief à l'arrêt d'avoir confirmé le jugement en ce qu'il avait mis hors de cause MM. D... et E... ainsi que les consorts Y... autres que Mme Anne-Claire Y..., MM. Jean, Claude, Michel et Pierre-Christian Y... et M. de C..., alors, selon le moyen :
1 ) qu'ils ont clairement fait valoir, dans leurs conclusions d'appel, que si, "sur ce point, le Tribunal de commerce a mis hors de cause les défendeurs qui n'ont été ni administrateurs ni membres du directoire de la SDL au cours des trois ans précédant l'assignation, soit le 20 février 1996... à cet égard, la cour d'appel ne pourra que réformer ce jugement (puisque) l'article 247 de la loi du 24 juillet 1966 dispose que l'action en responsabilité contre les administrateurs, tant sociale qu'individuelle, se prescrit par trois ans à compter du fait dommageable, ou, s'il a été dissimulé, de sa révélation (et que) le détournement des actifs hôteliers au profit personnel des dirigeants familiaux, la constitution et le maintien d'une participation occulte stérilisant des fonds qui ont été nécessaires pour le développement des activités dans le coeur de métier sont des actes fautifs où la volonté de dissimuler est patente" et que tel était tout particulièrement le cas "de MM. Louis E... et Guillaume D..., qui ont été membres du directoire de SDL jusqu'à leur remplacement en 1999... (et dont) leur position de dirigeant les a amenés à participer activement à la gestion familiale fautive des Y... " ; qu'en se déterminant de la sorte, la cour d'appel a dénaturé les conclusions qui lui étaient soumises par ces sociétés, violant ainsi l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;
2 ) que loin de contester leur qualité d'ancien membre du directoire de la Société du Louvre, MM. D... et E... faisaient simplement valoir, dans leurs conclusions d'appel, qu'ils n'avaient pas commis, à cette occasion, les fautes qui leur étaient reprochées, en indiquant que les sociétés demanderesses n'apportaient "aucun commencement de preuve ni élément nouveau à l'appui de leurs prétentions permettant d'établir la preuve d'une quelconque faute de (leur part) dans l'exécution de (leur) mandat, et, a fortiori, du préjudice en résultant" ; qu'en se déterminant de la sorte, la cour d'appel a également dénaturé les conclusions qui lui étaient soumises par MM. D... et E..., violant ainsi derechef l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;
3 ) qu'enfin et subsidiairement, à supposer qu'elle ait entendu fonder sa décision sur la prescription, la cour d'appel ne pouvait prononcer la mise hors de cause de ces anciens dirigeants sans rechercher préalablement, ainsi qu'elle y était invitée, si les faits qui leur étaient reprochés avaient ou non été dissimulés ; qu'en s'en abstenant, elle a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 225-254 du Code de commerce ;
Mais attendu, en premier lieu, dès lors que les consorts Y... n'étaient titulaires d'aucun mandat social dans la Société du Louvre, que la cour d'appel, sans dénaturer les conclusions a, à bon droit, décidé que leur responsabilité ne pouvait être mise en jeu sur le fondement des articles L. 225-251 et L. 225-252 du Code de commerce ;
Attendu, en second lieu, dès lors que l'arrêt retient que les fonds Edelman n'avaient pas identifié les auteurs des fautes de gestion qu'ils imputaient collectivement à l'ensemble des personnes appelées dans la cause, que la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait en ce qui concerne MM. D... et E... ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le deuxième moyen pris en ses sept branches :
Attendu que les fonds Edelman font grief à l'arrêt d'avoir confirmé le jugement en ce qu'il avait rejeté leurs demandes en réparation en dommages-intérêts, pour fautes de gestion, dirigées contre Mme Anne-Claire Y..., MM. Jean, Claude, Michel et Pierre-Christian Y... et M. de C..., alors selon le moyen :
1 ) qu'en ne recherchant pas, ainsi qu'elle y était invitée, si la poursuite, par la société Deville et la société Les Imprimeries Champenoises, plusieurs années durant, d'une exploitation déficitaire n'avait pas été une source continue de perte pour la Société du Louvre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 225-251, L. 225-252 et L. 225-256 du Code de commerce ;
