CA Dijon, 2e ch. civ., 29 avril 2021, n° 19/00318
DIJON
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Vautrain
Conseillers :
Mme Dumurgier, Mme Brugere
Avocats :
Me Lambert, Me Cuisinier
FAITS ET PROCÉDURE :
Madame E... A.. aujourd'hui divorcée B... exploitait un fonds de commerce de brasserie sous l'enseigne 'Bar de la Poste' à Semur en Auxois.
Par jugement du tribunal de commerce de Dijon du 6 mai 2008 elle est placée en redressement judiciaire. Le 8 mars 2009, le tribunal homologue un plan de continuation.
Par acte notarié du 20 décembre 2013 reçu par Maître D.., notaire associé à Semur en Auxois et publié le 20 janvier 2014 à la Conservation des Hypothèques, Madame A.. établit une déclaration d'insaisissabilité de l'immeuble sis 12 route de Ledavree à Nan sous Thil (21390) qui constitue sa résidence principale.
Par jugement du 7 octobre 2014, le tribunal de commerce de Dijon prononce la résolution du plan de continuation et ouvre une procédure de liquidation judiciaire avec fixation provisoire de la date de cessation des paiements au 15 juillet 2014. Maître F... est désignée en qualité de liquidateur judiciaire.
Par acte d'huissier du 22 juillet 2015, Maître F... es qualité assigne Madame A... devant le tribunal de commerce aux fins de report de la date de cessation des paiements entre le 30 septembre et le 8 octobre 2013.
Cette demande est rejetée par le tribunal de commerce, mais, par arrêt infirmatif du 11 mai 2017 la cour d'appel de Dijon fixe au 30 septembre 2013 la date de cessation des paiements.
Par acte d'huissier du 28 novembre 2017, la SCP VERONIQUE F... es qualité assigne
Madame E... A... devant le tribunal de commerce de Dijon aux fins de voir déclarer nulle la déclaration d'insaisissabilité en application de l'article L 632-1 du code de commerce. Elle demande en outre la condamnation de Madame A... à lui verser es qualité 2 000 sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle rappelle que, par application des dispositions de l'article L 632-1 du code de commerce, la déclaration d'insaisissabilité fait par le débiteur depuis la date de cessation des paiements est nulle de droit.
Madame A... s'oppose à cette demande en soutenant que, compte-tenu de la date de cessation des paiements, c'est la version de l'article L 632-1 du code de commerce applicable antérieurement à l'ordonnance du 12 mars 2014 qui doit être appliquée ; que dans cette version, la nullité de la déclaration d'insaisissabilité n'est pas prévue.
La SCP VERONIQUE F... réplique que la procédure de liquidation judiciaire ouverte sur résolution du plan de continuation constitue une nouvelle procédure ; que la liquidation judiciaire ayant été prononcée le 7 octobre 2014, c'est bien la nouvelle version de l'article L 632-1 du code de commerce qui s'applique.
Par jugement du 24 janvier 2019, le tribunal de commerce de Dijon dit que la déclaration d'insaisissabilité du 20 décembre 2013 est parfaitement valable et déboute en conséquence la SCP VERONIQUE F... de sa demande et la condamne à verser à Madame A... 2 000 sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le tribunal retient :
- que c'est la version antérieure à la loi du 6 août 2015 de l'article L 526-1 alinéa 1er du code de commerce qui s'applique, et qu'en conséquence l'insaisissabilité de la résidence principale n'est pas de droit mais qu'elle peut faire l'objet d'une déclaration par la personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel,
- que si l'article L 632-1 I du code de commerce en sa version issue de l'ordonnance du 12 mars 2014 prévoit la nullité de plein droit de la déclaration d'insaisissabilité effectuée postérieurement à la date de cessation des paiements, l'article 16 de ladite ordonnance a fixé son entrée en vigueur au 1er juillet 2014 et précisé qu'elle ne s'appliquait pas aux procédures en cours,
- que sauf dispositions transitoires contraires expresses, la loi n'a pas d'effet rétroactif et ne peut pas remettre en cause la validité d'une situation régulièrement constituée au moment où elle entre en vigueur ; qu'en l'espèce en prévoyant qu'elle ne s'appliquait pas aux procédures en cours, l'ordonnance a expressément écarté son application immédiate et a fortiori un effet rétroactif ; qu'il s'en déduit que les nouvelles dispositions de L 632-1 I du code de commerce ne s'appliquent pas à une déclaration d'insaisissabilité valablement effectuée antérieurement à son entrée en vigueur.
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La SCP VERONIQUE F... es qualité fait appel par déclaration reçue au greffe de la cour d'appel le 28 février 2019.
Par conclusions n° 3 déposées le 30 juin 2020, la Selarl MJ & Associés anciennement SCP VERONIQUE F... es qualité demande à la cour d'appel de :
' Vu l'article L.632-1 du code de commerce dans sa version issue de l'ordonnance n° 2014-326 du 12
mars 2014,
Vu l'article 2 du du code civil,
Vu les articles L.526-1 et suivants du code de commerce dans leur rédaction applicable aux faits de
l'espèce,
- Dire et juger la Selarl MJ & Associes, ès-qualités de liquidateur judiciaire de Madame E... A... épouse B..., recevable et fondée en son appel,
- Dire et juger que le nouveau texte de l'article L.632-1 du code de commerce s'applique à la déclaration notariée d'insaisissabilité souscrite par Madame A... épouse B... le 20 décembre 2013,
- Constater que la déclaration notariée d'insaisissabilité a été souscrite postérieurement à la date de cessation des paiements,
En conséquence,
- Annuler la déclaration notariée d'insaisissabilité souscrite par Madame E... A... épouse B... par acte au ministère de Maître C... D... le 20 décembre 2013 et publiée au registre de la publicité foncière de Dijon 3ème bureau le 20 janvier 2014, n° 2014 P 83,
A titre subsidiaire,
- Constater que la déclaration notariée d'insaisissabilité n'a pas fait l'objet d'une mention au Registre du Commerce et des Sociétés,
- En conséquence annuler la déclaration notariée d'insaisissabilité ou déclarer la déclaration notariée d'insaisissabilité souscrite par Madame E... A... épouse B... par acte de Maître C... D... le 20 décembre 2013 inopposable à la Selarl MJ & Associes prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de Madame E... A... épouse B...,
En tout état de cause,
- Condamner Madame E... A... épouse B... à verser à la SELARL MJ & ASSOCIES, ès-qualités de liquidateur judiciaire de Madame E... A... épouse B..., une somme de 3 000.00 en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.'
Par conclusions n° 2 déposées le 4 juin 2020, Madame E... A... divorcée B... demande à la cour de :
' Vu les dispositions des articles 526-1 et 526-2 du code de commerce,
Vu les dispositions des articles L. 622-9, L. 641-9 du code de commerce,
Vu les dispositions de l'article L. 632-1 du code de commerce issu de l'ordonnance n° 2010-1512 du
9 décembre 2010,
Vu la jurisprudence,
Vu les pièces,
- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement du 24 janvier 2019 rendu par le tribunal de commerce de Dijon,
En conséquence,
- Dire et juger que la déclaration notariée d'insaisissabilité du 20 décembre 2013 est parfaitement valable et opposable au liquidateur,
- Déclarer la demande de nullité de cette déclaration fondée sur l'article L 632-1 du code de commerce dans sa version issue de l'ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 non fondée et la rejeter,
- Débouter la SCP VERONIQUE F... ès qualités, de toutes ses demandes, fins et prétentions,
- Condamner la SCP VERONIQUE F... ès qualités, à verser à Madame B... une somme de 2000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la SCP VERONIQUE F... ès qualités aux dépens.'
Suivant avis du 27 janvier 2021, le Ministère Public demande la confirmation du jugement.
L'ordonnance de clôture est rendue le 26 janvier 2021.
En application des articles 455 et 634 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions susvisées.
MOTIVATION :
Il est constant que les dispositions de l'article L 632-1 du code de commerce ont été modifiées par l'ordonnance du 12 mars 2014 entrée en application le 1er juillet 2014, l'article 16 de ladite ordonnance précisant toutefois que ces nouvelles dispositions ne s'appliquaient pas aux procédures en cours.
Si l'article 2 du code civil prévoit que la loi ne dispose que pour l'avenir et n'a point d'effet rétroactif, toute loi nouvelle s'applique immédiatement aux effets à venir des situations juridiques non contractuelles en cours au moment où elle entre en vigueur.
La déclaration d'insaisissabilité constitue une situation juridique non contractuelle, et cette situation, concernant en l'espèce la déclaration établie par Madame A... le 20 décembre 2013 et publiée à la Conservation des Hypothèques le 20 janvier 2014,était en cours lorsque la nouvelle version de L 632-1 du code de commerce est entrée en vigueur.
Par ailleurs la liquidation judiciaire prononcée après résolution du plan de continuation constitue une nouvelle procédure dès lors que l'article L 626-7 du code de commerce dit clairement que le jugement qui prononce la résolution du plan met fin à la procédure de redressement judiciaire.
En l'espèce, la procédure de liquidation judiciaire n'était pas en cours au 1er juillet 2014 puisqu'elle n'a été ouverte que le 7 octobre 2014. Il s'en déduit que ce sont les nouvelles dispositions de l'article L 632-1 du code de commerce qui s'appliquent.
L'article L 632-1 I du code de commerce en sa version issue de l'ordonnance du 12 mars 2014 prévoit la nullité de plein droit de la déclaration d'insaisissabilité effectuée postérieurement à la date de cessation des paiements. Or la date de cessation des paiements a été définitivement fixée au 30 septembre 2013 par arrêt de la cour d'appel de Dijon du 11 mai 2017.
Il s'en déduit que la déclaration d'insaisissabilité effectuée par Madame A... postérieurement à
cette date est nulle de plein droit.
PAR CES MOTIFS :
Infirme le jugement du tribunal de commerce de Dijon en date du 24 janvier 2019 en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Annule la déclaration notariée d'insaisissabilité souscrite par Madame E... A... divorcée B... par acte de Maître C... D... le 20 décembre 2013 et publiée au registre de la publicité foncière de Dijon 3ème bureau le 20 janvier 2014, n° 2014 P 83,
Condamne Madame E... A... divorcée B... aux entiers dépens de première instance et d'appel,
Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties de leurs demandes respectives au titre des frais irrépétibles.