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Décisions

Cass. crim., 4 octobre 2000, n° 99-85.404

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Schumacher

Rapporteur :

M. Challe

Avocat général :

M. Di Guardia

Avocat :

SCP Ancel et Couturier-Heller

Montpellier, ch. corr., du 6 mai 1999

6 mai 1999

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 432-12, 111-4 du Code pénal, 8 de la Déclaration des droits de l'homme, 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, ensemble violation des droits de la défense, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a écarté l'exception de prescription de l'action publique et retenu la culpabilité, d'une part, de X... du chef de prise illégale d'intérêts, et d'autre part, Y..., du chef de complicité de ce délit, et les a condamnés de ces chefs ;

" aux motifs, d'une part, que l'article 432-12 du nouveau Code pénal n'est entré en application qu'à compter du 1er mars 1994 et ne saurait viser les actes commis antérieurement à cette date et ne peut atteindre que l'avoir reçu dans la comptabilité de Z... le 8 avril 1994, postérieur à la date susvisée ; qu'il est admis que le fait de conserver après l'entrée en vigueur du nouveau Code pénal, un intérêt illégalement perçu ou reçu avant cette date, peut être réprimé sur le fondement de l'article 432-12 du Code pénal nouveau sans tenir compte d'éventuelles prescriptions des faits antérieurs, le nouveau texte créant une infraction continue qui constitue un délit distinct de l'infraction instantanée commise sous l'empire d'un ancien texte, les dispositions du quatrièmement de l'article 112-2 du nouveau Code pénal qui tendent à interdire l'application d'une loi nouvelle aggravant la situation du prévenu n'étant pas applicables à l'espèce ;

" aux motifs, d'autre part, qu'en plaidant que les travaux étaient tous terminés et réglés en décembre 1992, X... veut faire constater que l'infraction prévue et réprimée par l'article 175 de l'ancien Code pénal est un délit instantané consommé à l'instant même de la prise d'intérêts, ce qui aurait pour but et effet de profiter aux prévenus même si par des dissimulations multiples, ils se sont faits fort de retarder la découverte des malversations ; que, cependant, la chambre criminelle de la Cour de Cassation a, dans une jurisprudence consacrée, déjà admis qu'en pareil cas, les juges peuvent décider de reporter le point de départ de la prescription à la date où le délit est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique ; qu'à compter du premier fait répréhensible, à savoir l'adjudication le 3 septembre 1991, les remises d'intérêts se sont déroulées successivement durant les travaux ; qu'ainsi, le paiement injustement qualifié de ... "régularisation comptable" par la facture d'avoir, délivrée par la société X... à la société Z..., constitue une prise d'intérêts, qui ne pouvait, eu égard à la décision de recourir au compte courant, être rapprochée des travaux effectivement réalisés ;

" aux motifs, enfin, que si sous l'empire de l'ancien article 175 du Code pénal, la succession des opérations délictueuses constituait chacune un délit se prescrivant séparément, la série d'opérations fait qu'en l'espèce, l'intérêt reçu par le prévenu principal X... se traduit par la volonté de deux prévenus en la création d'une situation permanente dont X... a tiré intérêt ; qu'ainsi, les règlements qu'il a reçus régulièrement et l'avoir qui a mis fin à ces relations contractuelles délictueuses ont transformé l'infraction en délit continu ; que c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que la prescription a commencé à courir du jour où la situation délictueuse a cessé ainsi qu'à partir du moment où des investigations suffisamment précises ont pu permettre d'en avoir une connaissance suffisante pour exercer valablement l'action publique ; que le soit-transmis daté du 21 mars 1996 est suffisant pour interrompre la prescription qui a commencé à courir à compter du 8 avril 1994, date de réception par la société Z... de l'avoir de X... mettant fin au compte courant entre les parties traduisant une partie des faits délictueux successivement perpétrés ;

" alors, en premier lieu, que le délit de prise illégale d'intérêts suppose que l'acte litigieux crée un lien de droit entre les dépositaires de l'autorité publique, le chargé de mission de service public ou l'élu, pourvu de la qualité de surveillant et cette même personne appréhendée comme surveillée ;

" que, dans l'hypothèse d'un délit de prise illicite d'intérêts prétendument commis par le président d'une chambre de commerce et d'industrie qui a accordé l'attribution d'un marché public, dont il avait la surveillance, à une entreprise dissimulant en fait sa propre société chargée de réaliser le marché, l'écriture comptable, enregistrant un avoir précédemment consenti à la suite d'une transaction intervenue entre les deux sociétés, ne peut caractériser une prise illicite d'intérêts dès lors qu'à cette date l'enregistrement comptable ne confère aucun lien de droit nouveau, seule l'émission de l'avoir par la société gérée par le président de la chambre de commerce étant porteur d'obligation liée à l'achèvement de l'opération prétendue de sous-traitance ;

