Cass. crim., 28 février 2007, n° 06-85.952
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dulin
Rapporteur :
Mme Labrousse
Avocat général :
M. Davenas
Avocat :
SCP Masse-Dessen et Thouvenin
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-1, 121-3, 122-3, 122-4, alinéa 2, 432-12, 432-17 du code pénal, 388 et 593 du code de procédure pénale, 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré un prévenu (Gérard X..., le demandeur) coupable de prise illégale d'intérêts, pour avoir, étant dépositaire de l'autorité publique et chargé d'assurer la location par l'Etat de locaux pour l'installation à Tulle des bureaux du service pénitentiaire d'insertion et de probation de la Corrèze, oeuvré, le 27 janvier 2004, pour que les locaux retenus appartinssent à la SCI dont son épouse était gérante, et pour avoir, entre le 27 janvier et le 2 novembre 2004, procédé ou fait procéder au versement des loyers pour la location des locaux dans lesquels étaient installés les bureaux du SPIP de la Corrèze et qui appartenaient à la SCI dont son épouse était la gérante ;
"aux motifs que, Gérard X..., directeur du service pénitentiaire d'insertion et de probation de la Corrèze, avait été mandaté fin 2001 pour entamer des recherches de locaux extérieurs au tribunal de grande instance de Tulle pour y loger son service ;
que, par courrier du 28 février 2002, il avait écrit au président et au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Tulle que le seul site susceptible d'accueillir le SPIP avait été retenu, le premier étage du Centre 19000 ; que le 10 mai 2002, Me Z..., notaire, intervenait auprès de la direction générale des services pénitentiaires en indiquant que sa cliente, la SCI d'Hauteville, se proposait de louer ses locaux situés dans le Centre 19000, lesquels seraient aménagés conformément aux plans qui lui avaient été communiqués ; que, par courrier du 24 juin 2002, le directeur régional des services pénitentiaires transmettait à Gérard X... les plans du projet afin qu'il en discutât avec ses collaborateurs ;
que, par acte authentique du 23 décembre 2002, la société Nougein avait vendu ses locaux à la SCI d'Hauteville dont la gérante était Madeleine Y... ; que, par courrier du 1er avril 2003, Gérard X... avait sollicité le service des Domaines pour que celui-ci estimât la valeur locative des futurs locaux ; que, par contrat du 27 janvier 2004, la SCI d'Hauteville, représentée par Madeleine Y..., avait donné à bail à l'Etat, représenté par l'inspecteur responsable du centre des impôts fonciers de Tulle, assisté du directeur régional des services pénitentiaires de Bordeaux, l'ensemble immobilier ayant fait l'objet d'un réaménagement, moyennant un loyer fixé à 45 720 euros ; qu'au cours d'une période de maladie de Gérard X..., son adjoint s'est aperçu que la facture du loyer, émanant de la SCI d'Hauteville, faisait apparaître le nom de Madeleine Y... ;
qu'il avait fait le rapprochement avec le nom de jeune fille de Madeleine X... ; que l'adjoint du directeur avait fait son devoir en alertant sa hiérarchie de cette anomalie ; que l'article 432-12 du code pénal contenait une prohibition de principe, à savoir l'interdiction de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque ; qu'il n'était pas nécessaire que le coupable eût retiré de l'opération prohibée un bénéfice quelconque ni que la collectivité eût souffert quelque préjudice ; que l'infraction était consommée dès lors que le coupable avait pris sciemment un intérêt dans une affaire soumise à sa surveillance, même s'il n'avait pas voulu tirer profit de son immixtion, l'intention coupable étant caractérisée par le seul fait que l'auteur a accompli l'acte constituant l'élément matériel du délit reproché (sic) ; que l'auteur était tout simplement punissable parce que l'opération critiquée était incompatible avec ses fonctions ; que tous les courriers échangés entre la hiérarchie pénitentiaire et Gérard X... étaient fondés sur l'hypothèse d'une location, aucune acquisition n'ayant été envisagée ; que lorsque Gérard X... s'était rapproché du vendeur, il avait indiqué que le bien serait financé par l'administration et par la suite il avait invoqué des problèmes budgétaires pour expliquer qu'il avait été obligé de créer une SCI ; qu'il avait menti au vendeur car l'administration n'avait jamais eu l'intention d'acheter ; qu'après avoir déclaré qu'il avait créé la SCI, il avait tenté de faire croire aux enquêteurs qu'il était étranger à la genèse de cette personne morale ; que le notaire avait rappelé la participation active de Gérard X... à la création de la SCI, que celui-ci ne lui aurait jamais dit quelles étaient ses fonctions exactes au sein de l'administration pénitentiaire ; que Gérard X... avait entrepris les démarches auprès de l'architecte pour le compte de la SCI ; que ce dernier lui avait transmis les plans, les documents relatifs au projet ainsi que le montant du coût des travaux et de ses honoraires, cela démontrant que le demandeur était particulièrement intéressé par les rapports entre la SCI et le maître d'oeuvre ; que Gérard X... avait toujours sciemment omis de préciser quels étaient ses liens matrimoniaux avec Madeleine Y... ; qu'il ne l'avait pas dit à sa hiérarchie ; que Madeleine X... s'était toujours présentée sous le patronyme Y... ; qu'au cours de son audition devant le directeur régional, Gérard X... avait affirmé qu'il n'avait pas évoqué la qualité de Madeleine Y... car il pensait qu'une vérification existait au niveau des instances régionales afin de savoir qui constituait les SCI pour éviter de passer des contrats avec des truands, la mafia ou des personnes non habilitées ; qu'il précisait encore avoir cru que, ces vérifications étant faites, il n'y avait pas eu d'opposition en ce qui le concernait ; que cette affirmation fantaisiste présupposait que les consorts X... se seraient doutés qu'une difficulté pouvait exister mais que, dans la mesure où les contrôles supposés n'avaient donné lieu à aucune réserve, la situation avait été jugée normale ; que Gérard X... avait négocié le prix d'achat du bien immobilier ; que l'opération avait parfaitement été planifiée puisque le notaire de la SCI avait écrit le 10 mai 2002 aux services pénitentiaires pour leur proposer les locaux bien que la SCI n'eût encore eu aucune existence légale, son immatriculation n'étant intervenue que le 23 septembre 2002 ;
que Gérard X... avait confirmé qu'il était marié sous le régime de la communauté de biens ; que les parts détenues par Madeleine X... faisaient donc partie de la masse commune, de même que d'éventuels dividendes ; que Gérard X... avait fourni des plans au service des Domaines pour qu'une évaluation fût faite ; que c'était la SCI, représentée par Madeleine Y..., qui avait été bénéficiaire du bail et qui avait perçu le montant des loyers découlant de l'opération de prise illégale d'intérêts ; qu'il était acquis que Gérard X... avait un intérêt dans la SCI avec laquelle son administration avait contracté ; qu'il était parfaitement conscient de l'anomalie de cette situation ; que, sur l'action civile, l'Etat était fondé à demander réparation de son préjudice moral, Gérard X... ayant violé les principes élémentaires de la morale et du droit ; que les agissements des époux X... avaient jeté l'opprobre sur l'administration pénitentiaire auprès tant des autorités locales que des personnels du service, de ses bénéficiaires ou, plus généralement, des citoyens ;
"alors que, de première part, le demandeur ayant été cité pour avoir, le 27 janvier 2004, étant dépositaire de l'autorité publique, commis le délit de prise illégale d'intérêts en oeuvrant pour que les locaux retenus appartinssent à la SCI dont son épouse était la gérante, la cour d'appel ne pouvait le retenir dans les liens de la prévention de ce chef sans constater qu'il avait commis, à la date visée par la prévention, un acte susceptible d'être considéré comme destiné à oeuvrer pour que les locaux retenus appartinssent à la SCI ; qu'elle n'a cependant procédé à aucune constatation de cet ordre mais, bien mieux, a rappelé qu'à la date visée à la prévention le bail avait été conclu entre la SCI et l'Etat représenté, non par le demandeur, mais par un mandataire de la direction régionale des services pénitentiaires et un représentant de l'administration fiscale, si bien qu'elle n'a nullement relevé que l'auteur présumé eût eu une quelconque initiative à la date visée par la prévention ;
"alors que, de deuxième part, le demandeur ayant été également cité pour avoir, entre le 27 janvier et le 2 novembre 2004, étant dépositaire de l'autorité publique, commis le délit de prise illégale d'intérêts en procédant ou en faisant procéder au versement des loyers pour la location des locaux dans lesquels étaient installés les bureaux du SPIP de la Corrèze et qui appartenaient à la SCI dont son épouse était la gérante, la cour d'appel se devait de constater qu'au cours de la période visée à la prévention il avait commis un acte positif de nature à permettre de considérer qu'il avait procédé ou fait procéder au versement de loyers, ce qu'il contestait formellement, soutenant que ceux-ci étaient réglés directement par sa hiérarchie, la direction régionale ;
"alors que, de troisième part, pour déclarer que le demandeur était particulièrement intéressé par les rapports entre la SCI et le maître d'oeuvre, la cour d'appel ne pouvait, sans se contredire, retenir qu'il avait entrepris des démarches auprès de l'architecte pour le compte de cette société, que celui-ci lui avait transmis les plans, les documents relatifs au projet ainsi que le montant du coût des travaux et de ses honoraires, tout en constatant par ailleurs que, par courrier du 24 juin 2002, c'était le directeur régional des services pénitentiaires qui lui avait transmis les plans du projet afin qu'il en discutât avec ses collaborateurs ;
"alors que, de quatrième part, il n'y a pas de crime ni de délit sans intention de le commettre, en sorte que la cour d'appel ne pouvait déclarer que l'intention coupable était caractérisée par le seul fait que l'auteur présumé avait accompli l'acte constituant l'élément matériel du délit reproché ;
"alors que, de cinquième part, la cour d'appel, après avoir relevé que, au cours d'une période d'arrêt maladie du prévenu, son adjoint s'était aperçu que la facture de loyer émanant de la SCI faisait apparaître le nom de "Madeleine Y..." et avait fait le rapprochement avec le nom de jeune fille de Madeleine X..., en sorte qu'il avait fait son devoir en alertant sa hiérarchie de cette anomalie, la cour d'appel se devait d'en déduire que, contrairement à ce qu'elle a retenu par ailleurs, l'administration était parfaitement au courant de ce que Gérard X... était marié avec Madeleine Y... ;
"alors que, en outre, la cour d'appel ne pouvait affirmer que le prévenu avait toujours sciemment omis de préciser quels étaient ses liens matrimoniaux avec Madeleine Y..., notamment, à sa hiérarchie, sans expliquer comment il était possible qu'une administration eût pu ignorer l'état civil de l'un de ses agents, et comment le représentant de la direction régionale du service dirigé par le demandeur avait pu signer un bail au nom de l'Etat en ignorant que Madeleine Y..., gérante de la bailleresse, était l'épouse de Gérard X... dès lors que cela résultait des statuts mêmes de la SCI mentionnant, à l'article 32 bis, que Gérard X... était intervenu à l'acte de constitution en qualité d'"époux de Madeleine Y..., gérante et associée" ;
Attendu qu'il ressort de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que Gérard X... a été renvoyé devant le tribunal correctionnel du chef de prise illégale d'intérêts, d'une part, pour avoir fait en sorte que les locaux loués par l'Etat pour l'installation des bureaux du service pénitentiaire d'insertion et de probation, dont il était le directeur départemental, appartiennent à la société civile immobilière d'Hauteville (SCI), dont son épouse, Madeleine X..., était gérante et, d'autre part, pour avoir procédé ou fait procéder au versement des loyers dudit bail ;
Attendu que, pour déclarer Gérard X... coupable des faits visés à la prévention, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen et énonce notamment qu'il a participé activement à la création de la SCI et a entrepris les démarches, pour le compte de celle-ci, auprès de l'architecte qui lui a transmis les plans, les documents relatifs au projet ainsi que le montant du coût des travaux et de ses honoraires ; que les juges ajoutent que, préalablement au règlement des loyers, il était chargé de transmettre les ordres de paiement et les attestations d'occupation à sa direction régionale ; qu'ils précisent qu'il a sciemment omis de révéler à son administration qu'il avait un intérêt dans la SCI avec laquelle elle contractait ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que la juridiction correctionnelle est saisie de l'ensemble des faits visés dans l'ordonnance de renvoi, la cour d'appel, qui n'avait pas à caractériser l'existence d'un acte constitutif de prise illégale d'intérêts le jour de la conclusion dudit bail, les faits visés dans l'ordonnance de renvoi étant nécessairement antérieurs à cette date, a, sans insuffisance ni contradiction, caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit de prise illégale d'intérêts, dont elle a déclaré le prévenu coupable ;
Qu'en effet, d'une part, le délit de prise illégale d'intérêts est consommé dès que le prévenu a pris directement ou indirectement un intérêt dans une opération ou une entreprise dont il avait, au moment de l'acte, la charge d'assurer la liquidation ou le paiement, celles-ci se réduiraient-elles à de simples pouvoirs de préparation de décisions prises par d'autres ;
Que, d'autre part, l'élément intentionnel du délit est caractérisé par le seul fait que l'auteur a accompli sciemment l'acte constituant l'élément matériel du délit ;
Qu'ainsi le moyen doit être écarté ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-6, 121-7, 321-1, 321-3, 321-4, 321-9, 321-10, 432-12 et 432-17 du code pénal, ainsi que 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré la prévenue (Madeleine Y..., épouse X..., demanderesse), coupable de complicité et de recel du délit principal de prise illégale d'intérêts dont son époux a été déclaré coupable et, en répression, l'a condamnée à une peine d'amende de 8 000 euros ;
"alors qu'il n'y a ni complicité ni recel à défaut d'infraction principale punissable, en sorte que la cassation à intervenir du chef de l'auteur présumé entraînera par voie de conséquence l'annulation de l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné la demanderesse du chef de complicité et de recel" ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-2, 121-38, 121-39, 321-1, 321-3, 321-12 du code pénal, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré une personne morale (la SCI d'Hauteville, demanderesse) coupable de recel du délit principal de prise illégale d'intérêts dont l'auteur présumé (Gérard X...) a été déclaré coupable et, en répression, l'a condamnée à une peine d'amende de 45 000 euros ;
"alors qu'il n'y a point recel en l'absence d'infraction principale punissable, en sorte que la cassation à intervenir du chef de l'auteur présumé entraînera par voie de conséquence l'annulation de l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné la demanderesse au titre du recel du délit de prise illégale d'intérêts" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que ces moyens sont devenus sans objet par suite du rejet du pourvoi à intervenir ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois.