CE, 3 et 8 ch. réunies, 14 octobre 2022, n° 445680
CONSEIL D'ÉTAT
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Association des Centres Distributeurs E. Leclerc (Ass.), Soditroy (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Schwartz
Rapporteur :
M. Guesdon
Rapporteur public :
Mme Merloz
Avocats :
SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, SCP Piwnica, Molinié
Considérant ce qui suit :
1. La société Soditroy, détenue majoritairement par M. Le Hen, a notifié à l’Autorité de la concurrence le rachat du fonds de commerce d’un hypermarché situé à Barberey-Saint-Sulpice (Aube), au nord de l’agglomération troyenne, exploité sous enseigne Géant Casino par la société Distribution Casino France, ainsi que du fonds de commerce de carburant de la société Floreal, situé sur le parking de l’hypermarché. Cet hypermarché avait vocation à être exploité sous enseigne E. Leclerc, M. Le Hen étant adhérent à l’Association des Centres Distributeurs E. Leclerc (ACDLec). M. Le Hen, détient, par ailleurs, la société SIPAN qui exploite, sous enseigne E. Leclerc, un hypermarché situé à Saint-Parres-aux-Tertres, à l’est de la même agglomération. Sous le n° 445680, l’ACDLec et la société Soditroy demandent l’annulation de la décision n° 20-DCC-116 du 28 août 2020 par laquelle l’Autorité de la concurrence, après un examen approfondi de l’opération, l’a interdite, compte tenu de ses effets anticoncurrentiels sur le marché de la distribution de vente au détail à dominante alimentaire comprenant uniquement les hypermarchés. Sous le n° 446974, les sociétés Distribution Casino France et Floreal demandent l’annulation de la même décision. Il y a lieu de joindre les deux requêtes, pour y statuer par une seule décision.
Sur le contrôle conjoint de la cible par l’ACDLec et M. Le Hen :
2. Aux termes de l’article L. 430-1 du code de commerce : « I. - Une opération de concentration est réalisée : / (…) 2° Lorsqu'une ou plusieurs personnes, détenant déjà le contrôle d'une entreprise au moins ou lorsqu'une ou plusieurs entreprises acquièrent, directement ou indirectement, que ce soit par prise de participation au capital ou achat d'éléments d'actifs, contrat ou tout autre moyen, le contrôle de l'ensemble ou de parties d'une ou plusieurs autres entreprises. / (…) III – (…) le contrôle découle des droits, contrats ou autres moyens qui confèrent, seuls ou conjointement et compte tenu des circonstances de fait ou de droit, la possibilité d'exercer une influence déterminante sur l'activité d'une entreprise, et notamment : / - des droits de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens d'une entreprise ; / - des droits ou des contrats qui confèrent une influence déterminante sur la composition, les délibérations ou les décisions des organes d'une entreprise ». Dans la décision attaquée, l’Autorité de la concurrence a estimé que la société Soditroy et, par suite, le magasin cible qu’elle exploiterait, seraient conjointement contrôlés par M. Le Hen et par l’ACDLec, ces derniers étant en mesure d’exercer sur la société une influence déterminante.
3. Il ressort des pièces du dossier que Le « Mouvement Leclerc » est notamment constitué par une Association des centres distributeurs E. Leclerc (ACDLec), qui regroupe les dirigeants agréés des sociétés exploitant des centres distributeurs, auxquels leur agrément par le conseil d’administration de l’ACDLec donne le droit d’utiliser le « panonceau » E. Leclerc, et qui a pour objet, aux termes de l’article 1er de ses statuts, de « contrôler, soit directement, soit pour elle-même, soit pour le compte de toute société commerciale groupant les centres distributeurs E. Leclerc, les conditions de la gestion desdits centres (…) ». L’adhésion à l’ACDLec emporte également adhésion à une société coopérative d’approvisionnement qui exerce une activité de centrale régionale d’achat et d’approvisionnement regroupant les centres distributeurs d’une même région. Il ressort également des pièces du dossier, d’une part, que les statuts de la société Soditroy prévoient qu’un conseil de parrainage, composé de dirigeants de sociétés d’exploitation d’autres magasins E. Leclerc et de la société coopérative régionale des centres E. Leclerc de l’Est de la France (Scapest), est « investi du pouvoir de contrôler la direction de la société ». Il nomme le président de la société à la majorité simple et peut le révoquer, par une décision prise à l’unanimité, si celui-ci perd le droit d’usage de l’enseigne E. Leclerc. Compte tenu du large pouvoir dont dispose le conseil d’administration de l’ACDLec pour accorder ou retirer l’agrément à M. Le Hen ainsi qu’aux autres dirigeants de sociétés d’exploitation des magasins sous enseigne E. Leclerc composant le conseil de parrainage, l’ACDLec est en mesure d’influer sur la nomination et la révocation du dirigeant de l’entreprise. D’autre part, les associés de la société Soditroy, qui sont adhérents de l’ACDLec, bénéficient, conformément au principe de préférence rappelé dans la Charte des adhérents de l’ACDLec, d’un droit de préemption, tout projet de cession d’actions devant faire l’objet d’une offre préalable aux autres associés. Enfin, l’ACDLec intervient directement dans la politique tarifaire de la société Soditroy, qui est tenue, sous peine de perdre le droit d’usage de l’enseigne, de fixer les prix des produits vendus de manière à ce que l’indice de prix (« OPUS »), calculé selon une méthode commune à l’ensemble des centres distributeurs, soit inférieur ou égal à un certain seuil. Dans ces conditions, c’est sans erreur d’appréciation que l’Autorité de la concurrence a estimé, en se fondant sur l’ensemble de ces indices, que l’ACDLec exerçait sur la société Soditroy une influence déterminante au sens des dispositions citées au point 2 et qu’elle la contrôlait, conjointement avec M. Le Hen.
Sur la soumission de l’opération aux dispositions de l’article L. 430-3 et suivants du code de commerce :
4. Aux termes du II de l’article L. 430-2 du code de commerce : « II.-Lorsque deux au moins des parties à la concentration exploitent un ou plusieurs magasins de commerce de détail, est soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du présent titre toute opération de concentration, au sens de l'article L. 430-1, lorsque sont réunies les trois conditions suivantes : / -le chiffre d'affaires total mondial hors taxes de l'ensemble des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales parties à la concentration est supérieur à 75 millions d'euros ; / -le chiffre d'affaires total hors taxes réalisé en France dans le secteur du commerce de détail par deux au moins des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales concernés est supérieur à 15 millions d'euros ; / -l'opération n'entre pas dans le champ d'application du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, précité ».
5. S’il est soutenu que l’Autorité de la concurrence a commis une erreur d’appréciation en estimant implicitement que l’ACDLec exploitait un magasin de commerce de détail au sens des dispositions précitées du II de l’article L. 430-2 du code de commerce, il ne ressort pas des termes de la décision que l’Autorité de la concurrence aurait porté une telle appréciation, dès lors qu’elle a pu considérer les seuils de contrôle relatifs au commerce de détail franchis au regard des seuls chiffres d’affaires réalisés par M. Le Hen, qui exploitait l’hypermarché E. Leclerc de Saint-Parres-aux-Tertres, et par le magasin cible. Le moyen soulevé par l’ACDLec et la société Soditroy doit, par suite, être écarté.
Sur la délimitation des marchés pertinents :
6. Il appartient à l’Autorité de la concurrence, d’une part, à partir d’une analyse prospective tenant compte de l’ensemble des données pertinentes et se fondant sur un scénario économique plausible, de délimiter les marchés pertinents, qui englobent les produits ou services offerts par l’entreprise résultant de la concentration et ceux d’autres entreprises et considérés comme suffisamment substituables principalement du point de vue de la demande pour exercer sur elle une pression concurrentielle significative. Il lui appartient, d’autre part, de caractériser les effets anticoncurrentiels de l’opération sur ces marchés et d’apprécier si ces effets sont de nature à porter atteinte au maintien d’une concurrence suffisante sur les marchés qu’elle affecte.
En ce qui concerne l’existence d’un marché de la distribution au détail à dominante alimentaire composé uniquement d’hypermarchés :
7. Conformément à une pratique décisionnelle constante, l’Autorité de la concurrence a délimité, aux côtés d’un marché de la distribution au détail à dominante alimentaire comprenant les supermarchés et les formes de commerce équivalentes (hypermarchés, hard discount et magasins populaires), un marché comprenant uniquement les hypermarchés. Elle a en effet estimé, à partir d’un faisceau d’indices et de sondages réalisés auprès des consommateurs de l’hypermarché E. Leclerc et de l’hypermarché Géant Casino, que, dans l’agglomération troyenne, si les hypermarchés sont parfois utilisés comme des magasins de proximité, les autres formes de commerce à dominante alimentaire ne peuvent être utilisés comme des hypermarchés, qui ne sont donc pas substituables, du point de vue de la demande, aux supermarchés ou aux discompteurs. Les requérantes soutiennent, au contraire, que les services offerts par les hypermarchés sont substituables à ceux assurés par les supermarchés et les discompteurs, ces derniers exerçant une pression concurrentielle croissante sur les grandes surfaces alimentaires.
8. Il ressort toutefois des pièces du dossier, en premier lieu, que les hypermarchés, qui bénéficient d’une puissance promotionnelle supérieure à celle des autres formes de magasins à dominante alimentaire, se distinguent de ces dernières par la très large profondeur de gamme des produits offerts et par les pratiques persistantes de consommation spécifiques de ses clients, qui s’y rendent pour réaliser le plus gros de leurs achats en une seule fois (« one-stop-shop »). En deuxième lieu, les sondages élaborés par les parties notifiantes et l’Autorité de la concurrence et réalisés en sortie de caisse en janvier et février 2020 démontrent, d’une part, que près de 85% des consommateurs du Géant Casino préfèrent rester dans cet hypermarché ou se reporter vers l’un des trois autres hypermarchés de l’agglomération en cas de hausse des prix de 10% dans ce magasin et seulement 7% se tourner vers des supermarchés et, d’autre part, s’agissant des clients de l’hypermarché E. Leclerc, que 63,6% d’entre eux indiquent vouloir rester dans ce magasin ou se reporter vers l’un des trois autres hypermarchés dans un tel scénario, tandis qu’ils sont 12,4% à reporter leurs achats vers un supermarché, alors même que l’offre de supermarchés dans la zone de chalandise est particulièrement élevée. A cet égard, s’il est reproché à l’Autorité de la concurrence de ne pas avoir pris en compte les résultats des sondages portant sur le report des clients en cas de fermeture des hypermarchés Géant Casino et E. Leclerc, cette hypothèse apparaissait peu plausible. L’Autorité de la concurrence a donc pu centrer son analyse sur l’hypothèse d’une hausse significative des prix, indépendamment de la circonstance que la part de consommateurs des deux hypermarchés se reportant vers un supermarché ou vers un discompteur n’était pas négligeable. En troisième lieu, et au surplus, si certains magasins interrogés ont estimé, en réponse aux tests de marché réalisés par l’Autorité de la concurrence, que les discompteurs concurrençaient les hypermarchés, Aldi, qui est, avec Colruyt, l’un des principaux discompteurs de la zone, a indiqué que tel n’était pas le cas et Colruyt a affirmé que les consommateurs ne se reporteraient pas vers son magasin en cas de hausse des prix de 10% dans l’hypermarché Géant Casino. En dernier lieu, la circonstance que la Commission européenne ait, dans certaines de ses décisions rendues dans le cadre de son contrôle des concentrations, retenu un unique marché du commerce de détail de l’alimentation comprenant notamment les supermarchés et les hypermarchés n’entache pas la décision de l’Autorité de la concurrence d’illégalité, la délimitation des marchés devant être réalisée selon une appréciation concrète de l’environnement géographique et concurrentiel propre aux spécificités locales de l’opération examinée.
9. Il résulte de ce qui précède que c’est par une décision suffisamment motivée sur ce point et sans erreur de droit ni erreur d’appréciation que l’Autorité de la concurrence a considéré, en se fondant sur une analyse prospective tenant compte de l’ensemble des données pertinentes, que le service de distribution offert par les hypermarchés ne présentait pas un degré de substituabilité suffisant par rapport au service offert par les supermarchés et les discompteurs et en a déduit qu’il existait, dans l’agglomération troyenne, un marché de la distribution au détail à dominante alimentaire comprenant uniquement les hypermarchés.
En ce qui concerne l’exclusion des magasins Intermarché du marché de la distribution au détail de produits alimentaires composé uniquement d’hypermarchés :
10. Les requérantes soutiennent, à titre subsidiaire, que le magasin Intermarché Super de Saint-Julien-les-Villas, situé au nord-est de l’agglomération troyenne et dont la surface de vente est de 2 980 m², ainsi que le magasin Intermarché Super de Creney-près-Troyes, situé au sud de l’agglomération et devant prochainement disposer d’une surface de 2 780 m², auraient dû être, compte tenu de leur surface de vente supérieure à 2 500 m², inclus dans le marché de la distribution au détail à dominante alimentaire comprenant uniquement les hypermarchés.
11. Il ressort toutefois des pièces du dossier que l’offre de produits non alimentaires de ces deux magasins est plus limitée que celle des hypermarchés et que ces produits représentent, à la différence des hypermarchés, une part négligeable de leurs chiffres d’affaires. Par ailleurs, il ressort des réponses aux tests de marché que plusieurs gérants de magasins alimentaires de la zone considèrent que ces deux magasins Intermarché Super relèvent davantage de la catégorie des supermarchés que de celle des hypermarchés. Les déclarations des hypermarchés E. Leclerc et Carrefour, qui ont affirmé relever les prix des magasins Intermarché tous les trimestres tandis que ce relevé est effectué tous les mois dans les hypermarchés, confirment la moindre pression concurrentielle exercée par les magasins Intermarché. En outre, il ressort des sondages réalisés que moins de 2% des consommateurs de l’hypermarché Géant Casino et 4,7% de ceux du E. Leclerc se reporteraient vers le magasin Intermarché Super de Saint-Julien-les-Villas en cas de hausse de prix de 10% dans leur magasin. S’il est exact que seulement 1,7% des clients de l’hypermarché E. Leclerc de Saint-Parres-aux-Tertres se reporteraient par ailleurs vers l’hypermarché Géant Casino, cette circonstance ne permet pas, à elle seule, de démontrer que le service offert par le magasin Intermarché de Saint-Julien-les-Villas, au demeurant nettement plus proche de l’hypermarché E. Leclerc que le Géant Casino, est suffisamment substituable aux services offerts par l’ensemble des hypermarchés de l’agglomération. Enfin, les sociétés requérantes ne peuvent utilement soutenir que les deux magasins Intermarché Super auraient dû être inclus dans le marché de la vente au détail de produits à dominante alimentaire au motif que l’Autorité de la concurrence avait, dans une précédente décision, décidé d’inclure les grandes surfaces alimentaires de 2 500 m² à 6 000 m² ainsi que celles de 6 000 m² à 10 000 m² dans le marché de la vente au détail des produits électrodomestiques qui exerçaient pourtant sur les parties respectivement une faible et moyenne pression concurrentielle, le marché des produits électrodomestiques ne pouvant être comparé à celui des produits alimentaire. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que l’Autorité de la concurrence aurait commis une erreur d’appréciation en excluant du marché de la distribution au détail à dominante alimentaire comprenant uniquement les hypermarchés les deux magasins sous enseigne Intermarché doit être écarté.
Sur l’analyse concurrentielle :
En ce qui concerne le risque d’effets coordonnés :
12. Les comportements d’opérateurs en situation oligopolistique sur un marché pertinent peuvent, en l’absence même de toute entente formelle, être implicitement coordonnés, lorsque ces opérateurs, notamment en raison de l’existence de facteurs de corrélation entre eux, ont le pouvoir d’adopter durablement une même ligne d’action sur le marché en vue de profiter d’une situation de puissance économique collective, en particulier pour vendre au-dessus des prix concurrentiels, sans que les concurrents actuels ou potentiels ou encore les clients et les consommateurs ne puissent réagir de manière effective. Une telle position dominante collective peut être identifiée lorsque chacun des membres de l’oligopole est en mesure de connaître de manière suffisamment précise et immédiate l’évolution du comportement des autres, qu’il existe des menaces de représailles crédibles en cas de déviation de la ligne d’action implicitement approuvée par tous et que les réactions prévisibles des consommateurs et des concurrents actuels ou potentiels de l’oligopole ne peuvent suffire à remettre en cause les résultats attendus de la collusion tacite. Pour apprécier si une opération de concentration présente le risque de tels effets coordonnés, il incombe à l’autorité régulatrice de s’interroger, dans le cadre d’une analyse prospective du marché pertinent, sur sa probabilité, en appréhendant, sans s’en tenir à l’application de chacun des trois critères énumérés ci-dessus pris isolément, le mécanisme économique global d’une éventuelle coordination.
13. Il ressort des pièces du dossier que pour retenir l’existence d’effets coordonnés sur le marché de la distribution au détail de produits alimentaires composé uniquement d’hypermarchés, où se trouveraient, à l’issue de l’opération, deux hypermarchés sous enseigne E. Leclerc et deux hypermarchés sous enseigne Carrefour, l’Autorité de la concurrence a notamment estimé que les prix de l’ensemble des références au sein de ces deux derniers hypermarchés étaient relevés chaque mois par le magasin E. Leclerc, que les deux acteurs présents sur le marché seraient en capacité de réagir rapidement en cas de comportement s’écartant de la ligne de conduite et qu’en raison de fortes barrières à l’entrée résultant de normes empêchant la création d’hypermarchés dans l’agglomération troyenne, il était peu probable que de nouveaux acteurs déstabilisent la coordination tacite. Elle en a déduit que les deux enseignes, qui disposeraient à l’issue de l’opération de parts de marché quasiment similaires en surface de vente et, à terme, en chiffre d’affaires, pourraient durablement maintenir des prix élevés, supérieurs au niveau concurrentiel, sans que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, les supermarchés ou les discompteurs, qui ne sont pas concurrents des hypermarchés sur le marché pertinent, ne puissent réagir de manière effective. Ce faisant, c’est sans erreur de droit ni erreur d’appréciation qu’elle a estimé que l’opération était de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché de la distribution au détail de produits alimentaires composé uniquement d’hypermarchés.
En ce qui concerne le risque d’effets unilatéraux :
14. L’Autorité a estimé que l’opération pourrait vraisemblablement entraîner une hausse des prix dans l’hypermarché E. Leclerc situé à Saint-Parres-aux-Tertres. Elle s’est notamment fondée sur l’indice dit « GUPPI » (« gross upward pricing pressure index »), en faisant l’hypothèse que les personnes qui sont clientes de l’hypermarché E. Leclerc en dépit de leur proximité avec le Géant Casino se reporteraient, après l’opération, vers l’hypermarché-cible passé sous enseigne E. Leclerc. Cet indice, calculé à partir du ratio de diversion entre cet hypermarché E. Leclerc et l’hypermarché-cible situé à Barberey-Saint-Sulpice, c’est-à-dire en fonction de la part des ventes qui, en cas de hausse de prix dans le premier magasin sera effectuée dans l’autre magasin, rapportée à l’ensemble des ventes perdues par le magasin ayant augmenté ses prix, a été évalué à 6,1%, soit un taux supérieur au seuil de 5% au-delà duquel il est admis que la nouvelle entité sera incitée à augmenter ses prix du fait de l’internalisation au sein du nouvel ensemble de reports de la clientèle vers la cible en cas de hausse des prix par l’acquéreur. Si les sociétés requérantes soutiennent que l’Autorité de la concurrence n’apporte aucune précision permettant de justifier l’hypothèse sur laquelle repose le ratio de diversion pris en compte et, par suite, le calcul du « GUPPI », il ressort des pièces du dossier que des ratios de diversion supérieurs à celui ayant abouti à un « GUPPI » supérieur à 5% ont été obtenus sur la base de parts de marché en surface ou en chiffre d’affaires, ces dernières ayant été établies par un cabinet spécialisé pour le compte des parties notifiantes. En outre, s’il est soutenu que la politique des prix bas de l’ACDLec rendait peu probable une hausse des prix dans l’actuel hypermarché E. Leclerc, d’une part, les prix dans cet hypermarché étaient alors inférieurs au seuil fixé par l’ACDLec, ainsi qu’il ressort des termes non contestés de la décision attaquée, et, d’autre part, ainsi que le fait valoir l’Autorité de la concurrence, la règle de niveau de prix à laquelle doivent se conformer les adhérents de l’ACDLec ne ferait pas obstacle à ce que l’hypermarché augmente ses prix sur les 30 000 références qui ne sont pas prises en compte par l’indice de prix « OPUS » mentionné au point 3 ou augmente les prix des produits les plus vendus ou les plus onéreux en compensant ces augmentations par des prix inférieurs sur les produits moins vendus ou moins onéreux. Dans ces conditions, l’Autorité de la concurrence n’a pas commis d’erreur d’appréciation en estimant qu’il existait un risque d’effet unilatéral sur le marché de la distribution au détail à dominante alimentaire comprenant uniquement les hypermarchés.
15. Pour interdire l’opération, l’Autorité de la concurrence s’est également fondée sur le motif tiré de ce qu’il existait, indépendamment d’éventuels effets de coordination, un risque d’effet unilatéral se traduisant par une hausse relative des prix dans le magasin cible par rapport à la situation contrefactuelle. S’il ressort des pièces du dossier que ce motif ne justifiait pas l’interdiction de l’opération, il résulte de l’instruction que l’Autorité de la concurrence aurait pris la même décision en se fondant sur les deux autres motifs mentionnés ci-dessus.
16. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de la requête des sociétés Distribution Casino et Floreal, les requérantes ne sont pas fondées à demander l’annulation de la décision qu’elles attaquent. Leurs conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu’être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de l’ACDLec et de la société Soditroy et celle des sociétés Distribution Casino France et Floreal sont rejetées.
Article 2 : La décision sera notifiée à l’Association des Centres Distributeurs E. Leclerc, à la société Soditroy, à la société Distribution Casino France, à la société Floreal et à l’Autorité de la concurrence.