" qu'en l'espèce, la demande de paiement final formulée par la société X... auprès de la société Z..., à la date du 31 août 1992, a fait l'objet d'une transaction entre les dirigeants des deux sociétés, aux termes de laquelle l'entreprise gérée par X... a reconnu devoir à la société adjudicataire du marché une somme de 42 587,07 francs ; que cette transaction a été matérialisée par l'émission d'un avoir signé le 31 décembre 1993 par X..., en sa seule qualité de dirigeant de l'entreprise X... ; qu'en conséquence, l'enregistrement de cet avoir dans les écritures comptables de la société Z..., à la date du 8 avril 1994, ne peut caractériser une prise illicite d'intérêts au sens de l'article 432-12 du Code pénal nouveau et qu'en se prononçant ainsi, les juges d'appel ont violé les textes susvisés ;

" alors, en deuxième lieu, que le délit de prise illégale d'intérêts suppose que l'acte délictueux ait été commis par celui qui a la qualité de dépositaire de l'autorité publique, celle de chargé de mission de service public ou qui se trouve investi d'un mandat électif public ; qu'à supposer que la simple saisie d'un avoir dans la comptabilité d'une entreprise puisse être considérée comme une prise illégale d'intérêts, cette opération réalisée par une personne dépourvue de l'une des qualités susvisées ne peut consommer le délit de l'auteur principal ;

" qu'en l'espèce, la réception de l'avoir émis par la société X... à la date du 31 décembre 1993 a été inscrite dans la comptabilité de la SARL Z... à la date du 8 avril 1994 par Y..., entrepreneur dépourvu de l'une des qualités précitées, de sorte que cet agissement, fût-il d'une personne poursuivie au titre de la complicité, ne peut caractériser le délit de l'auteur principal ;

" alors, en troisième lieu que, à supposer encore que la saisie litigieuse de l'avoir puisse être reprochée au président de la chambre de commerce à travers l'agissement commis par un tiers, le délit de prise illégale d'intérêts réalisé par la conservation d'un intérêt quelconque n'est caractérisé que si la personne investie de l'une des qualités susvisées, a refusé d'abandonner l'intérêt qu'elle aurait précédemment avec l'entreprise ou dans l'opération nouvellement soumise à sa surveillance ;

"qu'en l'espèce, le président de la chambre de commerce et d'industrie, lors de l'attribution du marché public à l'entreprise Z..., était déjà investi de la qualité requise, de sorte que l'agissement litigieux commis après le 1er mars 1994 ne peut être qualifié de conservation d'un intérêt répréhensible selon les dispositions nouvelles de l'article 432-12 du Code pénal ;

" alors, en quatrième lieu, que le délit de prise illégale d'intérêts, consommé indépendant du profit qu'il suscite, demeure un délit instantané sauf à établir que la personne qualifiée, de manière constante et répétée, sollicite les opérations dans lesquelles elle manifeste un pouvoir de surveillance, tout en conservant la qualité de surveillé ; "qu'en l'espèce, les demandes de paiement effectuées par X..., en sa qualité de dirigeant d'entreprise et diligentées à l'encontre de la société Z..., ont eu lieu tandis que le prévenu principal n'exerçait plus la position de surveillant à l'égard des paiements litigieux, de sorte qu'à défaut de cette double qualité, aucune situation permanente délictueuse ne peut être retenue à l'encontre de X... ; qu'en se prononçant ainsi, les juges d'appel ont excédé les termes de la loi ;

" alors, en cinquième lieu, que le point de départ de la prescription de l'action publique des infractions instantanées, fixé le lendemain du jour de la consommation des faits, ne peut-être reporté à la date à laquelle le délit est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique, que si, et seulement, la clandestinité est inhérente au délit ; qu'un tel élément ne figure pas dans l'incrimination prévue par l'ancien article 175 du Code pénal de sorte que les agissements commis avant le 1er mars 1994 sont prescrits ;

" alors, en dernier lieu, que la Cour n'a pu sans se contredire, énoncer que le soit-transmis daté du 27 mars 1996 suffit à interrompre la prescription qui a commencé à courir à compter du 8 avril 1994, date de réception pour la société Z... de l'avoir émis par X... mettant fin au compte courant, traduisant une partie des faits délictueux successivement perpétrés et affirmer ainsi qu'en présence d'un délit continu, le point de départ était fixé au jour où la situation délictueuse a cessé, mais néanmoins déclarer que la prescription a commencé à courir à partir du moment où des investigations suffisamment précises ont pu permettre d'en avoir une connaissance suffisante pour exercer valablement l'action publique, se référant alors au caractère clandestin de l'infraction consommée reportant le point de départ de la prescription en mars 1996, date de la délation des faits reprochés ; que cette contradiction de motifs constitue un vice de forme qui prive de base légale la décision attaquée " ;

Vu les articles 6 et 8 du Code de procédure pénale, ensemble l'article 432-12 du Code pénal ;

Attendu que le délit de prise illégale d'intérêts se prescrit à compter du dernier acte administratif accompli par l'agent public par lequel il prend ou reçoit directement ou indirectement un intérêt dans une opération dont il a l'administration ou la surveillance ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, le 3 septembre 1991, la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Millau, dont X... était le président, a attribué, en qualité de maître d'ouvrage, à la société Z..., dirigée par Y..., les lots gros oeuvre, charpente et couverture d'un marché sur appel d'offres pour la construction de la tour de contrôle de l'aéroport de cette ville ; que la plus grande partie des travaux de gros oeuvre, qui se sont achevés en juin 1992, a été en fait réalisée par la société X..., dont X... est le président, laquelle s'est substituée à la société Z..., sans recours à la sous-traitance ;

Attendu que ces travaux ont été facturés, pour un montant de 670 900,35 francs, par la société Z... et réglés par la CCI, par mandatements successifs, sur présentation par cette société de situations d'avancement des travaux ; que, dans le même temps, une somme totale de 586 404,28 francs a été rétrocédée à la société X... après que celle-ci eut adressé à l'entreprise adjudicataire cinq demandes d'acomptes s'échelonnant du 28 février au 31 août 1992 ;

Attendu que la dernière demande d'acompte, du 31 août 1992, ayant suscité un différend entre X... et Y... qui en a contesté le montant, ce dernier n'en a réglé qu'une partie à titre transactionnel ; que la différence entre la somme réclamée et celle payée a été régularisée par un " avoir " émis seulement le 31 décembre 1993, par la société X... et reçu le 8 avril 1994, par la société Z... ;

Attendu qu'à la suite de la dénonciation, courant mars 1996, par le directeur de l'aérodrome de Millau, des agissements de X..., le procureur de la République a ordonné une enquête préliminaire le 29 mars 1996 ; que, le 10 avril 1997, une information judiciaire a été ouverte contre X... et Y... pour prise illégale d'intérêts et complicité, à l'issue de laquelle les intéressés ont été renvoyés de ces chefs devant la juridiction correctionnelle ;

Attendu que, pour écarter l'exception de prescription de l'action publique soulevée par les prévenus, la juridiction du second degré relève qu'à compter de l'adjudication du 3 septembre 1991, les prises d'intérêts se sont déroulées successivement lors de la perception de chacun des mandatements, par l'intermédiaire de la société Z..., et également " par les demandes d'acomptes de la société X... à la société Z... ainsi que par le règlement desdits acomptes, soit par paiement effectif de la société Z... à la société X..., soit encore par le paiement, injustement qualifié de régularisation comptable, par la facture d'avoir délivrée par la société X... à la société Z... " ;

Que les juges ajoutent " qu'ainsi la série d'opérations fait qu'en l'espèce l'intérêt reçu par le prévenu principal X... se traduit, par la volonté des deux prévenus, en la création d'une situation permanente dont X... tire intérêt ; que, dans ce cas, les règlements qu'il a reçus régulièrement et l'avoir qui a mis fin à ces relations contractuelles délictueuses ont transformé l'infraction en délit continu " ;

Qu'ils énoncent enfin que " le soit-transmis du 27 mars 1996 est donc suffisant pour interrompre la prescription qui a commencé à courir à compter du 8 avril 1994, date de réception par la société Z... de l'avoir de X... mettant fin au compte courant entre les parties et traduisant une partie des faits délictueux successivement perpétrés " ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que l'émission de l'avoir par la société X..., le 31 décembre 1993, et sa réception, le 8 avril 1994, par la société Z..., ne faisaient qu'enregistrer en comptabilité la transaction intervenue courant 1992 entre les deux sociétés, sans réaliser aucun acte nouveau d'administration plaçant X... en position de surveillé et de surveillant, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt précité de la cour d'appel de Montpellier du 6 mai 1999,

Vu l'article L. 131-5 du Code de l'organisation judiciaire ;

CONSTATE la prescription de l'action publique ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi.