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Décisions

CA Bordeaux, 1re ch. civ., 29 septembre 2022, n° 22/00482

BORDEAUX

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Jacquelin

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Potee

Conseillers :

Mme Vallee, Mme Heras de Pedro

Avocats :

Me Bernat, Me Brochot

TJ Bordeaux, du 10 janv. 2022, n° 21/008…

10 janvier 2022

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

Par acte sous seing privé du 27 mars 2004, Mme [X] [W] a donné à bail à Mme [V] [F], exploitant sous l'enseigne 'La Marchande des Quatre Saisons', des locaux situés [Adresse 2].

Le 13 août 2013, ce bail commercial a été renouvelé. À cette occasion, M. [Z] [L] s'est engagé ès qualités de caution solidaire.

À compter de janvier 2019, les loyers ont cessé d'être payés et les lieux ne paraissaient plus être exploités.

Par acte d'huissier du 28 mars 2019, Mme [X] [W] a adressé à Mme [V] [F] et M. [Z] [L] un commandement de payer les sommes demeurées impayées.

Par actes d'huissier du 16 mai 2019, Mme [X] [W] a fait assigner Mme [V] [F] et M. [Z] [L] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux aux fins notamment de voir constater la résiliation du bail commercial par acquisition de la clause résolutoire, de voir ordonner l'expulsion du preneur et de tous occupants de son chef, outre sa condamnation à lui payer la somme de 3 836 euros au titre des loyers et charges impayés.

Par jugement du 29 mai 2019, une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte à l'encontre de Mme [V] [F] et la SELARL [N]-[D]-[I]-[E] a été désignée en qualité de liquidateur judiciaire.

Par acte d'huissier du 25 juin 2019, Mme [X] [W] a fait assigner la SELARL [N]-[D]-[I]-[E] devant la même juridiction et aux mêmes fins.

Le 9 septembre 2019, les deux instances ont fait l'objet d'une jonction.

Le 10 décembre 2020, la procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de Mme [V] [F] a été clôturée pour insuffisance d'actif.

Par ordonnance de référé contradictoire du 10 janvier 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux a :

- débouté Mme [X] [W] de l'ensemble de ses demandes,

- débouté M. [Z] [L] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Mme [X] [W] aux dépens.

Mme [X] [W] a relevé appel de cette ordonnance par déclaration du 31 janvier 2022.

Par conclusions déposées le 7 juin 2022, elle demande à la cour de :

- déclarer recevable l'appel formé par Mme [X] [W] par acte du 19 janvier 2022,

- réformer l'ordonnance de référé du 10 janvier 2022, en ce qu'elle a :

- débouté Mme [X] [W] de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de M. [Z] [L] en qualité de caution,

- condamné Mme [X] [W] aux entiers dépens,

- débouter M. [Z] [L] de l'ensemble de ses demandes,

Statuant à nouveau,

- juger qu'il n'existe aucune contestation sérieuse sur le bien-fondé et le quantum de la créance dont Mme [X] [W] se prévaut à l'encontre de M. [Z] [L] ès-qualité de caution solidaire,

- condamner M. [Z] [L] ès-qualité de caution solidaire, à payer à Mme [X] [W], à titre provisionnel, la somme principale de 4 723,12 euros, au titre de l'arriéré des loyers impayés et des frais d'huissier engagés par la bailleresse pour les tentatives de recouvrement des sommes dues,

- dire que cette somme principale porte intérêts au taux légal de plein droit à compter du 28 mars 2019, date du commandement de payer délivré par Mme [X] [W] à Mme [V] [F],

- rappeler que l'ensemble des condamnations porteront intérêts au taux légal majoré de cinq points, à l'expiration d'un délai de deux mois à compter du jour où la décision de justice sera devenue exécutoire,

Y ajoutant,

- condamner M. [Z] [L] à payer à M. et Mme [X] [W] une indemnité de 3 000 euros au titre de ses frais irrépétibles,

- condamner M. [Z] [L] aux entiers dépens, en ce compris ceux de première instance.

Par conclusions déposées le 14 mars 2022 comportant appel incident, M. [Z] [L] demande à la cour de :

In limine litis,

- dire irrecevable l'appel formé en l'espèce par Mme [X] [W],

A titre principal,

- confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a débouté Mme [X] [W] de l'ensemble de ses demandes,

- dire nul et de nul effet l'acte de caution solidaire daté du 13 août 2013 communiqué par Mme [X] [W] au soutien de ses demandes,

- dire que l'acte de caution solidaire daté du 13 août 2013 communiqué par Mme [X] [W] au soutien de ses demandes est dépourvu de force probante,

- dire que le montant de la créance dont se prévaut Mme [X] [W] est contestable,

- réformer le jugement de première instance en ce qu'il a débouté M. [Z] [L] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Partant,

- condamner Mme [X] [W] à régler à M. [Z] [L] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile concernant la procédure de première instance,

- condamner Mme [X] [W] à régler à M. [Z] [L] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile concernant la procédure d'appel,

- confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a condamné Mme [X] [W] aux dépens.

Au visa de l'article 905 du code de procédure civile, l'affaire a fait l'objet le 11 février 2022 d'une ordonnance de fixation à bref délai avec clôture de la procédure 15 jours avant la date de l'audience fixée au 30 juin 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité de l'appel

Aux termes de l'article 553 du code de procédure civile, 'En cas d'indivisibilité à l'égard de plusieurs parties, l'appel de l'une produit effet à l'égard des autres même si celles-ci ne se sont pas jointes à l'instance ; l'appel formé contre l'une n'est recevable que si toutes sont appelées à l'instance'.

L'article 2298 du code civil, dans sa rédaction applicable, dispose : 'La caution n'est obligée envers le créancier à le payer qu'à défaut du débiteur, qui doit être préalablement discuté dans ses biens, à moins que la caution n'ait renoncé au bénéfice de discussion, ou à moins qu'elle ne se soit obligée solidairement avec le débiteur ; auquel cas l'effet de son engagement se règle par les principes qui ont été établis pour les dettes solidaires.'

A titre liminaire, M. [L] fait valoir que le litige est indivisible et que l'appel, qui a été formé uniquement à son égard et non à l'encontre de Mme [F] et du mandataire liquidateur, doit être déclaré irrecevable.

Mme [W] fait valoir en réponse que la dette de loyer en cause est une obligation de payer, qui n'est pas par nature indivisible.

En l'espèce, s'agissant d'un acte de caution solidaire, le créancier peut valablement actionner la caution seule, pour le paiement de l'entièreté de la dette cautionnée.

Ainsi l'appel formé le 31 janvier 2022 par Mme [W] à l'encontre de la seule caution devra-t-il être déclaré recevable.

Sur les demandes de Mme [W]

L'appelante fait valoir qu'il n'existe aucune contestation sérieuse faisant obstacle à sa demande de paiement, en ce qu'elle a bien déclaré sa créance à la procédure de liquidation judiciaire le 7 juin 2019. L'appelante fait également valoir qu'il n'existe pas de contestation sérieuse quant à la validité de l'acte de cautionnement et que M. [L] a déjà été condamné sur le fondement du même acte de cautionnement, par ordonnance du 31 mars 2014, sans s'y être opposé. Elle fait valoir qu'il n'y a pas lieu de déduire le dépôt de garantie de sa créance, en ce que le logement a été restitué dans un état insalubre.

M. [L] fait valoir en réponse qu'il existe une contestation sérieuse sur la créance de loyer en ce qu'elle est née antérieurement au jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire de Mme [F], que l'acte de caution est nul en ce qu'il ne mentionne pas la date d'avenant du bail duquel découlent ses obligations et qu'au surplus l'omission de la mention de la somme en toutes lettres sur l'acte lui fait perdre toute force probante. À titre subsidiaire, M. [L] estime que le montant de la créance de la bailleresse est sérieusement contestable et que le dépôt de garantie qui n'a jamais été restitué à Mme [F] doit être déduit en toute hypothèse.

1. Sur la régularité de la déclaration de créance

L'article L. 622-24 du code de commerce dispose : 'À partir de la publication du jugement, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception des salariés, adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire dans des délais fixés par décret en Conseil d'Etat.'

L'article L. 622-26 du même code dispose : 'À défaut de déclaration dans des délais fixés par décret en Conseil d'Etat, les créanciers ne sont pas admis dans les répartitions et les dividendes à moins que le juge-commissaire ne les relève de leur forclusion [...].'

Aux termes de l'article R. 622-24 du même code : 'Le délai de déclaration fixé en application de l'article L. 622-26 est de deux mois à compter de la publication du jugement d'ouverture au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales.'

En l'espèce, alors que la procédure de liquidation judiciaire de Mme [F] a été ouverte par jugement du 29 mai 2019, la bailleresse Mme [W] justifie avoir déclaré sa créance au passif de la procédure selon courrier de son avocat au mandataire judiciaire en date du 7 juin 2019, pour un montant de loyers impayés de 5 754,00 euros.

Il ressort en outre du courrier adressé par le mandataire liquidateur à la bailleresse le 19 octobre 2020 et versé par elle en pièce n°9, que celle-ci a effectivement et valablement déclaré sa créance au passif de la procédure, dès lors que le mandataire l'a informé que ne disposant d'aucun fonds à cette date, il ne pourrait pas régler les créanciers.

Mme [W] ayant régulièrement effectué sa déclaration de créance à la procédure de liquidation judiciaire, l'action à l'encontre de la caution est recevable, en l'absence de contestation sérieuse sur ce point.

2. Sur la validité de l'acte de cautionnement

Aux termes de l'article 2288 du code civil dans sa version applicable au litige, 'Celui qui se rend caution d'une obligation se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation, si le débiteur n'y satisfait pas lui-même'.

Aux termes de l'article 1326 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, 'L'acte juridique par lequel une seule partie s'engage envers une autre à lui payer une somme d'argent ou à lui livrer un bien fongible doit être constaté dans un titre qui comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres. En cas de différence, l'acte sous seing privé vaut pour la somme écrite en toutes lettres'.

En l'espèce, M. [L] ne peut arguer de la nullité de l'acte de caution en ce qu'il ne mentionnerait pas la date d'avenant du bail duquel découlerait ses obligations, dès lors que cet acte, produit en pièce n°3 par l'appelante, mentionne expressément qu'il se porte caution solidaire de Mme [F] pour les obligations résultant du bail consenti par Mme [W], pour la location des locaux situés [Adresse 2], pour une durée de 9 ans à compter du 15 février 2013 et qu'en signant l'acte, il reconnaît avoir pris connaissance des différentes clauses et conditions du bail. M. [L] a pu apprécier l'étendue de ses obligations, l'acte de caution du 13 août 2013 mentionnant la date d'effet et la date de fin de l'engagement de caution.

Il est par ailleurs constant que l'absence de mention de la somme en toutes lettres n'emporte pas la nullité de l'acte de caution, lequel demeure un commencement de preuve par écrit.

A cet égard, il sera relevé qu'en l'espèce, M. [L] a déjà été condamné sur le fondement de l'acte de caution solidaire litigieux, par une ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal de grande instance de Bordeaux le 31 mars 2014, qui a été exécutée et sans qu'il n'ait été fait appel de cette décision.

En conséquence, la validité de l'acte de cautionnement du 13 août 2013 n'est pas sérieusement contestable, de sorte qu'il y a lieu de faire droit à la demande de condamnation de M. [L] sur ce fondement, à hauteur de 4 215,50 euros au titre des impayés de loyer et charges de janvier à mai 2019 et de 310,06 euros comprenant le coût du commandement de payer et de l'assignation, soit un total de 4 525,56 euros.

3. Sur la déduction du dépôt de garantie

Il s'évince du bail commercial initial du 27 mars 2004 à effet du 15 février 2004 et de l'avenant de renouvellement du 13 août 2013 à effet du 15 février 2013, que Mme [F] a versé en 2004 à Mme [W] la somme de 1400 euros à titre de dépôt de garantie, ainsi que la somme complémentaire de 510 euros lors du renouvellement du bail en 2013, soit un total de 1910 euros.

La bailleresse ne saurait soutenir qu'il n'y a pas lieu à déduction du montant du dépôt de garantie, en ce que celui-ci aurait été investi aux fins de remettre le local en état, dès lors qu'elle ne produit aucun devis, ni facture décrivant les travaux nécessaires à la suite de l'état des lieux de sortie daté du 27 septembre 2019.

Il y a donc lieu de faire droit à la demande de M. [L] de déduire des sommes mises à sa charge, le dépôt de garantie d'un montant de 1910 euros.

En conséquence de l'ensemble de ces éléments, M. [L], ès qualités de caution solidaire de Mme [F], sera condamné à payer à Mme [W] la somme principale de 2 615,56 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 28 mars 2019, date du commandement de payer délivré par Mme [W] à Mme [F] et M. [L].

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Il y a lieu d'infirmer l'ordonnance querellée en ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de l'article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. Sur ce fondement, M. [L] supportera la charge des dépens.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée.

En l'espèce, M. [L] sera condamné à verser à Mme [W] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

- Infirme l'ordonnance de référé du 10 janvier 2022 en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

- Déclare Mme [X] [W] recevable en son appel formé par déclaration du 31 janvier 2022 ;

- Déclare Mme [X] [W] recevable en son action à l'encontre de M. [Z] [L], ès qualités de caution solidaire de Mme [V] [F] ;

- Condamne M. [Z] [L], ès qualités, à payer à Mme [X] [W] la somme principale de 2 615,56 euros au titre de l'arriéré de loyers et charges et du coût des actes d'huissier de justice, outre intérêts au taux légal à compter du 28 mars 2019 ;

- Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

- Condamne M. [Z] [L] à payer à Mme [X] [W] une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamne M. [Z] [L] aux dépens de première instance et d'appel.