2 ) qu'en se prononçant de la sorte après avoir constaté, au sein de la Société du Louvre, l'existence d'un "'mode de gestion visant à favoriser un groupe d'actionnaires majoritaires", la cour d'appel n'a pas tiré de ses propres énonciations les conséquences légales qui s'en évinçaient nécessairement au regard des articles L. 225-251, L. 225-252 et L. 225-256 du Code de commerce, ensemble l'article 1833 du Code civil ;
3 ) que les sociétés demanderesses soutenaient que ces rémunérations, particulièrement importantes, n'avaient en réalité, pour une large part, aucune véritable contrepartie, la multiplication des fonctions occupées par les intéressés rendant leur exercice concrètement impossible, tandis qu'elles affectaient lourdement la rentabilité de la société, ce qui était contraire à son intérêt ; qu'en se bornant, à cet égard, à une énonciation d'ordre général, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si chacun des dirigeants de la société du Louvre était effectivement en mesure d'exercer les multiples fonctions sociales pour lesquelles il était rémunéré, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 225-251, L. 225-252 et L. 225-256 du Code de commerce ;
4 ) que toute décision de justice doit être motivée à peine de nullité ; que le motif hypothétique équivaut à un défaut de motif ; qu'en retenant, à l'appui de sa décision, qu'"il est possible que les prestations de conseil et d'assistance à l'administration livrées par la première à la seconde soient d'une autre nature que les prestations d'assistance à la gestion financière livrées par la seconde à la troisième et justifient ainsi une facturation distincte et supplémentaire", la cour d'appel, qui s'est déterminée à partir de motifs hypothétiques, n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
5 ) qu'en se bornant à relever, s'agissant des "opérations qui ont bénéficié aux membres de (la famille Y... )", qu'il n'était pas établi "qu'elles aient été réalisées à des conditions différentes et plus avantageuses, qu'en somme, elles n'aient pas été traitées aux conditions courantes pour les opérations de cette sorte", de sorte "qu'il n'est pas permis de considérer que ces investissements et leur forme constituent un détournement des biens de la société au profit de certains de ses actionnaires", sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si ces opérations, qui avaient impliqué, de sa part, de lourds investissements, étaient bien conformes à l'intérêt de la Société du Louvre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 225-251, L. 225-252 et L. 225-256 du Code de commerce ;
6 ) alors qu'en considérant, ainsi, que la prescription était acquise, dans la mesure où l'opération "remonte à l'année 1989", sans répondre aux conclusions qui lui étaient soumises, dans lesquelles les sociétés demanderesses faisaient valoir qu'elles n'avaient découvert que postérieurement que cet investissement avait eu pour objet de favoriser les intérêts personnels de certains dirigeants de la Société du Louvre, lesquels avaient précisément créé, ultérieurement, des sociétés, pour gérer des hôtels dans cette zone, ce qui interdisait de pouvoir retenir la prescription, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
7 ) qu'elles mettaient en cause la sincérité des transcriptions de mouvements d'actions ainsi que l'utilisation irrégulière des droits de vote double ; qu'en se déterminant de la sorte, à partir de motifs inopérants, cependant qu'il lui incombait de rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si les irrégularités invoquées étaient établies, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 225-251, L. 225-252 et L. 225-256 du Code de commerce ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt retient que le choix de conserver des activités diversifiés ne peut être considéré comme une faute de gestion, dès lors qu'il s'agit d'un choix stratégique dont la mise en oeuvre n'a pas démontré qu'il ait été manifestement malheureux ni contraire aux intérêts de la société ; qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel qui n'avait pas d'autres recherches à faire, notamment sur la situation financière des sociétés citées, a pu statuer comme elle a fait ;
Attendu, en deuxième lieu, qu'ayant constaté que les Fonds Edelman n'apportaient aucun élément pouvant accréditer la thèse selon laquelle la gestion quotidienne des affaires sociales au sein des sociétés du groupe Y... aurait été dictée par la seule promotion des intérêts de la famille Y..., ni qu'elle aurait été contraire aux intérêts de la société et lésé ceux des actionnaires minoritaires, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait ;
