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Décisions

Cass. crim., 30 octobre 1995, n° 94-85.363

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gondre

Rennes, du 14 avr. 1994

14 avril 1994

Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs ;

Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 178 et 179 anciens du Code pénal, 432-11, 433-2 du nouveau Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Alain A... et Marie-Françoise E... respectivement coupables de trafic d'influence et de recel de trafic d'influence ;

"aux motifs, adoptés des premiers juges, qu'il a été exposé les diverses conventions liant la commune de Trebeurden avec la société SERIM et celles liant la société SERIM avec Campenon-Bernard, avec le cabinet B... et la société chargée de la réalisation du centre de thalassothérapie, ainsi que celles liant la commune de Trebeurden à Campenon-Bernard et au cabinet B... ;

"qu'il est constant que l'arrêté du préfet autorisant la construction du port de Trebeurden a été pris le 10 janvier 1990 ;

"qu'à l'exception des versements de 36 000 francs et 20 000 francs effectués respectivement les 4 août et 22 décembre 1989, et la mise à disposition de l'appartement de Ploumanac'h au couple Guennec-André, ce antérieurement à l'arrêté, la quasi-totalité des sommes remises par André F... l'ont été postérieurement à l'arrêté du préfet ;

"qu'Alain A... s'est placé en situation de disponibilité de décembre 1989 à septembre 1990 ;

qu'il est constant que cette période correspond à celle des versements effectués par André F... ;

que si, à la date du 10 janvier 1990, il peut être considéré qu' André F... n'avait plus besoin de l'entremise du maire de Trebeurden pour la construction du port, il est non moins certain que la poursuite des autres réalisations du projet de la ZAC dépendait en grande partie "du dynamisme" du maire de la commune de Trebeurden ;

"qu'à cet égard il convient de rappeler, ainsi qu'explicité ci-dessus, que le 28 mai 1988 Campenon-Bernard avait signé avec la mairie de Trebeurden un avenant à la convention du 26 mai précédent, subordonnant l'accord relatif à la réalisation du port à l'approbation, par le conseil municipal de Trebeurden et le préfet, du PAZ et du dossier de réalisation de la ZAC, à l'obtention de l'arrêté du DUP, relatif aux expropriations des propriétaires et des occupants dans le périmètre de la ZAC ;

"que, de même, une seconde convention en date du 17 novembre 1988, conclue entre les mêmes parties, relative à la réalisation d'habitations en résidence de loisirs, d'un centre de thalassothérapie et d'un centre nautique, prévoyait l'intervention active de la mairie pour l'expropriation des terrains privés de la ZAC ;

"qu'encore le centre de thalassothérapie ne pouvait être construit qu'à la condition que la commune de Trebeurden cède un terrain lui appartenant, d'une contenance d'environ 1 000 m2 (cote S 23, p. 3, dernier paragraphe) ;

"que pour ces diverses opérations André F... pouvait espérer des honoraires confortables (400 000 francs, 100 000 francs et 1,5 million de francs) ;

"qu'en définitive, en raison du caractère occulte des remises de fonds, de l'absence de contrat et de la concordance de dates avec les encaissements de la SERIM auprès de Campenon-Bernard, les remises litigieuses s'analysent en gratifications faites par André F..., promoteur, à Alain A..., maire de la commune de Trebeurden, liées à la réalisation du port, André F..., pour la suite des travaux, escomptant des rentrées importantes consécutives à la construction du centre de thalassothérapie et du centre nautique, ce qui lui aurait permis de couvrir très largement le léger passif de la SERIM, au regard des sommes en jeu, et de se refaire une surface financière sans commune mesure avec les difficultés liées aux règlements faits à Alain A..., surtout si l'on considère la part qu'il aurait pu également obtenir sur la construction des habitations à usage de loisirs ;

"que, pour parvenir à ces fins, André F... devait, dès lors, oeuvrer pour conserver à la mairie de Trebeurden l'animation des projets en cours ;

qu'il y parvenait par les versements effectués, alors que la position de Alain A... était ébranlée par ses problèmes personnels et financiers et, dans le même temps, faisait du maire de Trebeurden son obligé ;

"qu'ainsi les infractions de trafic d'influence (1) et de recel de trafic d'influence (2) reprochées respectivement à André F... et Alain A... (1) et à Marie-Françoise Y... (2), dans les termes de la prévention sus-énoncée, sont caractérisées à leur égard en tous leurs éléments constitutifs ;

"et aux motifs propres que ces diverses opérations se sont déroulées entre juillet 1989 et septembre 1990 ;

que les procès-verbaux de réunions du conseil municipal montrent que l'adoption finale des projets de ZAC et de port de plaisance n'a eu lieu qu'en janvier et février 1990 et que de vives discussions avaient eu lieu auparavant au sein du conseil (PV des 3 novembre 1989 et 11 décembre 1989) ;

que la réalisation du projet de la ZAC et du centre de thalassothérapie était soumise à l'acquisition de terrains, certains appartenant à la commune et d'autres étant susceptibles de nécessiter une procédure d'expropriation avec rétrocession ultérieure ;

