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Décisions

Cass. 3e civ., 26 janvier 2022, n° 21-10.828

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Teiller

Avocats :

Me Descorps-Declère, SCP Piwnica et Molinié

Paris, du 2 déc. 2020

2 décembre 2020

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 décembre 2020), la société Lyra media, désormais dénommée la société Qobuz Music Group, locataire de locaux commerciaux (la locataire) donnés à bail par la société TH Grimmeisen (la bailleresse), lui a donné congé par acte extrajudiciaire pour le 31 mars 2011, date d'expiration d'une période triennale.

2. La locataire a assigné la bailleresse, pour voir dire que le bail a pris fin le 31 mars 2011 et, en restitution du dépôt de garantie.

3. Le 19 août 2014, une procédure de sauvegarde a été ouverte au bénéfice de la locataire, convertie le 29 décembre 2015 en liquidation judiciaire.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. La bailleresse fait grief à l'arrêt de dire que le congé délivré le 21 septembre 2010 a mis fin au contrat de bail le 31 mars 2011, de la condamner à payer à la locataire une certaine somme en restitution du dépôt de garantie, de fixer l'indemnité d'occupation mensuelle due par la locataire à compter du 1er avril 2011 jusqu'à son départ le 31 octobre 2011 au montant du loyer et des charges, et de rejeter ses demandes au titre des loyers du 4ème trimestre 2011 et des années 2012 à 2014, alors :

« 1°/ que si aucune forme particulière ne s'impose pour la rédaction d'un congé, sauf reproduction des mentions prévues par la loi, encore faut-il qu'il se présente comme un acte ayant pour but de prévenir d'une façon non équivoque le cocontractant de la volonté de mettre fin au bail pour la date et les conditions précisées ; qu'en jugeant que pouvait valoir congé au 31 mars 2011 l'acte du 21 septembre 2010 dont le locataire expliquait lui-même deux jours après sa signification qu'il était destiné à ne produire aucun effet, étant « une mesure de précaution totalement formelle, mais j'espère bien qu'on est là et ici pour longtemps » et n'ayant pas été suivi du départ du locataire à la date annoncée, ce dernier ayant continué de payer ses loyers plusieurs mois après le 31 mars 2011, avant de délivrer au bailleur, le 25 juillet 2011, un « congé définitif » pour le 31 octobre 2011, la cour d'appel a violé les articles L. 145-4 et L. 145-9 du code de commerce, dans leur rédaction applicable à la cause ;

2°/ que, subsidiairement à la première branche, la renonciation à un droit peut être tacite dès lors qu'elle procède d'actes manifestant sans équivoque la volonté de renoncer ; que la société TH Grimmeisen rappelait dans ses écritures d'appel, pour établir la renonciation par son preneur à son congé du 21 septembre 2010, que la société Qobuz avait délivré ce congé pour le 31 mars 2011 mais que néanmoins cet acte était, selon la société Qobuz elle-même, destiné à ne produire aucun effet, étant « une mesure de précaution totalement formelle, mais j'espère bien qu'on est là et ici pour longtemps » (courriel du preneur du 23 septembre 2010) ; que le 31 mai 2011, soit deux mois après la date annoncée dans son « congé » de départ des lieux loués, la société Qobuz écrivait « en raison d'un problème formel de finance interne, nous serons en mesure de régulariser notre échéance de loyer le 8 juin après-midi, par virement », le 10 juin 2011 que « nous allons effectuer un virement de 43 780 euros correspondant aux loyers des mois de avril 2011 et mai 2011 entre le 15 et le 20 juin 2011 », le 3 août 2011, au conseil de la société TH Grimmeisen, que « nous vous informons avoir viré ce jour au compte de notre bailleur (?) la somme de 21 890,04 euros correspondant au solde du loyer relatif au 2ème trimestre 2011. Ce retard est dû à des difficultés de trésorerie passagères (?) Nos difficultés de trésorerie se résoudront en octobre 2011 » et avoir « adressé par LRAR notre congé définitif à la société TH Grimmeisen pour fin octobre 2011 dont copie jointe. Par conséquent, nous n'occuperons plus les locaux à compter du 1er novembre 2011 et nous ne serons plus redevables des loyers au-delà de cette date », congé « définitif » délivré au bailleur le 25 juillet 2011 ; qu'en jugeant que « son maintien dans les lieux était (?) lié à cette possibilité de parvenir à la conclusion d'un nouveau contrat à des conditions plus avantageuses et ne peut valoir renonciation non équivoque au congé signifié le 21 septembre 2010 », la cour d'appel a violé l'article 1134, devenu 1103, du code civil, ensemble les articles L. 145-4 et L. 145-9 du code de commerce, dans leur rédaction applicable à la cause ;

3°/ que, subsidiairement à la deuxième branche, la société TH Grimmeisen rappelait, page 13 de ses conclusions d'appel, pour établir le renoncement par la société Qobuz à son congé du 21 septembre 2010 pour le 31 mars 2011, que celle-ci lui avait envoyé le 25 juillet 2011, après s'être maintenue dans les lieux et avoir continué de payer son loyer postérieurement au 31 mars 2011, son « congé définitif » (courriers de la société Qobuz des 25 juillet et 3 août 2011) ; qu'en jugeant qu'aucun renoncement du preneur au congé du 21 septembre 2010 ne pouvait être caractérisé, sans répondre au moyen tiré par la société TH Grimmeisen de l'existence d'un « congé définitif » qualifié comme tel par la société Qobuz et envoyé par celle-ci le 25 juillet 2011, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

4°/ que page 13 de ses conclusions d'appel, la société TH Grimmeisen dénonçait les contradictions de la société Qobuz music group, qui tantôt affirmait avoir délivré un bail, tantôt affirmait le caractère de pure forme de ce dernier, tantôt affirmait que le bail n'avait pas été résilié, tantôt soutenait le contraire ; qu'en jugeant que le congé délivré par la société Qobuz avait produit effet le 31 mars 2011, sans vérifier si la société Qobuz ne s'était pas contredite dans ses affirmations relatives à la valeur et à la prise d'effet du « congé » litigieux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134, devenu articles 1103 et 1104 du code civil, ensemble les articles L. 145-4 et L.145-9 du code de commerce, dans leur rédaction applicable à la cause. »

Réponse de la Cour

6. La cour d'appel a énoncé, à bon droit, que le congé est un acte unilatéral qui met fin au bail et que le maintien dans les lieux du locataire au-delà de la date d'effet du congé qu'il a délivré ne peut s'analyser en une renonciation au bénéfice de ce congé que si les circonstances établissent de façon non équivoque sa volonté de renoncer qui ne se présume pas.

7. Elle a retenu, par motifs propres et adoptés, que le courriel de la locataire, indiquant que le congé était une mesure de précaution totalement formelle, ne visait qu'à maintenir un climat propice à la négociation sans impliquer de volonté de renoncer au bénéfice du congé en cas d'échec, que son maintien dans les lieux au-delà de la date d'effet du congé était lié à cette possibilité de parvenir à la conclusion d'un nouveau contrat à des conditions plus avantageuses et, que l'usage habituel du terme « loyer » dans les correspondances des parties pour désigner les sommes dues en contrepartie du maintien dans les lieux ne traduisait pas une volonté non équivoque de poursuivre le bail, alors qu'au contraire leurs échanges révélaient un désaccord sur la poursuite du bail aux conditions antérieures.

8. La cour d'appel, qui n'était pas tenue d'entrer dans le détail de l'argumentation des parties, a pu en déduire que la locataire n'avait pas renoncé de manière non équivoque au bénéfice de son congé et que celui-ci avait mis fin au bail à la date du 31 mars 2011.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

10. La bailleresse fait grief à l'arrêt de constater que les créances dont elle se prévaut sont inopposables à la locataire dans les conditions de l'article L. 622-26 du code de commerce, en l'absence de déclaration de créance dans les délais, alors « que la cassation de l'arrêt en ce qu'il a jugé que le congé délivré le 21 septembre 2010 a mis fin au contrat de bail liant les parties le 31 mars 2011, entraînera, par application de l'article 624 du code de procédure civile, sa cassation par voie de conséquence en ce qu'il a jugé que les conditions de la compensation légale n'étaient pas réunies faute de certitude des créances alléguées par la société TH Grimmeisen, les créances de loyers impayés de cette dernière étant certaines. »

Réponse de la Cour

11. La cassation n'étant pas prononcée sur les premier et deuxième moyens, le grief tiré d'une annulation par voie de conséquence est devenu sans objet.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;