Attendu, en troisième lieu, que l'arrêt retient que pour que le caractère abusif de ces rémunérations soit établi, il faudrait que les fonds Edelman rapportent la preuve qu'elles dépassent ce qui est justement dû pour la rétribution de chacune des personnes visées et du caractère fautif de la décision prise au sein de la Société du Louvre, aboutissant à des rémunérations excessives ou imméritées ; qu'il retient encore que rien ne permet de considérer que les fonctions de ces personnes sont dépourvues de contenu, ni que ces positions ont été acquises contre le jeu normal des institutions sociales, ni d'ailleurs que les Fonds Edelman soient lésées de ce fait, comme actionnaires minoritaires ; qu'en l'état de ces énonciations et constatations, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait ;
Attendu, en quatrième lieu, que c'est par une appréciation souveraine des éléments de preuve qui lui étaient soumis que la cour d'appel, sans se fonder sur un motif hypothétique, a décidé que les Fonds Edelman ne rapportaient pas la preuve de ce que les facturations intervenues entre la société du Louvre, la société des Hôtels concorde et la société financière Y... correspondaient à des prestations fictives ;
Attendu, en cinquième lieu, que la cour d'appel qui n'avait pas à rechercher la preuve des fautes simplement alléguées, a pu statuer comme elle a fait dès lors qu'elle a estimé qu'il n'était pas établi que le procédé choisi par le groupe du Louvre pour accroître ses capacités hôtelières, par voie de franchise de ses principales enseignes à des sociétés tierces ait été fermé aux investisseurs extérieurs à la famille Y... et qu'il n'était pas davantage établi que les membres de la famille Y... aient obtenu des conditions préférentielles par rapport aux investisseurs extérieurs à la famille liés par des contrats de franchise à certaines sociétés du groupe du Louvre ;
Attendu, en sixième lieu, que l'arrêt retient que pour ce qui concerne l'opération réalisée autour de la société Disneyland, il y a lieu de constater qu'elle apparaît n'avoir eu aucun caractère occulte et qu'elle remonte à l'année 1989, ce qui permet de considérer que, même si elle était fautive, ce qui n'est pas prouvé, elle serait couverte par la prescription ; qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel qui a répondu aux conclusions prétendument délaissées, a pu statuer comme elle a fait ;
Attendu en septième lieu, que l'arrêt retient qu'en ce qui concerne la tenue des livres, si les Fonds Edelman contestent la sincérité de la transcription des mouvements dus aux cessions d'actions et affirment que la répartition des actions, telle qu'elle ressort des publications de la Société des bourses françaises et des déclarations faites en assemblée générale, est incohérente, ils n'indiquent pas en quoi ce fait serait imputable aux dirigeants de la société ni encore en quoi il leur aurait porté préjudice ; qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le troisième moyen :
Attendu que les fonds Edelman font encore grief à l'arrêt d'avoir confirmé le jugement en ce qu'il avait rejeté leurs demandes de dommages-intérêts fondée sur l'auto contrôle de la Société du Louvre, alors qu'en se bornant, ainsi, à examiner le contrôle en droit de la société compagnie Panorama sur la société compagnie Financière Y... , exclu en considération du non exercice par la première de ses droits de vote, sans se prononcer, ainsi qu'elle y était invitée, sur l'existence d'un contrôle en fait, compte tenu de l'action de concert qui existait entre la société compagnie Panorama et ses dirigeants, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 233-3, L. 233-10 et L. 233-31 du Code de commerce, ensemble les articles L. 225-251, L. 225-252 et L. 225-256 du Code de commerce ;
Mais attendu que l'arrêt retient que les Fonds Edelman n'ont pas rapporté la preuve d'un auto contrôle allégué à l'encontre de la famille Y... à qui ils imputaient globalement leurs griefs sans déterminer les actes commis par chacune des personnes qui soient en relation de causalité avec le dommage supposé ; qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.