"qu'André F... avait directement intérêt à ce que ces projets aboutissent, sa rémunération étant fonction de l'avancement des travaux ;

"que c'est par des motifs exacts, que la Cour adopte expressément, que le tribunal a estimé que l'ensemble de ces éléments permettent de retenir André F... et Alain A... et Marie-Françoise Y... dans les liens de la prévention ;

"alors que l'infraction de trafic d'influence n'est constituée que si les moyens visés à l'ancien article 178 du Code pénal ont eu pour but de faire obtenir de l'autorité publique une décision favorable à leur auteur ;

"qu'en l'espèce, il ressort des énonciations du jugement et de l'arrêt attaqué que la totalité des opérations d'urbanisme, décidées par la commune antérieurement à l'élection d'Alain A..., avaient donné lieu, pour leur réalisation, à deux accords, en 1988, entre la ville de Trebeurden et la société Campenon-Bernard, qui, dès lors, s'était substituée à la SERIM, en devenant le seul partenaire de la commune, ce que rappelaient d'ailleurs les demandeurs dans leurs écritures ;

"qu'en cet état, et nonobstant la délégation de maîtrise d'ouvrage du 1er février 1990 en faveur de la SERIM, qui n'était que la conséquence logique de l'approbation préalable de 1987 par le conseil municipal du centre nautique, la Cour, qui, pour condamner Alain A..., énonce, sur un plan général, qu'André F... avait intérêt à ce que les projets déjà en cours aboutissent, n'a pas suffisamment caractérisé la décision favorable recherchée par les versements litigieux, privant ainsi la déclaration de culpabilité de base légale" ;

Attendu que, pour déclarer coupables Alain A... de trafic d'influence et Marie-Françoise E... de recel de fonds provenant de cette infraction, la cour d'appel, par motifs propres et adoptés, retient qu'André F..., gérant d'une société d'études ayant conclu des contrats d'assistance technique avec l'entreprise de construction chargée de la réalisation d'un complexe nautique dans la commune dont Alain A... est devenu le maire en 1989, a versé en espèces à ce dernier, entre le 3 août 1989 et le 12 septembre 1990, des sommes qui, pour partie, ont été déposées sur des comptes bancaires par lui-même et par sa compagne Marie-Françoise E..., et pour le surplus ont été dépensées par eux, et qu'il a mis gratuitement un appartement à leur disposition ;

Qu'elle relève que l'adoption finale, par le conseil municipal, des projets de Zone d'aménagement concerté (ZAC) et de port de plaisance n'a eu lieu, après de vives discussions, qu'en janvier et février 1990, et que la réalisation du projet de ZAC et du centre de thalassothérapie envisagé était subordonnée à l'acquisition de terrains dont certains appartenaient à la commune et dont d'autres étaient susceptibles de nécessiter une expropriation ;

Qu'elle observe qu'André F..., dont la société a été désignée par une délibération du 1er février 1990 en qualité de maître d'ouvrage délégué, et qui était par ailleurs rémunéré par l'entreprise de construction, "avait directement intérêt à ce que les projets aboutissent, sa rémunération étant fonction de l'avancement des travaux" ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, qui caractérisent en tous leurs éléments constitutifs les infractions reprochées, les juges du fond ont justifié leur décision sans encourir les griefs allégués ;

Que, dès lors, le moyen doit être écarté ;

Mais sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 432-17, 433-22, 131-26 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a condamné Alain A... et Marie-Françoise E... à la peine complémentaire de 10 années de privation des droits civiques, civils et de famille ;

"alors que l'article 131-26 du Code pénal, applicable au moment où l'arrêt a statué, prévoit à ce titre une peine qui ne peut excéder 5 ans" ;

Vu lesdits articles, ensemble l'article 112-1, alinéa 3, du Code pénal ;

Attendu que, selon l'article 131-26 dudit Code, applicable en vertu de l'article 112-1, alinéa 3, aux infractions commises avant son entrée en vigueur, l'interdiction des droits civiques, civils et de famille ne peut excéder une durée de 5 ans en cas de condamnation pour délit ;

Attendu qu'après avoir déclaré coupables Alain A... de trafic d'influence et Marie-Françoise E... de recel de fonds provenant de cette infraction, la cour d'appel a prononcé à leur égard, à titre de peine complémentaire, l'interdiction des droits civiques, civils et de famille pendant 10 ans ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, la juridiction du second degré a méconnu les textes susvisés ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs,

CASSE ET ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rennes, en date du 14 avril 1994, en ses seules dispositions ayant fixé à 10 ans la durée de la peine d'interdiction des droits civiques, civils et de famille prononcée à l'égard d'Alain A... et de Marie- Françoise E..., toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Vu l'article L. 131-5 du Code de l'organisation judiciaire ;

Fixe la durée de cette peine à 5 ans ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rennes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;